Les implications politiques de l’éducation révèlent un paradoxe troublant : alors que l’éducation devrait promouvoir l’égalité, elle perpétue souvent des valeurs genrées. Cette étude met en lumière comment le sexisme dans les établissements scolaires haïtiens façonne les identités adolescentes, avec des conséquences significatives pour l’avenir des filles.
3.2-Comment s’opère le processus de construction identitaire ?
3.2.1- L’identité entre rupture et survivance
Étant donné que « l’identité se construit normalement par la négation d’un certain nombre de traits identitaires attribués par l’environnement social » (Mucchieli, 1986 :16), l’adolescent.e ne peut construire son identité sans le rejet d’un ensemble de prescriptions et d’à priori assimilés pendant l’enfance. Phillipe Jeammet explique que cette crise de l’identité se vit dans un rapport problématique aux adultes car elle s’effectue continuellement dans un effort de maitrise de son environnement qui se manifeste par des conduites d’opposition. Alors même si cet environnement est nécessaire à sa complétude.
Selon Jeammet, il existe une certaine : « Dépendance en ce sens que leur équilibre narcissique et affectif, c’est-à-dire tant leur estime et leur image d’eux-mêmes que leur sécurité interne, leur possibilité de tolérer et de se nourrir des relations dont ils ont besoin, dépend plus, et de façon excessive, de leur environnement que de leurs ressources internes » (Jeammet, 2006 :106).
Cette rupture avec l’enfance qu’implique le moment de l’adolescence, fait qu’elle se vit comme une période critique où l’adolescent.e fait face à lui-même et aux adultes. Il n’est plus un enfant, mais pas encore un adulte ; et son comportement révèle bien les particularités de cette traversée difficile. Les pulsions internes, les contraintes extérieures, les remises en question sont à la base de la crise adolescente.
Quentel parle, en effet, de cette transformation radicale de l’adolescent qui doit affronter les normes, les valeurs sociales, qu’il/elle peut juger arbitraires, en raison de sa rupture avec une puissance tutélaire, qui décidait, pensait jusque-là pour lui. Car, la dépendance de l’enfant le soumettait inévitablement aux adultes, mais avec l’adolescence, ce sont de nouveaux horizons qui se dessinent avec la possibilité de s’affirmer et d’établir des rapports nouveaux, parfois contradictoires avec son entourage.
Dans le cas de notre étude, il importe de se questionner comment ces rapports se renouvellent en tenant compte du prisme du genre. Certes, les chocs et les conflits vécus pendant ce moment donnent les images de cette prise de conscience de l’adolescent.e, de son individualité, et de sa distance avec les adultes.
On comprend donc que les problèmes avec les parents sont nombreux à ce moment. Car, de même que l’adolescent.e change, il/elle soulève de l’inquiétude chez les adultes qui doivent désormais se repositionner face à lui/elle, puisque « comme dans tout échange véritable, chacun des protagonistes vit ici en lui-même le rapport à l’autre : il doit en effet se laisser pénétrer jusqu’à un certain point par la différence de l’autre pour constamment se resituer dans l’échange et soutenir une position qui lui est propre » (Jeammet, 2006 :106).
3.2.2- L’adolescence, moment d’affirmation des identités de genre
Les rapports conflictuels entre adolescents et adultes peuvent être assimilés au choc entre des valeurs. De même que l’adolescent.e manifeste cette quête d’originalité par ses nombreuses remises en question, il/elle se retrouve également aux prises avec un ensemble de conventions sociales, des normes, des valeurs qui définissent même ses rapports au sein de l’ordre social. Elle/Il trouve déjà un cadre qui est établi : le fait pour lui d’avoir des parents qui assument certaines responsabilités et se retrouvent à l’intérieur de certains rôles qu’implique cette position dans telle société et non dans telle autre, dans telle famille et non dans telle autre, explique assez probablement ce qu’il lui sera permis ou pas.
Le processus de socialisation initié dès son plus jeune âge lui impose des modèles, une marche à suivre suivant son sexe, et bien sûr aussi en raison de ses origines sociales et ethniques. Les valeurs genrées reçues dans les institutions de base de la société, notamment dans la famille continueront de modeler ses comportements sociaux et insuffler des trajectoires genrées, foncièrement différentes.
Comme le fait remarquer Simone de Beauvoir (Beauvoir, 1949 :14) deux processus d’individuation pour la fille et le garçon s’imposent dès leur jeune âge et qui se poursuivent à la pré-adolescence, lesquels confortent « (…) la routinière catégorisation priori (dans les questionnaires et les entretiens) en genre masculin et féminin (…) » (Beauvoir, 1949 : 40).
Or face à toutes ces emprises, elle/il ne saurait aisément remettre en question toute son éducation et les valeurs qu’on lui a inculquées. À juste titre, Patrice Huerre souligne : « C’est toute la problématique de l’adolescence : ressembler aux autres et s’en démarquer à la fois. » (Huerre et Rubi : 2013 :88-89).
C’est en somme le dilemme de l’identité et de la socialisation en général. Peter Berger et Thomas Luckmann insistent sur la quasi-improbabilité pour que l’individu n’incorpore les valeurs sociales et ne soit pas socialisé : « (…) la socialisation totalement réussie est anthropologiquement réussie. La socialisation totalement ratée est, à tout le moins extrêmement rare, et limitée à des cas individuels où l’échec est dû à une pathologie organique absolue. Notre analyse doit, dès lors, s’intéresser à des graduations d’un continuum dont les pôles extrêmes sont empiriquement impossibles. Une telle analyse est utile car elle permet certaines considérations générales à propos des conditions et des conséquences de la socialisation réussie. » (Berger et Luckmann, 1996 :224).
Or, comme nous avons pu le constater dans le cas des adolescent-e-s scolarisés, les modèles imposés à l’école sont calqués sur une certaine catégorisation sexuelle produisant une hiérarchisation des individus. La reproduction de ces modèles est perceptible à travers les comportements différenciés des filles et des garçons. Étant donné que l’adolescence se caractérise principalement par la quête de l’identité, elle peut être considérée comme un moment crucial d’affirmation des identités de genre.
Ceci nous intéresse particulièrement ici, en ce sens que s’il s’agit d’une fille ou un garçon, cette période sera vécue différemment en raison de l’assignation des rôles sexuels qui est faite dès la tendre enfance et qui favorise le développement d’identités sexo-différentielles. Marc explique ne ce sens que : « L’identité corporelle est aussi une identité sexuelle. Dès l’accès à la parole, le jeune enfant est appelé à se reconnaitre garçon ou fille. Cependant l’identité sexuelle ne résulte pas seulement du sexe anatomique ; elle découle aussi des identifications de la petite enfance et notamment de celles qui se nouent autour du complexe d’Œdipe.
Ces identifications se font de manière prépondérante au parent (ou aux frères et sœurs) du même sexe ; mais elles se dirigent aussi de façon plus ou moins marqué vers le sexe opposé, entrainant une certaine bisexualité psychologique. En même temps l’identité sexuelle prend appui, par la suite, sur les modèles de la féminité et de la virilité proposée par la culture. » (Marc, 1992 :26).
Il s’agit pour l’adolescent de faire face à cet héritage des adultes, aux valeurs genrées, aux impositions sociales. C’est un cadre rigide qui permet rarement l’adoption d’autres modèles. On entend assez souvent les étiquettes de garçon manqué ou d’hommes efféminés qui corroborent les assignations dévolues aux identités masculines et féminines, censées non interchangeables et foncièrement différentes.
L’adolescence période charnière de la construction identitaire s’avère prise au piège du rejet et de l’acceptation de l’adulte. Elle expose le sexisme à l’échelle global qui affecte aussi bien les adolescent.e,s dans la quête identitaire.
Questions Fréquemment Posées
Comment l’adolescence influence-t-elle la construction de l’identité ?
L’adolescence est une période critique où l’adolescent.e fait face à lui-même et aux adultes, ce qui implique une rupture avec l’enfance et une quête d’affirmation de son identité.
Quels sont les impacts des normes sociales sur les adolescents en Haïti ?
Les adolescents se retrouvent aux prises avec des conventions sociales et des valeurs qui définissent leurs rapports au sein de l’ordre social, influencées par leur sexe et leurs origines sociales.
Comment les rapports entre adolescents et adultes évoluent-ils pendant l’adolescence ?
Les rapports conflictuels entre adolescents et adultes peuvent être assimilés au choc entre des valeurs, où l’adolescent.e remet en question les normes établies et cherche à s’affirmer.