Agnès Varda, cinéaste de la nouvelle vague du cinéma français

3) Agnès Varda, « unique » représentante féminine de la Nouvelle Vague
Comme l’affirme Geneviève Sellier : « Agnès Varda [est] la seule femme cinéaste de la Nouvelle vague83 ». Si elle est l’unique réalisatrice Nouvelle Vague pour certains, elle est en tout cas, la seule à être reconnue dans les revues et les livres. En effet, dans les ouvrages de cinéma le seul prénom féminin à côtoyer ceux de François (Truffaut), Jean-Luc (Godard), Eric (Rohmer), Claude (Chabrol), Pierre (Kast) est le sien.
Reconnue aujourd’hui pour son œuvre, elle est également présente dans les dictionnaires de l’époque et son travail est régulièrement célébré dans les pages des Cahiers du cinéma, LA revue de la Nouvelle Vague. Dans les années 1960, les critiques du journal reconnaissent son statut de réalisatrice et font son éloge dans les articles qui lui sont consacrés, en 1962 ou 1965 par exemple.
Le triomphe d’Agnès
Dans un article nommé Le triomphe de la femme84, Claude Beylie applaudit ainsi les réalisations de Varda, notamment son film Cléo de 5 à 7. «Le cinéma, a-t-on pu croire longtemps, n’était pas l’affaire des femmes » écrit-il un moment. Il nous prouve finalement le contraire grâce à ce dossier. Pour lui, la réalisatrice est « l’être féminin le plus doué de sensibilité et d’esprit que puisse rencontrer celui qui hante (l’œil aux aguets) les cercles cinéphiles parisiens85 ».
Dans un autre numéro des Cahiers on retrouve par ailleurs une interview d’Agnès Varda longue d’une dizaine de pages. Titré La grâce laïque86, cet entretien entre Agnès Varda et le duo Jean-André Fieschi/Claude Ollier prouve une fois de plus toute la considération de la profession envers la réalisatrice. Questionnée sur ses modes de productions, ses influences, son parcours ou encore sur la réception de ses films, elle répond en toute simplicité, évoquant notamment ses débuts en tant que photographe au Théâtre National Populaire et la manière dont s’est créé La Pointe Courte, son premier film.
La Pointe courte, prémices d’un nouveau cinéma
Si Agnès Varda est aujourd’hui considérée comme la mère de la Nouvelle Vague et la « seule femme cinéaste » du groupe, c’est en partie à cause de son parcours atypique et de la manière dont s’est monté La Pointe Courte, en 1954, alors qu’elle n’a que vingt-six ans. Tout comme Le Silence et la mer de Jean-Pierre Melville tourné six ans plus tôt, en 1948, La Pointe Courte est réalisé avec très peu de moyen et surtout en dehors du circuit industriel, sans autorisation de tournage du CNC. Dotée d’un budget réduit, Agnès Varda crée une petite société de production, Tamaris Films, et propose aux techniciens du film ainsi qu’aux acteurs de travailler en coopérative. Concrètement, personne n’est payé pendant le tournage qui s’étale sur plusieurs semaines dans le village de la Pointe Courte, près de Sète, en extérieurs et intérieurs naturels. D’après ce que raconte Varda, « il a fallu treize ans pour leur rembourser leur prêt de capital-travail. 87» Elle tourne ainsi sans studio, sans producteur et en toute illégalité puisque les membres de ses équipes ne sont pas tous dotés de la carte d’identité professionnelle requise. Par conséquent, le film tourné en 35 mm mais sans autorisation du CNC, ne peut être exploité en circuit commercial. Néanmoins, il est présenté au public deux ans plus tard, en 1956, au studio Parnasse, une salle de l’Association française des cinémas d’art, de répertoire et d’essai. Là, il reçoit un accueil plutôt chaleureux de la part des spectateurs. Agnès Varda se souvient que suite à un visionnage du film,
André Bazin et Jacques Doniol Valcroze « disaient réellement des choses intéressantes » à propos de La Pointe Courte, ils « parlaient même de cinéma nouveau88 » au sein de leurs articles pour les Cahiers. Pour Jacques Siclier, Varda fait ainsi partie des précurseurs de ce nouveau cinéma français, aux côtés d’Alexandre Astruc, Jean-Pierre Melville, Roger Vadim et Louis Malle.
Avec ce film, la jeune femme inaugure effectivement une esthétique nouvelle, le style Nouvelle Vague. Tournage en décors naturels, promotion de jeunes acteurs et emploi d’une nouvelle génération de techniciens. Finalement, Agnès Varda est la nouvelle vague car ce que cette vague a engendré ce n’est pas tant un « nouveau cinéma » français mais c’est une nouvelle idée que l’on se fait du cinéma. La Nouvelle Vague c’est en effet une certaine vision de l’industrie cinématographique, c’est un nouveau rapport à la production, au financement, aux acteurs, une nouvelle manière de raconter une histoire et de capturer une action du quotidien. Ainsi, l’on peut dire à propos de Varda, comme l’explicite la revue Arts dans un de ses numéros, que « le jeune cinéma lui doit tout89 ».
Agnès Varda est ainsi une des seules réalisatrices à être régulièrement applaudie par la presse et les autres cinéastes. Ceci dit, il ne faut pas perdre de vue que d’autres femmes tournent aussi en marge des circuits commerciaux et ne sont pas prises en compte lors des différents recensements effectués par les revues de cinéma. De la même manière, le peu de films réalisés par des femmes ne doit pas masquer toutes les autres réalisations dont elles ont permis, via leurs professions respectives, la création, la production, la distribution ou encore la projection. La seule fonction de réalisatrice n’est en effet pas significative de toute la présence féminine qui existe dans l’industrie cinématographique française bien que, comme l’affirme Charles Ford « [i]l reste qu’en matière d’art cinématographique seul le réalisateur du film est vraiment le créateur de l’œuvre. »
Par conséquent, pour trouver les femmes qui passent derrière la caméra et qui ne sont ni actrices ni forcement réalisatrices, il faut consulter d’autres sources : les annuaires professionnels.
Lire le mémoire complet ==> (Techniciennes et professionnelles du cinéma pendant la Nouvelle Vague :
Quels statuts et quelles fonctions pour ces femmes de l’ombre ?
)

Mémoire de Master 2 recherche – Esthétique, arts et sociologie de la culture
Université Paul Verlaine de Metz – UFR Sciences Humaines et Arts
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83 Phrase qui fait référence au nom d’un chapitre donné par Geneviève Sellier pour son article «Images de femmes dans le cinéma de la Nouvelle Vague », Clio, n°10-1999, 22 mai 2006. URL : http://clio.revues.org/index265.html. Consulté le 21 juin 2009.
84 Claude Beylie, « Le triomphe de la femme », Cahiers du cinéma n°130, avril 1962, pp.19-28.
85 Claude Beylie, « Le triomphe de la femme », Cahiers du cinéma n°130, avril 1962, p.20.
86 Entretien avec Jean-André Fieschi et Claude Ollier, « La grâce laïque », Cahiers du Cinéma n°165, avril 1965, pp.42-51.
87 Agnès Varda cité dans Michel Marie, La Nouvelle Vague, une école artistique, op.cit., p.45.
88 Agnès Varda, entretien avec Jean-André Fieschi et Claude Ollier, « La grâce laïque », Cahiers du Cinéma n°165, avril 1965, p.45.
89 Jacques Siclier, Nouvelle Vague ?, Paris, Editions du Cerf, 1961, p.59.
 

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