Certaines fautes du locataire, même involontaires, peuvent entraîner des décisions irréversibles. Voici ce que la législation permet vraiment au bailleur.
Chapitre I: Les motifs d’expulsion
Le dahir de 1955 traite les motifs d’expulsion dans les articles 10 et suivants. En nuancant ces articles, on peut classer ces motifs en deux catégories : d’une part, le motif prévu à l’alinéa 1 de l’article 11, à savoir la faute grave et légitime du locataire, et d’autre part, d’autres motifs qui n’impliquent pas une faute du locataire, en l’occurrence la démolition pour reconstruction, l’état d’insécurité du local et le besoin personnel.
Section I :
La faute grave et légitime du locataire
L’article 11 du dahir du 24 mai 1955 prévoit : « Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité : 1. L’expulsion des locaux, faute grave du locataire : s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant. » Le législateur a utilisé un terme obscur et ambigu. Dans notre recherche, nous n’avons trouvé aucune définition de ce terme. Cependant, une certaine doctrine assimile la faute grave aux dérogations du locataire à ses obligations imposées par la loi ou par le contrat, dans le célèbre : le paiement du loyer et la conservation du local. C’est la voie adoptée aussi par les juridictions marocaines.
§1 Le non-paiement du loyer
L’article 663 du D.O.C impose au locataire le paiement d’un loyer en contrepartie de la jouissance des locaux. Le refus du locataire de payer ce loyer constitue un motif grave et légitime justifiant aussi son expulsion suite à l’article 11 alinéa 1 du dahir de 1955. La Cour suprême a posé un principe selon lequel « le loyer est exigible et non pas portable ». Le principe posé engendre énormément de problèmes quant à la justification du non-paiement.
A- La justification du non-paiement du loyer
Pour prouver le non-paiement du loyer, le législateur impose au bailleur, suite à la nouvelle loi 64/99 relative au paiement du loyer, d’abord l’envoi d’une mise en demeure, ensuite, il peut demander la ratification de la mise en demeure et l’injonction de paiement.
a- La procédure de la mise en demeure
Le législateur marocain a ratifié une nouvelle loi relative au paiement du loyer, dans le but d’établir un certain équilibre entre les parties du contrat de bail, c’est la loi 64/99. Il est de bon sens de préciser d’abord les conditions et le champ d’application de cette loi avant d’étudier l’envoi de la mise en demeure. La loi 64/99 s’applique aussi bien dans le domaine civil que commercial, mais elle ne s’applique que dans le cas où la relation contractuelle entre les parties est établie par un contrat écrit ou par une décision judiciaire finale indiquant le montant du loyer. À défaut d’un contrat écrit, les règles de droit commun doivent recevoir application. Une seconde observation à noter est que les règles de la loi 64/99 ne sont pas obligatoires, c’est-à-dire que le bailleur est toujours libre de recourir aux règles de la loi 64/99 ou à celles du dahir du 24 mai 1955. Le législateur, en utilisant le terme « le tribunal compétent » dans l’article 2 de la loi 64/99, a omis de mettre fin au conflit de compétence, notamment en matière commerciale, entre le tribunal de première instance et le tribunal de commerce ; la solution est toujours jurisprudentielle.
Après avoir précisé ces observations sur la loi 64/99, on peut dire que le bailleur est toujours libre de recourir à ces règles pour justifier le non-paiement du loyer par le locataire. Pour ce faire, il doit envoyer au locataire une mise en demeure, par l’intermédiaire du tribunal compétent, en l’occurrence le tribunal de commerce, l’invitant à payer le loyer échu dans un délai de 15 jours sous peine d’être expulsé. L’article 3 de la loi 64/99 prévoit que la mise en demeure doit, à peine de nullité, mentionner :
- Le nom du locataire et du bailleur.
- L’adresse où le local est situé.
- Les mois impayés.
- Le montant à payer.
- Le montant global.
- Un congé de 15 jours.
La mise en demeure valablement envoyée donne au locataire un délai de 15 jours pour exécuter son obligation et payer le loyer. Ce délai commence à courir le jour de la notification de la mise en demeure au locataire. Par l’envoi de la mise en demeure, deux situations se présentent : soit le locataire persiste encore, autorisant le bailleur à passer à la deuxième étape, demander la ratification de la mise en demeure et l’injonction de paiement.
b- La ratification de la mise en demeure
L’article 6 de la loi 64/99 prévoit que le président du tribunal compétent ou son substitut ratifie la mise en demeure et prononce une injonction de paiement dans un délai de 48 heures de sa saisine. L’injonction de paiement prononcée par le juge doit être exécutée et n’est pas susceptible d’aucun recours, ni ordinaire, ni extraordinaire. Par cet article, le législateur vise à assurer, d’une part, l’exécution réelle de la décision du juge et, d’autre part, la rapidité de cette exécution et ce, dans un délai de 48 heures, en la protégeant en même temps de tout recours judiciaire susceptible de retarder ou de suspendre son exécution. En contrepartie, l’article 7 de la loi 64/99 dispose que le refus de la ratification de la mise en demeure n’est également susceptible d’aucun recours et n’a aucune force probatoire. Au niveau de cet article 7, la doctrine critique le fait que le législateur n’ait pas déterminé les conditions de refus de la notification de la mise en demeure ; il est donc soumis au pouvoir discrétionnaire du juge et n’est pas soumis au contrôle de la Cour suprême.
L’article 8 de ladite loi allège de la rigueur des précédents articles en prévoyant que le bailleur, dans le cas où la notification de la mise en demeure a été refusée, peut recourir aux règles de droit commun pour faire expulser son locataire. En tout état de cause, l’envoi de la mise en demeure constitue une preuve de non-paiement du loyer.
B- Cas assimilés par la jurisprudence au non-paiement du loyer
Le refus du locataire d’exécuter la mise en demeure envoyée par le bailleur constitue une présomption absolue de non-paiement justifiant son expulsion. Mais qu’en est-il si le locataire se contente seulement de manifester sa volonté de payer sans procéder réellement au paiement, ou lorsque son offre n’est pas complète, ou encore lorsque sa réponse est retardée ?
a- Cas où le locataire se contente de manifester sa volonté de payer
Le refus du locataire de payer le loyer constitue un motif grave et légitime qui permet au bailleur de demander son expulsion suite à l’article 11 alinéa 1 du dahir du 24 mai 1955, après avoir justifié cette faute par l’envoi d’une mise en demeure. Mais il arrive que le locataire, pour une raison ou une autre, ne puisse pas exécuter son obligation. Pour éviter une conséquence probable, le locataire procède dans la pratique à l’envoi au bailleur d’une lettre dans laquelle il exprime sa volonté de payer sans procéder réellement au paiement. Face à cet handicap, la jurisprudence, notamment en matière de bail civil, considère que la seule volonté de payer est insuffisante et prononce son expulsion. Il en est ainsi de la Cour d’appel de Meknès dans son arrêt N°1025 daté du 3/4/1990 où le locataire a déclaré qu’il est prêt à payer à condition de recevoir un reçu. Et vu que le locataire n’a pas réellement procédé au paiement, ce qui justifie son expulsion.
b- Cas où l’offre du locataire n’est pas complète
Pour éviter son expulsion après avoir reçu la mise en demeure, le locataire procède au paiement seulement d’une partie de sa dette sans pouvoir payer la totalité du loyer. La plupart de la jurisprudence marocaine assimile l’offre incomplète au non-paiement et prononce l’expulsion. C’est aussi le point de vue de la Cour d’appel de Meknès qui a déclaré dans sa décision N° 1940 datée du 8/5/1990 que le locataire qui a reçu la mise en demeure du bailleur par une lettre recommandée a payé une partie du loyer, deux mois seulement, ce qui justifie son expulsion. Du point de vue juridique, la décision de la jurisprudence est saine, mais il faut prendre en considération la difficulté temporaire à laquelle peuvent faire face les locataires, qui, pour sauver leur fonds de commerce, ne peuvent pas payer la totalité de leur dette, puisque les affaires ne tournent pas toujours bien, notamment dans le domaine du commerce, ce qui nécessite une certaine flexibilité dans l’application de cette règle dans ce cas.
c- Cas où la réponse du locataire est retardée
Dans d’autres cas, la réponse est au-delà du délai déterminé par la loi. La jurisprudence distingue à ce niveau deux cas : le cas où la réponse du locataire est intervenue avant que le bailleur n’entame l’action d’expulsion et le cas où sa réponse est intervenue après avoir entamé l’action d’expulsion. Dans le premier cas, si le locataire a essayé d’exécuter son obligation même après l’écoulement du délai de la mise en demeure, mais avant que le bailleur n’entame l’action d’expulsion, il manifeste aussi sa bonne foi et évite par cet acte son expulsion. Mais si le locataire a retardé de payer jusqu’au moment où le bailleur a entamé l’action définitive et demande son expulsion, son remords n’est pas suffisant, et même s’il offre de payer devant le juge, son acte est considéré comme tardif et il doit être expulsé.
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– أحمد عاصم الحماية القانونية للكراء التجاري دراسة نظرية تطبيقية للنصوص على ضوء قرارات المجلس الأعلى ص 108 وما بعدها. – Arrêt N°682 daté le 14/10/78 de la Cour suprême. – Arrêt N°660 daté 27/10/78 de la Cour suprême. – محمد بونبات الجديد في كراء الأماكن المعدة للسكنى والاستعمال المهني سلسلة آفاق القانون 2001 ص126. – محمد بونبات مرجع سابق ص 130. – محمد بونبات مرجع سابق ص 131. – محمد بونبات مرجع سابق ص 131. – D Juglar. Cours de droit commercial V: 18ème édition 1984 Montchrestien page 189.
– Art 668 de DOC : « Le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail à un autre, en tout ou en partie, à moins que la défense de sous-louer ou de céder n’ait été exprimée ou ne résulte de la nature de la chose. La défense de sous-louer doit être entendue d’une manière absolue et entraîne celle de sous-louer pour partie ou de céder la jouissance même à titre gratuit. »
– D Juglont Cours de droit commercial volume 1 8ème édition 1984 Montchrestien page 200. – Abderrahmane Chaoui Roqai Le bail commercial mémoire de DESA Université Mohamed V Rabat 1994 p 174. – Abderrahmane Chaoui Roqai Le bail commercial mémoire de DESA Université Mohamed V Rabat 1994 p 75. – Ibidem page 75. – Ibidem page 75. – D Juglont Cours de droit commercial volume 1 8ème édition 1984 Montchrestien page 231.