Le renforcement des services de santé est crucial pour améliorer l’efficacité de la médecine du travail en Côte d’Ivoire. Cet article analyse les défis structurels et fonctionnels rencontrés, tout en proposant des perspectives pour optimiser le cadre juridique et les services associés.
CHAPITRE II : L’INDISPENSABLE RENFORCEMENT DES ORGANES DE MISE EN ŒUVRE DE LA MÉDECINE DU TRAVAIL
La médecine du travail est une discipline médicale qui vise à prévenir les risques professionnels et à protéger la santé des travailleurs. Elle est encadrée par le Code du travail ivoirien, qui prévoit l’obligation pour tout employeur d’organiser un service de santé au travail à la tête duquel se trouve le médecin du travail.
Ce service a pour mission de réaliser des examens médicaux périodiques, de conseiller l’employeur et les salariés sur les mesures de prévention, de participer à l’évaluation des risques et à la formation à la sécurité, et de tenir un dossier médical individuel pour chaque salarié.
Toutefois, force est de constater que la médecine du travail en Côte d’Ivoire souffre de nombreuses insuffisances, qui compromettent son efficacité et sa crédibilité. En effet, les services de santé au travail sont souvent défaillants, mal organisés, sous-financés et sous-équipés.
Ils ne couvrent pas l’ensemble des travailleurs, notamment ceux de l’économie informelle, qui représentent plus de 80% de la population active1. Les médecins du travail sont peu nombreux, mal rémunérés et soumis à des pressions de la part des employeurs.
Face à ce constat alarmant, il apparaît nécessaire de renforcer les structures de la médecine du travail, afin de garantir le respect du droit à la santé et à la sécurité des travailleurs. Ce renforcement passe par deux axes principaux : l’optimisation de l’organisation des services de santé au travail (section I) et l’accroissement des moyens des services de santé au travail (section II).
Section I :
L’optimisation de l’organisation des services de santé au travail
L’organisation des services de santé au travail en Côte d’Ivoire est actuellement fragmentée, hétérogène et inadaptée aux besoins des travailleurs. En effet, il existe une multitude de services, qui dépendent soit du secteur public, soit du secteur privé.
Ces services sont répartis sur le territoire national de manière inégale, laissant de nombreuses zones sans couverture médicale. Ils sont également soumis à des réglementations différentes, qui créent des disparités entre les travailleurs selon leur statut, leur secteur d’activité ou leur lieu de travail.
Ainsi, il est nécessaire de réformer l’organisation des services de santé au travail, en visant deux objectifs : La réforme de l’organisation des services de santé (paragraphe I) et la réforme des organes de contrôle (paragraphe II).
Paragraphe I :
La réforme de l’organisation des services de santé
La réforme de l’organisation des services de santé au travail consiste à créer un système cohérent et efficace, qui assure une prise en charge équitable et de qualité de tous les travailleurs. Cette réforme implique deux mesures : la création d’un cadre harmonisé de gestion des services de santé au travail (A) et la mise en place d’un réseau de services de santé au travail interentreprises (B).
A- La création d’un cadre harmonisé
L’organisation des services de santé au travail doit être simplifiée et harmonisée, afin de faciliter leur accès et leur fonctionnement, il faut donc réduire le nombre et la diversité des structures existantes, qui créent de la confusion et des inégalités entre les entreprises et les salariés.
Il faut également clarifier les missions et les compétences des différents acteurs impliqués dans la santé au travail, afin d’éviter les doublons et les conflits.
Ainsi, il s’agira de définir et de mettre en œuvre des normes communes et des règles claires pour le fonctionnement des services de santé au travail, qu’ils soient autonomes ou interentreprises. Ces normes et ces règles doivent porter sur les aspects suivants : la composition et les qualifications de l’équipe pluridisciplinaire, les modalités et la fréquence des examens médicaux, les critères et les procédures de déclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles, les obligations et les responsabilités des employeurs et des travailleurs.
Ces normes et ces règles doivent être élaborées en concertation avec les partenaires sociaux, et être adaptées aux spécificités des différents secteurs d’activité et des différentes catégories de travailleurs. Également, elles doivent être diffusées et vulgarisées auprès des acteurs concernés, et être régulièrement actualisées en fonction de l’évolution des connaissances et des pratiques.
Une première proposition de solution serait la création d’un organisme national de gestion des services de santé au travail qui aurait pour but d’harmoniser et coordonner les actions des différents services de santé au travail existants2. Cet organisme serait une structure publique, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, placée sous la tutelle du ministère chargé du Travail. Il aurait pour missions de3 :
- Définir les normes et les procédures applicables aux services de santé au travail ;
- Contrôler le respect de ces normes et de ces procédures par les services de santé au travail ;
- Assurer la formation continue et le perfectionnement des médecins du travail et du personnel paramédical ;
- Collecter et analyser les données statistiques relatives à la santé et à la sécurité au travail ;
- Élaborer et diffuser des programmes de prévention et de sensibilisation ;
- Gérer les ressources financières allouées aux services de santé au travail.
La création d’un organisme national de gestion des services de santé au travail permettrait de renforcer la cohérence, la transparence et l’efficacité du système de santé au travail. Cet organisme s’inspirerait des expériences réussies de pays comme la France, qui dispose d’un organisme similaire, appelé Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) qui est chargée de définir et de mettre en œuvre la politique de prévention et d’assurance des risques professionnels4.
Une seconde proposition de réforme pourrait être de créer un service unique de santé au travail, qui regrouperait tous les professionnels de santé au travail, qu’ils soient médecins, infirmiers, ergonomes, psychologues ou assistants sociaux. Ce service unique serait financé par une cotisation obligatoire des employeurs, proportionnelle à leur effectif et à leur niveau de risque.
Il serait géré par une instance paritaire, composée de représentants des employeurs, des salariés et de l’État. Il serait chargé d’assurer la surveillance médicale des salariés, la prévention des risques professionnels et l’amélioration des conditions de travail5.
B- L’élargissement de la protection aux travailleurs de l’économie informelle
Comme dans la plupart des pays Africain, le marché du travail ivoirien est caractérisé par une forte prédominance du secteur informel qui emploie plus de 80% de la population active6. Ce phénomène apparait alarmant lorsqu’on prend conscience que la médecine du travail s’avère inopérante dans ce secteur. De ce fait, il est impérieux de trouver des solutions afin de pallier à cette situation préoccupante.
L’élargissement de la couverture des services de santé au travail aux travailleurs du secteur informel vise à réduire l’exclusion et la vulnérabilité de ces travailleurs, qui représentent une part importante de la population active en Côte d’Ivoire. En effet, les travailleurs du secteur informel sont souvent privés de protection sociale et de droits fondamentaux, tels que le droit à la santé, le droit à la sécurité, le droit à la formation, etc.
Ils sont également exposés à des risques professionnels accrus, liés à des conditions de travail précaires, à l’absence de normes de sécurité, à l’utilisation de matériaux ou de produits dangereux. Il serait donc nécessaire d’étendre la couverture des services de santé au travail aux travailleurs du secteur informel, en adaptant leur offre de services à leurs besoins spécifiques.
Il pourrait s’agir de définir et de mettre en œuvre des normes communes et des règles claires pour le fonctionnement des services de santé au travail, qu’ils soient autonomes ou interentreprises7. Ces normes et ces règles doivent porter sur les aspects suivants : la composition et les qualifications de l’équipe pluridisciplinaire, les modalités et la fréquence des examens médicaux, les critères et les procédures de déclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles, les obligations et les responsabilités des employeurs et des travailleurs8.
Ces normes et ces règles doivent être élaborées en concertation avec les partenaires sociaux, et être adaptées aux spécificités des différents secteurs d’activité et des différentes catégories de travailleurs. Elles doivent également être diffusées et vulgarisées auprès des acteurs concernés, et être régulièrement actualisées en fonction de l’évolution des connaissances et des pratiques.
Conséquemment, la mise en place d’un réseau de services de santé au travail interentreprises serait la bienvenue pour les travailleurs de l’économie informelle qui sont exclus de la protection de la médecine du travail. En effet, ce réseau aura pour mission d’étendre la couverture médicale aux travailleurs qui ne bénéficient pas actuellement d’un service de santé au travail, c’est-à-dire les travailleurs informels.
En clair, il s’agit de services de santé au travail communs à plusieurs entreprises, qui regroupent des travailleurs de différents secteurs d’activité, de différentes tailles et de différentes localisations et ont pour avantages d’être moins coûteux puisque les charges de constitution et de fonctionnement sont reparties entre les différentes entités adhérentes.
Ces services seraient gérés par des associations ou des coopératives9, composées de représentants des employeurs, des travailleurs et des médecins du travail.
Ils auraient ainsi pour missions de réaliser des examens médicaux périodiques et des visites médicales d’embauche et de reprise. Ils auront pour mission première d’assurer le suivi médical des travailleurs exposés à des risques particuliers tout en leur délivrant des certificats d’aptitude ou d’inaptitude au travail en fonction de leur état de santé et leur compatibilité avec le poste envisagé10.
Cette mission implique également de proposer des mesures d’adaptation ou d’aménagement du poste de travail, de participer à l’évaluation des risques professionnels et surtout de dispenser des conseils et des informations sur la prévention des risques et la promotion de la santé aussi bien aux travailleurs qu’aux employeurs.
Ainsi, la mise en place d’un réseau de services de santé au travail interentreprises permettrait de réduire les inégalités entre les travailleurs, en offrant à tous un accès à des soins de qualité et à une protection sociale. Ce réseau de services de santé au travail interentreprises s’inspire du modèle français dont la qualité et le succès n’est plus à démontrer avec près de 210 services couvrant l’ensemble du territoire français, ayant assuré environ 6,3 millions de visites médicales en 201711.
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1 Direction Générale de l’Emploi, Rapport descriptif sur la situation de l’emploi et le secteur informel, République de Côte d’Ivoire, décembre 2016, p.30. ↑
2 Appel à une réforme du système de santé et de sécurité au travail basée sur une vision globale, 04 février 2021, disponible en ligne : https://www.maroc.ma/fr/actualites/cese-appel-une-reforme-du-systeme-de-sante-et-de-securite-au-travail-basee-sur-une-vision, (consulté le 19/01/2024 à 13 h 38 min). ↑
3 Annuaire du service public, Rapport Annuel 2007 de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), République française, 2008, p. 278. ↑
4 Annuaire du service public, Rapport Annuel 2007 de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), op cit., p. 278. ↑
5 Annuaire du service public, Rapport Annuel 2007 de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), ibid., pp. 278-279. ↑
6 Direction Générale de l’Emploi, Rapport descriptif sur la situation de l’emploi et le secteur informel, République de Côte d’Ivoire, décembre 2016, p.30. ↑
7 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.16. ↑
8 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.16. ↑
9 DAVEZES (P.), DULERY (J-P.), HUEZ (D.), Pascual (M.), SANDRET (N.), « Pour une réforme de l’organisation de la médecine du travail » in BARDOT (F.), CARRE (A.), HUEZ (D.), RIQUET (O.), SANDRET (N.) (dir.), op cit., p.381. ↑
10 Les services de santé au travail interentreprises, un réseau dédié à la prévention : 10 engagements pour la santé au travail, Présanse, Paris, novembre 2018, pp. 7-8 ↑
11 ibid., pp. 6-7 ↑