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Analyse du pouvoir d’amendement parlementaire au Sénégal

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🏫 UNIVERSITE GASTON BERGER DE SAINS-LOUIS - UNITE DE FORMATION ET DE RECHERCHE DE SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MASTER II - 2020
🎓 Auteur·trice·s
BABACAR CISS
BABACAR CISS

Le pouvoir d’amendement parlementaire est essentiel dans la préparation de la loi de finances au Sénégal, permettant aux parlementaires de proposer des modifications. Cet article analyse les implications de ce pouvoir et les réformes visant à renforcer la transparence et l’efficacité des finances publiques.


Paragraphe 2 : Le pouvoir d’amendement parlementaire

Ce pouvoir s’assimile au droit de soumettre au vote des assemblées parlementaires des modifications aux textes soumis à leur appréciation, qu’il s’agisse de projet de loi ou de proposition de loi. Avec le temps, il est même devenu dans de nombreux parlements et notamment en France la forme d’expression principale du droit d’initiative des parlementaires.1 En matière financière ce droit connait des restrictions importantes et reste juridiquement bien encadré.

La constitution, les textes communautaires2 tout comme la LOLF 2020 limitent considérablement les prérogatives parlementaires en matière budgétaire. Qu’elles soient liées au contenu même de la loi de finances, qu’elles tiennent aux règles spécifiques de la procédure budgétaire ou qu’elles résultent des multiples prérogatives détenues par le gouvernement dans le cadre de la procédure législative, ces restrictions visent la préservation de l’équilibre financier que les parlementaires pourraient être tentés de malmener.3 Ce droit est doublement limité : de manière absolue par l’interdiction des cavaliers budgétaires, et de manière relative pour les amendements à incidence financière.

On appelle « cavalier », en droit parlementaire, une disposition abusivement incorporée dans une loi où elle n’a pas sa place. Ainsi, une disposition sans rapport avec le budget mais figurant dans la loi de finances est dénommée « cavalier budgétaire ». François CHOUVEL les considère comme des dispositions ne représentant pas un caractère financier.4 Celles-ci sont, en principe, censurées par le Conseil Constitutionnel.

L’idée est que les lois de finances ont un contenu très précis : elles doivent, ainsi, déterminer la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, de même que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Il s’ensuit que tout ce qui ne concerne pas cet objet ne peut figurer dans la loi de finances.

Cependant, dans les faits, les parlementaires, et même parfois certains ministres, tentent d’y introduire des dispositions qui n’ont aucun caractère financier : ce sont les cavaliers budgétaires. L’intérêt de cette « pratique » est de faciliter et d’accélérer l’adoption de la disposition litigieuse. De tels cavaliers sont, interdits et le Conseil constitutionnel veille scrupuleusement au respect de cette règle.

Relativement au pouvoir d’amendement qui leur est reconnu, la Constitution et la loi organique imposent deux contraintes au parlement. D’un point de vue procédural, tout amendement doit être déposé en commission ce qui exclut les amendements de séance (plénière). Ensuite, aux termes de l’article 82 de la constitution : « les propositions et amendements formulés par les députés ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques soit la création ou l’aggravation d’une charge publique à moins que ces propositions ou amendements ne soient assortis de propositions de recettes compensatrices ». Autrement dit, les parlementaires peuvent majorer les crédits d’un ou plusieurs programmes.

Aussi, la création ou l’augmentation d’une ressource est recevable si elle sous-tend la suppression ou la diminution d’une autre ressource. Cependant les amendements ne doivent pas avoir pour effet de diminuer les ressources publiques (emprunt, cotisations sociales et recettes fiscales), ni de créer ou aggraver une charge publique (charges de l’Etat, des collectivités et de la Sécurité sociale).

Cette disposition est complétée par l’article 58 de la LOLF 2020 qui prévoit qu’« aucun article additionnel, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être proposé par un député, sauf s’il tend à supprimer ou à réduire effectivement une dépense, à créer ou à accroitre une recette.5 Les propositions de modifications financières ne peuvent non plus aller dans le sens d’éjecter du projet de loi de finances un programme budgétaire, un budget annexe ou un compte spécial du trésor.

C’est une prohibition stricte faite par l’alinéa 2 de l’article 58 précité de la LOLF 2020. Celui-ci poursuit en disposant : « De même, l’Assemblée nationale ne peut proposer ni la création, ni la suppression d’un programme, d’un budget annexe ou d’un compte spécial du Trésor. » En outre, tout article additionnel et tout amendement doit être motivé et accompagné des développements des moyens qui le justifient.

Au final, la disjonction d’articles additionnels ou d’amendements qui contreviennent aux dispositions du présent article ou à l’objet des lois de finances défini à l’article 3 de la loi organique est de droit.

De manière comparative, l’article 40 de la Constitution française6 rend irrecevables les amendements des parlementaires qui conduiraient à une diminution des ressources ou à l’augmentation des charges publiques. Mais, le juge constitutionnel a retenu une conception de cet article qui varie selon que sont en cause les charges ou les ressources. Ainsi, s’agissant des premières, la règle est stricte : si les parlementaires peuvent supprimer ou réduire une charge, ils ne peuvent, en revanche, en proposer l’augmentation, même si celle-ci est compensée par une ressource nouvelle ou une diminution d’autres charges.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est plus souple en matière de ressources publiques. En effet, si les parlementaires ne peuvent proposer de diminuer le niveau d’ensemble des ressources publiques, ils peuvent, en revanche, proposer une diminution d’une ressource à condition de majorer une autre ressource d’un montant équivalent. Le Parlement peut même proposer une augmentation des ressources moindres que celle voulue par le Gouvernement.

Si ces règles restent toujours valables, la LOLF a, cependant, introduit une innovation majeure. Concrètement, son article 47 autorise les parlementaires à majorer les crédits d’un programme à condition de minorer les crédits d’un autre programme de la même mission. Autrement dit, la répartition des crédits entre programmes au sein d’une même mission est possible, à condition, toutefois, de respecter le plafond de crédits attribués à la mission en question.

Les parlementaires peuvent même proposer de diminuer les crédits d’une mission, ou créer des programmes au sein de la même mission sans pouvoir, toutefois, augmenter les crédits de celle-ci. Cette avancée connait, cependant, des limites. Ainsi, les membres des assemblées ne peuvent proposer le transfert de crédits entre missions ou entre programmes de missions différentes même si ces programmes relèvent du même ministère.

De même, un parlementaire ne peut proposer la création d’un programme non doté de crédits, ramener à zéro les crédits d’un programme, ou proposer la création d’une nouvelle mission. En ce qui concerne les dépenses de personnel, si les parlementaires peuvent diminuer le plafond des autorisations d’emplois d’un ministère pour augmenter d’autres dépenses du ministère concerné, ils ne peuvent, en revanche, proposer d’augmenter ce plafond pour un ministère en le compensant par un abaissement corrélatif des emplois d’un autre ministère.

Enfin, les élus ne peuvent proposer de nouveaux objectifs ou indicateurs en ce qui concerne les projets annuels de performance, ces derniers n’étant pas modifiables. Pour autant, les parlementaires restent mécontents de ces dispositions. En effet, si l’on veut associer le Parlement à la réforme des politiques publiques pour obtenir plus d’efficacité, il faudrait leurs permettre, même de façon limitée, de pouvoir augmenter plus librement les crédits alloués.

En effet, la dépense publique peut être utile d’un point de vue économique, et les parlementaires peuvent proposer des amendements pertinents de ce point de vue.

L’utilisation du pluriel en matière de ressource autorise les parlementaires à présenter les amendements compensés pourvu que le volume des ressources ne soit pas modifié de manière significative. Par exemple un parlementaire peut proposer la suppression d’un impôt compensé par la proposition d’un autre impôt ou d’une taxe qui rapporterait le même produit.

En revanche, toute compensation entre ressources et charges ou entre charges est interdite ; de même que toute réduction indicative de crédit (initiative juridique irrecevable mais très fréquente dans la pratique). Par ailleurs, le gouvernement peut faire échec à tout amendement en recourant au vote bloqué sur tout ou partie de la loi de finances conformément à l’article 82.

Ces différentes contraintes permettent d’affirmer qu’en matière budgétaire, le parlement dispose plus d’un droit de veto que d’un véritable pouvoir de décision.

Grosso modo, le projet de loi de finances se présente sous une forme déterminée. Selon l’article 44 de la LOLF, il comporte deux parties distinctes dont la première fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l’équilibre économique et financier. Elle autorise la perception de l’ensemble des ressources publiques y compris les impôts affectés aux collectivités territoriales et aux établissements publics ainsi que l’évaluation du montant des emprunts destinés à couvrir les charges de trésorerie.

C’est donc cette partie qui comprend l’article dit d’équilibre. La seconde partie fixe pour le budget général, le montant global des crédits affectés aux ministères et aux institutions constitutionnelles respectivement par programme et par dotation. Elle autorise aussi les garanties et avals apportés par l’Etat ainsi que toutes les opérations des budgets annexes et des comptes spéciaux du trésor qui composent, avec le budget général, les principaux comptes de loi de finances.

Son examen respect ainsi un double degré de vérification ; d’abord au sein des commissions techniques et par la commission des finances de l’Assemblée Nationale avant de se transporter pour être discuter en plénière.

________________________

1 Fiche de synthèse n°37 sur l’exercice du droit d’amendement, www.assemblée-nationale.fr.

2 Directive n°06-2009/CM/UEMOA, portant loi de finances au sein de l’UEMOA.

3 François CHOUVEL, Finances Publiques, Gualino, 23ème éd, 2020, P.99.

4 Ibid. P.103.

5 Article 59, Directive n°06-2009, Portant loi de finances au sein de l’UEMOA.

6 « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une di munition des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique », Article 40, Constitution française.

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