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Quelles implications politiques de la photographie en Haïti (1915-1920) ?

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🏫 Université d'Etat d'Haïti - Institut d'Etudes et de Recherches Africaines d'Haïti IERAH/ISERSS
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licence - 2015
🎓 Auteur·trice·s
Assédius BELIZAIRE
Assédius BELIZAIRE

Les implications politiques de la photographie révèlent comment des images emblématiques, comme celles de Louis Borno, transcendent leur simple fonction documentaire. Cette étude met en lumière les représentations sociopolitiques complexes durant l’occupation américaine d’Haïti, suscitant une réflexion sur le pouvoir de l’image dans la construction de la mémoire collective.


REPRESENTATION DES CACOS DANS DES MOUVEMENTS POPULAIRES

      1. Portrait de Louis Borno

Photo de Louis Borno, un ministre nationaliste puis réaliste sous la présidence de Philipe Sudre Dartiguenave, avec un visage avilissant, déshonorant, révoltant.

Il s’agit d’une photo en noir et blanc de presse sur page écran, le photographe qui a signé l’œuvre nous parait inconnu y compris la date exactement; le titre qu’on lui attribue est Le visage indigné de Louis Borno. Cette image n’a pas été diffusée sur un site Internet, mais dans l’ouvrage de Roger Gaillard, Charlemagne Péralte le Caco, on n’a pas mentionné la date de publication. A remarquer, l’auteur n’a pas mentionné sa source.

Le ministre Louis Borno un peu surpris, en débandade face à l’emprise des Etats-Unis dans l’économie et la politique du pays. Les thèmes d’Occupation ; rapports occupant/occupé est mis en évidence.

L’image de ce ministre du gouvernement de Philippe Sudre Dartiguenave, président imposé par les Etats-Unis peu de temps après leur envahissement en Haïti, un visage un peu indigné, fatiguant face aux pressions des représentants du Département d’Etat en Haïti, dans une situation d’ « à prendre ou à laisser », dans une position de « non-retour » mais une façon d’attendre son tour pour servir aveuglement l’occupant. Le Département d’Etat, confiant de sa politique impérialiste, ne fait qu’agir dans le sens de diriger la politique économique du pays aux intérêts impérialistes.

L’image exprime un effet de malaise par différents procédés : la posture accroche tout d’abord notre œil ; les expressions du visage du ministre Louis Borno accentuent l’effet de malaise.

L’image est réaliste, riche en significations mais polysémique. La légende qui accompagne l’image aide à réduire cette polysémie de la photo et la contextualise. Sans la légende, nous ne pouvons pas savoir à quelle époque et la problématique soulevée. L’ancrage linguistique complète l’information transmise par la photo et donne des repères sur certains éléments narratifs dans l’image : les sujets impliqués et le contexte d’occupation.

Le taux d’iconicité du sujet de l’information est élevé, car l’image permet aux lecteurs de reconnaître, d’identifier puis de comprendre ce qui se passe pour l’un des ministres du premier gouvernement imposé lors de l’arrivée de l’occupant et le rapport de force inéquitable.

Les lignes obliques dominent la photo. La lecture de la photo se fait en suivant un parcours en Z (le titre, l’image et la légende). L’image est cadrée à la verticale et peu d’éléments sont observables en raison du cadrage en gros plan ; l’image est centrée sur une partie du sujet et aucun décor n’est visible. Le photographe est placé à droite par rapport au sujet photographié.

La photo est réaliste et objective, elle a une fonction notionnelle et c’est une photo de reportage. L’image permet de faire une première référence à un ministre haïtien du premier gouvernement imposé par le Département d’Etat américains à cause de sa posture, photo de profil où le ministre est en costume, chemise blanc, rosette c’est-à-dire une insigne d’ordre honorifique formé d’un petit nœud de ruban, que portent à la boutonnière les dignitaires et officiers de certains ordres.

Il porte de verres, lentille translucide prévue pour être montée sur un châssis de lunette et pour s’adapter à l’œil dont elle doit corrige la vision, sa main gauche plié en coude et supporte son visage, ayant des documents sur une table, un pot de fleur à gauche et la carte géographique de la Perle des Antilles.

Cette image de Louis Borno avec les expressions de son visage aussi passionnant, portant de verre, de costume, de rosette, sa main gauche plié en coude et supporte son visage, ayant des documents sur une table, un pot de fleur à gauche et la carte géographique de la Perle des Antilles suggérant à la fois de malaise et d’inquiétude.

La photo n’étonne pas le spectateur, profil d’un ministre des finances et des affaires étrangères dans une situation difficile avec les pressions de l’occupant. Le format du cadrage de l’image, au plus près d’un détail, qui nous renvoie au visage de Louis Borno montre une certaine netteté autour de laquelle le spectateur/lecteur regarde, examine, découvre la photo de profil d’un ministre qui se trouve dans l’embarras de respecter la lignée nationaliste, ne pouvant pas résister aux pressions de l’occupant…

La photo joue le rôle ici de preuve, elle est descriptive : elle montre d’abord le visage d’un ministre à l’époque, sa posture, et d’autres détails de son visage ; elle va aussi témoigner les caractéristiques d’un ministre, à travers son vêtement, sa rosette, sa chemise blanc sous la costume, son verre… sa main gauche plié en coude et supporte son visage, ayant des documents sur une table, un pot de fleur à gauche et la carte géographique de la Perle des Antilles et de conditions de fonctionnent des ministres et du président par rapport aux pressions de l’occupation.

L’effet d’opposition est bien mis en évidence par la posture du ministre costumé et chemise blanc, rosette, verre, et avec différents obstacles qu’il rencontre dans la liberté de faire appliquer une politique allant aux intérêts nationaux, à l’aide de l’expression de son visage. Le photographe a dû faire cette photo avec un téléobjectif : le foyer s’est fait sur l’avant-plan, avec un peu de décor, pas de profondeur de champ, on a mis l’accent sur le visage du ministre et l’espace environnemental où il se trouve, à savoir le ministre en train de lire sur une table ayant des documents, la carte géographique de la perle des Antilles en arrière-plan.

La photo n’est pas une simple photo de profil, on ne présente que le visage et en accord avec la posture du ministre mais un visage fatiguant en train de lire.

Cette photo cherche le côté esthétique relativement moins qu’elle témoigne une réalité.

Le 28 juillet 1915, le lynchage du président Vilbrun Guillaume Sam constitua le prétexte à une intervention armée. Le jour même, les troupes américaines débarquaient. Elles organisèrent l’élection d’un nouveau président : Philippe Sudre Dartiguenave et, sans attendre, imposèrent un traité de protectorat. Borno, nommé ministre des Relations extérieures et des Finances le 9 septembre, négocia pour y ajouter un engagement américain au développement économique du pays et refuser toute cession de territoire.

Il dut faire face à l’opposition de principe des sénateurs haïtiens qui voyaient là une nouvelle colonisation. Borno déclara à la presse que le pays n’avait le choix qu’entre « la disposition définitive dans l’abjection, la famine et le sang ou la rédemption avec l’aide des États-Unis ». Le texte fut voté à une grande majorité par le Sénat le 11 novembre 1915, après des débats houleux en présence de la foule.

Il fut ratifié par le Sénat américain le 28 février 1916, mais les États-Unis n’en respectèrent pas l’esprit. Ainsi, ils tentèrent en 1916 de placer tous les services publics sous l’autorité de la gendarmerie. Borno s’y opposa et les militaires américains obtinrent son départ en janvier 1917, après la défaite du gouvernement Dartiguenave aux élections de l’Assemblée Constituante.

De nouveau nommé ministre le 20 juin 1918, Borno refusa que le conseiller financier américain Ruan ait autorité sur le gouvernement haïtien.

Roger Gaillard affirme que Louis Borno, ministre des finances et des affaires étrangères avait été considéré comme un « anti-impérialisme »202. « Il entame avec Monsieur Ruan la préparation du budget 1918 – 1919 et les lois de finances l’accompagne. Monsieur Ruan eut son projet et Monsieur Borno le sien… L’affaire devient tellement délicate que les relations se rompirent entre le gouvernement et la légation américaine et Monsieur Ruan ». Le 13 Novembre 1918, le commandant militaire passa l’ordre à la banque nationale de ne permettre le retrait d’aucun fond disposés au crédit du gouvernement haïtien… cela signifiait la suspension de tout paiement des dépenses du gouvernement haïtien203.

Louis Borno qui pense peut-être pouvoir mieux résoudre les problèmes (le « règne de terreur »), écrit à Monseigneur Kesuzan : « il faudrait une amnistie générale pour les cacos, la plupart de ces malheureux ayant été entrainé dans la révolte par les abus causés par l’occupation »204. Le 15 juillet 1919, Catlin qui Port-au-Prince, le lieutenant-colonel McCarty Little le remplace. Il a été décoré lui aussi lors de la remise de médaille militaire aux officiers de Hinche le 23 Juin, par le président Dartiguenave et avant son départ, il a été reçu au cercle Port-au-Princien.

Ruan fut rappelé en novembre, mais Borno dut, de nouveau, démissionner, au grand plaisir du colonel Russell, commandant des forces militaires américaines, qui écrivit : “un grand obstructionniste a démissionné, de sorte que la situation politique est maintenant plus brillante205. Nommé alors ministre plénipotentiaire à Washington par le président Dartiguenave, l’agrément lui fut bien évidemment refusé. Borno se retira des affaires publiques pendant quelques années.

Le mépris et la brutalité des Américains envers les indigènes provoquèrent des révoltes armées dans les campagnes, menées par les « cacos », paysans qui, depuis la guerre d’indépendance, étaient restés armés et empreints d’une culture de révolte. Les troupes américaines matèrent ces mouvements dans le sang, au prix de plusieurs milliers de victimes. Gêné par l’impact médiatique de cette guerre et déçu de l’inefficacité de l’occupation, le président américain Harding décida,

202 (Roger Gaillard, p. 16)

203 (Ibid, p 17)

204 (Ibid, p 101)

205 (Dantès Bellegarde, Histoire du peuple Haïtien, 1953)

suite à l’envoi d’une commission d’enquête en novembre 1921, d’améliorer le niveau des administrateurs américains. Il nomma comme Haut-Commissaire John H. Russell, promu général.

Suzy Castor : « En 1922, les Américains décidèrent de nommer un nouvel homme de confiance : Louis Borno, un politicien éminent, ancien ministre de Dartiguenave et avocat des grandes entreprises étrangères. Il se montrait disposé à tous les ‘’ compromis’’ dans le cadre de la ‘’coopération’’, laquelle selon lui, était ‘’ la seule politique’’ qui, adaptée à la lettre du traité, se conformait aux intérêts de la nation » « Après sept années ‘’ d’expérience’’ avec Borno, le commandant John Russel écrivait : ‘’Il n’a jamais pris une seule décision sans m’avoir consulté au préalable’’ ». Les occupants ont désarmé les paysans et formé leur propre armée sous le nom de ‘’Gendarmerie’’206. M. Louis Borno écrivait en 1916, au sujet des tentatives faites par les américains pour s’emparer de l’administration des télégraphes, que le gouvernement qui accepterait de remettre à l’occupation nos services publics encourait la déconsidération générale de la nation207.

En conclusion, la photo ici est à la fois descriptive (informe sur une situation) et symbolique (joue sur les codes gestuels, chromatique et rhétorique entre militaires et prisonniers). L’action photographiée semble avoir été saisie sur le vif, pas de trucages techniques et veut attester ainsi de l’authenticité de l’événement. Le grand public ainsi que les organisations de défense des droits de l’homme sont les destinataires visés. Enfin, l’image, par sa sobriété et sa légende, montre sans artifices une situation d’humiliation inacceptable en démocratie, ce qui vient confirmer le rôle émotif que peut jouer une image qui informe certes, mais qui cherche aussi à faire réagir, à susciter la réflexion et éventuellement l’engagement.

206 206 http:// parolenarchipel.files.wordpress.com/201407

207 (Bellegarde Dantès 1996, p 47)

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202 (Roger Gaillard, p. 16)

203 (Ibid, p 17)

204 (Ibid, p 101)

205 (Dantès Bellegarde, Histoire du peuple Haïtien, 1953)

206 http:// parolenarchipel.files.wordpress.com/201407

207 (Bellegarde Dantès 1996, p 47)


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les implications politiques de la photographie de Louis Borno pendant l’occupation américaine d’Haïti ?

L’image de Louis Borno exprime un effet de malaise et met en évidence les rapports entre l’occupant et l’occupé, illustrant la pression exercée par les États-Unis sur la politique haïtienne.

Comment la posture et les expressions de Louis Borno sont-elles représentatives de son époque ?

Les expressions du visage de Louis Borno accentuent l’effet de malaise et reflètent son indignation face aux pressions des représentants du Département d’État en Haïti.

Quel est le rôle de la légende dans l’interprétation de la photographie de Louis Borno ?

La légende qui accompagne l’image aide à réduire la polysémie de la photo et la contextualise, fournissant des repères sur les sujets impliqués et le contexte d’occupation.

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