La revalorisation des ressources en santé est essentielle pour améliorer l’efficacité de la médecine du travail en Côte d’Ivoire. Cet article analyse les défis liés aux ressources matérielles et financières, et propose des solutions pour renforcer les services de santé au travail.
Paragraphe II :
La revalorisation des ressources matérielles et financières
La revalorisation des ressources matérielles et financières consiste à augmenter les équipements, les infrastructures et les fonds dont disposent les services de santé au travail pour remplir leurs missions. Ces ressources sont actuellement insuffisantes, ce qui limite la capacité et la qualité des interventions des services de santé au travail. Il est donc nécessaire de hausser les ressources financières (A) et les ressources matérielles (B) des services de santé au travail.
A- L’accroissement des ressources financières
L’augmentation des ressources financières vise à accroître le budget des services de santé au travail, qui est souvent insuffisant pour couvrir les dépenses liées à leur fonctionnement et à leur développement. En effet, les services de santé au travail sont financés principalement par les cotisations des employeurs, qui sont calculées en fonction du nombre de travailleurs et du risque professionnel pour les services médicaux interentreprises.
Toutefois, ces cotisations sont généralement trop faibles, ce qui limite les possibilités d’investissement, d’innovation, de diversification, etc. des services de santé au travail. Il serait donc nécessaire d’augmenter les ressources financières des services de santé au travail, en revalorisant les cotisations des employeurs, en diversifiant les sources de financement, en sollicitant des subventions ou des partenariats1.
Pour cela, il faut augmenter le montant et la régularité des cotisations des employeurs, en les sensibilisant sur l’intérêt et le retour sur investissement de la santé au travail, en les incitant à respecter leurs obligations légales et contractuelles, en les sanctionnant en cas de manquement ou de fraude. Il faut également augmenter le montant et la régularité des subventions de l’État, en les inscrivant dans le budget national.
La hausse des ressources financières impliquerait d’abord d’augmenter la contribution des employeurs au financement des services de santé au travail pour se faire l’on pourra s’inspirer de ce que se fait au Québec (Canada), en définissant un pourcentage minimum à allouer aux services de santé au travail, sur la base du salaire brut des travailleurs, en tenant compte également de la taille, du secteur et du niveau de risque de l’entreprise2.
Ensuite, cela impliquerait de créer une contribution des travailleurs au financement des services de santé au travail, qui serait proportionnelle au salaire net des travailleurs, en tenant compte de leur statut, de leur catégorie et de leur exposition aux risques.
Enfin, la création d’un fonds national de la santé et de la sécurité au travail, qui serait alimenté par une partie des cotisations sociales, des taxes sur les produits dangereux, des amendes et des dommages-intérêts, et qui serait destiné à soutenir les services de santé au travail.
Ainsi, la hausse des ressources financières permettrait de renforcer la capacité, la qualité et la diversité des prestations fournies par les services de santé au travail.
B- L’accroissement des ressources matérielles
L’augmentation des ressources matérielles vise à améliorer l’équipement et les infrastructures des services de santé au travail, qui sont souvent insuffisants ou inadaptés aux besoins des travailleurs et des employeurs. En effet, les services de santé au travail doivent disposer de locaux et de matériels qui leur permettent de réaliser les visites médicales, les examens complémentaires, et toutes les autres actions de prévention dans des conditions optimales. Toutefois, ces ressources matérielles sont souvent défaillantes, ce qui réduit la qualité et la fiabilité des prestations, et augmente les risques d’erreur. Il serait donc nécessaire d’augmenter les ressources matérielles des services de santé au travail, en renouvelant et en modernisant leur équipement et leurs infrastructures3.
Pour pallier l’insuffisance et l’inadaptation des locaux, des équipements, des outils, et des supports, qui sont nécessaires à l’exercice de la santé au travail, il faut augmenter le nombre et la qualité des infrastructures et des matériels dédiés à la santé au travail, en construisant ou en rénovant des locaux adaptés, en acquérant ou en renouvelant des équipements performants, en développant ou en actualisant des outils et des supports fiables. Il faut également diversifier les sources et les modalités d’acquisition et de maintenance des infrastructures et des matériels, en recourant à des partenariats public-privé ou encore à des prêts de matériels. Il faut enfin diversifier les types et les formats des infrastructures et des matériels, en utilisant des technologies innovantes, telles que la télémédecine4, les applications mobiles qui sont de plus en plus légion à notre ère, celle du numérique et de la digitalisation.
Par conséquent, la hausse des ressources matérielles impliquerait en premier lieu, le renouvèlement et la modernisation du parc de matériel médical des services de santé au travail, en acquérant des appareils de pointe, tels que des échographes, des électrocardiographes, des spiromètres, des audiogrammes, des dosimètres qui sont nécessaires à l’évaluation de la sécurité du cadre de travail surtout pour les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants.
En deuxième lieu, le renforcement et la diversification du parc de matériel informatique des services de santé au travail, en équipant les services de santé au travail de logiciels, de systèmes d’information et de téléconsultation qui permettrait de désengorger les services de santé au travail et faciliterait leur accès au travailleur.
En troisième lieu, la construction et la rénovation du matériel immobilier des services de santé au travail, en créant ou en réhabilitant des locaux, des centres et des laboratoires qui permettront au service de santé au travail d’être plus performants et de satisfaire un plus grand nombre de travailleurs.
Au demeurant, la médecine du travail est un élément clé pour la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ainsi que pour la promotion du bien-être et de la performance au travail. Toutefois, la médecine du travail en Côte d’Ivoire est confrontée à de nombreux défis, qui limitent son efficacité et sa crédibilité.
Il est donc nécessaire de renforcer les structures de la médecine du travail, en optimisant leur organisation et en accroissant leurs moyens. Ce renforcement permettrait de garantir le respect du droit à la santé et à la sécurité des travailleurs, qui est un droit fondamental, reconnu par la Constitution ivoirienne, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et les conventions internationales du travail.
Il permettrait également de contribuer au développement économique et social de la Côte d’Ivoire, en réduisant les coûts et les conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles, et en améliorant la productivité et la compétitivité des entreprises.
CONCLUSION
La médecine du travail, institution salvatrice, a pour vocation de garantir la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs, en prévenant les risques professionnels et en optimisant les conditions de travail. Elle s’appuie sur la coopération entre les employeurs, les salariés, les représentants du personnel et les services de santé au travail, qui regroupent des médecins du travail et d’autres professionnels. Elle jouit de l’appui des pouvoirs publics, qui veillent à la réglementation, au contrôle et à la couverture sociale des risques professionnels.
Notre étude s’est focalisée sur la problématique majeure de savoir si la médecine du travail réussit à accomplir sa mission de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en Côte d’Ivoire, face aux risques professionnels et aux mutations du monde du travail. Pour un marché du travail quasi informel, le défi était de savoir comment cette institution s’organise pour assurer sa mission et quels sont les obstacles qu’elle doit surmonter ?
Autrement dit, il s’agissait de savoir si la médecine du travail parvient à réaliser son objectif qui est la sauvegarde de la santé des salariés. Pour élucider cette question cruciale, nous avons mobilisé des sources diversifiées, telles que des textes juridiques nationaux et internationaux, des rapports d’organisations internationales, des articles de presse, des ouvrages et des articles scientifiques, ainsi que des cours universitaires.
De même, nous avons recouru à des exemples concrets tirés de la réalité ivoirienne et d’autres pays africains ou étrangers pour étayer nos arguments.
Il en découle ainsi que, la médecine du travail est une institution au service des salariés relativement efficace. En effet, elle dispose d’organismes de santé et de sécurité opérationnels notamment la CNPS qui assure une prise en charge intégrale des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, mais aussi la Direction Générale du Travail qui s’assure du respect de la législation en vigueur en matière de santé et de sécurité au travail. Ainsi que le rôle primordial du médecin du travail qui est le pilier du service de santé au travail et qui s’assure de la compatibilité des travailleurs à leurs postes.
Malgré toutes ces missions nobles et une organisation admirable des services de santé au travail, la médecine du travail en Côte d’Ivoire se trouve empreinte de véritables lacunes qui entravent son efficacité. En effet, ce coup de mou est tant imputable à des difficultés structurelles qu’à des difficultés fonctionnelles.
Celles-ci se manifestent par une faible couverture de la population travailleuse par la médecine du travail qui fait face à une pénurie flagrante de médecins du travail, due à un métier peu attractif et vieillissant, entraînant un suivi médical insuffisant et inégal. Cette situation est aggravée par le manque de moyens matériels et financiers, qui se traduit par une carence d’équipements médicaux et des contraintes budgétaires liées aux cotisations patronales.
Structurellement, le monde du travail ivoirien est caractérisé par une vulnérabilité accrue due à la prédominance du secteur informel et à la précarité des relations de travail. Ces facteurs contribuent à l’exclusion de certains travailleurs et à leur exposition à des risques professionnels diversifiés et complexes. Mais aussi, la diversité des secteurs d’activité et la complexité des risques professionnels exigent une approche multidisciplinaire et contraignent le médecin du travail à s’adapter continuellement à l’émergence de nouveaux risques professionnels.
La médecine du travail, censée être un rempart pour les salariés, se voit étouffer par une multitude d’écueils. En effet, les textes juridiques qui régissent la médecine du travail sont souvent obscurs et ambigus. Cela transparaît avec le Code du travail de 2015 qui ne délivre pas de définition nette et précise des attributions du médecin du travail ainsi que des modalités de mise en œuvre du service de santé au travail. De surcroît, si la médecine du travail semble être taillée sur mesure pour les travailleurs du secteur formel, elle demeure inopérante dans le secteur informel, un phénomène fort alarmant quand l’on est conscient que le marché du travail ivoirien est quasi informel.
Au vu de tout ce qui précède, il serait vain de dresser ce sombre tableau sans esquisser des pistes d’amélioration, c’est ainsi que nous avons décidé de porter ce lourd fardeau en suggérant des solutions. Cette institution peut être optimisée si les différents acteurs s’engagent à prendre à bras-le-corps cette question de santé au travail, mais aussi des universitaires qui élèvent la voix ou encore les plumes pour proposer des réformes.
Par conséquent, le cadre juridique de la médecine du travail peut être reformé en procédant à une modernisation de l’organisation des services de santé au travail, inspirée des expériences réussies d’autres pays et des recommandations des organisations internationales. Cela requiert que le législateur ivoirien assume ses responsabilités et détermine clairement les missions, les modalités et les moyens du médecin du travail et des services de santé au travail.
Il peut, par exemple insérer dans le Code du travail, des critères précis de choix entre le service médical autonome et le service médical interentreprises ainsi que leurs modalités de financement. À ces mesures peuvent être adjointes l’obligation d’étendre les services de santé au travail à tous les secteurs d’activités pour ainsi garantir une meilleure couverture de la population travailleuse.
L’ultime proposition que nous affectionnons par-dessus tout est la simplification et la facilitation du fonctionnement des services de santé au travail à travers la mise en place d’un service unique de santé au travail qui regrouperait tous les professionnels de santé au travail, qui auraient pour mission d’assurer la surveillance médicale des salariés, la prévention des risques professionnels et l’amélioration des conditions de travail de tous les secteurs d’activités en Côte d’Ivoire.
Bien que théoriquement très attrayante, la médecine du travail en Côte d’Ivoire laisse en pratique un goût d’inachevé, notamment en ce qui concerne le cadre juridique qui peine à faire face à un monde du travail ivoirien très singulier et en constante évolution. Face à ce constat, il incombe au législateur de se mettre à la tâche afin de servir des textes qui pourront ravir la satiété des citoyens.
Au demeurant, nous pouvons affirmer que la médecine du travail est une institution indispensable pour la santé et la sécurité au travail, mais qu’elle nécessite une refonte profonde pour répondre aux besoins et aux attentes des travailleurs, des employeurs et de la société. Nous espérons que notre réflexion contribuera à alimenter le débat sur l’avenir de la médecine du travail en Côte d’Ivoire.
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1 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.7 ↑
2 Revenu quebec, Cotisation de l’employeur au fonds des services de santé, disponible en ligne : https://www.revenuquebec.ca/ (consulté le 16/02/2024 à 17 h 29 min) ↑
3 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.14 ↑
4 ESSIG (P.R.), NICOLLEAU (W.), DAVID (A.), « Expérience de téléconsultation en Service de Santé au Travail », in DESCATHA (A.), LAFON (D.), PEYRETHON (C.), QUINTON (S.F.) (dir.), Archives des maladies professionnelles et de l’environnement, volume 81, N°5, Édition Elsevier, Paris, 2020, p.435 ↑