Les stratégies de mise en œuvre de la photographie documentaire révèlent des représentations inattendues de l’occupation américaine d’Haïti. En analysant des images emblématiques, cet article met en lumière comment les codes vestimentaires et les postures transforment notre compréhension des enjeux sociopolitiques de l’époque.
Le parade des Marines
La parade des Marines
Photo des quelques- uns des 400 Marines des Etats-Unis bien armés, en parade sur le sol haïtien, aux environs de Port-au- Prince.
Il s’agit d’une photo en noir et blanc de reportage sur page écran, le photographe nous parait inconnue y compris la date de la prise de vue, mais c’est sans doute entre 1915 – 1916 ; le titre qu’on la donne est la parade des Marines. Cette image, ainsi que l’article, ont été diffusés sur la page web intitulée : Bassin Zim, sur le site Internet Haïti Renouveau, en 2004167. Et sur le site des militaires nord-américains168.
Les Marines en train de défiler, les pieds en action et portant un pistolet sur leurs épaules supportés par une main, chacun ayant un chapeau en tête, leur uniforme de couleur kaki, chacun ayant de bottes dans leur pied et on rentre les pieds des pantalons là-dans, ils se conforment (i-e chemises en-dedans les pantalons), ils se rangent à la file indienne ; l’espace au second plan renferme beaucoup de pieds de palmes, et semble-t-il un drapeau américain flotte à l’arrière-plan, on ne remarque pas la présence de spectateurs dans la photo. Les principaux thèmes abordés sont l’occupation, rapports occupants/occupés.
L’image de ces Marines en parade, respectant des principes militaires, portant pistolet, chapeaux, dans l’attente de leur transfert vers les postes qu’on leur va affecter, a soulevé une vague d’indignation d’un côté et un « honneur » de l’autre coté à travers le continent américain et à travers le monde en général. Le Département d’Etat fait comprendre dans les médias que l’occupation militaire d’Haïti n’est qu’une « mission civilisatrice », il a démenti toutes informations faisant croire que c’est une violation du territoire d’un pays libre et indépendant. En outre, il en assure que les Marines ne vont pas violer les droits des citoyens haïtiens.
L’image est choquante par différents procédés : la couleur gris des uniformes accroche tout d’abord notre œil ; les accessoires qui caractérisent l’état d’avertissement ou le sort réservé aux patriotes, aux héritiers des luttes de nos ancêtres pour l’indépendance d’Haïti et pour la sauvegarde de notre souveraineté et notre liberté et dépouillement du décor accentuent l’effet de malaise, de peur, de colère, d’injustice dont victime le peuple haïtien.
L’image est réaliste, riche en significations mais polysémique. La légende qui accompagne l’image va aider à réduire cette polysémie de la photo et la contextualise. Sans la légende, nous ne pouvons pas savoir où l’action se passe, à quelle époque et la problématique soulevée. L’ancrage linguistique complète l’information transmise par la photo et donne des repères sur certains éléments narratifs dans l’image : les sujets impliqués et le contexte d’occupation, d’exploitation.
Le taux d’iconicité du sujet de l’information est élevé, car l’image permet aux lecteurs de reconnaître, d’identifier puis de comprendre ce qui se passe pour ces patriotes (les cacos en particulier) ayant du sang de Dessalines qui coule dans leur vaine. Et le rapport de force inéquitable.
Les lignes obliques dominent la photo. La lecture de la photo se fait en suivant un parcours en Z, nous essayons d’adapter ce modèle de lecture à toutes les photos que nous étudions dans notre travail (le titre, l’image et la légende). L’image est cadrée à la verticale et les éléments qui la composent sont organisés en trois paliers : les Marines en avant-plan, hors-foyer, les palmes au second plan et le décor en troisième plan, et un drapeau des Etats-Unis à l’arrière-plan.
Le photographe est placé à gauche par rapport à la scène photographiée ; l’angle de prise de vue est en légère contre-plongée, ce qui produit un certain effet d’agrandissement des sujets, surtout ils sont en état de supériorité, débout et en position de défiler. La photo est réaliste et objective, elle a une fonction notionnelle et c’est une photo de reportage. L’image permet de faire une première référence à des Marines américains à cause de leur uniforme (couleur gris). L’espace recouvert de palme renvoie à la réalité du quartier général, lieu où se base les Marines.
Ces images des Marines mobilisés débout, avec les pieds en position de défiler, portant des fusils et des chapeaux, des ceintures, des bottes en pied, suggérant à la fois le danger et l’humiliation. La photo étonne le spectateur et l’émeut par la mise en situation inattendue et le rapport de force démesuré. En outre, c’est un grand étonnement pour le public haïtien de trouver des photos durant l’occupation états-unienne d’Haïti.
L’image de la rue à l’avant-plan crée l’effet d’une loupe à travers laquelle le spectateur/lecteur regarde, examine, découvre une réalité … La question qui vient à l’esprit c’est « n’avait-il pas des civils dans la rue ? ». Et ceci, on peut voir la posture de ces Marines qui allaient ôter la vie de plus de 40 000 haïtiens, avec un rapport de force inégalé ayant machette contre arme à feu. La photo joue le rôle ici de preuve, elle est descriptive : elle montre d’abord un environnement ouvert, une rue seulement occupée par les Marines, dans un lieu reboisé ; elle va aussi témoigner des conditions de vie des sujets (civils) occupé par des Marines.
L’effet d’opposition est bien mis en évidence par le kaki qui contraste avec l’environnement boisé et avec les zones d’éclairage entre l’avant-plan un peu sombre et l’arrière-plan clair. Les couleurs des uniformes sont en contraste avec celles de l’espace représenté, d’une population qui va s’habituer à peine avec cette sorte de militarisation. Un procédé stylistique d’antithèse met en valeur ce rapport de force, la présence des Marines annonce la présence des patriotes en résistance, entre occupants et occupés (les gens en parades en application des principes militaires contre les gens qui essaient de s’organiser de manière maladroite).
La rue relativement avide de spectateurs hors foyer au premier plan a une valeur métonymique, suggérant une sorte de couvre-feu (i-e seul les Marines ont le droit de circuler librement dans un pays qui n’est pas leur sien.
Le photographe a dû faire cette photo avec un téléobjectif : le foyer s’est fait sur l’arrière-plan, donnant ainsi une bonne profondeur de champ à l’image tout en créant un net en avant-plan. Peu d’effets sont observables car le but de la photo est de témoigner d’une réalité et non d’être esthétique. Tout comme la photo de couverture de l’ouvrage Occupation américaine d’Haïti de Suzy Castor représente un échantillon de Marines bien armés et en posture militaire.
Cette image a été diffusée sur la page web intitulée : Bassin Zim, sur le site Internet Haïti Renouveau, en 2004. Elle est présente dans d’autres articles et dans d’autres pages web mais on l’utilise seulement comme support documentaire. Les Marines représentés dans la photo expriment l’intervention des puissances étrangères ouvertement dans la politique haïtienne comme la France, l’Allemagne, et les Etats-Unis en 1915 en appuyant la lutte des différentes actions pour la conquête du pouvoir.
Ce que vont dénoncer nombreux compatriotes de cette situation tragique. Une politique de conquête des Etats-Unis, où notre souveraineté est mise en question automatiquement. Cette politique du Big Stick frappait la zone des Caraïbes, comme l’amendement plat à Cuba, l’achat du Canal de Panama, la formation artificielle de la République Dominicaine y compris l’occupation des Douanes, au Nicaragua…Etc.
Ces antécédents-là expliquent que l’envahissement d’Haïti est une évidence de ce destin manifeste. Les Etats-Unis, au stade impérialiste, n’a que deux objectif : protéger leurs capitaux et assurer à leur investissement des conditions de profit maximum. A cette intervention, Theodore Roosevelt avance : « Il est nécessaire d’apprendre aux haïtiens les règles élémentaires de la civilisation et de l’autogouvernement. » D’autres porte-parole avance que ça rentre dans le cadre de la doctrine de Monroe169.
Ayant pour mission de maintenir des milliers d’haïtiens dans les travaux forcés, à travers la corvée, la gendarmerie a causé beaucoup de morts. Selon les témoignages recueillis par Hooker à propos de Maissade, « Quelques – uns (i-e haïtiens dans la corvée) déclarèrent qu’ils avaient reçu 30 centimes de gourdes par jour… ».
« Le point essentiel de recoupement de toutes ces déclarations était que la corvée continuait d’être en usage, et aussi que plusieurs personnes avaient été tuées… »170. Le 8 mars, « le P. Belliott, le magistrat Sévigné Péralte, le juge de paix Moncey Malary déclarèrent que beaucoup de personnes avaient été tuées à la mitrailleuse et que la corvée avait constamment en opération.
Le capitaine Lavoie admit qu’il avait tué six prisonniers et qu’il les avait exécutés pour désobéissance aux ordres… ».
Effectivement, on a connu une instabilité politique au début du XXème siècle. Entre 1909-1915 se succèdent au pouvoir sept présidents, tous renversés par des mouvements insurrectionnels. Vilbrun Guillaume Sam, le dernier, resta au pouvoir quatre mois en termes desquels, menacé par des factions en arme, il institua un régime de terreur qui culmina juste avant sa chute, par l’assassinat à la prison de Port-au-Prince de 173 prisonniers politiques. Le peuple, fou de rage, poursuivit l’ex-président déchu et le chef de la prison Charles Oscar Etienne jusqu’à l’ambassade de France et au consulat Dominicain où ils s’étaient refugies, et les exécuta en plein rue le 28 juillet 1915. De-là, le Département d’Etat trouve une opportunité pour l’occupation d’Haïti.
L’œuvre est diffusé dans le site d’Haïti-renouveau et dans le site d’US Militaria Forum. On ne construit aucun discours ayant rapport à une analyse d’image, justement on présente la photo comme un document d’archives. Le site de Basin Zim a rapport à une sorte d’appropriation des évènements historiques d’époque en rapport avec des abris des cacos au Bassin Zim (zone de refuge des cacos situant dans la commune de Cerca-Carvajal entre Papaye, près de Hinche, et Démahague, localité de Cerca-Carvajal). Le site américain présente la photo dans un souci de s’affirmer comme puissance impérialiste de l’époque concerné qui a écrasé le mouvement socio politique des cacos.
La photo étonne plus d’un, dans la mesure où personne ne pense que la photographie a déjà fait un tel exploit. Ces photos ne se diffusent pas au grand public, les diffusions ne viennent qu’au début du XXIème siècle. C’est pourquoi, de concert avec les travaux des historiens de la période, nous les analysons et les mettre à la disposition du grand public que ce soit à travers conception d’un projet de musée de la photographie ou à travers des expositions dans des institutions œuvrant dans la dynamique de promouvoir les travaux de mémoire.
En somme, la photo ici est à la fois descriptive (informe sur une situation) et symbolique (joue sur les codes gestuels, chromatique et rhétorique entre militaires et prisonniers). L’action photographiée semble avoir été saisie sur le vif, pas de trucages techniques et veut attester ainsi de l’authenticité de l’événement. Le grand public ainsi que les organisations de défense des droits de l’homme sont les destinataires visés.
En outre, les figures représentées, leur uniforme, représentent les bourreaux de la population haïtienne. Ce sont des gens qui ont causé des actes d’extrême barbarie dans la mesure où ils ont eu leur emprise sur notre économie et notre politique. En fait, les institutions du pays étaient en train de fonctionner sous la pointe des baïonnettes des Marines.
Ceux-ci n’ont fait qu’ôter la vie brutalement des milliers d’haïtiens durant cette période. Enfin, l’image, par sa sobriété et sa légende, montre sans artifices une situation d’humiliation inacceptable en démocratie, ce qui vient confirmer le rôle émotif que peut jouer une image qui informe certes, mais qui cherche aussi à faire réagir, à susciter la réflexion et éventuellement l’engagement.
Dans l’image représentée dans la page de couverture de l’ouvrage Occupation américaine d’Haïti, Suzy Castor a déjà fait une représentation de l’identité des Marines, les conditions géo climatiques auxquelles les assauts contre les cacos ont eu lieu dans leur camp. A noter que c’était dans les hauteurs des montagnes qu’ont attaques sanglantes contre les cacos comme s’est illustrée dans l’image de couverture de l’ouvrage de Suzy Castor.
Par contre, Roger Gaillard, dans l’image représentée dans la page de couverture de son ouvrage, a mis l’accent Charlemagne Péralte ; l’icône, l’une des figures emblématiques du mouvement social des cacos. C’est sans doute pour contredire imagiquement l’image de sanguinaire qu’on a fait circulé et attribué à Charlemagne Péralte.
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167 www.hatirenouveau.com/BASINZIM.html ↑
168 www.usmilitariaforum.com publié le 18 February 2009 – 06:28 AM ↑
169 (Castor Suzy, n.d., p 28-29) ↑
170 (Gaillard Roger 1981, p 87) ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelle est la signification de la photo de la parade des Marines pendant l’occupation d’Haïti?
L’image de ces Marines en parade soulève une vague d’indignation d’un côté et un ‘honneur’ de l’autre côté, illustrant les rapports occupants/occupés.
Comment la légende d’une photo influence-t-elle sa compréhension?
La légende qui accompagne l’image aide à réduire la polysémie de la photo et la contextualise, fournissant des repères sur le lieu, l’époque et la problématique soulevée.
Quels éléments visuels sont présents dans la photo des Marines?
La photo montre des Marines en uniforme kaki, portant des pistolets, avec un drapeau américain en arrière-plan, et des palmes au second plan, créant une composition riche en significations.