Style vestimentaire pour les autres

4. Un style pour les autres

L’adolescent qui s’interroge sur son identité, qui la travaille, la bricole, le fait sous le regard d’autrui. Autrui infirmera ou certifiera l’identité proposée. Pour Claude Dubar, « la construction de l’identité personnelle peut être analysée comme une vaste transaction entre soi et autrui ».

Le jeune devient d’autant plus dépendant de l’opinion des autres que les valeurs qui organisent son rapport au monde sont toujours changeantes et essentiellement liées à l’univers de la consommation (Le Breton, 2002). Or, à l’adolescence, cette relation à autrui évolue.

Si l’adolescent ose davantage tester les limites avec ses parents, il les teste également avec ses pairs qui sont de puissants autrui significatifs.

« À l’adolescence, on est plus libre mentalement, on a moins peur des choses, j’ose plus m’habiller plus flashy, j’ose plus les sujets tabous, ça m’arrive de les mettre sur la table. Avec qui ? avec des amis ou des cousins. Les copains en général sont d’abord gênés, puis j’essaie de détendre l’atmosphère. » (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

a) La mise en scène de soi, le personnage

E. Goffman utilise la métaphore de la scène du théâtre et de l’acteur jouant un personnage pour illustrer le rôle dans la vie quotidienne joué par chaque individu dans la société.

L’individu se retrouve être un acteur social au travers d’une représentation, d’une mise en scène. Cet acteur (malgré lui) joue sur une scène selon sa propre identité et certaines normes sociales que nous développerons ultérieurement, les normes parentales et les normes des pairs.

« Les relations sociales ordinaires sont elles-mêmes combinées à la façon d’un spectacle théâtral par l’échange d’action, de réaction et de répliques théâtralement accentuées…La vie elle-même est quelque chose qui se déroule de façon théâtrale.

Le monde entier, cela va de soi, n’est pas un théâtre, mais il n’est pas facile de définir ce par quoi il s’en distingue. » Pour lui, l’enjeu de la réponse à la contrainte des apparences se transpose alors dans les termes de « la maîtrise des impressions » qui se manifeste à travers l’ensemble des « techniques employées pour sauvegarder l’impression produite par un acteur ».

Conscientes du jeu social qui se joue au travers de leur présentation personnelle, les adolescentes cherchent à présenter une façade esthétique. Pour Nicole Mosconi, les critères de popularité au sein des groupes de jeunes adolescents varient beaucoup selon le sexe.

Chez les filles, la popularité est liée au milieu social d’origine, à l’apparence physique, à la sociabilité et à une certaine maturité dans la capacité à gérer les rapports avec l’autre sexe.

« Mes vêtements doivent me ressembler, me rendre plus jolie. Les autres me remarquent, « elle est propre, elle prend soin d’elle» ». (Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

Dans le public de l’acteur, nous pouvons distinguer le petit copain ou la petite copine du reste des pairs. Des efforts particuliers sont entrepris pour cet être élu.

« Je fais attention pour elle quand je m’habille. Je me regarde dans la glace, je fais attention si les vêtements vont ensemble. Je cherche à savoir comment elle s’habille pour qu’on aille bien ensemble. »(David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

Mathilde cherche à communiquer au travers de ses vêtements, sa personnalité, son caractère. Ils l’exposent au jeu des critiques, mais en même temps, parce qu’elle est sûre de son choix, lorsqu’elle est à l’aise, ces vêtements renforcent son capital confiance.

«Les vêtements, c’est un peu le reflet de la personne, mais c’est aussi la façon de les porter qui compte. Quand on est à l’aise dans son vêtement, on a déjà plus d’assurance. Quand on sait qu’on est bien habillé, on est plus confiant. » (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

Par l’apparence qu’il se donne, l’individu se situe par rapport aux autres comme par rapport à lui-même. Le personnage que l’adolescent choisit de mettre en scène dans telle ou telle circonstance, permet de construire des liens sociaux, de resserrer les liens avec les autres membres de la tribu.

D’ailleurs, pour G. Simmel , les simples connaissances ne construisent pas un savoir sur leur partenaire qui serait fondée sur l’identité de l’autre per se, sur ce qui est essentiel en lui intrinsèquement, mais plutôt sur ce qui est signifiant pour cette part de lui tournée vers les autres et vers le monde. Nous verrons combien le look fait partie des critères d’élection pour les amis, ou les petits amis, dans la dernière partie.

« Quand on s’habille en skater, ça crée une démarcation. C’est sympa, ça donne une mentalité. On partage pas mal de trucs en commun (entre skaters). » (Dan, 2nde, 15 ans, 93 Gagny)

C’est même le critère clé pour les adolescents car le look constitue leur ressource essentielle pour se positionner à la différence des adultes, comme le souligne Laurence.

« Mon look me définit quand même, qu’on le veuille ou non. Je m’entendrais plus avec cette personne, elle a les mêmes valeurs. C’est comme les adultes qui ont leurs valeurs, leur travail, leurs biens : leur appartement, ils peuvent se classer, se mettre des étiquettes. Nous, c’est les vêtements, on ne fait pas attention au reste. » (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

b) La recherche du regard de l’autre, approbation ou séduction

La demande de reconnaissance est très forte à l’adolescence. Chacun guette l’approbation, l’admiration, l’amitié, voire l’amour dans le regard de l’autre. La construction de l’identité personnelle peut être analysée comme une vaste transaction entre soi et autrui.

Pour David Le Breton, l’estime de soi ne s’alimente plus dans le miroir des aînés, mais dans celui des pairs. La majorité des jeunes éprouve le besoin d’être reconnu par les autres.

Hanté par l’apparence qu’il livre à autrui, l’adolescent l’est tout autant par le jugement qu’autrui porte sur son apparence. Trait structurant de la jeunesse, le besoin de reconnaissance traduit aussi un manque d’identité forte et une quête de soi. Pour le sociologue Stéphane Hugon, « pour les jeunes, la seule façon d’exister, c’est au travers du regard des autres.

Ce n’est pas du narcissisme mais plutôt une quête de lien social ». De plus, à mesure que l’estime de soi s’affaiblit, la demande de reconnaissance s’accroît.

«Si on s’habille bien, on est bien dans sa peau, on sent que les autres aiment et ça nous met à l’aise. Le regard des autres est important. » (Philippine, 3ème, 14 ans, Paris) De nombreux adolescents recherchent le regard de l’autre et place le jeu des interactions sous l’angle de la séduction, auprès des filles comme des garçons. Séduire est une obsession pour une frange importante (42%).

« À l’adolescence, ce qui change, c’est l’importance qu’on accorde au regard des autres, aux personnes de notre âge, de notre entourage. Certains étaient en période rebelle au travers des vêtements. Du côté des filles, elles mettaient des trucs plus serrés pour plaire aux mecs »s. (David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

c) Le désintérêt affiché

Dans leur discours, certains adolescents se sont révélés très ambivalents par rapport à l’importance accordée aux autres et au look. Plusieurs ont souligné leur indifférence à la perception d’autrui déclarant s‘habiller pour eux-mêmes, privilégiant le plaisir individuel, une satisfaction privée, mais en même temps, ils sont conscients de l’intégration du jugement de leurs pairs dans leurs pratiques vestimentaires.

« Je cherche à ne pas avoir d’image, j’aimerais bien qu’on arrête ce type de question : « qu’est-ce que les autres vont penser ? ». (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

Seul, Vincent, est resté cohérent, cumulant une pratique de rappeur unique dans son collège et un discours rejetant le rôle d’autrui dans la construction de son style.

« Ça ne m’intéresse pas trop ce que les autres pensent. Je n’attends pas de compliment en retour, je m’habille pour moi. « (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

L’enjeu des interactions, leur valeur même, est de pouvoir offrir cette scène d’expression et cette arène où les adolescents vont pouvoir se réaliser comme personne. La présentation de soi à travers une façade et l’engagement par l’exposition de la face sont à l’origine d’un rapport réflexif qui permet à l’adolescent de se construire face à ses parents et à ses pairs.

Dubar C., La socialisation, construction des identités sociales et profesionnelles, A.Colin, 1991

Goffman E., la mise en scène de la vie quotidienne, la présentation de soi, Edition de Minuit, 1976, p 73 et

ibid, p22

Mosconi N, Les recherches sur la socialisation différentielle des sexes à l’école in Filles et garçons jusqu’à l’adolescence, L’Harmattan, 1999, p 103

Simmel G., The Sociology of G.Simmel, Wolff K. édition, free Press, 1950, (1ère ed 1903)

Le Breton D., la scène adolescente, revue Adolescence n°53, 2005

inetrview dans le Nouvel observateur N°2266, 10-16 avril 08

Source Consojunior 2006, 14-17ans.

De Singly F., Les uns avec les autres, Armand Colin, 2003, p 139

Il oscille entre l’imitation et l’invention de soi, l’une apporte la sécurité et le confort, l’autre le sentiment de liberté.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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