L’image de la femme gardienne de la maison dans l’œuvre de Dib

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🏫 Université Kasdi Merbah – Ouargla - Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Département des Langues Etrangères
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MAGISTER - 20010 - 2011
🎓 Auteur·trice·s
Aicha KHEDRANE
Aicha KHEDRANE

L’image de la femme gardienne de la maison :

Dans la société algérienne traditionnelle et colonisée, la claustration de la femme était le résultat du rôle primordial de l’homme. La femme se sentait toujours rattachée à accomplir ses travaux ménagers sans pouvoir sortir si ce n’est pour visiter ses parents ou pour aller aux bains. De ce fait, Mohamed Dib tout en se nourrissant de ce réel, choisit la maison comme cadre pour nous incarner l’image de cette femme gardienne de la maison.

La maison est représentée comme l’espace vital de la femme où elle doit vivre, alors que l’homme passe la plupart de son temps hors de la maison, préoccupé du gagne-pain quotidien. « Les hommes sortaient tôt, aussi les apercevait-on rarement. Ne demeuraient là que les femmes. (G.M p.82) ».

La claustration de la femme doit être de rigueur sur le plan d’habitation et sur le plan vestimentaire. Dib nous décrit ainsi Dar-Sbitar : « Grande et vieille, (…). Elle s’enfonçait plus bas que la chaussée, et, faisant un coude qui préservait les femmes de la vue des passants. (G.M p.71) ».

Malgré l’immensité et la grandeur, Dar-Sbitar, néanmoins, ne ressemble qu’à « une prison. (G.M p.115) ». De même le voile est destiné à protéger la femme jeune ou mariée hors de chez elle. Dans La Grande maison plusieurs séquences narratives représentent Aïni portant son voile. « Aïni derrière, dans son haïk blanc qui s’effilochait de plus en plus sur les bords. (G.M p.152) ».

Aïni, quoique veuve et travailleuse, n’oserait pas franchir le seuil de la porte sans voile, même pour interpeller son fils. « Arrivée à la porte, Aïni, qui n’avait pas son voile, ne put aller plus loin. (G.M p.33) ».

Par ailleurs, la maison est le domaine exclusif des femmes où nul homme ne peut demeurer. Dès l’enfance, chaque garçon est appelé à distinguer l’espace géographique masculin qui lui convient. Dans La Grande maison, Aïni dit à Omar : « Va. Les hommes ne sont pas faits pour la maison. (G.M p.11) ».

Aussi, Aïni n’admet pas la présence de son fils à l’intérieur de la maison en dehors des heures consacrées au repas ou au sommeil. « Omar dans la maison à cette heure-ci, c’était la calamité. Il resta. (G.M p.12) ». Aïni lui crie : « tu n’as pas honte, fille ! (G.M p.12) ». Être traité comme fille est l’injure la plus humiliante pour Omar, car il s’intègre au monde des femmes, et c’est ce que craint Djamal dans Un Été africain, « maintenant, il faut se lever. La maison n’est pas faite pour lui. (UEA p.62) », murmure Djamal.

La maison est le lieu naturel des femmes, et le reste du monde avec tous ses événements appartient aux hommes seuls. Dans la scène qui montre le déclenchement de la deuxième guerre mondiale dans La Grande maison, Dib met en scène des femmes réunies au cours de Dar-Sbitar, faisant une clameur et s’interrogeant sur leur destin ; ensuite un homme Si Salah leur ordonne : « Rentrez dans vos demeures. Tout ce qui arrive là, ne vous concerne pas. (G.M p.181) ».

D’après la parole de Si Salah, il s’avère que les femmes sont exclues de la vie sociale extérieure, quelles que soient les circonstances, comme si elles n’étaient pas concernées du destin de leur pays. Elles devaient uniquement s’occuper de leurs demeures, du ménage, de la cuisine et des enfants ; des tâches spécifiquement féminines.

Alors que l’homme ne vient à la maison que pour manger ou dormir, comme c’est le cas de Djamal dans Un Été africain qui s’adresse à sa femme Nafissa parlant de leur maison : « L’occupante ici, c’est toi, (…). C’est par conséquent toi qui en a la garde. (UEA p.139) ». Nafissa se lève tous les matins de très bonne heure pour prendre « son activité de fourmi laborieuse. (UEA p.139) ».

Tous les quinze ou vingt jours, la corvée en revient à Nafissa. Laver la bâtisse à grande eau, et de fond en comble, le premier jour ; balayer le lendemain. Quelle vie ! (UEA p.62)

Plusieurs autres femmes sont mises en scènes dans les deux œuvres, obsédées par les travaux ménagers, comme Aouicha, la fille d’Aïni qui s’exclame dégoutée : « Toujours moi. Je me souhaite la mort. Peut-être après serai-je tranquille ! (G.M p.55) », ou Badra la femme de Marhoum qui doit pétrir le pain chaque nuit pour que son mari l’emmène au four.

À cet égard, la succession des tâches journalières est mise en valeur comme étant l’occupation principale des femmes, qui par ce travail domestique, assurent pleinement leur rôle social en tant que mère, épouse et fille.

L’image de la jeune fille opprimée :

La maison est l’espace de rassemblement et de concentration de valeurs, mais aussi, un espace d’enfermement où la femme vit recluse et opprimée. Aouicha, Meriem, Zhor et Zakya représentent des personnages féminins à travers lesquels Dib incarne l’image de la jeune fille opprimée dans la société algérienne à l’époque, où les jeunes filles sont vues comme des bouches inutiles. Aïni songe : « Quand donc allait grandir Omar, son garçon, pour la soulager de son faix ? Une fille ne compte pour rien. (G.M p.90) ».

Les propos d’Aïni reflètent la vision répandue dans l’imaginaire collectif algérien, qui tend à la préférence et la suprématie du garçon, au moment où la fille n’est qu’une charge matérielle, un fardeau et une menace pour l’honneur de sa famille. Par conséquent, chaque fille doit être bien élevée, bien gardée jusqu’à ce qu’elle se marie. Ainsi, Aïni parlant du drame d’avoir une fille :

On la nourrit. Quand elle devient pubère, il faut la surveiller de près. Elle est pire qu’un aspic, à cet âge-là. Elle vous fait des bêtises dès que vous tournez le dos. Ensuite, il faut se saigner les veines pour lui constituer un trousseau, avant de s’en débarrasser. (G.M p.90)

En fait, dans l’imaginaire collectif algérien, à la naissance d’une fille viendra s’imposer à la mère l’idée de lui assurer son trousseau du mariage. Un tel fait est épuisant pour plusieurs familles, surtout les pauvres, du fait que ce trousseau est vu comme un objet de fierté, souvent composé de divers objets de valeur (draps, tapisseries, nappes, robes, souliers, accessoires pour la maison). Yamna Bent Taleb parlant du trousseau de sa jeune fille Zakya se montre fière d’avoir achevé cette mission :

Pour ce qui est de moi, tout est prêt depuis longtemps : son trousseau est au complet, il n’y manque pas une taie d’oreiller, un bonnet de bain, ni une épingle. Je lui ai fait trente pièces de chaque effet, trente robes de soie, trente chemises, trente… (UEA p.103)

De même, on marie la fille très jeune pour se débarrasser de sa charge matérielle et de la peur du scandale. Zakia dans Un Été africain, privée de continuer ses études et de travailler comme institutrice, est obligée de conclure un mariage qu’elle ne voulait pas. Sa grand-mère déclare :

Le seul et unique capital d’une jeune fille n’est ni son instruction, ni son savoir-faire, ni même sa beauté, mais son…innocence ! Sans ça, elle ne vaudrait fichtre pas un liard coupé en quatre ! …(UEA p.107)

Par ailleurs, Mohamed Dib aborde dans son œuvre Un Été africain un autre phénomène assez répandu dans l’imaginaire collectif algérien, représenté dans le mariage endogame, ou la priorité du mariage entre les cousins, ce qui permet tout en restant dans les limites de la volonté de Dieu d’éviter la circulation de l’héritage, et de garder tout à fait la jeune fille près de sa famille. C’est ce qu’affirme Yamna Bent Taleb à son frère parlant du mariage de sa fille Zakia avec son cousin Sabri :

Son père estime que, mariée à son cousin, notre fille nous restera…Ce garçon continuera à vivre chez nous…Et mon mari ne sera pas obligé de lui remettre la part d’héritage de ma défunte belle-sœur…(UEA p.130)

En outre, la fille pubère doit vivre à l’abri des regards masculins, et le seul homme que ses yeux ont le droit de voir est son mari. Elle doit obéir aux interdits et ne pas franchir les limites. Ainsi, Aïni tient le même langage avec sa voisine Zina : « Quand une femme ouvre les yeux, c’est pour regarder un seul homme. Son mari. Une jeune fille, il faut élever un bon mur entre elle et le monde. (G.M p.76) ».

C’est ce qu’affirme Aouicha en racontant à sa mère comment elle a reçu un couffin d’aliments de la part de leur cousin : « Je me suis mise derrière la porte pour qu’il ne me voie pas. (G.M p.158) ». Elle montre ainsi son obéissance aux interdits.

La crainte d’un acte de déshonneur pour la famille fait de la jeune fille une femme gardée, surveillée, cloîtrée et vite mariée, même si c’est un mariage imposé, peu importe, la fille doit être sauvée. La grand-mère de Zakya s’exprime : « Il n’y a que les… filles perdues qui, pour leur malheur, ne se conforment pas à cette sainte loi. (UEA p.107) ». D’ailleurs « n’importe quel homme convient à n’importe quelle femme. (UEA p.108) », ajoute la grand-mère.

À vrai dire, la jeune fille a vécu traditionnellement une vie marginalisée, enfermée dans la misère et l’ignorance. Et si Zakya dans Un Été africain a eu la chance d’étudier et d’être une bachelière, toutes les femmes de La Grande maison n’ont jamais été à l’école.

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