Accueil / Études Sociales / Examiner la pratique du restavèk en Haïti à travers une perspective postcoloniale / Comment l’étude de cas du restavèk en Haïti révèle des injustices cachées ?

Comment l’étude de cas du restavèk en Haïti révèle des injustices cachées ?

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université d'Ottawa - École de Service Social
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise - Septembre 2020
🎓 Auteur·trice·s
Taïna Frazil
Taïna Frazil

L’étude de cas restavèk Haïti révèle qu’environ 300 000 enfants vivent dans des conditions d’esclavage moderne, souvent invisibles aux yeux de la société. Cette recherche met en lumière les racines historiques de cette pratique et ses conséquences dévastatrices sur le bien-être des enfants, transformant notre compréhension des dynamiques sociales en Haïti.


Il était une fois Jean-Robert

À travers des extraits de sa vie, nous apprenons que Jean-Robert Cadet, né Alfrenol Brutus est le fils illégitime d’un homme Blanc Philippe, un riche Haïtien « blanc » et de Henrillia Brutus, une femme noire qui travaillait pour lui. À la mort de sa mère, Cadet est envoyé chez la maîtresse de Blanc Philippe, Florence Cadet d’où il tire son nom de famille. Le père biologique de Cadet était un mulâtre et sa mère une femme noire. Étant donné que Cadet était noir, son père ne pouvait le garder à la mort de sa mère, car pour lui cet enfant était une honte.

Florence le maltraitait physiquement et émotionnellement et l’élevait dans la peur comme un esclave. Pendant plusieurs années, et entre l’âge de cinq et 15 ans Cadet a effectué des travaux domestiques. L’OIT mentionne que les risques les plus courants pour les enfants dans le travail domestique, sont de longues et pénibles heures de travail, l’utilisation de produits chimiques, porter de lourdes charges, manipuler des articles dangereux, le manque d’accès à la nourriture, les traitements dégradants et humiliants ainsi que la violence physique et psychologique (Levison & Langer, 2010).

Il est important de noter que contrairement au parent d’accueil de Ti-Sentaniz les maîtres de Cadet possédaient des biens matériels, ce qui représente un signe de richesse dans les normes haïtiennes. Le fait que des bourgeois puissent se permettre d’embaucher de l’aide tel que des chauffeurs, et des femmes de chambre et donner à leurs propres enfants la meilleure éducation qui existe tout en traitant ceux qu’ils ont promis de protéger avec une telle violence, démontre que le restavèk est plus qu’une simple source de gratuité, mais bien de l’esclavage. Cette pratique est tellement devenue une normalité en Haïti, que les enfants semblent avoir perdu leur statut d’enfant pour simplement être des moyens de production comme au temps de l’esclavage (Gozdziak 2008).

En plus des travaux domestiques qu’il devait effectuer, Cadet a été soumis aux pires formes d’abus. Les abus et les injustices qu’il a subies et dont il a été témoin ont mené à des problèmes psychologiques. Dans son récit, Cadet raconte l’histoire de son ami restavèk tué pour avoir volé deux dollars.

The story in his own words: René was severely beaten with a rigoise—a whip made of cowhide. Every strike lifted the skin and formed a blister ….He was made to kneel on the bed of hot rocks, used by the maids to whiten clothes under the punishing tropical sun, while holding two-mango sized stones in each hand high above his head.

After René blacked out, Monsieur Beauchamp threw him in the backseat of his car and drove to the police station. The police brought René back late in the afternoon. His nose was bleeding, his eyes were swollen shut, and his lips resembled two pieces of raw cow’s liver. His puffy face was twisted to one side and his ragged shirt was glued to his broken body.

That night I listened for René’s whistles that I knew would never be heard again (Cadet, 1998, p. 19-20).

La disparition de son ami a affecté Cadet et l’a fait vivre dans la peur et l’anxiété. Il était hanté par les souvenirs de son ami et craignait de subir le même sort lorsqu’il faisait une erreur. Le souvenir que Cadet a tiré de l’incident est rempli d’horreurs. Selon Cadet, ces images de violence peuvent avoir des effets traumatisants.

Il parle de sa peur d’être emmené à la police pour châtiments corporels. Car, en Haïti c’est courant d’amener des restavèk à la police pour châtiment corporel (Cadet, 1998). Dans son recueil, il mentionne aussi que la police utilise souvent une force excessive et opère en toute impunité. La police tolère la pratique de restavèk et la maltraitance des enfants dans le système même si des lois ont créé pour empêcher l’exploitation et la maltraitance des enfants (Cadet, 1998).

Le livre-récit de Cadet se concentre sur les blessures émotionnelles que l’expérience d’être restavèk en Haïti lui a infligé. Les lignes permettent de mettre en lumière la violence et le traumatisme persistant de cette expérience. Il raconte comment il se sentait comme une victime de viol. Pour lui, le système restavèk est de l’esclavage et un crime inimaginable, car les victimes ne peuvent fuir leur prédateur. C’est un crime contre nature parce que le droit à la vie, de grandir, de sourire, d’être aimé, d’apprendre est enlevé à ces enfants et cela par ceux dont les ancêtres étaient eux-mêmes des esclaves (Cadet, 1998).

Une figure centrale : celle de l’enfant domestique

L’enfant domestique est la figure centrale dans la littérature haïtienne folklorique ; il est décrit comme celui qui vit chez des gens qui ne font pas partie de sa famille. Il s’agit d’une résidence privée dans laquelle ils doivent rendre toutes sortes de services et cela dans des conditions extrêmement difficiles et sans rémunération. Dans la majorité des cas, l’enfant domestique est issu d’un milieu rural, pauvre, surpeuplé et non scolarisé.

Les jeunes filles constituent la majorité de ces enfants. La présence de jeunes filles dans ce domaine s’explique par la structure familiale haïtienne. Les filles se doivent d’être laborieuses comme leurs mères et leurs grand-mères (Hatloy, 2005). L’enfant domestique constitue une force de travail supplémentaire à l’exploitation. En Haïti, la pauvreté dans le milieu rural, l’incapacité de répondre aux besoins primaires de l’enfant, le statut de l’enfant haïtien, la relation entre la ville et la campagne, le désir d’éduquer l’enfant, constituent pour une large part le fondement du système restavèk.

La plupart des enfants domestiques sont placés dans des familles qui elles-mêmes connaissent des difficultés économiques (Hatloy, 2005). Bien que les parents biologiques soient au courant des conditions de vie de l’enfant en service, ils vont tout de même placer leurs enfants, car ils ne sont pas en mesure de répondre à leurs besoins et jugent que la domesticité est une meilleure situation.

Les enfants domestiques souffrent de problèmes sanitaires, ne mangent pas à leur faim, sont exposés à l’agression sexuelle et ne se sentent pas en sécurité. L’enfant domestique éprouve rarement un sentiment d’appartenance face à la famille d’accueil (Cooper & al., 2012).

L’enfant domestique est très souvent un enfant maltraité

Selon le Minnesota Lawyers committee, la plupart des restavèk sont battus et les filles peuvent être victimes d’abus sexuels, ce problème mériterait l’attention internationale parce qu’il est de plus en plus répandu et la situation pourrait se transformer en cas de traite humaine (Andersons & al., 1990).

Une étude menée par Fulbright Martsolf en 2004 a permis de constater que plus de la moitié de la population haïtienne, aurait signalé ce type de maltraitance envers les enfants (Martsolf, 2004).

Les mauvais traitements que subissent les enfants sont associés à la pauvreté et aux conditions socioéconomiques du pays. Cette même étude a permis de constater que le risque de violence augmente dans les secteurs ou la pauvreté est élevée et ayant un capital social faible. Cette conclusion permet de comprendre que les mauvais traitements que subissent les enfants en Haïti ne sont pas exclusifs au restavèk.

Cependant, Hatloy (2005) explique que les enfants domestiques sont particulièrement vulnérables aux châtiments corporels. Les données d’UNICEF démontrent que dans 57 % des cas, les enfants domestiques sont punis physiquement lorsque vient le temps de les réprimander (UNICEF, 2005). En Haïti, il n’est pas rare qu’un enfant reçoive des coups lorsque celui-ci fait fi de l’autorité, il s’agit d’une pratique normale dans la culture.

Dans la communauté n’importe quelle figure d’autorité a le pouvoir de réprimander un enfant (Hatloy, 2005). La société haïtienne considère la discipline physique comme une nécessité dans l’éducation des enfants. La normalisation de la correction corporelle contribue à normaliser la maltraitance des restavèk (Hatloy, 2005).

Outre le fait qu’ils sont maltraités, les restavèk sont privés des droits de l’enfant. La relation entre restavèk et la maltraitance des enfants est beaucoup plus corrélative que causale. On entend par-là que puisque la maltraitance des enfants est une pratique normale en Haïti, et les restavèk sont des enfants, ceux-ci sont donc plus susceptibles d’être victimes de cette forme de violence.

Même si l’expérience d’abus vécus par les restavèk est soutenue par la littérature et que cette expérience soit plus grave que celle vécue par les autres enfants, le ministre des Affaires social et du travail d’Haïti a mentionné en 2007 que « si la majorité des enfants en Haïti ne sont pas épargnés par la violence, les restavèk sont ceux qui subissent les violences les plus brutales » (Clouet 2013, p. 78).

De plus, l’aspect hiérarchique de la structure familiale d’Haïti fait en sorte que les plus jeunes sont des subordonnés (Marchand, 2011). Cette structure peut expliquer le traitement inférieur subi par les enfants. Il existe un proverbe haïtien qui dit « timoun se bèt » ce qui signifie que les enfants sont des animaux et que tous ont le droit de les traiter comme bon leur semble.


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que la pratique du restavèk en Haïti?

La pratique du restavèk en Haïti consiste à placer des enfants comme domestiques dans des familles aisées par des parents en situation de pauvreté, où ils accomplissent des tâches domestiques sans rémunération.

Quels sont les abus subis par les enfants restavèk?

Les enfants restavèk subissent des abus physiques et émotionnels, des traitements dégradants, de longues heures de travail, et sont souvent soumis à la violence physique et psychologique.

Comment l’histoire de Jean-Robert Cadet illustre-t-elle la réalité des restavèk?

Jean-Robert Cadet raconte son expérience de maltraitance et d’abus en tant que restavèk, y compris la violence subie par son ami René, ce qui met en lumière les conditions traumatisantes vécues par ces enfants.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top