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Analyse des relations affectives dans Ravisseur de Leila Marouane

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🏫 Université d’Oran - Faculté des Langues, des Lettres et des Arts - Département des Langues Latines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de magister - 2009-2010
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Dris Ghezala
Mlle Dris Ghezala

Les relations affectives dans Ravisseur sont analysées à travers le dialogue, révélant comment l’harmonie et la tension entre les personnages influencent la progression narrative. L’étude met en lumière les rôles d’adjuvant et d’opposant, enrichissant la compréhension des dynamiques relationnelles au sein du récit.


La relation affective

La conversation « En créant une harmonie entre deux personnages, elle introduit dans le récit un espace de paix qui contraste avec la tension dramatique globale »1

Par la relation affective, il faut comprendre l’affection et l’hostilité. Ces deux aspects correspondent dans la terminologie de Greimas2 aux fonctions d’adjuvant et d’opposant.

La sœur aînée remplit dans le récit la fonction d’adjuvant, elle soutient et apporte souvent de l’aide à ses sœurs. Lorsqu’Amina et Yasmina lui confient qu’elles ont cessé d’aller à l’école, elle essaye de trouver une solution pour leur permettre de suivre une formation. La complicité des sœurs suggère sans doute une relation d’affection.

  • On reste à la maison, dit-elle.
  • Il n’en est pas question, dis-je, empruntant la voix de ma mère. Vous avez beaucoup de retard dans vos études, ce n’est pas la peine d’aggraver votre situation, ajoutai-je d’un trait.
  • Elle est déjà gravement atteinte, notre situation.
  • Aujourd’hui que maman n’est pas là, on a le courage de l’avouer à quelqu’un, enchaîna Amina (…)
  • Tu veux bien nous écouter, notre sœur bien-aimée ? juste nous écouter ?
  • Alors ? fis-je, les regardant une à une.
  • On a cessé d’aller au collège, dit Yasmina

[…] (p.40)

  • On n’en peut vraiment plus de traîner dans les rues, gémit Amina. Avec ce qui se passe en ce moment, on finira par se faire repérer. On peut compter sur toi pour le dire ?
  • Mais à qui ?
  • A maman…

[…] (p.41-42)

  • Pensez à ce que vous aimeriez… Vous inscrire dans une école d’apprentissage…

[…]

  • Mais au moins aimez-vous coudre ? sauriez-vous le faire ? (p. 43)

[…]

Les sentiments jouent un rôle dans la construction dramatique et sont aussi un indice des relations entre les personnages. Les rapports de familiarité qui régissent les relations des sœurs, se voient doubler ou plutôt confirmer par la relation affective. Par contre les relations entre le père et ses filles relèvent de l’hostilité.

C’est le cas, lorsqu’Aziz soupçonne sa fille d’être à l’origine de sa faillite et sa ruine.

  • Elle me défie ! Ce bigot d’imam me défie ! Allouchi me défie ! Mon fils me trahit. On me mange dans la main et on me défie, on me mange dans la main et on me trahit, disait-il, (détachant les mots, appuyant sur chaque syllabe.) (p. 112)

Nous avons vu que les rapports entre le père et ses filles sont régis par une relation verticale qui reflète une hiérarchie et une hostilité sur l’axe affectif.

Aziz, voulant respecter pieusement les lois de Dieu, et avec l’aide de son fils et l’approbation de son conseiller en affaires religieuses, il marie sa femme à un voisin complaisant, qui la devrait la répudier trois mois plus tard.

Cependant le couple disparaît, son fils aussi, et l’imam approuve ce mariage. La relation bascule de la complicité à la trahison.

Le locuteur s’appuie ici sur la répétition du même verbe (défier), mais pour le fils il emploie le verbe (trahir). Nous remarquons la répétition d’un même patron syntaxique dans l’intervention du père, le seul mot qui change est le verbe :

S + V défier / GN + V défier / S + V défier / GN + V trahir/

P. ind + V manger + GP/ Conj. Coord./ P. ind + V défier + GP

P. ind + V manger + GP/ Conj. Coord./ P. ind + V trahir + GP

La répétition et l’accentuation des syllabes qui accompagnent les gestes agressifs du père (il saisit Samira par les cheveux, les tira jusqu’à ce que ses genoux se plient) sont des indicateurs de la haine qu’il éprouve envers sa fille.

L’auteur utilise divers outils pour placer les personnages dans un rapport affection-hostilité. Ce rapport se construit à travers l’enchaînement des scènes dialoguées et de narrations et l’accumulation d’indices comme les attitudes suspectes, les accusations des voisins.

  • Je crois qu’elle (la mère) n’est plus la même, dit Yasmina. Elle ne serait pas sortie seule si elle n’avait pas changé. (p.41)
  • Mais qui était avec toi (Nayla) dans le taxi ? demanda Omar.
  • Le voisin, tu sais, Youssef Allouchi…Il m’a vue sur le trottoir en train de héler un taxi, il m’en a arrêté un, puis il s’est poliment proposé de m’accompagner. D’ailleurs il faudra penser à le rembourser, c’est lui qui a payé la course… (p. 51)
  • Je vous jure, sidi, reprit-elle (la veuve), je ne pouvais pas rester plus longtemps… J’avais laissé seuls mes enfants, et Allouchi me sommait de rentrer chez moi, sa femme, je veux dire Mme Nayla, me priait aussi de partir…Ce matin, ils avaient l’air pressé… je le tiens d’une voisine, j’ai aussi appris…(p. 88)
  • On dit qu’Allouchi et Nayla… eh bien, on dit que c’est une histoire qui ne date pas d’hier, qu’on les aurait souvent vus ensemble… (p. 89)

Aziz soupçonne son épouse d’adultère, d’avoir corrompu l’imam et manipulé son fils. Au point que, plus tard, il se demande si ses enfants sont les siens et finit par les rejeter.

  • Je ne tolère pas que les filles d’Allouchi m’appellent papa, ni qu’elles m’adressent la parole. D’ailleurs, il faudra songer à vous en aller de chez moi. Je ne vais pas indéfiniment loger les rejetons des autres. (p .152)

L’accumulation des évènements assure une évolution progressive de l’affection à l’hostilité. Nayla, nommée « la voix de son maître » par ses filles, disparaît, pour punir et détrôner ce mari sévère, qui l’a humilié en la mariant à un voisin mystérieux.

Les extraits suivants expriment la haine et le mépris qui ont succédé à la soumission de l’épouse qui décide d’entrer dans une nouvelle vie.

  • S’il faut absolument que je me remarie, que ce soit avec quelqu’un de normal, et loin, très loin, que ce ne soit pas dans le quartier, supplia-t-elle.
  • Il ne manquerait plus qu’elle le choisisse, ce mari ! hurla mon père (quand l’imam lui fit part du refus de ma mère.) (p.16)

Puis, on ne saura jamais pourquoi, Khadidja proposa de la maquiller. Sans mot dire, ma mère lui décocha un regard puisé dans les profondeurs de la géhenne. (p 58)

Prise d’une énergie soudaine, elle déplaça une chaise, redressa un coussin, frotta les poussières de khôl sur l’habit de mariée…Et ses yeux étincelaient bizarrement ; son esprit semblait à des années-lumière d’ici. Elle n’était presque plus Nayla Zeitoun. (p. 59)

  • (…) Elle n’aurait pas jamais supporté de vivre dans le quartier ; cette histoire de remariage lui faisait tellement honte… (p. 160)

Entre Aziz et Nayla, nous assistons donc à une conversion de l’affection à l’hostilité, et en même temps, s’effectue une transition de l’hostilité à l’affection entre Nayla et Allouchi. Nayla qui refusait au départ d’épouser Allouchi, le suit de son plein gré en Angleterre.

  • Il faut dire que Youssef Allouchi est un homme admirable, ajouta ma belle sœur. Je crois qu’ils s’entendent bien. (p. 160)
  • (…) Votre mère l’a suivi de son plein gré. (p. 160)

Par contre, la mère qui n’éprouvait aucune affection pour ses filles au début du roman, le fait à la fin du roman, ce qui laisse Samira croire qu’il ne s’agit pas de sa mère.

Ma mère ne nous avait jamais entretenues comme une mère entretient ses filles (…) (p. 30). Consciemment ou non, ma mère avait jalonné nos rapports de barrières. Si bien qu’elle éradiqua son rôle de gardienne … Des filles. Et ne nous revendiquions rien de plus que ce qui était octroyé, un mot, une phrase dépourvus d’émotion…Tant pis pour l’affection, nous nous en passions bien. (p .31)

Mais que notre mère, Nayla Zeitoun ou Allouchi, quel que soit son nom maintenant, que notre mère donc ait des élans de tendresse, des mots affectueux, de l’intérêt dans la voix et dans les yeux…notre mère à qui personne n’a enseigné les gestes et les mots de l’amour…Vous je ne sais pas, mais moi j’ai l’impression qu’on me prend pour une bille. (p. 190)

Revenant à la relation filles / père. Le retour du père à la maison, après une longue absence, fait que ses filles éprouvent de l’affection pour leur père et s’occupe de lui jusqu’à son décès, même si ce dernier demeure hostile. Toutefois le sentiment de haine de Samira envers son père ne fait qu’augmenter.

Je procèderais autrement pour t’éloigner, Djidji, juste t’éloigner, te renvoyer chez les tiens. A jamais. (p.164)

Pareillement à la relation verticale, nous avons constaté une évolution sur l’axe affectif de l’hostilité à l’affection. Si vers la fin du roman, le père montre une affection, c’est parce qu’il est devenu fou et prend Samira pour sa tante décédée.

Au cours d’un dialogue, des relations interpersonnelles s’établissent entre les interlocuteurs. Les rapports de familiarité, de distance, de force ou d’égalité se réalisent, se modifient et évoluent.

Les paroles échangées sont toujours porteuses d’informations et de messages. Les dialogues insérés n’ont pas uniquement une fonction esthétique mais aussi une fonction informative. Ainsi, chaque dialogue possède une fonction précise. On parle alors de rapports de base ou de type d’interaction.

________________________

1 Berthelot Francis. Op. cit., p. 23.

2 Greimas Julien. « Eléments pour une théorie de l’interprétation du récit mythique » in L’Analyse structurale du récit. Paris, Seuil. 1966, p. 51.

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