Les missions confiées par le DG à la fonction RH

Les missions confiées par le DG à la fonction RH

3.3 Analyse

Avant de procéder à l’analyse de la matière collectée et présentée dans la partie précédente, il convient d’introduire ici les biais potentiels impactant notre étude empirique :

1) Nous sommes entrés en contact avec les dirigeants interviewés par réseau, nos réseaux respectifs étant constitués vraisemblablement de personnes avec lesquelles nous partageons certaines affinités, dont potentiellement la « chose RH ». Nos interlocuteurs ne représentent ils pas à ce titre une catégorie particulière de la population ciblée : celle de dirigeants partageant notre intérêt pour le domaine RH ?

2) Il faut garder à l’esprit que nous avons pris le parti d’une étude qualitative. Les ressources disponibles pour sa réalisation (en temps et en nombre d’intervenants en particulier) ne permettent pas à notre échantillon d’être représentatif. Il faut donc rester prudent dans nos conclusions qui ne pourront s’exprimer que sous la forme de tendances et d’hypothèses : tendances si une majorité de répondants cite un point donné, hypothèses qui mériteraient d’être vérifiées dans le cas contraire.

3) Nous nous sommes présentés aux dirigeants interrogés comme participants à un MBA RH témoignant ainsi de notre intérêt pour ce domaine. Cet élément a-t-il influencé le discours de nos interlocuteurs ?

3.3.1 Les missions confiées par le DG à la fonction RH

Pour faire cette analyse, nous avons choisi de prendre comme référence le modèle d’Ulrich présenté dans la partie 1.1.1. Celui-ci propose de présenter la notion de performance de la fonction RH sous l’angle des missions qui lui sont données dans l’organisation.

On en dénombre 4 :

  •  expert administratif
  •  champion des salariés
  •  agent du changement
  •  partenaire stratégique

Nous avons positionné dans ce modèle les éléments relatifs aux missions confiées à la fonction RH indiqués par les dirigeants.

A grand trait, les principaux verbatims pour chacun des quadrants ont été positionnés dans le tableau ci-après.

missions confiées à la fonction RH indiqués par les dirigeants

Que faut-il en retenir ?

Expert administratif

Pour la grande majorité des dirigeants interrogés la partie administrative n’est pas évoquée dans leurs attentes. Tout se passe comme si cette partie était considérée comme un acquis, un « given », sur lequel il n’était pas nécessaire d’évaluer formellement la performance de la fonction RH puisque l’on en entendait plus parler.

Cependant, ponctuellement à ces aspects administratifs sont souvent associés des aspects juridiques qu’il n’est pas anodin de prendre en compte (mise en œuvre de la loi TEPA, portabilité de la mutuelle …). Il s’agit là de sujets spécifiquement RH, que la fonction RH s’en « débrouille » !!!.

Champions des salariés

L’ensemble des dirigeants évoque la mission « Champion des salariés ». Elle apparaît comme une mission pivot de l’activité de la fonction RH en ce sens qu’elle est la plus évoquée. Certains l’expriment à travers des relations sociales apaisées, un climat social positif d’autres en insistant sur le développement des collaborateurs et la rétention des meilleurs. Il faut noter que les plus avancés dans ce domaine n’hésitent pas à considérer que la véritable performance de la fonction RH ce sont les salariés qui l’évaluent à travers les baromètres / enquêtes de satisfaction qui sont alors très régulièrement proposés.

Le DG fait porter la responsabilité de ces deux premières missions sur la fonction RH toute entière ce qui n’est pas le cas pour les deux missions suivantes.

Agent du changement

On arrive ici à une mission qui n’est pas citée de façon régulière. Quand elle l’est, plusieurs DG insistent sur la co-responsabilité de la fonction RH (voire plus spécifiquement du DRH) avec le management. Il semble qu’à ce niveau la perception du DG est que cette mission ne peut pas être imputée à la seule fonction RH et qu’il est indispensable que le management garde un rôle moteur dans le processus. La notion de fonction RH élargie prend ici tout son sens. C’est par ailleurs ici que les enjeux de communication interne sont évoqués et mis sous la responsabilité RH.

Partenaire stratégique

La quasi-totalité des DRH est au Comité directeur, certains au Comité Exécutif. Cependant leur positionnement peut être très différent d’une organisation à une autre. Le dirigeant peut vouloir les cantonner à un simple rôle de reporting, d’anticipation et d’alerte vis-à-vis de l’équipe de Direction.

D’autres impliquent leur DRH de façon plus ou moins profonde dans la stratégie de l’entreprise sur un axe qui va de la contribution à l’élaboration de la stratégie d’entreprise (rôle de strategic partner au sens de Boudreau & Lawler) à la simple mise en œuvre de la stratégie (rôle de Business Partner toujours au sans de Boudreau & Lawler). Nous pouvons apporter ici un éclairage nouveau sur l’interrogation ayant émergé dans la conclusion de la première partie : seuls quelques DG considèrent que la contribution à l’élaboration de la stratégie entre dans les prérogatives du DRH.

Pour mémoire, la mission de « Strategic Partner » (contributions à l’élaboration de la stratégie), identifiée par Lawler & Boudreau, est établie sur la base de la perception de DRH. Cette perception n’est pas partagée par les dirigeants de notre panel.

Dans ce cadre, certains paramètres sont très impliquant pour la fonction RH dans ce rôle de partenaire stratégique. On peut ainsi citer la mise en place de Balanced ScoreCard, ou bien l’entreprise matricielle qui voit la fonction RH en interface avec de nombreux process de l’organisation.

Sur ces deux dernières missions et principalement la dernière le DG identifie le DRH, et non plus la fonction RH dans son ensemble, comme porteur.

En synthèse, et sur notre échantillon d’organisations nous avons essayé de représenter dans le tableau ci-dessous le degré de déploiement de ces missions dans les organisations en fonction de leur taille.

missions dans les organisations en fonction de leur taill

Il apparaît à travers ce tableau que :

– les missions d’agent du changement et surtout de partenaire stratégique sont attendues par le DG pour les entreprises ayant atteint une certaine taille.

– ce n’est cependant pas le cas pour toutes les organisations de taille importante.

– l’attente du DG sur la mission de partenariat stratégique est toujours associée à celle d’agent du changement

Il faut cependant noter que dans les organisations de petites tailles le DRH incarne la fonction RH. On peut alors formuler l’hypothèse qu’il intègre vraisemblablement plus facilement au quotidien la stratégie de l’entreprise profitant de sa proximité avec le DG et de processus beaucoup moins complexes à prendre en compte. Il ne serait pas alors nécessaire de la formaliser. A contrario dans ces petites structures l’opérationnel et donc les deux premières missions doivent être consommatrices de beaucoup de temps et d’énergie.

Deux hypothèses peuvent être également formulées :

1. pour que le DRH puisse prétendre à la mission d’agent du changement la fonction RH doit au préalable être investie (remplir avec succès ?) des missions « expert administratif et champion des salariés ».

2. Pour être investie de la mission de partenaire stratégique le DRH doit préalablement avoir été investie de la mission

3.3.2 Les critères d’évaluation et outils

Comme le montre la restitution de nos entretiens les DG citent de multiples critères d’évaluation pour mesurer la performance de la fonction RH. Cependant ils ne citent spontanément que peu d’indicateurs associés à ces critères. Seuls des critères comme, l’efficacité du processus de recrutement, l’efficacité du processus de formation du personnel, la fidélisation des collaborateurs, la maîtrise de la masse salariale sont des critères ayant fait l’objet d’indicateurs exprimés.

Par ailleurs, il apparaît que quand un critère est accompagné d’indicateur celui-ci traduit l’efficience et/ou l’efficacité de la fonction RH mais très rarement l’impact sur la performance de l’organisation.

Plusieurs critères attendus comme important par le DG restent, eux, sans indicateur. Ce sont en général des critères difficilement objectivables en d’autres termes compliqués à quantifier à travers un indicateur. Il s’agit principalement des attentes qualitatives de la fonction RH ayant un impact plus stratégique qu’opérationnel sur l’organisation. Plusieurs exemples ont été donnés :

  •  comprendre métiers et culture, faire vivre ensemble et évoluer ensemble, savoir faire progresser en étant relais des enjeux
  •  développer la culture d’entreprise et être considéré comme un des « Best Place to work »
  •  la fonction RH a notamment la responsabilité de créer un climat social favorable à la performance de l’entreprise.
  •  la fonction RH doit être au cœur des problématiques stratégiques et de changement de l’entreprise
  •  créativité dans le domaine social, entretien d’un bon dialogue social
  •  soutien aux managers
  •  comment amener les collaborateurs à adhérer et donc se mobiliser
  •  évolution culturelle, motivation
  •  capacité du DRH à être « sparring partner »
  •  créer une culture commune et harmoniser le dialogue social
  •  qualité du dialogue social et discrétion de la gestion des clashs
  • Cette liste non exhaustive reflète des attentes intangibles du DG vis-à-vis de la fonction RH ou du DRH. La question n’est donc pas de savoir s’il y a un indicateur plus ou moins adapté mais plutôt de s’interroger sur la manière dont le dirigeant, sur la base de ses attentes, évalue la fonction RH et quel rôle joue sa perception dans cette évaluation ?

En effet les DG n’ayant pas les yeux rivés en permanence sur les indicateurs RH, leur appréciation de la performance RH résulte alors essentiellement :

– de leur connaissance directe du terrain à travers leur contact avec les collaborateurs, les managers, les partenaires sociaux…

– de la confiance que le DG a envers son DRH dans sa capacité à lui transmettre des informations fiables.

Concernant les outils d’évaluation, certains DG déclarent que des tableaux de bord RH sont utilisés dans leur organisation. Par contre il ne semble pas à la vue de leur réponse que ces tableaux de bord soient régulièrement partagés au niveau des Comités Directeur et Comités Exécutif ce que confirme à la fois l’enquête Deloitte précédemment citée ainsi que notre connaissance du milieu des RH.

L’utilisation effective de « balanced scorecard » n’a, elle, pas été citée. Seuls deux dirigeants indiquent leur volonté de mettre en place cet outil dans un proche avenir.

Sans outil d’évaluation de l’impact, ni même d’indicateurs comment le DG arrive t-il à faire le lien entre performance RH et performance organisationnelle ?

3.3.3 Degré d’explicitation du lien entre performance de la fonction RH et performance organisationnelle

Les dirigeants n’évoquant pas d’outil d’évaluation de l’impact de la fonction RH, nous nous sommes questionnés sur l’existence d’un modèle de causalité implicite entre la performance organisationnelle et celle de la fonction RH. Notre analyse portera sur le degré d’explicitation de ce lien.

A la suite des entretiens menés auprès des dirigeants, nous avons étudié la déclinaison des enjeux de l’organisation au niveau de la fonction RH afin d’une part de rechercher s’il existe un lien entre les deux, et d’autre part, de quelle manière le dirigeant l’intègre dans le cadre de l’évaluation de la fonction RH et du DRH.

Ce questionnement à pour but d’observer, sur la base de notre échantillon d’organisations et de pratiques, le degré d’alignement dit « vertical », considéré comme étant une condition de réussite à la fonction RH par les académiciens.

Sur l’échantillon de 17 organisations, nous avons donc analysé l’alignement entre les enjeux de l’organisation, la définition des enjeux RH, les critères définissant la performance RH et enfin la déclinaison en indicateurs. Il ne s’agit pas d’obtenir un résultat quantitatif exhaustif mais plutôt de définir des tendances ou degrés d’explicitation.

Ci-dessous un exemple d’application de notre méthode réalisé à partir d’un entretien avec le dirigeant d’une organisation dans le secteur pharmaceutique.

EnjeuxStratégiquesEnjeux RHDéfinition de laPerformance de la fonction RHIndicateurs
Maintien de lacroissanceRetenir lescollaborateurs :

– Mobilité

– Bien être au travail

Recrutement

– La fonction RH doitmettre en œuvre les moyens nécessaires au développement et à la rétention des collaborateurs.

– La fonction RH a notamment la responsabilité de créer un climat social favorable à la performance de l’entreprise.

– La fonction RH doit

être au cœur des problématiques stratégiques et de changement de l’entreprise.

– Taux de rétention descollaborateurs

– Suivi des plans de développement individuel (IDP)

o Nombre de collaborateur ayant un IDP formalisé,

o Nombre de revue de l’IDP

– Suivi du recrutement :

délai, qualité

Afin de faire émerger des tendances nous avons pris le partie de classer le degré d’explicitation en trois niveaux :

– Faible : un ou aucun enjeu de l’organisation ne se décline explicitement dans les enjeux RH

– Moyen : moins de la moitié des objectifs stratégiques se retrouvent explicitement dans les objectif RH

– Fort : plus de la moitié des objectifs stratégiques se retrouvent explicitement en objectif et enjeux RH

objectif et enjeux RH

On observe que plus de la moitié des dirigeants interrogés sur les attentes de leur fonction RH alignent explicitement les missions de la fonction RH sur la stratégie de leur entreprise.

Il ne s’agit pas ici de conclure sur l’impact de la performance de la fonction RH sur la performance des organisations (modèle de causalité évoqué dans les travaux de Le Louarn & Wills) mais de se questionner sur la mise en pratique de la théorie de l’alignement vertical (selon Barrette) par les dirigeants.

Dans la seconde moitié où cet alignement est moins explicité ou pas observé, on retrouve à la fois des grands groupes et des plus petites structures (voir tableau ci-dessous).

profil des entreprises

On ne peut donc conclure, ni même donner une tendance sur le profil des entreprises versus le degré explicite d’alignement. Une étude plus poussée et plus étendue permettrait de poser de manière plus précise les hypothèses sur d’éventuelles corrélations.

Explicité ou pas ce lien est décliné par les dirigeants dans l’articulation entre performance organisationnelle et performance de la fonction RH, jusqu’à la définition de celle-ci mais pas forcément jusqu’aux indicateurs. Ce constat fait écho à la partie précédente.

L’ancrage de la performance RH dans l’alignement avec la stratégie de l’entreprise est rarement souligné en tant que tel. L’alignement vertical est cependant pour les dirigeants une articulation relativement logique et implicite, présente dans la majorité des organisations rencontrées dans le cadre de cette étude.

Dans certains cas, la définition de la performance RH semble cantonner la fonction RH à être performante dans les activités administratives. Néanmoins, la contextualisation de la définition de la performance RH (évoquée précédemment dans la partie 3.3.1) indique clairement que la fonction RH doit, pour être performante, répondre à des attentes directement dictées par la stratégie de l’entreprise et contribuant donc à la mise en œuvre de celle-ci.

Ainsi, sans formellement mentionner que la fonction RH doit contribuer à la performance de l’entreprise pour être vue comme performante, l’explicitation du lien entre performance RH et sa contribution à la performance de l’organisation est évoquée à travers la contextualisation des critères de définition de performance et in fine des indicateurs.

Un certain nombre de questions émergent et restent sans réponses, suite à notre étude, dont :

– cet alignement est-il la conséquence de la vision et connaissance du dirigeant de la fonction RH ou le fruit de l’ajustement mutuel entre le dirigeant et le DRH ?

– au regard de ce résultat et du constat réalisé dans la partie précédente, sur les critères de performances non couverts par des indicateurs (majoritairement liés à l’impact de la fonction RH), comment les dirigeant s’y prennent-il pour évaluer la contribution de la fonction RH à la performance de l’organisation ?

3.3.4 Comment les dirigeants évaluent la contribution de la fonction RH à la performance de l’organisation ?

Comme évoqué dans les parties précédentes :

– il existe un certain nombre d’attentes qui ne font pas l’objet d’un suivi par des indicateurs de performance.

– on observe auprès de la majorité des dirigeants interrogés un lien implicite entre performance organisationnelle et performance de la fonction RH.

Au delà de ses considérations, la question est de savoir comment les dirigeants évaluent ou se forgent une opinion sur l’impact de leur fonction RH au sein de leur organisation ?

Une partie de l’évaluation est certes faite, comme évoqué précédemment, par des outils faisant appel à des indicateurs (tableau de bord), mais dans plusieurs cas, le ressenti et la perception du « terrain », à travers des rencontres avec les opérationnels, des retours informels, etc., remplacent ou complètent une mesure formelle.

Il existe aussi des enquêtes auprès de salariés, des audits, mais qui ne sont pas conduits de manière régulière et dans certains cas à des intervalles qui ne permettent pas une évaluation de la fonction RH suffisamment fréquente. Mais les dirigeants interrogés font rarement appels à ces outils.

Gilbert & Charpentier (2007) rappellent à juste titre que la détermination des priorités de la fonction et leurs conséquences induites ne sont pas le résultat d’un pilotage rationnel et formalisé :

(…) Il y a du non-dit, des rapports de force, des jeux d’acteurs. La DRH est parfois appréciée sur des critères et objectifs non explicités. Une politique Ressources Humaines s’évalue également sur la base d’une image qui doit autant aux perceptions et aux jugements de valeur (équité, confiance, modernité, etc.) qu’à la logique de l’efficacité.

Certains dirigeants n’ont pas hésité à nous avouer que leur perception de la performance de la fonction RH se faisait sur le terrain sans outil particulier. Ce ressenti a autant d’importance à leurs yeux que des tableaux de bord.

Une fois le constat que la perception et le ressenti interviennent dans l’évaluation de la performance de la fonction RH, plusieurs hypothèses peuvent être posées sur les éléments qui rentrent en jeu dans cette évaluation :

– nature des retours des opérationnels, en tant que relais auprès des équipes des politiques RH et aussi en tant que salariés.

– nature des retours des salariés, qui renvoient à leur perception de l’action menée par la fonction RH.

– échanges avec les IRP

– connaissance du dirigeant de son entreprise (qui peut varier d’une PME à un groupe multinational)

– l’expérience et la sensibilité du dirigeant

– les retours du DRH

– les enquêtes externes (benchmark)

– …

3.3.4.1 Le DRH : porteur d’un certain nombre d’attente pour sa fonction

Au-delà du ressenti et des sources potentielles pour se forger une opinion, nous pouvons poursuivre en nous interrogeant aussi sur la nature des attentes qui ne font pas l’objet d’indicateurs. Ces attentes exprimées par les dirigeants (voir 3.3.2) concernent :

  • – la compréhension des enjeux business
  • – la gestion du changement (« évolution culturelle, changement, faire évoluer »)
  • – le coaching ou support (« aux managers »)
  • – le partenariat Stratégique
  • – les relations sociales (« dialogue social, créativité dans le domaine, bon dialogue social,… »)

En analysant de plus prêt la nature de ces attentes, on constate que la plupart sont des attentes et missions portées par le DRH, en tant qu’individu membre du Comité de Direction (et proche du dirigeant) et en tant que responsable de sa fonction (le climat social, la gestion du changement, la prise en compte du contexte de l’entreprise dans les orientations stratégiques,…).

Cela ne qualifie pas la nature de la relation interpersonnelle entre le dirigeant et le DRH mais qualifie un lien entre deux rôles particuliers, qui va au delà du contrat formel d’objectifs entre eux, qui est évalué sur la base de la perception et du ressenti.

Il est maintenant important de s’attacher à analyser cette relation entre dirigeant et DRH, telle qu’elle est perçue au travers de nos entretiens.

3.3.4.2 Le binôme DG/DRH

Le rôle de la direction des entreprises, et plus particulièrement de son dirigeant est prépondérant afin de supporter et légitimer l’action de la fonction RH, cela pour plusieurs raisons liées aux organisations. Les DG et leur équipe de direction :

– valident et décident des stratégies de leurs entreprises sur la base de plusieurs données d’entrée dont celles concernant les Ressources Humaines. La stratégie se décline alors au sein de la DRH comme dans toutes les directions,

– définissent les priorités de leurs équipes, dont la Direction des Ressources Humaines,

– allouent les budgets de chaque direction,

– donnent le cadre de fonctionnement pour l’entreprise et en définissent la gouvernance,

– … .

Le positionnement de la fonction RH dans l’entreprise, au delà du cadre réglementaire, dépend surtout de la volonté du DG de lui donner un rôle prédominant. En effet, la sensibilité de la direction sur les enjeux RH, permet à la fonction d’obtenir les moyens de ses ambitions (budget, ressources, profil du DRH,…) dans le cadre de sa stratégie. L’obtention des moyens nécessaire aux réalisations de la fonction se fait dans le cadre de la définition des objectifs de la fonction.

La définition d’objectifs de la fonction, qui sont alignés à la stratégie de l’organisation, est de la responsabilité des DG. BARETTE, considère que le soutien nécessaire à la réalisation des objectifs de la fonction, par les DG entre autre, est une condition de succès pour la fonction, voir revue de littérature qui traite de l’alignement vertical.

En considérant la relation inverse au sein du binôme DG-DRH, DANY (2009) souligne que si le DRH favorise une intégration de la stratégie de l’organisation par la fonction RH, il influe sur le positionnement du DG :

L’intégration de la RH et de la stratégie business via les spécialistes de la fonction permet en particulier d’éviter que certaines problématiques RH ne soient sous-estimées lors de la définition de la stratégie. Elle peut alors faciliter une implication de la DG indispensable à l’octroi d’un certain nombre de moyens.

Dans ce contexte l’interaction entre le DG et son DRH et leurs compréhensions réciproques des enjeux de la fonction RH peuvent favoriser son développement. A la différence d’autres fonctions de l’entreprise (finance, achat, production,…) dont la performance peut être mesurée par l’intermédiaire de différents outils, la finalité de la fonction RH est plus difficilement objectivable, compte tenu qu’un certain nombre de conséquences de ses programmes et actions pouvant s’inscrire dans la durée, visible uniquement à long terme.

Mais surtout les concepts associés à la fonction RH telle que la motivation, l’engagement, la transmission du savoir,… sont difficilement objectivables. Au delà de la performance et de la mesure que nous avons essentiellement traité jusqu’ici dans ce mémoire, il est aussi question pour les DG de convictions, de vision et de sensibilité à la « chose RH ».

La sensibilité des dirigeants à la gestion RH, à sa performance et à son évaluation est peu traitée dans la littérature. Leur sensibilité et leur compréhension de la gestion de la fonction sont pourtant, nous semble-t-il, des éléments importants pour bâtir une stratégie d’entreprise et mettre en place un pilotage de la fonction RH par les DRH.

Face à cette perception les DG sont-ils tous égaux, semblables ? Qu’est-ce qui rentre en jeu pour l’évaluation d’un programme de la fonction RH et ses impacts sur l’organisation ? Les DG ne s’en remettent-ils pas à leur propre expérience, leur culture, leur personnalité ? … ou à l’influence de leur DRH ?

La perception du dirigeant quant aux facteurs « intangibles » de performance de son organisation est un élément déterminant dans sa définition de la performance de la fonction RH. A ce titre, le dirigeant joue un rôle dans la performance de la fonction RH à travers la relation qu’il construit avec son DRH et surtout par les objectifs qu’il lui donne pour sa gestion et plus largement pour le rôle qu’il donne à la fonction au sein de son organisation. Si ces éléments intangibles ne sont pas pris en compte l’influence du DRH risque d’être réduite.

Dans le cadre de notre enquête, l’importance du binôme dirigeant-DRH a été soulignée spontanément à plusieurs reprises. Elle se construit sur une relation de confiance s’appuyant sur de l’informel, des échanges quotidiens comme l’ont souligné de nombreux DG interrogés.

On sent poindre un rôle plus étendu du DRH qui va au-delà de la simple gestion de la fonction RH. En effet on parle de « sparring partner », de « profil complémentaire ». Notre hypothèse est alors que le DRH joue dans certains cas aussi un rôle de conseiller qui dépassent le cadre de la fonction en intégrant le jeu des acteurs dans l’entreprise et en le restituant à son DG.

Le couple formé par le DG et le DRH intéresse de plus en plus les auteurs d’après les études publiées sur le sujet ; citons en deux :

– « Les liaisons complexes du binôme DRH-DG », Bournois, 2004 in Bournois F.,Leclair, P., Gestion des Ressources Humaines : Regards croisés en l’honneur de Bernard Galambaud, 2004.

– « Le binôme DRH DG » avec Frank Bournois, in Bournois F. Duval Hamel J., Roussillon S.,Scaringella J.L., Comités Exécutifs – voyage au coeur de la dirigeance, Eyrolles 2007.

Au delà des études, le couple DG DRH est désormais récompensé tous les ans par un trophée. S’il l’on en croit, Edgard Added, initiateur des « Trophées des binômes PDG-DRH de l’année » et président de RH&M, un des objectifs de ces trophées est de : Confirmer que la place du DRH doit être au Comité de direction dans les entreprises performantes et prouver que la complicité PDG / DRH est la condition de performance des entreprises.

Ce point est d’ailleurs repris en 2010, pour la 7ème édition du trophée qui récompense l’efficacité d’un binôme nécessaire à la performance d’une entreprise. Cathy Kopp, présidente du jury des trophées, ex-DGRH du groupe Accor, administrateur de sociétés, développe l’argument suivant : « Le binôme PDG/DRH va générer des décisions importantes dans l’entreprise. Le PDG doit révéler un profond respect de ses salariés et le DRH est force de proposition. »

Pourquoi ce binôme suscite t-il autant d’intérêt ? Au delà des études académiques et de son trophée annuel, le binôme formé par le DG et le DRH semble être un point capital dans la performance RH bien au-delà des indicateurs de performance. La relation DG et DRH est selon un des DG interrogé « un facteur clé de succès dans la performance RH » Le succès du binôme repose sur 2 conditions principales : la relation de confiance et une capacité d’adaptation et de conviction.

Bien que ce point n’apparaisse pas régulièrement dans la revue de littérature de la performance RH, notre enquête terrain révèle que le binôme DG-DRH est une clé de voute de l’impact de la fonction RH sur la performance organisationnelle ainsi que de son système d’évaluation. Il semble donc qu’avant toute mesure, une des conditions de réussite de la performance RH soit un binôme DG-DRH de qualité et sur la même longueur d’ondes.

En conclusion de cette troisième partie présentant notre étude empirique, nous avons caractérisé un certain nombre d’éléments :

  •  le DG fait porter la responsabilité des missions orientées vers l’opérationnel sur la fonction RH toute entière alors que pour les missions stratégiques il identifie le DRH, et non plus la fonction RH dans son ensemble, comme porteur.
  •  les missions d’agent du changement et surtout de partenaire stratégique sont attendues par le DG pour les entreprises ayant atteint une certaine taille.
  •  les indicateurs utilisés traduisent l’efficience et/ou l’efficacité de la fonction RH mais très rarement l’impact sur la performance de l’organisation.
  •  très peu d’outils d’évaluation de l’impact sont utilisés par les DG.
  •  une majorité de DG alignent pourtant explicitement les missions de la fonction RH sur la stratégie de leur entreprise
  •  il existe souvent des attentes formulées par les DG difficilement mesurables de manière objective. Elles sont alors portées par le DRH.
  •  le DG base une partie de son évaluation de la performance sur sa perception du terrain et son ressenti.
  •  le binôme DG-DRH s’avère une clé de voûte de l’impact de la fonction RH sur la performance organisationnelle ainsi que de son système d’évaluation.

En synthèse, il y a convergence entre la théorie et la pratique des DG quant à la mesure de la fonction RH sur les aspects opérationnels de celle-ci (« champion des salariés », « expert administratif »), on y retrouve les principes d’évaluation et les indicateurs, régulièrement dans nos entretiens. Par contre quand nous analysons la contribution de la fonction RH sur des aspects plus stratégiques (« agent du changement » & « Partenaire stratégique ») on observe une divergence entre la théorie et l’hétérogénéité de pratiques à travers les dirigeants interrogés.

Le socle théorique des académiciens n’est, quant à lui, que très rarement explicité dans la pratique des DG. (« alignement vertical », « grappes de pratique », « Balanced Scorecard » par exemple).

Finalement, on retrouve une convergence entre la littérature et les pratiques dans les entreprises quand il s’agit d’évoquer le binôme DG-DRH. Ce lien fort entre ces deux personnes est souvent décrit comme essentiel voir une condition de réussite de la fonction RH.

A la question comment les dirigeants évaluent la contribution de la fonction RH à la performance de l’organisation, force est de constater, qu’il existe une large part reposant sur de la perception et du ressenti du dirigeant.

Le Dirigeant et le Directeur des Ressources Humaines en acceptant, qu’une partie de la mesure de la performance RH soit faite de manière informelle ou sur du ressenti, se donnent une marge de manœuvre l’un vis-à-vis de l’autre dans le pilotage de leur activité, renforcé par leur besoin d’appui réciproque.

Une partie de l’évaluation n’étant pas formelle et la définition des objectifs n’étant pas clairement définie, cela créé une zone d’incertitude sur les domaines d’intervention du DRH.

La relation entre mesure, pouvoir et statut de la fonction RH est un sujet de réflexion traité par certains auteurs (Besseyre des Horts, Rojo…), qui à ce stade reste un champ d’étude à développer. Il est permis néanmoins de faire le constat que l’action de la fonction RH au sein d’une organisation, sa maîtrise de certaines zones d’incertitudes, le pouvoir qui en découle, peuvent être considérés comme une condition à la performance de la fonction RH.

Conclusion

Ce mémoire se veut un éclairage sur une réalité peu traitée dans la littérature, à savoir le passage des théories sur l’évaluation de la performance de la fonction RH à la pratique des décideurs. Le panel de dirigeants interrogés, n’est en soi pas représentatif d’un secteur d’activité ou d’une structure d’organisation en particulier, mais permet de dégager des tendances sur notre sujet :

L’évaluation de la performance de la fonction RH : de la théorie à la pratique des DG

A l’aune de notre étude, qui s’appuie sur la cadre théorique proposé par Ulrich (1996), il s’avère que la pratique des dirigeants est cohérente avec les principes invoqués dans la littérature, relatifs à la gestion opérationnelle de la fonction RH et de son évaluation :

expert administratif : peu évoqué spontanément par les dirigeants mais sous jacent à l’activité de la fonction RH, il s’agit du socle de l’activité RH pour lequel l’évaluation repose sur des moyens de mesure quantitatifs clairement établis et centrés sur l’efficience et l’efficacité.

champion des salariés : le sujet sur lequel la fonction RH est très attendue par les dirigeants comprend :

* des activités de type recrutement, d’intégration, de développement des compétences pour lesquelles les méthodes d’évaluation recourent, là encore, à des méthodes quantitatives orientées efficience et efficacité.

* des domaines moins tangibles : le climat social, la motivation, l’engagement… Dans ce cas, l’évaluation peut s’appuyer sur des outils tels que enquête d’opinion des salariés ou les baromètres sociaux.

Par contre, concernant les missions stratégiques, on observe une divergence entre le point de vue des dirigeants et la théorie :

Agent du changement : d’une part, cette mission n’est pas toujours considérée par les dirigeants comme partie intégrante de la fonction RH. En outre certains d’entre eux pointent le partage de cette mission entre la fonction RH et le management. D’autre part, pour ceux qui formulent cette attente à l’égard de la fonction RH, l’évaluation associée s’appuie majoritairement sur leur perception.

Partenaire stratégique : une distinction dans le périmètre auquel fait référence ce rôle doit ici être opérée :

* malgré la présence des DRH des organisations interrogées au sein des Comités de Direction ou Comité Exécutif, la contribution de la fonction RH à l’élaboration de la stratégie de l’organisation ne constitue manifestement pas une attente des dirigeants. En ce sens, une vraie contradiction avec la littérature émerge ici. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler que cette littérature s’appuie sur le point de vue des DRH essentiellement.

* dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de l’organisation, expliciter le lien entre cette stratégie et les pratiques mises en œuvre est une nécessité. Cet impératif n’est cependant pas généralement satisfait avec les outils que nous propose la littérature: Balanced Scorecard ou encore Tableau de Bord Contextualisé. Dès lors quels sont les moyens utilisés pour réaliser l’évaluation de la fonction RH sur ce domaine ?

Concernant cette dernière interrogation, il convient de préciser qu’aucun manque n’est formulé par les dirigeants interviewés en matière de méthodologie ou d’outils d’évaluation de la fonction RH sur ses missions stratégiques.

Par suite, au regard de nos entretiens, les pratiques d’évaluation identifiées sont principalement fondées sur la perception des dirigeants. Ces derniers pointent en outre la contribution spécifique du DRH dans l’évaluation et, au final, le rôle du binôme qu’ils forment ensemble. La relation de confiance qui doit les unir confère au DRH une certaine légitimité.

Concernant les éléments difficilement mesurables, le dirigeant peut notamment s’appuyer sur la perception du DRH, afin de construire sa propre évaluation de la performance de la fonction RH et même au-delà de l’impact du capital humain sur la performance globale de l’organisation. La capacité du DRH à éclairer cette évaluation est un facteur déterminant dans l’appréciation par le dirigeant de la performance de sa fonction RH. Par conséquent, une part non négligeable de l’évaluation de la performance de la fonction RH ne repose-t-elle pas sur l’évaluation de la performance du DRH ?

Concluons sur le fait que bien qu’une partie de la tâche de la fonction RH reste difficilement quantifiable, cela n’empêche pas a priori l’évaluation de l’exhaustivité du périmètre de cette fonction par les dirigeants sur la base de leur ressenti. En ce sens, ces derniers respectent la mise en garde formulée dans Les Echos du 1/10/201030 par Catherine Chouard, intervenante dans le MBA RH de l’Université Paris Dauphine :

« Pour se légitimer, la fonction RH a adopté les mêmes outils que la fonction financière. Le piège est de résumer la fonction à ces process et de perdre de vue ce qui fait le cœur du métier, notamment l’écoute et le contact humain. ».

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’évaluation de la performance de la fonction RH
Université 🏫: Université Paris Dauphine-PSL - MBA – Management des Ressources Humaines
Auteur·trice·s 🎓:
Anne Trépé & Patrick Aubert & Franck Bermond & Jean-Marie Carrère & Michel Delanoue & Benoît Gouzi

Anne Trépé & Patrick Aubert & Franck Bermond & Jean-Marie Carrère & Michel Delanoue & Benoît Gouzi
Année de soutenance 📅: Mémoire d’expertise - Octobre 2010
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