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Analyse de la politesse et de l’émotion dans Ravisseur

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🏫 Université d’Oran - Faculté des Langues, des Lettres et des Arts - Département des Langues Latines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de magister - 2009-2010
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Dris Ghezala
Mlle Dris Ghezala

La politesse et émotion dans Ravisseur sont essentielles à la dynamique des dialogues, révélant les stratégies linguistiques qui façonnent les interactions des personnages. Cette analyse discursive met en lumière comment ces éléments influencent la progression de l’intrigue et la représentation des idéologies dans le récit.


3. Manifestations linguistiques de la politesse et de l’émotion

3.1. La politesse

La pragmatique linguistique s’intéresse au fonctionnement de la politesse dans les interactions verbales vu la force qu’elle exerce dans les énoncés des personnages. Ce domaine d’investigation est né vers les années 70 avec les travaux de Lakoff, Leech, et particulièrement Brown et Levinson qui ont élaboré un système théorique célèbre s’articulant sur la notion de face.

Ce modèle explique que dans chaque conversation, quatre faces sont présentes : La face négative qui correspond à ce que Goffeman décrit comme les « territoires du moi » (territoire corporel, spatial, temporel, bien matériels…), et la face négative qui correspond au narcissisme, et à l’ensemble des images valorisantes que les interlocuteurs construisent.

La politesse recouvre les « aspects du discours qui sont régis par des règles, et dont la fonction est de préserver le caractère harmonieux de la relation interpersonnelle »1 et s’applique aux comportements verbaux et non verbaux.

Les interlocuteurs accomplissent des actes verbaux et non verbaux qui peuvent constituer des menaces pour les faces. Il est possible de distinguer deux types d’actes : actes menaçants et les actes valorisants. Les premiers font partie de la politesse négative, les seconds de la politesse positive. Ainsi la politesse est le fait de ménager les quatre faces : faces positive et négative du locuteur- faces positive et négative de l’allocutaire qui entrent en jeu dans une interaction.

L’acte de converser est valorisant pour les faces positives et agressif pour les faces négatives comme le signale Maingueneau2, parce que le seul fait d’adresser la parole à quelqu’un constitue déjà une menace pour la face négative de celui-ci : on lui prend son temps, on le force à écouter, à s’intéresser à ce qui est dit.

Le langage dispose de moyens non verbaux et une série de formules visant à éloigner les menaces à réparer les agressions ou à signaler à l’autre qu’il nous attaque.

Dans les actes de langage, on peut distinguer des actes menaçants et des actes valorisants.

Dans son ensemble, la conversation est un acte poli parce qu’elle est signe d’altruisme, d’intérêt pour l’autre, mais dans certaines circonstances, elle peut se transformer en acte impoli. La politesse impose alors d’amortir l’agression, en recourant aux adoucisseurs. La préoccupation des interlocuteurs est donc de ménager les faces positive et négative d’autrui.

L’ordre constitue une agression de la face négative de l’interlocuteur qui soit en droit de le donner « quand on ordonne, on exige en invoquant une position de force ou d’autorité » 3 Sur le plan des formules de politesse susceptibles d’accompagner la formulation de l’ordre, les adoucisseurs sont nombreux et visent à atténuer la supériorité du donneur d’ordre.

  • Je voudrais un miroir, dis-je.

J’insistai.

  • S’il vous plaît, soufflai-je, ma langue évitant l’espace vide dans ma gencive. (p. 124)

Dans cet exemple, des procédés substitutifs sont utilisés pour remplacer la formulation directe de l’ordre par une formulation plus douce. Il s’agit de l’emploi du désactualisateur modal dans la première réplique (verbe au conditionnel), et d’un procédé accompagnateur dans la seconde réplique (s’il vous plaît).

L’excuse et la justification figurent parmi les procédés d’adoucissement. Citons ces deux exemples :

Exemple1

Elle se tut et reprit aussitôt :

  • Tu as raison, l’amour, ça s’apprend. En tout cas, il exige de l’entraînement. Ces histoires d’instinct maternel, c’est juste valable pour les animaux.

Puis, brusquement et me regardant :

  • Ton exemple est on ne peut plus éloquent. Je ne pus empêcher un raclement de gorge.
  • Je suis désolée, dit Yasmina écartant les bras en signe d’impuissance.
  • Il n’y a pas de quoi, dis-je. Ça ne mefait absolument rien. (p. 128)

Cet exemple obéit à l’organisation globale de l’excuse qui est de nature ternaire :

  • Offense produite par L1 (Yasmina)
  • Excuse produite par L1(Yasmina)
  • Réaction produite par L2 (Samira)

L’échange binaire entre Yasmina et Samira est déclenché par l’acte d’offense. La réalisation de l’excuse se fait au moyen du verbal et non verbal (paroles et geste). Yasmina accomplit un acte d’excuse qui annule la menace sur le territoire de sa sœur l’obligeant à compenser par sa réponse. En effet, la réaction positive de Samira qui, se fait sous forme de dénégation de l’offense, vise à rétablir un rééquilibre dans la conversation.

Exemple1

  • Enfin, l’imam ! auriez-vous oublié qui je suis ?
  • Aziz Zeitoun le pêcheur.
  • Et le bienfaiteur ! s’exclama mon père en brandissant un index.

Mon père exultait.

  • Bon, dit-il.

Il appliqua alors une tape amicale sur l’épaule de l’homme.

  • Bon, reprit-il. Ce n’est là qu’un malentendu sans gravité. Oublions tout cela. A présent, il s’agit de retrouver la mère de mes enfants. On ne va pas laisser cet homme emballer nos femmes en toute impunité. Retournez ciel et terre et retrouvez-moi ce traître. Soyez diligent, l’imam, et vous serez récompensé en conséquence. (p. 92)

Aziz menace gravement la face positive et la face négative de l’imam mais menace en même temps sa propre face et se trouve dans l’obligation de réparer la menace sur l’imam afin de continuer l’échange.

Dans cet exemple la menace se trouve adoucie par l’utilisation de l’adverbe « bon », puis interviennent successivement un acte non verbal (tape amicale) et actes verbaux : reprise de l’adverbe, l’excuse exprimée par « malentendu sans gravité » « oublions tout » et l’effacement de la référence directe à l’interlocuteur par l’utilisation du pronom indéfini « on » à valeur de solidarité.

Parmi les procédés accompagnateurs utilisés pour atténuer la menace, nous relevons les minimisateurs comme dans l’exemple suivant :

  • Ce n’est pas la peine de le prendre comme ça, dit Amina en les rattrapant dans le couloir. Je voulais juste dire que maman n’a pas eu besoin d’attendre une autre vie pour être dédommagée…(p.102)

La demande constitue également un acte menaçant. Poser des questions est essentiellement une menace, une agressionpour une menace pour la face positive. Mais cet acte menaçant peut être adouci par l’utilisation de divers moyens. Dans l’exemple retenu, la question est entourée d’expression qui fonctionne comme adoucisseur et valorisant (bien, notre sœur bien aimée, juste)

Puis, m’enveloppant de ses yeux de biche égarée, elle reprit :

  • Tu veux bien nous écouter, notre sœur bien aimée ? juste nous écouter ?

Je ramassai os et muscles, raidissant ainsi mon corps. Et ainsi me préparai-je au pire. Bravement.

  • Alors ? fis-je, les regardant une à une. (p.40)

Pour être amortie, la demande est précédée d’un énoncé préliminaire.

  • Vous irez chercher l’imam. s’il refuse, vous irez à Santa Cruz, vous demanderez le curé. Lui ne refusera pas. Qu’il vienne avec le nécessaire à exorcisme.

Comme dans le film… d’accord ? (p. 182)

Samira pour demander à ses sœurs d’aller chercher l’imam et pour s’assurer de l’exécution de sa requête, elle recourt à un énoncé préliminaire qu’est un dialogue pour mettre en confiance ses sœurs et leur annoncer sa requête au 19e tour de parole.

Le reproche constitue un acte menaçant. Il est alors remplacé par un acte moins coercitif qu’est la question.

  • Mais pensez-vous parfois aux conséquences de vos actes ? (p. 168)

L’auteur souligne explicitement le comportement impoli du père dans ses discours et comportements, par contre la politesse d’Allouchi, est signalée par les locuteurs.

  • Il faut dire que Youssef Allouchi est un homme admirable, ajouta ma belle-sœur.
  • (…) Allouchi a promis de s’occuper de vous. Dès que possible. (p. 160)
  • Le voisin, tu sais, Youssef Allouchi…Il m’a vue sur le trottoir en train d’essayer de héler un taxi, il m’en a arrêté un, puis il s’est poliment proposé de m’accompagner… (p. 51)

Chaque locuteur cherche à gagner la face, à augmenter la valeur de sa propre face aux yeux de son partenaire. Ses actes ont pour objectif de gagner du prestige, ce qui consiste à hausser la valeur de son partenaire. Il s’agit ici d’une politesse positive puisqu’il ya possibilité de se valoriser et valoriser l’autre.

L’offre et le compliment relève des actes de langage valorisants. Ils placent en position haute le locuteur puisqu’ils sont valorisants pour les faces du locuteur et son interlocuteur.

Nous relevons trois propositions d’offre : l’offre de Samira qui propose à ses sœurs de les inscrire dans une école d’apprentissage, les promesses du père d’assurer l’avenir de ses filles, l’offre d’Allouchi.

  • Mais que va-t-on devenir ? demanda Amina en levant les bras au ciel.
  • Penser à ce que vous aimeriez… Vous inscrire dans une école d’apprentissage…
  • Mais au moins aimez-vous coudre ? sauriez-vous le faire ? (p. 43)

« (…) Il jura (…) qu’il nous rapporteraient des coupons de soie damascène et indienne et même des bijoux pour nos trousseaux de mariage. (…)

  • Vous serez coiffeuses. Je vous achèterai un salon que les meilleurs architectes de la capitale transformeront en un salon digne des coiffeurs de Paris. (p. 69)
  • (…)Allouchi a promis de s’occuper de vous. Dès que possible.
  • (…) ainsi vous pourrez les rejoindre. Si vous en avez envie, bien sûr. (p. 161)
  • Qui nous envoie des mandats ?
  • Maman et Allouchi, voyons ! (p. 180)

Le locuteur par un ensemble de procédés valorise son partenaire.

Puis comme pour complimenter mon père, ou pour le consoler, bref, terrorisée, elle reprit :

  • Elle a de si jolis cheveux, je ne pouvais pas les avoir oubliés, elle les lavait avec tant de délicatesse, autrefois au hammam… (p.90)
  • Qui a préparé la soupe ? demandai-je.
  • Les jumelles, dit Fouzia.
  • Elle est excellente.

Elles agréent machinalement (p. 182)

Dans cet exemple, nous remarquons que les filles respectent les règles de politesse et réagissent au compliment.

Nous avons évoqué les adoucisseurs, mais l’auteur utilise également les durcisseurs qui sont le pendant négatif. Plusieurs actes menaçants pour la face positive de l’allocutaire sont durcis comme dans les cas de la plainte, de l’indignation, des insultes et du refus.

L’utilisation du pronom tu, le passage du vous au tu (dialogue Aziz Imam) accompagné de l’apostrophe veuve (dialogue Aziz, la veuve) atteste l’atteinte à la face positive du destinataire. Le pronom tu exclut de la sphère de la réciprocité, et l’apostrophe fait déchoir le statut du destinataire.

Pour le refus, les formules changent en fonction de la situation et de l’objet du refus et du statut de l’interactant. On peut aussi refuser de continuer une conversation par une expression telle que « assez » ou un comportement non verbal qui précise que le locuteur veut arrêter la conversation « je simule un bâillement. Mes sœurs quittent ma chambre. Elles n’oublient pas le paquet ». (p. 180). L’auteur centre la représentation de l’acte du langage sur l’accomplissement de l’allocutaire.

________________________

1Orecchioni Kerbrat. La conversation.Armand Colin. 1990. p. 50

2Maingueneau Dominique. L’énonciation en linguistique française. Paris : Hachette. 1999. p. 31

3Vandervecken. Les actes de discours. Liège/Bruxelles : Mardaga. 1998. p. 186

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