Analyse du pouvoir de décision de la commission d’indemnisation

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université de Ngaoundéré - Faculté des sciences juridiques et politiques - département de droit privé
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Recherche - 2014 - 2015
🎓 Auteur·trice·s
BAMBE DJORBELE
BAMBE DJORBELE

Le pouvoir de décision en commission est essentiel pour déterminer la nature juridique de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires. Cet article démontre que, par ses critères formels et matériels, cette commission se qualifie comme une juridiction civile spécialisée.


§2. Le pouvoir de décision inhérent à l’activité de la commission

  1. Le pouvoir de décision caractérise toute activité juridictionnelle1 car, selon Stéphane RIALS2, « il n’y a bien juridiction que lorsqu’il y a décision et non pas

conseil ou conciliation » et « il n’est pas concevable qu’une juridiction ne dispose pas

d’un tel pouvoir »3. Ainsi, si la commission ne donnait que des avis ou des

recommandations, elle ne devrait pas recevoir le qualificatif de juridiction4. Tel n’est pas le cas car la commission dispose bien d’un pouvoir de décision. Ce dernier est le

complément nécessaire de l’acte de connaissance qui se manifeste par l’activité de

constatation. Mais, l’acte de volonté à savoir la décision émanant des organes

juridictionnels a ses caractéristiques propres. La prise de cet acte s’effectue dans un climat de doute et de probabilités (A). En plus, c’est un acte qui départage les parties en mettant fin à une contestation (B).

Les paramètres du pouvoir de décision : le doute et les probabilités

  1. Toute décision juridictionnelle doit passer par la balance, symbole de la

justice. C’est cette balance qui permet à l’organe juridictionnel de prendre une

décision dépouillée de toute subjectivité et de toute influence de la part de qui que ce soit. Or, la décision judiciaire ne revêtir cette forme que si le décideur se trouve lui-

même, face au litige, dans une situation de doute permanente5 et entre plusieurs

solutions probables. Les décisions de la commission pourrait donc avoir le caractère

juridictionnel parce que, aussi bien le doute (1) que les probabilités (2) entourent bien son activité.

Le doute inhérent à l’activité de la commission
  1. Le doute6 est inhérent à l’activité juridictionnelle7 puisque c’est lui qui permet de garder sa neutralité et de pouvoir décider souverainement. Un auteur8 a, à juste titre, résumer l’activité de tout organe juridictionnel cette formule : « je doute, puis je décide, donc je suis ». Le juge doit d’abord douter dans son rapport avec les preuves9, qui peuvent être insuffisantes (pas de preuve, pas de droit, alors que, peut-

être, le droit revendiqué existe) ou pléthoriques (comment discerner la preuve

déterminante ?). Dans cette perspective, il a été si justement remarqué que toute

« preuve judiciaire suppose le doute »10. Le doute juridictionnel se manifeste aussi dans l’analyse critique des données du litige11, la divergence des points de vue de la collégialité. Il ne saurait en être autrement puisque toute activité juridictionnelle repose

sur la recherche de la vérité et surtout la vérité du juge n’est que le résultat des

questions qui sont posées12.

  1. La commission, dans chaque demande qui lui sera adressée, sera entouré du doute13 parce qu’elle sera forcément amenée à apprécier les différentes preuves

produites14 par les parties en litige et le doute persistera au moment des délibérés

puisqu’on est en présence d’une instance collégiale. En effet, le doute est, pour le juge qui délibère, un élément de sa méthode de réflexion15 ; le doute sera donc provoqué, apprivoisé, surmonté enfin pour parvenir à l’énoncé d’une décision. C’est donc dire

que le doute est omniprésent dans toute l’activité de la commission16. Cette dernière pourrait donc bel et bien être une juridiction d’autant plus que ses décisions, comme tout jugement, seraient faites « d’un tiers de doute et de deux tiers de probabilités », probabilités qui entourent également la prise des décisions de cet organisme.

Les probabilités entourant les décisions de la commission
  1. Tout pouvoir de décision d’un juge repose sur les probabilités entendues ici dans le sens de la vraisemblance17. En effet, la solution du juge à un litige n’est pas

une donnée acquise. Elle se construit à partir des prétentions des parties, de leurs

arguments et moyens et de l’appréciation ou mieux de l’interprétation des règles de

droit applicables au litige. Dans ce sens, plusieurs solutions sont possibles pour un

même litige et le juge est appelé à choisir une et une seule parmi celles-ci18.

  1. Le pouvoir de décision de la commission se trouve être dans ces

probabilités qui entourent toute activité juridictionnelle. En effet, lors de la prise de ses décisions, elle est principalement guidée par les prétentions de la victime et de l’État ainsi que leurs moyens. Elle ne peut d’ailleurs faire autrement puisque sa mission est de statuer sur la demande de la victime contre l’État. Il y a probabilité parce que la

décision de la commission repose sur plusieurs paramètres dont l’appréciation

différente peut également donner lieu à plusieurs solutions. Il en est ainsi parce que la décision de la commission qui repose sur les prétentions et arguments des parties peut être détournée par ces dernières. En fait, la réalité en est que chaque partie devant la

commission cherchera à gagner le combat par tous les moyens, y compris les

falsifications des moyens de preuve. C’est pourquoi, avant de prendre une décision

définitive, trancher pour la commission, c’est construire, « c’est séparer des intérêts : trancher c’est séparer entre le vrai et le faux, le juste et l’injuste, l’exact et l’inexact,

tout ce qui s’oppose en quelque sorte dans le raisonnement des parties, dans la

position respective des parties »19.

  1. Le pouvoir de décision de la commission est donc entouré du doute et des

probabilités et rappelle ainsi le pouvoir de décision des organes juridictionnels. Le

départage des parties en est également un élément caractéristique de ce type de pouvoir.

________________________

1 Même s’il peut s’avérer dangereux de qualifier de juge toute autorité investie d’un pouvoir de décision. V. RENOUX (Th. S.), « La liberté des juges », op. cit., p. 67 ; V. aussi D’AMBRA (D.), « Jugement » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 688 ; CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC, L’indépendance judiciaire…contrainte ou gage de liberté, op. cit., p. 64.

2 V. RIALS (S.), « L’office du juge », op. cit., p. 9 ; V. également GOHIN (O.), « Qu’est-ce qu’une juridiction pour le juge français », Droits, n° 9, 1989, p. 97.

3 TIFINE (P.), Droit administratif français, op. cit., p. 3.

4 C’est pourquoi le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas une juridiction parce qu’il ne dispose pas d’un pouvoir de décision.

5 C’est ce doute qui permettra au juge d’aller à la quête du juste. Il lui permettra de démêler le vrai du faux, d’apprécier les expressions imprécises de la loi à l’exemple du « préjudice d’une gravité particulière » ou même d’évaluer économiquement l’impact de sa décision sur le budget de l’État. V. dans ce sens DION (N.), « Le juge et le désir du juste », D. 1999, p. 196.

6 Sur le doute juridictionnel, V. BREDIN (J.-D.), « Doute » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., pp. 352-357.

7 Tout juge est un tiers personnage placé à part des autres pour douter dans la contradiction des litigants et finalement sortir du doute par une décision. V. GARAPON (A.), « La question du juge », op. cit., p. 16 ; BREDIN (J.-D.), ibid., p. 357.

8 Il s’agit de François Terré cité par Jean-Pierre ANCEL in « La rédaction de la décision de justice en France », op. cit., p. 842.

9 VARAUX (J.-M.), « Erreur judiciaire » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., pp. 431.

10 HALPERIN (J.-L.), « La preuve judiciaire et la liberté juge » in Communications, vol. 84, n° 1 consacré aux Figures de la preuve [Numéro dirigé par Rafael Mandressi], 2009, p. 22 disponible sur http://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2008_num_84_1_2504 ; date de la dernière consultation : le 02 septembre 2016 à 07h 20mn.

11 VARAUX (J.-M.), ibid., p. 431.

12 GARAPON (A.) et PAPADOPOULOS (I.), Juger en Amérique et en France, Paris, Odile Jacob, novembre 2003, p. 158.

13 Le doute ici renvoie alors à l’état d’esprit du juge qui hésite entre affirmation et négation, entre plusieurs opinions des parties ou qui balance entre plusieurs partis à prendre, à l’incertitude qui peut porter sur l’existence d’un fait, de la valeur d’une preuve, etc. V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 370.

14 CORNU (G.) (S/D), ibid., p. 372.

15 ANCEL (J.-P.), ibid., p. 842.

16 Ce qui est évidemment un signe marquant la présence d’un organe juridictionnel car le doute précède et accompagne le travail de tout juge. V. dans ce sens VARAUX (J.-M), « Erreur judiciaire » in CADIET (L.), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 431.

17 C’est le caractère de ce qui est vraisemblable c’est-à-dire qui est, selon les fortes probabilités, conforme à la vérité. V. CORNU (G.) (S/D), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 1084.

18 ANCEL (J.-P.), « La rédaction de la décision de justice en France », op. cit., p. 842.

19 SARGOS (P.), « La prise en compte des grands paramètres de la décision judiciaires » in L’office du juge, op. cit., p. 321.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top