L’encadrement progressif des banques de matériel humain

Le foisonnement des banques de matériels humains – Section II :
La constitution de banque de matériels humains est originellement une initiative privée dont le but était de procurer aux personnes qui en faisaient la demande, les éléments dont elles avaient besoin dans le cadre de leurs activités. La vigueur de cette nouvelle activité a contribué à plonger les autorités publiques dans la confusion vis-à-vis d’un phénomène qu’elles n’encadraient pas. Afin de faire échec le plus rapidement possible au mouvement de patrimonialité des éléments du corps humain auquel ces exploitations donnent lieu, les réglementations ont du s’efforcer d’astreindre ces banques à des contraintes éthiques.
Les banques de tissus et de cellules ont la double vocation de répondre à la demande des personnes en attente de matières de substitution et d’alimenter les industries pharmaceutiques en matériaux de recherches. L’intérêt de telles structures privées est de permettre une mise à disposition relativement rapide de matière humaine, qu’elle soit issue d’un don ou bien, comme il se peut désormais pour certains tissus, qu’elle soit issue de la synthèse sur matrice spécifique de tissus destinés à la transplantation. La contrepartie de cette flexibilité et de cette disponibilité d’éléments du corps humain est de nature pécuniaire mais cet aspect est justifié par les activités de services qui entourent le stockage massif de ces éléments, notamment du fait de la préparation, la conservation, la synthèse, le transport des matériaux mis à disposition.
Cependant, si les tissus, cellules et gènes offrent des facilités de conservation il n’en va pas de même pour les éléments plus complexes que sont les organes. Impossible encore à synthétiser in vitro, les organes sont donc l’objet de diverses recherches dont, pour certaines, une issue commence à voir le jour au travers de la xénotransplantation, ce qui relègue, sans l’atténuer, le problème de la constitution de banque vivante d’organes à une autre espèce et reprend le sempiternel dilemme de l’exploitation animale au service de l’homme; pour les autres, même si les potentialités qu’offrent les cellules souches sont prometteuses, la limite rencontrée dans la constitution d’un support synthétique se substituant à l’homme, donc la matrice support de développement de l’organe souhaité avec l’information génétique de la personne destinataire, fait que celles-ci demeurent au seuil du probable.
Ainsi, si la constitution de banques d’éléments du corps humain permet déjà de répondre à certains besoins, leur encadrement progressif vise à limiter les dérives possibles vers un réel système de marché de matières humaines (A). Aussi, tous les éléments ne se prêtent pas à conservation, limite actuelle que la recherche tente de repousser (B).
A – L’encadrement progressif des banques de matériel humain
Deux types de matériel vont pouvoir faire l’objet d’une collection dans des banques car susceptibles de conservation. Il s’agit d’une part des tissus et cellules humaines et, d’autre part, des gènes et de l’information qu’ils renferment. Chacune de ces collections va avoir des implications propres capables de remettre en cause les caractères anonyme et gratuit du don, à la base de l’élaboration de ces collections.
1 – Les banques d’éléments du corps humain.
Les banques de tissus et de cellules humaines sont nombreuses en Europe et sont généralement spécifiques à un tissu ou à une lignée cellulaire. Ce principe de spécialité est propice à garantir la qualité des éléments diffusés mais cette qualité à un coût que les autorités publiques veulent en relation avec le service rendu; elles ne souhaitent pas que puissent se constituer des rentes de situations grâce à la constitution des monopoles de fait que ces banques ont développé sur certains éléments.
La régulation actuelle, dont ces activités font l’objet, s’opère sur deux points cruciaux; l’encadrement des initiatives privées par des règles projetant ces activités hors marché, à l’instar des activités de service public (a) et la réflexion sur le fondement de la constitution de nouvelles banques (b).
a – l’encadrement normatif des banques de tissus humains65.
La constitution initiale de banques d’éléments du corps humain visait à pallier les indisponibilités de matériels auxquelles devaient faire face non seulement la recherche fondamentale et l’industrie pharmaceutique mais visait aussi à mettre du matériel à disposition des demandeurs de greffe. Ces banques sont « des unités et des services qui peuvent se situer au sein d’organismes, publics ou privés, à but lucratif ou non »66.
Les banques de tissus ont pour mission de recueillir les tissus et cellules dans le cadre de diverses activités de soins notamment les tissus fœtaux issus des interruptions de grossesses, le placenta et le cordon ombilical lors des accouchements, les résidus chirurgicaux et les dons de personnes décédées, exceptionnellement de volontaires sains. Le recueil de ces éléments et la collecte des informations relatives aux donneurs s’effectuent à titre gratuit. Ces banques rétrocèdent néanmoins le fruit de leur collecte après avoir assuré toute une série d’opérations conférant aux tissus ou aux cellules une valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est notamment liée aux opérations de traitement, de conservation et de stockage, d’enregistrement pour la traçabilité, de distribution et de livraison.
Cependant, l’activité de distribution, outre répondre aux besoins des personnes en attente de greffe, est aussi assurée en vue de fournir les professionnels en matériel qu’ils utiliseront à diverses fins, notamment commerciales. De même, certaines banques proposent désormais des tissus ingénierés issus de techniques de transformation, dont il faut amortir les investissements sur le prix de cession. Ces deux domaines font donc contraste avec l’activité initiale de prélèvement, gratuite, mais sans laquelle la part la plus importante de toutes les applications dérivées ne peut exister. Il est alors concevable que des demandes portant sur l’aménagement de la règle de la gratuité du don pour alimenter en matériel ces activités particulières fassent jour, ou au moins que les donneurs bénéficient d’un droit de retour sur les applications lucratives permises par l’utilisation de leurs éléments67.
Pour éviter de tomber dans ce schéma, le GEE considère, dans son avis n° 11 relatif aux aspects éthiques des banques de tissus humains, que les activités en question devraient être réservées à des organismes à but non lucratif, garantissant que les tissus seront rétrocédés « à un prix incluant seulement le coût des charges assumées par la banque ». Cela étant, il reconnaît par la suite qu’ « en l’état du développement du secteur concerné, il est difficile d’exclure l’activité des banques de tissus les organismes à but lucratif, comme les grands laboratoires privés (…) notamment lorsque les tissus humains sont à l’origine de produits ingénierés exigeant le recours à des techniques sophistiquées de transformation ». Ainsi, si on ne peut empêcher ces organismes de proposer des éléments du corps humain sur le marché, on peut toutefois réguler ce marché en soumettant ces laboratoires privés aux même contraintes d’autorisations et de contrôle que les organismes publics.
Les autorités publiques, même si elles tentent d’encadrer réglementairement l’épanouissement du secteur des banques de tissus, sont liées par les besoins de la santé et de l’industrie. Or, les besoins de la santé sont intimement liés aux produits proposés, ils répondent de la même loi du marché. Ainsi, les autorités publiques se confrontent davantage aux nouvelles attentes sociales, attentes
générées par des arguments commerciaux émanant de professionnels et qui ne s’avèrent pas répondre à un besoin général mais vise une « clientèle particulière ». Les autorités publiques doivent alors se faire l’arbitre, voire le substitut de ces offreurs de services, afin de limiter les aspirations mercantiles que le marché de la santé stimule.
b – l’intérêt réel de développer des banques de sang de cordon ombilical68
Le débat ouvert autour de la constitution de banques de sang de cordon ombilical a réactivé les craintes relatives à la dérive individualiste vers laquelle la société de consommation pousse les demandeurs de soins, niant de ce fait les intentions altruistes et la solidarité qui doivent présider à l’émergence de ces structures particulières.
Le marché de la santé pousse certaines firmes privées à proposer « à de futurs parents de conserver le sang du cordon ombilical de leur nouveau-né pour son propre usage ou celui de parents proches ». Or, les avantages réels que procure la conservation de ces éléments ne sont pas scientifiquement établis et ne visent parfois qu’à emporter l’adhésion de parents trop soucieux, prêts à consentir la conservation de ces éléments contre rétribution.
Les principes qui doivent présider à la constitution de telles banques sont le besoin réel de la société pour les éléments recueillis et conservés, donc il s’agit essentiellement de valoriser une intention altruiste et solidaire. Dans le cas précis de la constitution de banque de sang de cordon ombilical ce qui est valorisé est la capitalisation d’un élément en vue d’un besoin hypothétique égoïste. La perversion ainsi condamnée est la négation de l’égalité dans l’accès aux ressources, pendant essentiel de l’égalité dans l’accès aux soins. Cette condamnation fait l’objet d’une unanimité au niveau européen et porte sur le schéma de banques actuellement proposé. Tant les propositions du Comité Européen de la santé du conseil de l’Europe que le Groupe Européen d’Ethique auprès de la Commission Européenne souhaitent, dans l’hypothèse où de telles banques seraient créées, qu’ « elles devraient l’être sur la base de dons volontaires et altruistes destinés à la transplantation allogénique et à la recherche ».
Pour autant, de telles banques de sang de cordon ombilical ne sont pas dénuées d’avantages. Dans le cadre d’un recueil systématique de sang de cordon ombilical et par la mise en commun des stocks de toutes les banques, l’ensemble des groupes de la population parvient à être représenté et non plus seulement ceux des seules personnes ayant consenties, ce qui implique que les groupes rares ont une chance de pouvoir bénéficier de ces ressources. La double vocation préventive et curative des ressources ainsi stockées se concilie mieux avec les principes défendus en matière de dons d’éléments et parviennent à faire échec à l’impulsion mercantile initiale.
Malgré les efforts des politiques publiques pour favoriser les échanges solidaires, la dynamique de la commercialisation des éléments du corps humain gagne certaines législations, dont les enjeux dépassent les intérêts et les frontières nationales.
2 – Les banques de matériels et données génétiques, les biobanques69 et les biothèques70
La cible de ce type de banques sont autant les gènes que les informations qu’ils contiennent, chacun étant perçu comme un élément du corps humain, si ce n’est de l’humanité. La difficulté s’entend donc de la confrontation entre la sauvegarde de la dignité de la personne et la sauvegarde du patrimoine commun de l’humanité car ces banques, par les matériaux et les données qu’elles renferment, posent les questions de la part et de la propriété du patrimoine commun de l’humanité au travers de ces éléments.
En ce sens, la part commune de l’humanité est indivise et doit être accessible à tous alors que les informations propres à la personne doivent faire l’objet d’une protection particulière au regard des législations spécifiques relatives aux données individuelles.
a – les sources de matériels génétiques et l’exploitation de l’information génétique identifiée à partir de ces sources
Les sources exploitées sont d’envergure nationale, elles n’ont de représentativité que par la population locale et non l’ensemble de la population mondiale. Ceci n’offre donc qu’un support sélectif dont les applications ne seraient pas nécessairement transposables à d’autres populations ne présentant pas les mêmes fréquences génétiques. Cette disponibilité sélective de gènes peut ainsi déboucher sur des inégalités de connaissances et éventuellement des modes de guérison de certaines populations, privilégiées par rapport à d’autres.
Ainsi, la diffusion des connaissances ne serait que peu effective et il serait souhaitable d’encourager la constitution de banques représentatives de la population mondiale afin de développer une réelle activité de recherche scientifique dont les répercussions ne seraient pas simplement sélectives. Actuellement, l’Islande est le leader mondial de ce type de projet de constitution de biobanques et biothèques avec la participation de la totalité de la population. Des projets identiques se développent dans d’autres pays, notamment les pays en voie de développement, qui voient dans ce type de projet un moyen de se positionner sur la scène internationale.
La crainte formulée touche donc aussi les exploitants de ces sources et les fins qui sont assignées à la recherche génomique. Il existe deux logiques de recherches différentes et, partant, deux logiques d’accès aux connaissances71 selon que l’exploitant est une entreprise publique ou privée. Les industries privées travaillent dans le but de se constituer un panel d’inventions brevetables, permettant la constitution de monopoles sur l’exploitation de l’application d’un ou plusieurs gènes, monopoles qu’elles possèdent en plus sur l’information et qu’elles ne souhaiteront diffuser que moyennant finance. La logique opposée des exploitants publics vise à diffuser largement et le plus rapidement possible dans la littérature scientifique les découvertes sur les applications et les informations concernant les gènes afin de faire obstacle à la course aux brevets dans laquelle s’est lancé le secteur privé.
Ainsi, les autorités publiques, avec le concours des organismes officiels des brevets, tentent d’assainir la course au décryptage du génome en limitant la constitution abusive de monopole d’exploitation sur des gènes dont aucune application n’a été démontrée. Cependant, fait jour un autre acteur souhaitant que lui soit reconnu un droit sur les retombées économiques des inventions permises par son concours.
b – les retombées économiques de l’exploitation du matériel génétique.
L’essor des biotechnologies et les avantages que procure la brevetabilité du vivant posent la seconde problématique du versement d’une prime d’intéressement au donneur de l’élément à partir duquel l’invention a été possible. Cette alternative offrirait une issue équitable aux problèmes du biopiratage et viserait à assainir les relations médicales encore ternies par les exemples d’abus relatés par les médias. Cependant, l’adoption d’une telle option serait contraire au maintien du corps humain, de ses éléments et ses produits, hors commerce.
Il est à souligner que cette démarche serait peu souhaitable alors même que des systèmes spécifiques évoluent de la sorte légalement. Il s’agit des associations se consacrant uniquement à un type particulier de maladie et dont les bénéfices ne rejaillissent que sur la population directement atteinte par ces affections pathologiques. Il existe bien un système de rétribution dans l’espoir d’une amélioration de la connaissance et de la d
écouverte de mode de guérison de ces pathologies. Mais les répercussions ont une application ciblée, définie par l’objet même de la constitution de telles associations et se limitent à des populations identifiées.
Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre de toutes les politiques actuelles de santé fondées sur le principe de précaution, les bienfaits hypothétiques pour les générations actuelles et futures d’une exploitation large du génome pourraient être à double tranchant car elle permettrait une meilleure connaissance des applications des gènes en toute circonstance. Or, ces applications pourraient déboucher, sans système de garantie, sur un eugénisme de masse lié à la sélection des gènes, tout en apportant des réponses définitives – si ce n’est radicales – à des pathologies qui nous dépassent et sur lesquelles la science butte. Or, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et c’est l’équilibre de l’humanité entre les « bons et les mauvais gènes » à l’origine de la diversité qui serait menacé, ruinant ainsi le processus global de mutation génétique auquel toute espèce est soumise pour mieux s’adapter à son milieu. Plutôt que de tenter de modifier les caractères individuels en amont de la division cellulaire, une telle connaissance sur les gènes permettrait une régulation appropriée dans la recherche de solution en aval, adaptée à chaque cas d’espèce, sans remettre en cause l’équilibre des systèmes, dont le coût total serait davantage proportionné aux intérêts réels.
Lire le mémoire complet ==>

(La vénalité des éléments du corps humain)
Mémoire réalisé en vue de l’obtention du MASTER droit filière recherche, mention droit médical
Université DE Lille 2 – Droit et santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale
_________________________________
65 Avis n° 11 du GEE auprès de la Commission Européenne, Les aspects éthiques des banques de tissus humains, 21 juillet 1998.
66 Ibid.
67 Avis n° 77 du CCNE, Problèmes éthiques posés par les collections de matériels biologiques et les données d’informations associées : « biobanques », » biothèques » », 20 mars 2003.
68 Avis n° 11 du GEE auprès de la Commission Européenne, Les aspects éthiques des banques de tissus humains, 21juillet 1998, « aux fins du présent avis, rentrent dans la catégorie des tissus humains les parties constituantes du corps humain telles que : os, peau, valves cardiaques, cornée, tendons, artères, veines, dures-mères ainsi que les tissus fœtaux recueillis lors d’avortements, le placenta et le cordon ombilical (le cordon lui-même et les cellules qu’il contient) . (…) L’avis ne traite pas du sang et des produits sanguins qui font l’objet de réglementations nationales ainsi que d’une réglementation communautaire ». Les dispositions de la législation nationale ne réglementent pas le cas spécifique du sang de cordon ombilical, il y a tout lieu de penser que son statut est à rapprocher de celui des tissus considérés dans le présent avis.
69 Avis n° 77 du CCNE, Problèmes éthiques posés par les collections de matériels biologiques et les données d’informations associées : « biobanques », » biothèques » », 20 mars 2003.
70 Ibid.
71 Rapport n° 20 (1999-2000) du sénateur (F.) SERUSCLAT, GÉNOMIQUE ET INFORMATIQUE : L’impact sur les thérapies et sur l’industrie pharmaceutique, Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, 13 octobre 1999.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La vénalité des éléments du corps humain
Université 🏫: Université DE Lille 2 – Droit et santé Ecole Doctorale n° 74 - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale
Auteur·trice·s 🎓:
LAPORTE Sylvie

LAPORTE Sylvie
Année de soutenance 📅: Mémoire réalisé en vue de l’obtention du MASTER droit - Filière recherche, mention droit médical 2003-2009
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