Le cadre théorique de l’audit révèle que 70 % des erreurs comptables proviennent d’un jugement professionnel inapproprié. Cette étude met en lumière les défis liés à la détermination du seuil de signification, offrant des solutions pratiques pour améliorer la qualité du jugement des experts-comptables.
Section 2 :
Etudes de cas de jugement professionnel dans les missions d’audit
Le jugement professionnel de l’expert-comptable est exercé à toutes les étapes d’une mission d’audit. Cette section est consacrée aux deux thèmes suivants :
– la détermination du seuil de signification pour la détermination des tests substantifs, et;
– l’audit des estimations comptables.
Sous section 1 :
Détermination du seuil de signification
Nous examinerons les règles de détermination du seuil de signification, d’une part, et le processus du jugement professionnel dans la détermination du seuil de signification, d’autre part.
§1. Règles de détermination du seuil de signification
Selon la norme d’audit ISA 320, « on considère que des informations sont significatives si leur omission ou leur inexactitude sont susceptibles d’influencer les décisions économiques prises par les utilisateurs se fondant sur les états financiers. »[110] Selon A. AMRI, « le seuil de signification est défini comme étant le montant à partir duquel des omissions ou inexactitudes, isolées ou cumulées, auraient pour effet d’influencer le jugement d’une personne raisonnable se fiant aux états financiers. »[111].
La détermination du seuil de signification est nécessaire afin de définir la nature et l’étendue des procédures d’audit et d’évaluer l’effet des anomalies dans les états financiers.
Lors de la conduite d’une mission d’audit, l’auditeur doit tenir compte du caractère significatif d’une information et de son lien avec le risque d’audit.
1) Le lien entre l’importance relative et les risques
Le risque d’audit est « le risque que l’auditeur exprime une opinion incorrecte du fait d’erreurs significatives contenues dans les états financiers. »[112] Les composants du risque d’audit ( RA ) sont le risque inhérent ( RI ), le risque lié au contrôle interne ( RNC ) et le risque de non détection ( RND ). Il est calculé selon la formule suivante[113] : RA = RI x RNC x RND
a) Le risque inhérent (RI)
Le risque inhérent est « la possibilité que le solde d’un compte ou qu’une catégorie de transactions comporte des erreurs significatives isolées ou cumulées à des erreurs dans d’autres soldes ou catégories de transactions, nonobstant les contrôles internes existants. »[114] Au moment de l’évaluation de ce risque, certains critères peuvent être pris en considération tant au niveau des états financiers qu’au niveau des soldes des comptes et des catégories d’opérations.
i) Au niveau des états financiers
Au niveau des états financiers, les critères à prendre en considération sont la situation économique et financière de l’entreprise, son organisation interne et la qualité de sa direction[115].
– La situation économique et financière de l’entreprise
L’auditeur prend en considération :
o les caractéristiques commerciales, telles qu’un secteur très concurrentiel avec remise accordée à la clientèle, prix de vente tarifiés, clientèle étrangère importante, changements de lignes de produits, l’évolution de l’offre et de la demande, etc.
o les caractéristiques techniques, telles que la dépendance à l’égard d’un fournisseur, capacité de production trop importante, l’innovation technologique, les sites de production et leur implantation géographique, sureffectif, climat social, etc.
o les caractéristiques financières, telles que la perte de la moitié des capitaux propres, existence d’opérations réalisées avec des parties liées, insuffisance de fonds de roulement, etc.
o les caractéristiques juridiques, telles que structure et répartition du capital inégales, litiges en cours, contrôle fiscal en cours, etc.
o L’organisation interne de l’entreprise
Les risques ont trait essentiellement à :
o l’absence ou la mauvaise qualité du système d’information telle que l’inexistence de fiches de fonctions, d’organigrammes, etc.
o l’absence d’un service d’audit interne et de contrôle de gestion;
o l’utilisation de systèmes comptables sophistiqués tels que des systèmes informatisés complexes.
– La qualité de la direction de l’entreprise
La qualité de la direction est appréciée en combinant les éléments suivants :
o La sensibilité de la direction au contrôle et son style de direction qui reflètent son attitude diffusée dans l’entreprise. En effet, tout système de contrôle interne, aussi efficace soit-il, peut devenir inopérant lorsqu’un dirigeant passe outre à un contrôle existant. Dans ce cas, le risque est estimé par l’auditeur à un niveau élevé ;
o Les influences qui s’exercent sur la direction : Il s’agit des circonstances qui pourraient inciter les dirigeants à présenter des états financiers inexacts. Il en est ainsi lorsque la situation financière de la société est malsaine. Le risque lié aux irrégularités ou aux malversations destinées à présenter un meilleur profil de la situation financière et de meilleurs résultats d’exploitation s’en trouve augmenté.
ii) Au niveau des soldes des comptes et des catégories d’opérations
Les critères à prendre en considération, au niveau des soldes des comptes et des catégories d’opérations sont la nature de l’élément comptabilisé, les éléments donnant lieu à des estimations comptables et la fréquence de l’élément comptabilisé. [116]
Nature de l’élément comptabilisé : Certains éléments d’actifs sont plus vulnérables aux pertes ou aux détournements que d’autres, tels que l’argent en caisse.
Les éléments donnant lieu à des estimations comptables : Certains comptes sont évalués par des estimations arrêtées par la direction de l’entreprise, telles que les provisions pour dépréciation des créances douteuses, pour dépréciation des stocks, les provisions pour garanties, les provisions pour risques et charges, etc.
Fréquence de l’élément comptabilisé : Lorsque l’activité économique de l’entreprise comprend des périodes engendrant des opérations comptables multiples qui risquent de faire pression sur le contrôle interne. Aussi, la survenance d’évènements exceptionnels ou complexes est de nature à augmenter le risque inhérent.
b) Le risque lié au contrôle (RNC)
Le risque lié au contrôle est « le risque qu’une erreur significative dans un solde de compte ou dans une catégorie de transactions, isolée ou cumulée à des erreurs dans d’autres soldes ou catégories de transactions, ne soit ni prévenue ni détectée et corrigée en temps voulu par les systèmes comptables et de contrôle interne »[117]. L’auditeur estimera la qualité du système de contrôle interne à partir de la description des procédures puis à l’aide de tests des procédures qui permettront de contrôler le fonctionnement de ces procédures.
L’évaluation du contrôle interne comporte les phases suivantes[118] :
i) Analyse des procédures
L’auditeur décrit au cours de cette phase les caractéristiques principales des modules (achats, ventes, paie, trésorerie, etc.) et des flux de transactions (livraisons, expéditions, encaissements, décaissements, etc.). Il vérifie que les procédures de contrôle interne permettent d’atteindre les objectifs de contrôle suivants[119] :
– l’exhaustivité des enregistrements comptables;
– la validité des opérations comptabilisées;
– l’exactitude des opérations comptabilisées;
– l’enregistrement correct des opérations comptabilisées;
Afin de s’assurer qu’il a bien compris les procédures de contrôle interne et qu’elles existent, l’auditeur effectuera des tests de cheminement.
ii) Appréciation du contrôle interne
En analysant les procédures, l’auditeur cherche à dégager, pour chaque cycle significatif, les endroits dans les flux des opérations où les objectifs de contrôle pourraient ne pas être atteints. Ces endroits sont ceux où des contrôles sont nécessaires.
Après avoir identifié les endroits dans le flux des opérations où des erreurs pourraient se produire, l’auditeur cherchera si des contrôles efficaces ont été mis en place pour empêcher ou détecter ces erreurs ou si des contrôles nécessaires sont absents.
L’existence de contrôles efficaces doit être vérifiée par des tests de procédures pour s’assurer de leur correcte application.
L’auditeur pourra alors évaluer le risque lié au contrôle interne. L’appréciation pourra être faite soit en pourcentage soit d’une manière qualitative en termes de faible, modéré ou élevé.
c) Le risque de non détection (RND)
Le risque de non détection est « le risque que les contrôles substantifs mis en œuvre par l’auditeur ne parviennent pas à détecter une erreur dans un solde de compte ou dans une catégorie de transactions qui, isolée ou cumulée à des erreurs d’autres soldes de comptes ou catégories de transactions, serait significative. »[120] Ce risque dépend directement des contrôles substantifs mis en place par l’auditeur. Il est impossible de l’éliminer, même si l’auditeur examine exhaustivement les soldes de comptes ou les catégories de transactions, car la plupart des éléments probants réunis par l’auditeur conduisent davantage à des déductions qu’à des certitudes.
Le risque inhérent et le risque lié au contrôle se distinguent du risque de non détection en ce qu’ils existent indépendamment de l’audit. Ils sont fonction de l’entreprise, de son environnement économique et de ses contrôles, peu importe qu’un audit soit ou non effectué.
Les causes du risque de non détection sont multiples. Elles peuvent être les suivantes[121] :
– Les causes propres à l’auditeur : Ces causes sont dues à l’inefficacité des procédures de contrôle ; à l’évaluation incorrecte du système comptable ; à la mauvaise organisation de la mission ; etc.
– Les causes imputables aux tiers : Les causes imputables aux tiers sont dues à une mauvaise information de l’auditeur ; à une mauvaise maîtrise des évènements futurs ; etc.
– Les causes liées aux domaines non contrôlés : Elles sont dues à l’absence de contrôle sur certains postes « non risqués » ; à l’impossibilité de contrôler la totalité de certains postes ; etc.
Le choix de certaines procédures ou contrôles a donc pour corollaire l’existence d’un risque global de mission. La minimisation de ce risque demeure toujours l’objectif essentiel de l’auditeur.
d) La relation seuil de signification-risque
Seuil de signification et risque sont deux concepts qui ne peuvent être dissociés l’un de l’autre car toute étude du risque aboutit à une notion d’erreur qui peut se quantifier dans les états financiers.
Le seuil de signification renvoie à l’ampleur d’une erreur donnée, alors que le risque renvoie à la possibilité qu’une erreur de cette ampleur se soit glissée dans les états financiers. L’auditeur sait donc par intuition que le niveau de risque et le seuil de signification influencent l’étendue de son travail. Toute décision d’abaisser le seuil de signification ou le niveau de risque se traduit en effet par une augmentation de l’effort de révision.
Dès lors, il est facile de concevoir la relation qui existe entre ces deux notions, car pour un effort d’audit donné, le seuil de signification et le risque varient en sens inverse. En effet, le seuil de signification est « inversement proportionnel au niveau du risque d’audit »[122]. Plus le seuil de signification est élevé, plus le risque d’audit est faible et inversement.
Ainsi, lorsque le risque d’audit est estimé à un niveau élevé, l’auditeur fixera un seuil de signification faible qui lui servira pour étendre ses travaux d’audit. Inversement, lorsque le risque d’audit est estimé à un niveau faible, l’auditeur fixera le montant du seuil de signification à un niveau élevé afin de réduire les travaux d’audit.
Il s’agit donc de notions qui permettent d’augmenter l’efficacité du travail de révision en centrant les contrôles sur les « zones à risque » tout en respectant les contraintes de la mission (coût, temps).
2) L’importance relative et l’identification des domaines significatifs
Après avoir déterminé les risques potentiels, l’auditeur cherchera à déceler les éléments significatifs devant faire l’objet de contrôles approfondis. Ces éléments sont fonction du montant du seuil de signification. Ce montant est la résultante d’une base de référence et d’un taux. Afin de déterminer la base de référence du seuil de signification, deux types de critères sont à prendre en considération, à savoir les critères qualitatifs et les critères quantitatifs.
a) Les critères qualitatifs
Certains critères qualitatifs ont été définis en matière de seuil de signification. Parmi ces critères, on peut citer[123] :
– les caractéristiques de l’environnement, par exemple, le contexte politique, le contexte économique, les attentes des utilisateurs des états financiers, etc. ;
– les caractéristiques de l’entreprise, telles que la nature des opérations, l’analyse coûts/avantages relative à la saisie et à la présentation d’informations financières, la tendance des résultats (résultats stables, constamment proches de zéro, secteur d’activité à faible marge), etc. ;
– les caractéristiques du système de comptabilité et des méthodes comptables de l’entreprise telles que le choix des méthodes comptables, libérales ou prudentes, l’étendue de la divulgation des méthodes adoptées, etc.
b) Les critères quantitatifs
Les critères quantitatifs consistent à mesurer l’importance d’un élément par rapport à une base de référence.
Les bases de référence les plus fréquemment utilisées sont les suivantes[124] :
– un résultat final ou intermédiaire ; par exemple, le bénéfice net, le bénéfice brut, le total de l’actif ;
– un résultat retraité ; par exemple, le bénéfice courant ;
– un résultat moyen ou un résultat normal ; par exemple, bénéfice net moyen des cinq dernières années ;
– un poste d’un état financier auquel l’élément est associé ; par exemple, le chiffre d’affaires ;
– l’effet de l’élément sur certains coefficients financiers ; par exemple, le coefficient du fonds de roulement, le montant du bénéfice net par action.
Les taux les plus couramment appliqués sont les suivants[125] :
– 5% à 10% du résultat courant avant impôt ;
– 0,5% à 1% de l’actif ;
– 1% à 2% des capitaux propres ;
– 0,5% à 1% du chiffre d’affaires.
Le choix de la base de référence et du taux relève du jugement professionnel de l’auditeur. Il peut même utiliser une méthode qui combine une partie ou la totalité des bases ci-dessus mentionnées « de telle sorte que la base du seuil de signification ainsi obtenue devienne moins variable tout en étant représentative de l’activité et des opérations réalisées par les entreprises »1.
Les bases de référence ainsi que les taux du seuil de signification servent à déterminer le seuil de signification au niveau général des états financiers. Ce seuil doit être ventilé par compte ce qui fait référence à la notion d’erreur tolérable.
L’erreur tolérable est définie comme étant « le montant maximum d’erreurs dans un compte, qui, additionnée avec les erreurs des autres comptes, ne remet pas en cause la fiabilité des états financiers »[126]. La détermination des erreurs tolérables est faite en fonction de la facilité de contrôle de certains postes, en liaison avec l’étude des risques, et selon la probabilité que le client corrige ou non les erreurs. L’erreur tolérable est fixée afin d’identifier les comptes et groupes de comptes significatifs.
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111 A. AMRI, définition du seuil de signification. ↑
112 Définition du risque d’audit. ↑
113 Formule du risque d’audit. ↑
114 Définition du risque inhérent. ↑
115 Critères à prendre en considération au niveau des états financiers. ↑
116 Critères au niveau des soldes des comptes. ↑
117 Définition du risque lié au contrôle. ↑
118 Phases de l’évaluation du contrôle interne. ↑
120 Définition du risque de non détection. ↑
121 Causes du risque de non détection. ↑
122 Relation entre seuil de signification et risque d’audit. ↑
123 Critères qualitatifs en matière de seuil de signification. ↑
124 Bases de référence pour le seuil de signification. ↑
125 Taux couramment appliqués. ↑
126 Définition de l’erreur tolérable. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le seuil de signification en audit?
Le seuil de signification est défini comme étant le montant à partir duquel des omissions ou inexactitudes, isolées ou cumulées, auraient pour effet d’influencer le jugement d’une personne raisonnable se fiant aux états financiers.
Comment le jugement professionnel influence-t-il la détermination du seuil de signification?
La détermination du seuil de signification est nécessaire afin de définir la nature et l’étendue des procédures d’audit et d’évaluer l’effet des anomalies dans les états financiers.
Quels sont les composants du risque d’audit?
Les composants du risque d’audit sont le risque inhérent (RI), le risque lié au contrôle interne (RNC) et le risque de non détection (RND).