L’influence des réseaux informels sur les IMF

2 – L’influence des réseaux informels sur les IMF

Toutes institutions de microfinance s’insèrent dans un univers financier informel local. Cet univers ne correspond pas à une réalité stable et préétablie. Il est en réalité dépendant du contexte économique et social, car il relève de l’adaptation des hommes à leur environnement.

Les pratiques informelles peuvent refléter l’inégalité et la subordination d’un groupe sur un autre ou, au contraire, apparaître comme des stratégies d’entraide et de solidarité. C’est dans l’histoire et les formes d’organisations sociales que l’on peut comprendre une certaine continuité avec les formes d’appropriation de l’IMF.

2.1 – A San Agustín Loxicha, la variété des pratiques et des acteurs facilite l’intégration de l’IMF

Une pratique d’emprunt dépendant de l’activité agricole

A San Agustín Loxicha, les premiers acteurs financiers ont émergé conjointement à la culture du café. Comme les paysans étaient totalement dépendants de ce secteur, les relations de pouvoir se sont définies en fonction de l’organisation de cette activité. Avant les années 1940, les Caciques (*) étaient les prestamistas (*) locales. Ils proposaient des crédits aux paysans qui endettaient tellement les agriculteurs qu’ils parvenaient, ensuite, à les déposséder de leurs terres. Les Caciques étant les principaux acheteurs de café, les prêts accordés étaient en fait des avances sur la prochaine récolte. Avec 30% d’intérêt mensuel, la récolte devenait insuffisante pour rembourser le prêt et le paysan se retrouvait rapidement dans l’impossibilité de payer sa dette. Les familles devaient alors vendre leurs terres. Beaucoup se sont retrouvés dépossédés de tous biens avec la nécessité de travailler comme journaliers. (*)

Aujourd’hui, si les taux d’intérêt ont baissé, il existe cependant une relation étroite entre l’acheteur de café et le paysan qui rappelle ces pratiques. L’acheteur reste un interlocuteur privilégié de l’agriculteur en cas de besoin d’argent. Celui-ci peut alors lui demander une avance sur sa récolte. A la place du calcul des intérêts, l’acheteur lui propose un prix moindre pour le quintal de café que ce qu’il aurait donné au moment de la récolte.

Il lui donne 800 pesos (40€) contre 1200 pesos (60€) habituellement. Avec cet arrangement, l’acheteur paie 50% de moins le quintal. Malgré la perte que les producteurs réalisent sur cette vente avancée, ils sont encore nombreux à préférer faire cette demande auprès de lui plutôt qu’auprès d’une institution financière. Cela permet au paysan de payer sa dette d’un coup, au moment de la récolte, et le fait de rembourser en quintal lui apparaît comme plus sûre. Cette stratégie réduit le besoin de liquidité de l’agriculteur.

Néanmoins, l’augmentation des clients de l’IMF de San Agustín Loxicha, et, la forte proportion de paysans prouvent que leurs pratiques sont en train de changer. En 2005, une étude quantitative a montré que 46,9% des crédits sollicités se destinaient à l’agriculture. (*)

Dans ce contexte l’IMF peut intervenir directement sur la baisse des dépendances des producteurs aux « crédits liés », terme qui définit cette relation financière entre l’acheteur et le paysan.

C’est souvent une source de dépendance qui contraint à une importante perte des bénéfices. Même s’il apparaît dans un premier temps irrationnel d’un point de vue économique, ce comportement s’explique par sa parfaite adaptabilité aux contraintes du producteur. Non seulement il réduit son besoin de liquidité mais il correspond à la saisonnalité de son travail.

Contrairement aux crédits de l’IMF qui imposent des mensualités régulières, l’arrangement avec l’acheteur se fait en fonction de sa récolte. Sur ce point, l’IMF pourrait imaginer un nouveau produit financier qui s’adapterait mieux au travail du paysan, et qui s’inspirerait de cette pratique informelle.

Cela impliquerait pour l’IMF de faire une avance conséquente au producteur et de pouvoir attendre jusqu’à la récolte, mais ce service permettrait sûrement à de nombreux agriculteurs de s’adresser à l’IMF plutôt qu’à l’acheteur de café.

La variété des acteurs informels du crédit témoigne des stratégies de la population

Pour l’ensemble de la population, avant l’apparition d’institutions financières, le prestamista était la manière la plus courante d’accéder à un crédit. Ces personnes prêtent avec un intérêt variable, allant de 10% à 20% par mois.

Elles appartiennent en général aux classes aisés du village, soit parce qu’elles ont un commerce important, soit grâce aux bénéfices qu’engendre cette pratique. Malgré le taux élevé des intérêts, cette forme de prêt garde l’avantage d’être rapide et facile. Rapide car la personne peut disposer immédiatement de l’argent nécessaire et facile car aucun papier n’est demandé.

Pour les sommes moins importantes, il est courant de faire appel à un membre de la famille, un voisin ou un ami. Il n’est en général demandé aucun intérêt dans ce genre de prêt. La confiance repose sur la proximité sociale et géographique de la relation familiale ou de voisinage. Cette demande intervient généralement en cas de problème inattendu (santé, éducation…). Les commerces jouent également un rôle important dans le crédit car ils acceptent souvent d’être payé plus tard, et parfois même en nature (maïs ou café). Cette pratique est appelée fiado. Ces prêts informels sont sans intérêt pour le créancier.

C’est réellement une forme d’entraide. « Déjà qu’ils n’ont pas grand chose, je ne pourrai pas leur rajouter en plus un intérêt » (Maria, gérante d’un commerce important de San Agustín Loxicha) Les conditions de remboursement sont discutées entre les deux parties prenantes ce qui permet une plus grande flexibilité.

Cette stratégie des familles intervient principalement pour les dépenses des biens de première nécessité et concerne les habitants des communautés environnantes. On retrouve des pratiques similaires de la part des commerces de matériels de construction.

Pourtant de nombreuses personnes sollicitent également l’IMF pour des besoins ponctuels en biens de première nécessité, pour les frais scolaires ou pour la rénovation de leur habitat. Opposer pratiques informelles et formelles n’a donc ici pas beaucoup de sens. Les stratégies de la population correspondent davantage à une pluralité des pratiques plutôt qu’à un choix déterminé de se tourner vers tel ou tel acteur.

La personne décide, suivant ses besoins et ses contraintes vers quel acteur financier elle va se tourner. Le recours à l’ensemble de ces acteurs renvoie à la dimension sociale de la dette et aux interdépendances sociales qu’elle entend conserver.

Ainsi, « L’endettement au sein du réseau social permet sur le plan économique, d’une part, de faire face à des dépenses imprévues (problème de santé, décès, etc.) ou exceptionnelles (organisation d’une fête, émigration etc.) et, d’autre part, de gérer l’inadéquation temporelle des revenus et des dépenses. (…) Le point commun de l’ensemble de ces pratiques de dettes/créances est que le plus souvent l’acte de s’endetter ne se résume pas à une fonction économique immédiate, elle est porteuse d’une construction historique des conditions de reproduction économique et sociale de ces villages.

(ZANOTELLI, 2004) » (Morvant-Roux, 2009, p113) De plus, cette auteure démontre à l’aide d’une étude quantitative réalisée à San Agustín Loxicha que 65% de la population possède un prêt actif, 24% ont deux prêts actifs et que ce taux arrive à 10% pour les personnes ayant trois prêts actifs. Les sollicitations de ces prêts se font toujours auprès de différents créanciers.

(*) Les Caciques désignent les personnes métisses qui avaient généralement des ressources supérieures à la population locale et s’accaparaient ainsi le pouvoir économique, politique et social.

(*) Prestamistas signifie usurier en espagnol.

(*) Ces informations sont tirées d’un document appelé « La historia », écrit par l’Organisation des Peuples Indigènes Zapotèques (OPIZ), Source internet : http://mx.geocities.com/opiz_lox/.

(*) Morvant S., « Etude d’impact dans deux microbanques du réseau Fincoax », Centre Walras, 2005.

Dans sa thèse Solène Morvant-Roux explique que « Le rôle social de la dette rend improbable la substitution totale tant qu’il existe un certain degré d’interdépendance socio-économique entre les personnes. La réussite du dispositif de microfinance est en grande partie déterminée par les relations sociales et financières au sein de la communauté.

Les emprunteurs de la microbanque continuent ainsi à mélanger les différentes modalités pour obtenir de la liquidité et participent ainsi à l’entretien du système d’« enchaînement des dettes », la substitution est donc dite limitée. Le microcrédit « offre » de la liquidité mais il donne également du temps et sa complémentarité à l’ensemble des autres dettes qui permet aux jeux sociaux de s’épanouir. » (Morvant-Roux, 2006, §147)

Ces comportements témoignent de l’adaptabilité des acteurs face à leur environnement socioéconomique. Cette adaptation est nécessaire et répond aux contraintes des acteurs. L’IMF, dans ce contexte, s’inscrit comme un acteur supplémentaire et un moyen de pluraliser ces stratégies en fonction des besoins et des situations de la population. Les relations financières s’inscrivent d’abord dans des relations sociales.

Chaque acteur engage différentes stratégies, sollicite différents acteurs selon le montant et l’objet de sa nécessité financière. Même si l’usage des services d’institutions financières devient de plus en plus courant, la finance informelle reste encore présente et active. Elle continue d’offrir non seulement des avantages de flexibilité mais constitue également une manière de réactiver les réseaux sociaux de la population.

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