La réforme de la santé au travail en Côte d’Ivoire est cruciale pour répondre aux nouveaux défis liés à la diversification des formes de travail. Cet article analyse les obstacles structurels et fonctionnels de la médecine du travail, tout en proposant des améliorations juridiques et de services.
B- L’adaptation de la législation aux évolutions du monde du travail et aux normes internationales
Les services de santé au travail doivent faire face à de nouveaux défis liés aux évolutions du monde du travail. En effet, les formes de travail se diversifient, avec l’apparition du télétravail, du travail à la demande, du travail indépendant, etc. Ces formes de travail peuvent engendrer de nouveaux risques pour la santé des travailleurs, tels que l’isolement, le stress, la surcharge de travail, et autres.
Par ailleurs, les risques professionnels se complexifient, avec l’émergence de risques psychosociaux, de risques liés aux nouvelles technologies et des risques environnementaux, ces risques peuvent avoir des conséquences graves sur la santé physique et mentale des travailleurs, ainsi que sur leur performance et leur motivation1.
Pour faire face aux nouveaux défis de la santé au travail, il est nécessaire de réformer le système actuel, en s’inspirant des expériences internationales et des recommandations de l’OIT et prenant en compte les nouvelles formes de travail. La réforme de la santé au travail doit s’appuyer sur une approche globale, participative et préventive, en renforçant le rôle des services de santé au travail et en impliquant davantage les acteurs sociaux2.
Une approche globale consiste à considérer la santé au travail comme une dimension intégrée de la politique sociale et économique, et non comme une simple obligation légale ou une charge financière. Elle implique de prendre en compte les interactions entre les facteurs individuels, organisationnels, environnementaux et sociaux qui influencent la santé des travailleurs.
Elle suppose également de promouvoir la santé au travail comme un droit fondamental des travailleurs, et non comme une faveur accordée par les employeurs. Ainsi, il apparait nécessaire de réviser le cadre juridique de la santé au travail, en adoptant des normes claires, cohérentes et adaptées aux réalités du pays.
Pour cela, il faudrait d’abord actualiser la liste des risques professionnels, en tenant compte des nouveaux facteurs de risque, tels que le stress, le harcèlement, la violence, la fatigue, l’exposition aux agents biologiques, chimiques ou physiques.
Ensuite, il faut renforcer la prévention des risques professionnels, en obligeant les employeurs à évaluer les risques, à élaborer un document unique, à mettre en place des mesures de prévention adaptées, à informer et à former les travailleurs, et à consulter les représentants des travailleurs3.
Aussi, il faut renforcer le suivi médical des travailleurs, en prévoyant expressément dans le Code du travail la fréquence des visites médicales périodiques, les modalités de mise en œuvre des visites médicales à la demande, des visites médicales de reprise et des examens médicaux complémentaires4.
Également, il faudrait renforcer la protection des travailleurs, en prévoyant des mesures de prévention, de réparation et de compensation des accidents du travail et des maladies professionnelles aussi bien pour les travailleurs du secteur formel que pour ceux du secteur informel, et en garantissant le respect du secret médical et de la confidentialité des données de santé.
En outre, il faut prévoir des outils et des méthodes innovants tels que les diagnostics participatifs, les enquêtes de terrain pour permettre aux services de santé au travail d’adapter leurs prestations aux besoins spécifiques des travailleurs qui exercent des formes de travail atypiques en l’occurrence les télétravailleurs, les travailleurs à la demande et les travailleurs indépendants5. Cela permettrait également d’identifier, évaluer et prévenir les nouveaux risques professionnels, tels que les risques psychosociaux, les risques liés aux nouvelles technologies ainsi que les risques environnementaux.
Enfin, il est indispensable d’harmoniser la législation ivoirienne avec les conventions et les recommandations de l’OIT en matière de santé au travail, en ratifiant la convention n° 161 et en appliquant la recommandation n° 171, et en tenant compte des autres instruments normatifs pertinents, tels que la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, la convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, ou la convention n° 190 sur l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.
En somme, la santé au travail est un domaine en constante évolution, qui doit s’adapter aux changements du monde du travail. Le système actuel de santé au travail en Côte d’Ivoire présente des limites, qui réduisent son efficacité et sa capacité à répondre aux nouveaux enjeux de la santé au travail.
Face à cela, la médecine du travail nécessite une réforme profonde et urgente, afin de rendre le métier de médecin du travail plus attractif et adapté, et de moderniser l’organisation et la réglementation des services de santé au travail en s’appuyant sur une approche globale, participative et préventive, en renforçant le rôle des services de santé au travail et s’appuyant sur les bonnes pratiques internationales.
Il est donc indispensable d’étendre le champ d’application et renforcer le contenu de la réglementation, afin de garantir une protection efficace et équitable pour tous les travailleurs.
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1 Lefebvre Dalloz, Le côté obscur des outils numériques : quels effets sur les risques professionnels ? , disponible en ligne : https://formation.lefebvre-dalloz.fr/actualite/le-cote-obscur-des-outils-numeriques-quels-effets-sur-les-risques-professionnels, (consulté le 11/01/2024 à 22 h 22 min) ↑
2 Société Ivoirienne de Médecine du Travail, Annuaire des Médecins du travail en Côte d’Ivoire, disponible en ligne : http://simt-ci.net (consulté le 30/12/2023 à 18 h 18 min) ↑
3 MINÉ (M.) & MARCHAND (D.), op cit., p.347 ↑
4 ROUGE-MAILLARD (C.) & MANAOUIL (C.), Médecine légale, Médecine du travail, 2ème édition, Elsevier Mason, Paris, 2022, p.149 ↑
5 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.16 ↑