Quelles stratégies innovantes pour lutter contre le mariage forcé à Kalemie ?

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🏫 Université de Kalemie - Faculté de Droit - Département de Droit Privé et Judiciaire
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licence - 2020
🎓 Auteur·trice·s
BISHINDO WA KABILA Judith
BISHINDO WA KABILA Judith

Les stratégies de mise en œuvre mariage forcé révèlent une réalité troublante : malgré l’existence de lois, la répression de cette infraction demeure insuffisante en droit congolais. Cette étude met en lumière les conséquences socio-juridiques alarmantes, appelant à une prise de conscience urgente des autorités judiciaires.


Chapitre Troisième

DES ENIGMES DE L’INSUFFISANCE DE LA REPRESSION DE L’INFRACTION DE MARIAGE FORCE EN DROIT POSITIF CONGOLAIS

D’emblée, il convient de souligner que même si dans le texte de loi, l’infraction de mariage forcé est prévue, mais ce texte n’est pas mis en application en ce sens que les poursuites judiciaires ne sont exercées contre les auteurs de cette incrimination, et c’est ce qui se voit dans la pratique du moins jusqu’ici.

Au demeurant, la répression de mariage forcé dans la ville de Kalemie est quasiment inexistante du fait que les autorités judiciaires n’exercent pas les poursuites pénales contre les auteurs de l’infraction de mariage forcé, alors que celui-ci viole constamment les droits fondamentaux et libertés publiques tels que prônés par la communauté internationale. Ceci souligne la faiblesse persistante de l’appareil judiciaire congolais et son échec accru dans la répression des infractions relatives aux violences sexuelles, surtout de celle de mariage forcé.

Au regard des lignes qui précèdent, il convient de parler dans ce chapitre, dès l’abord, de la répression de mariage forcé dans la ville de Kalemie (Section 1), ensuite de la notion des causes et conséquences de l’insuffisance de la répression de l’infraction de mariage forcé dans la ville de Kalemie (Section 2), ensuite encore de la question du rôle des autorités judiciaires (OPJ et OMP) dans la répression de l’infraction de mariage forcé (Section 3) et enfin, de la prise de solution contre le mariage forcé (Section 4).

Section 1:

La pratique de mariage forcé dans la ville de Kalemie

La déclaration universelle des droits de l’homme prévoit en son article 16,110 le droit égal de l’homme et de la femme de se marier à l’âge nubile et la nécessité du libre et plein consentement de chacun des futurs époux. Cela nous pousse à définir le mariage forcé comme le fait pour toute personne exerçant l’autorité parentale ou tutélaire sur une personne mineure, de l’avoir donnée en mariage, ou en vue de celui-ci, ou sur une personne majeure de l’avoir contrainte à se marier.

En effet, le mariage forcé comme le mot l’indique, implique une contrainte exercée par un parent, par un proche-parent, ou toute autre personne à l’égard de la victime qui n’a pas forcément la capacité de donner son plein consentement éclairé faute d’âge requis ou exigé par la loi pour contracter mariage ou tout simplement, la victime a bel et bien l’âge qu’il faut pour le mariage mais se sent contrainte dans le choix de son futur époux par une tierce personne.

110 La déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 dispose à son article 16 : « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat. »

Dès ce fait, avons-nous mené quelques enquêtes avec deux-cents cinquante (250) échantillons dans la ville de Kalemie et ses environs, notre champ restreint d’intervention, pour tester le taux des mariages forcés dans cette agglomération ; à concurrence de nonante (90) questionnaires dans la commune de la Lukuga et ses environs, ainsi que de quatre-vingt (80) questionnaires par commune dans les deux communes restantes et leurs environs. A la suite de ces enquêtes, nous avons trouvé farouchement un résultat amer du taux des mariages forcés dans la ville de Kalemie dont au total cinquante-huit (58) cas des mariages forcés, soit 23.2% de ceux-ci. Ce taux est a été réparti comme suit :

Paragraphe 1. Mariage forcé en famille

Le mariage célébré en famille selon le législateur congolais est celui qui se déroule conformément aux coutumes des parties, pour autant que ces coutumes soient conformes à la loi, aux bonnes mœurs et à l’ordre publique.111

Toutefois, il sied de souligner que le mariage célébré en famille produit les mêmes effets juridiques que le mariage célébré et enregistré à l’état civil. Toutefois, les effets de ce mariage ne sont opposables qu’aux personnes qui ont pris part à la cérémonie de la célébration dudit mariage en famille. Ils ne sont pas opposables aux tiers ou aux personnes n’ayant pas pris part à ladite cérémonie. C’est pourquoi, lorsque le mariage célébré en famille n’est pas encore enregistré à l’état civil, il ressort ses effets uniquement en famille et devant les personnes qui auraient pris part à ladite célébration du mariage en famille.

En effet, c’est ce dernier aspect des choses qui nous pousse à dire que la plupart de mariages célébrés en famille non encore enregistrés sont conçus sous forme de mariage forcé. Et la majorité de partenaires sont contraints de s’unir par le lien du mariage, cela peut être dû soit à une grossesse qui aurait intervenue avant la célébration du mariage et l’auteur de la grossesse se sent obligé par, soit les parents ou les proches de la victime grosse de se marier avec cette dernière (surtout lorsque la victime est mineure) pour échapper à la rigueur de la loi et parfois aux tortures provenant des membres de la famille de la future épouse.

Après les enquêtes par nous menées dans le dessein de constituer un pourcentage de mariages forcés commis dans la ville de Kalemie et ses environs dans le cadre de cette démarche scientifique, nous avons rencontré, parmi les deux-cents cinquante (250) personnes par nous enquêtées, cinquante-cinq (55) cas, soit 22% de cas des mariages forcés commis dans les mariages célébrés en famille mais non encore enregistrés. Ce pourcentage se répartit comme suit :

Point 1. Cas des personnes mineures

La plupart des mariages célébrés en famille sont souvent des mariages forcés. Cela s’explique par le fait que la majorité des parents ignorent l’existence de l’incrimination de mariage forcé et font marier leurs enfants aussi mineurs soient-ils à des personnes plus âgées qu’eux, juste pour satisfaire leurs intérêts égoïstes et parfois même si ces enfants fréquentaient encore le banc de l’école.

111 Loi n°16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant code de la famille, Article 369.

Dans beaucoup de familles dans la ville de Kalemie, le mariage forcé est devenu une monnaie courante. Les parents ne savent même plus sauvegarder l’intérêt ni la dignité de leurs enfants, et qui plus est, leur protection.

En effet, dans beaucoup de coins de la ville de Kalemie, l’avenir des enfants est bafoué et même leurs rêves tombent complètement à l’eau parce que forcés à vivre dans la vie de couple auquel ils ne sont pas du tout préparés psychologiquement et ignorent comment s’en sortir. Les jeunes filles sont condamnées à demeurer dans les ménages forcés de leurs maris et elles sont dans ce cas contraintes à exécuter leurs exigences du mariage comme faire part à l’acte sexuel forcé, c’est-à-dire aux rapports sexuels non consentis.

Par ailleurs, il sied de rappeler à ce stade que l’alignement de l’âge légal du mariage pour les filles sur celui de la majorité civile, comme pour les garçons, n’a pas pour seul but de rétablir l’égalité entre les sexes devant le mariage, il vise surtout à lutter plus efficacement contre les mariages d’enfants (mineurs). D’où, le souci majeur de la communauté internationale et nationale de protéger l’enfant et surtout de trouver une solution durable et adéquate à tout problème, quelle que soit sa nature qui toucherait personnellement l’enfant et qui restreindrait ses droits.

C’est la raison pour laquelle la constitution congolaise n’est pas restée muette quant à la protection de l’enfant et de son bien-être. A cet effet, la constitution accorde une place centrale à l’enfant en tant que renouvellement de l’être et de la vie.112 C’est également dans ce contexte que s’est fait sentir dans notre pays le besoin pressant d’élaborer une loi portant protection de l’enfant.113

Le mariage forcé d’un mineur plus communément ou sociologique appréhendé comme un mariage précoce est défini comme une union entre deux personnes dont l’une au moins n’a pas encore atteint l’âge légal pour contracter mariage (18 ans révolus) ou encore, il s’agit de l’union dans laquelle tous les deux conjoints ont moins de 18 ans révolus ou n’ont pas l’âge requis par la loi pour contracter un mariage.

Dans le temps jadis, la loi n°87-010 du 1ier août 1987 portant code de la famille, à son article 352, autorisait le mariage d’enfants et ce, sur base de dispense d’âge pour motifs graves. En effet, cet article disposait que : « l’homme avant 18 ans révolus, la femme avant 15 révolus, ne peuvent contracter mariage ».

C’est pourquoi, la loi n°09-001 du 1ier janvier 2009 portant protection de l’enfant, voyant les tortures, menaces et violences auxquelles l’enfant faisait face et voulant surtout protéger

112 Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée par la n°11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la constitution de République Démocratique du Congo, Article 123, in JORDC, Kinshasa, Numéro Spécial du 5 février 2011.

113 Exposé des motifs de la loi ° 09/001 du 10 Janvier 2009 portant protection de l’enfant, in JORDC, Numéro spécial du 25 Mai 2009.

l’enfant dans les domaines de la vie, plus particulièrement dans celui du mariage, est venue abroger complètement les dispositions de l’article 352 de la loi n°87-010 du 1ier août 1987 portant code de la famille. Et cette abrogation se fait sentir dans les suggestions élégantes de l’article 48 de la loi portant protection de l’enfant qui dispose : « Les fiançailles et le mariage d’enfants sont interdits.

» Toutefois, il n’y a pas que les dispositions de la loi n°09-001 du 1ier janvier 2009 portant protection de l’enfant qui a abrogé le mariage d’enfant, il y a aussi les dispositions de la loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 qui sont venues abroger les dispositions de l’article 352 de la loi n°87-010 du 1ier août 1987 portant code de la famille.

Par ailleurs, malgré cette interdiction de la loi par rapport au mariage d’enfants, et de nombreux efforts conjugués par l’arsenal juridique tant national qu’international pour pallier la recrudescence de mariage d’enfants dans le monde entier, nous avons remarqué que ces abus (mariage d’enfants) continuent à se faire sentir dans plusieurs coins du monde.

Pour être plus précis, ces abus en République Démocratique du Congo, plus particulièrement dans la province du Tanganyika et dans son chef-lieu de Kalemie, ne cessent de s’accroître du jour au jour. Le mariage d’enfants à Kalemie est devenu un refuge pour plusieurs parents et ce, souvent pour satisfaire leurs intérêts personnels et ne prenant pas du tout en compte la valeur, ni la dignité de leurs enfants, et parfois, menacés par la pauvreté, l’abus du pouvoir, les coutumes et traditions, ces parents se voient

obliger de donner leurs enfants en mariage à des personnes plus âgées que ceux-ci et ayant assez des moyens pécuniaires et ignorent complètement la loi et même l’existence de l’incrimination du mariage d’enfants.

A cet effet, les jeunes filles, mariées à bas-âge, voient leur avenir bafoué et se sentent obligées de vivre dans les ménages de leurs maris malgré que physiquement, physiologiquement et psychologiquement, ces jeunes mineures ne sont pas du tout prêtes à assumer les responsabilités du mariage et de la reproduction.

Dans la même perspective, il convient de rappeler que les fiançailles et le mariage d’enfants n’ont aucun effet juridique et toutes les mesures nécessaires, y compris les dispositions relatives, doivent être prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage.114 Cette affirmation suppose ou condamne le mariage d’enfants et fixe par conséquent l’âge minimum du mariage pour les hommes et les femmes à 18 ans révolus du fait que c’est à cet âge que toute personne atteint la pleine maturité et la pleine capacité d’agir.

Ainsi, il convient, pour nous en tant que chercheur en Droit, à travers quelques enquêtes menées dans plusieurs coins de la ville de Kalemie, comme dit ci-haut, de démontrer quelques faits indiquant les cas de mariage d’enfants. En effet, dans les Cinquante-cinq (55) cas, soit 22% de cas des mariages forcés commis dans les mariages célébrés en famille mais non encore enregistrés, nous avons enregistré trente et un (31) cas, soit 12.4% de cas des mariages forcés dans lesquels les victimes sont mineures d’âge.

C’est pourquoi, nous avons suggéré d’illustrer cela avec au minimum deux (2) faits si exécrables et constitutifs de mariage d’enfants en famille dont nous avions eu à constater dans

114Voir article 16 point 2 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979.

nos enquêtes. Par ailleurs, il sied de signaler que les noms qui seront indiqués ici-bas sont fictifs, par mesure de sauvegarde de la dignité des personnes que nous avons eu à enquêter :

1° Cas : Fanny, habitante de la localité de Kituku raconte le jour où, à l’âge de 15 ans, elle était venue du puits et avait surpris son père en train de discuter des problèmes financiers avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Plus tard ce jour-là, le père de Fanny demanda à cette dernière gentiment d’aller voir cet homme pour récupérer quelque chose que l’homme en question devait à son père.

Fanny, sans discuter, avait obéi aux ordres de son père et s’était dirigée vers le domicile de cet homme. Lorsqu’elle y était arrivée et était entrée dans la maison pour ramener le message de son père au Monsieur, l’homme avait refermé la porte derrière elle et avait informé à la jeune fille qu’elle était désormais devenue sa femme car son père l’avait échangée à cet homme dans le dessein d’effacer ou en compensation de ses dettes.

L’homme l’avait violée cette nuit-là. Si tôt le matin, Fanny avait décidé de s’enfuir pour retourner chez ses parents. Soudain, son père lui exigea de retourner chez son mari. A la place, elle s’était réfugiée chez ses oncles maternels qui, furieux contre le père de Fanny, ont tenté de le dissuader ou de le convaincre de ne pas la renvoyer chez cet homme que le père de Fanny considérait comme étant le mari de la fille.

Mais, le père de celle-ci n’avait rien voulu entendre, il avait attaqué et blessé un des oncles de la jeune fille et leur avait dit qu’il s’agissait là de sa fille et qu’il était le seul à faire d’elle tout ce que bon lui semblerait. Ainsi, après avoir entendu ces paroles, les oncles de Fanny s’étaient inclinés devant la décision de son père.

La mère de Fanny avait essayé de parler avec son mari mais celui-ci l’avait battue également. Le père de Fanny l’avait ramenée de nouveau chez son mari qui la réclamait. Fanny, voyant cela, s’était échappée à nouveau de son toit conjugal où elle n’était pas du tout à l’aise. Grâce à Dieu, Fanny avait rencontré une femme à qui elle avait raconté son histoire.

Celle-ci avait accepté de l’aider et de la cacher. Sous la protection de cette femme, Fanny fit la connaissance de membres d’une ONG congolaise (FEPAD). Avec leur aide, Fanny avait pu gagner sa vie et rencontrer d’autres jeunes filles qui avaient connu les épreuves similaires à celle qu’a eue Fanny, et grâce à cette organisation, Fanny était rentrée à l’école.


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que le mariage forcé selon le droit positif congolais?

Le mariage forcé est défini comme le fait pour toute personne exerçant l’autorité parentale ou tutélaire sur une personne mineure, de l’avoir donnée en mariage, ou sur une personne majeure de l’avoir contrainte à se marier.

Pourquoi la répression du mariage forcé est-elle insuffisante à Kalemie?

La répression de mariage forcé dans la ville de Kalemie est quasiment inexistante du fait que les autorités judiciaires n’exercent pas les poursuites pénales contre les auteurs de l’infraction de mariage forcé.

Quelles sont les conséquences du mariage forcé sur les droits des femmes à Kalemie?

Le mariage forcé viole constamment les droits fondamentaux et libertés publiques tels que prônés par la communauté internationale.

Comment les autorités judiciaires peuvent-elles améliorer la répression du mariage forcé?

L’analyse vise à sensibiliser les autorités judiciaires et à contribuer à une meilleure application des lois existantes contre cette infraction.

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