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Analyse de l’interaction dialectique dans Ravisseur

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🏫 Université d’Oran - Faculté des Langues, des Lettres et des Arts - Département des Langues Latines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de magister - 2009-2010
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Dris Ghezala
Mlle Dris Ghezala

L’interaction dialectique dans Ravisseur est analysée à travers les types de dialogues qui structurent le récit, révélant comment ces échanges informent à la fois le lecteur et les personnages. L’étude met en lumière leur rôle crucial dans l’avancement de l’intrigue et la représentation des idéologies.


II. 2. Les types d’interaction

Toute conversation fonctionne sur la base des suppositions réciproques que font les partenaires. Ces règles de base constituent les conditions de l’interaction. Nous nous intéresserons, dans le présent point, aux voies que le dialogue emprunte pour informer le lecteur tout en ayant l’impression d’informer les personnages et avancer l’intrigue.

Sylvie Durrer souligne que « la plupart des dialogues romanesques ne constituent pas des interactions à proprement parler, mais des échanges verbaux»1 qui prennent quatre formes définies par les linguistes en : échanges phatiques, didactiques, dialectiques et polémiques. Ces échanges sont actes illocutoires d’assertions (accord et désaccord, demande d’information), de requête ou d’autorité. Ces principaux rapports construisent tout dialogue romanesque.

II. 2 .1. L’interaction dialectique

L’interaction dialectique correspond à l’accord entre les personnages dialoguant. Ce type de dialogue donne l’occasion aux personnages de discourir, confirmant leur relation de familiarité. Il correspond alors à une fonction phatique2.

Ce rapport de base à partir duquel se construit un dialogue à une fonction de redoublement puisque il n’apporte pas d’élément supplémentaire par rapport au dialogue précédent. Hamon3 montre que la fonction du personnage « bavard volubile » est d’«introduire le document ». Or, en réalité il n’y a pas de dialogues gratuits, les paroles masquées par la gratuité, ont toujours pour intention d’informer le lecteur.

Au moment où Nayla convolait, ses filles se regroupent dans la chambre des jumelles et chuchotaient « comme au théâtre ».

  • Pourquoi maman a-t-elle tant pleuré ? dit Noria.
  • Parce qu’elle a peur de ne pas être vierge et que ça fasse scandale, ricana Amina.
  • Ce n’est pas drôle, dit Yasmina.
  • Sché quoi vierche ? relança Noria, visiblement intéressée par la leçon de la jumelle.
  • Comme toi, dit encore Amina encline aux taquineries. C’est du moins ce que nous espérons pour toi, ajouta-t-elle.
  • J’aurais tant voulu être avec elle, fit Fouzia.
  • Pour déguster de l’agneau ou pour profiter de l’érudition de M. Allouchi ? hoqueta Amina.
  • Calme-toi, dit Yasmina. Tes rires vont attirer papa.(p. 64)
  • Fouggia en a marre du poischon, de la schardine schurtout, et moi auschi.
  • Puis :
  • Mais le mariache est blanc, il ne peut pas y avoir de mouton.
  • J’ai senti l’odeur de la viande, protesta Fouzia. Et puis je n’ai jamais assisté à un mariage.
  • Pas le droit, dit Amina. On n’a même pas le droit d’assister au mariage de notre propre mère.
  • Blanc. mariache blanc, s’obstina Noria.
  • Pourquoi ne chantes-tu pas quelque chose au lieu de dire des sottises ? lui dit Yasmina (en passant la main dans ses cheveux) (p.65)
  • Pas le cœur ma schoeurs, pas le cœur.
  • Allons, allons, maman reviendra très vite, dis-je. En attendant, fredonne-nous un peit refrain comme tu en as le secret.
  • Pas le cœur, mes schoeurs, pas le cœur.

– […] (p. 64-65)

– […] (p.66)

  • Et si Allouchi ne la répudiait pas ? s’il se mariait avec elle vraiment ? lâcha Fouzia.
  • Ça ne se peut pas. Il est déjà marié, intervint Yasmina

– […]

  • Ça ne se peut pas. Il est déjà marié, intervint Yasmina.

– (…]

  • Avec la djinnia et c’est bien connu, dit Yasmina.
  • Sché quoi une chinnia ?
  • Une chinoise, railla de nouveau Amina (p.66)

– […] (p. 67

Ce dialogue fait apparaître un accord entre sœurs qui abordent à nouveau le mariage de leur mère. La situation confuse par laquelle passe la famille Zeitoun, et que l’on peut qualifier de farce, amènent les filles à se rassembler dans une chambre pour bavarder. Ce dialogue est plus proche d’une conversation réelle. Cette construction du dialogue(question-réponse), constitue un « enjambement dialogal »4 dans les premières répliques, où la réponse fait l’économie des éléments cités dans la question.

De ce dialogue qui se déploie sur 37 tours de parole, nous pouvons relever quatre répliques intéressantes qui apportent des informations au lecteur déjà annoncées dans la narration.

  • Pas le droit, dit Amina. On n’a même pas le droit d’assister au mariage de notre propre mère.
  • Elle est juste allée à un rendez-vous, là, chez le voisin, histoire de se changer les idées. C’est très courant à cet âge-là, cette envie de changer d’air, d’avoir du bon temps. Même que c’est papa qui lui a donné sa bénédiction.
  • Le boulanger, ce matin m’a chargée de féliciter papa ainsi que ma charmante famille, vous en l’occurrence, et m’a souhaité un parti aussi bon que celui de maman. Les clients ont pouffé de rire, dit Amina d’un trait.
  • Et si Allouchi ne la répudiait pas ? s’il se mariait avec elle vraiment ? lâcha Fouzia (p.66)

Commencée par « pas le droit », la première réplique met en évidence la situation de la femme soumise, cloîtrée. La deuxième dévoile les dessous ou la face cachée de la société et qui sous-entend les relations illégales de l’épouse. La troisième explique que la famille Zeitoun est devenue la risée du quartier et la dernière présente une supposition qui s’avèrera réelle. Ces quatre répliques laissent voir le projet de l’auteur qui remet en question la condition féminine. Ces points de vue sont soulignés dans le discours de la narratrice, mais pour leur donner plus de crédibilité, ils sont réitérés par ses sœurs.

L’idée de l’adultère est reprise ironiquement dans un autre dialogue. Les filles évoquent encore la disparition de leur mère et s’accordent le droit de critiquer leur belle-sœur la qualifiant de sainte et de suspecter leur mère d’adultère.

– […]

  • Qui pourrait imaginer maman s’adonnant à des activités pareilles ? C’est à peine si elle avait le temps de s’occuper de la maison.
  • Allouchi avait-il besoin de fuir, lui ? rétorqua Amina.
  • Il a l’habitude de disparaître. Nous le reverrons bientôt.

– […] (p. 100)

  • Et le divorce civil ? dit Amina.
  • C’est comme a dit l’imam, pour éviter les médisances.
  • Mon petit doigt me dit qu’Allouchi est tombé en amour, s’obstina Amina. Peut-être l’est-il déjà ?

– […] (p.101)

  • J’ai aussi des lectures pieuses qu’approuverait et applaudirait notre sainte belle-sœur. Savais-tu, par exemple, qu’une femme malheureuse dans son mariage connaît les délices de l’amour dans l’au-delà ? Une autre vie, de nouveaux enfants ? C’est écrit noir sur blanc dans le Livre.

– […] (p. 101)

  • Ce n’est pas la peine de le prendre comme ça, dit Amina en les rattrapant dans le couloir. Je voulais juste dire que maman n’a pas eu besoin d’attendre une autre vie pour être dédommagée… (p. 102)

Certes au cours d’un dialogue des relations et des rapports se construisent et se modifient, mais il n’en est pas moins qu’ils se basent tous sur le principe de l’accord. Ce premier rapport permet non seulement aux interlocuteurs de discourir, mais de réfléchir aussi sur des situations et tenter d’apporter des solutions.

L’exemple à retenir est le dialogue dans lequel les filles réfléchissent ensemble à une meilleure solution pour aider leur père devenu fou

  • Il faut absolument faire quelque chose, dit Amina.
  • Mais quoi ? demandai-je.
  • Mis à part l’hôpital, je ne vois rien d’autre.
  • On ne va quand même pas l’interner, dit Yasmina. Après ce qu’il a déjà subi !
  • De toute façon elle s’en échappera, murmurai-je
  • Qu’est-ce que tu dis ?
  • Je dis que tu as raison.
  • Si l’imam….
  • L’imam ? papa le mettra à la porte illico, s’écria Yasmina.
  • Et le curé de Santa Cruz ? dis-je.
  • Tu es folle ou quoi ? tu veux le voir en pièces, ton curé ? je crois qu’il a déjà disparu dans une secousse.(p. 167)

Ce dialogue présente beaucoup de répétitions : les onze tours de parole reprennent les mêmes mots et les mêmes idées. Cette répétition crée des effets de liaison, de rythmeet d’enchainement des répliques au niveau de la structure.

Dans la première réplique, l’emploi de l’adverbe absolument après une forme modale, signale le degré d’urgence du problème à régler. La deuxième réplique enchaîne avec le connecteur mais qui est un simple moyen de s’emparer de la parole pour poser une question. La quatrième réplique développe un contre argument introduit par le connecteur quand même, ce qui permettra au dialogue de se déployer. La cinquième réplique, par le biais du connecteur ré-évaluatif de toute façon, introduit une nuance de concession et opère un recentrage sur du certain.

D’autre part, les dernières répliques sont chargées de non-dits. Amina souligne que son père a été victime d’uneagression mais n’évoque en aucun moment le terme torture. Par la phrase « Le curé a déjà disparu dans une secousse », elle annonce qu’il a été victime d’un

attentatterroriste qui lui a couté la vie. Elle évoque aussi l’intolérance qui régnait, et ce en mentionnant que le curé « sera en pièces » signifiant l’opposition de deux religions.

La reprise de termes par l’interlocuteur est très fréquente dans le dialogue romanesque, citons cet exemple où est utilisé la figure rhétorique, la polyptote.

  • Omar aussi adisparu.
  • Qu’il disparaisse ! vociféra mon père. Qu’il disparaisse ! puisque c’est devenu une habitude dans cette famille ! (p. 86)

C’est sur ce type d’interaction que seconstruit toute conversation. Le principe de l’accord est une dominante dans le dialogue, du moins au début de la conversation malgré cela des désaccordsapparaissent entre les interlocuteurs.

________________________

1 Durer Sylvie. Le dialogue romanesque. Paris, Droz. 1994. p.105

2 Ibid., p. 29

3 Hamon Philippe. Le Personnel du roman. Droz : Genève. 1983.

4 Cf. Jaubert Anna. « Connivence et badinage dans le Mariage de Figaro ». L’information grammaticale n°61. 1994

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