Les challenges de la photographie documentaire pendant l’occupation américaine d’Haïti révèlent des représentations inattendues des forces armées et des événements politiques. Cette étude met en lumière comment les photographes transcendent leur rôle initial, offrant une perspective critique sur les codes vestimentaires et les postures des personnages.
- 3 Représentation de Charlemagne Péralte et son équipe
Photo de Charlemagne Peralte et son équipe, dans un camp occupé par les cacos, le lieu nous parait imprécis mais l’essentiel c’est en Haïti et peut-être dans le Département du Centre, quartier général des cacos
C’est une photo en noir et blanc de presse sur le site internet, le photographe n’a pas signé son œuvre, Copyright © 2012-2014 par Dady Chery ; son titre est Photo de groupe avec Charlemagne Péralte. Le haut-commandant de la Révolution haïtienne est le grand homme dans le centre avec un nœud papillon.
Cette image, ainsi que l’article lié, ont été diffusés sur la page web intitulée: Charlemagne Peralte: Haitian Hero, ‘Supreme Bandit’ of First US Occupation – Part II210 entre 2012 – 2014. Cette même image a été publiée sur la page web intitulée Bassin Zim dans Haiti Renouveau211 en 2004, on l’avait donné comme titre Benoit Batraville 1877 – 1920 et comme sous-titre Benoit Batraville et son équipe. Il y avait une confusion dans l’identification de Charlemagne Peralte et Benoit Batraville.
Les cacos debout et forment un demi-cercle, chapeaux différents, certains d’entre eux ont de veste différents, des pantalons différents, ils sont en toute liberté où Charlemagne Peralte est au milieu d’eux, dans un espace dénudé et ouvert. Les thèmes : Cacos, « nationalistes », résistance, rapports attaque
/défense ne cessent d’identifier.
L’image de ces cacos en toute liberté, portant des machettes, chapeaux, vestes, divers pantalons, cote-à-côte soit dans une prise de photo soit après des pourparlers sur de nouvelles stratégies de résistance, malheureusement il n’a pas eu de vulgarisation de ces images. Donc, on ne peut pas avancer grand-chose concernant le sentiment d’appréciation du public. Peut-être la photo a soulevé de vague d’indignation pour certain, et pour d’autre un sentiment de gloire nationale. Le
210 http://www.dadychery.org/wp-content/uploads/2012/05/Peralte_Cacos.jpg
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Département d’Etat les considère comme des bandits, et que les marines peuvent les exécuter sans jugement.
L’image exprime un sentiment de plaisir par différents procédés: les couleurs différentes des vêtements de chaque cacos, y compris l’habillement du haut-commandant de la révolution haïtienne entre 1915 – 1920 au centre avec un nœud de papillon, accroche tout d’abord notre œil ; les accessoires qui caractérisent le sentiment de fierté comme patriote s’unissant pour la révolte des cacos, et le dépouillement du décor accentuent l’effet de malaise, de colère et de luttes pour le maintien de notre souveraineté de peuple.
L’image est réaliste, riche en significations mais polysémique. La légende qui accompagne l’image aide à réduire cette polysémie de la photo et la contextualise. Sans la légende, nous ne pouvons pas savoir où l’action se passe, à quelle époque et la problématique soulevée. L’ancrage linguistique complète l’information transmise par la photo et donne des repères sur certains éléments narratifs dans l’image: les sujets impliqués et le contexte révolutionnaire. Le taux d’iconicité du sujet de l’information est élevé, car l’image permet aux lecteurs de reconnaître, d’identifier puis de comprendre ce qui se passe pour ces cacos et le rapport de force inéquitable entre cacos et Marines.
Les lignes verticales dominent la photo. Comme support documentaire, comme image inédite, la lecture de la photo se fait suivant un parcours spécifique, c’est-à-dire le texte, l’image, la légende. L’image est cadrée à l’horizontale et les éléments qui la composent sont organisés en deux paliers: les personnages en avant-plan, hors foyer, le décor en deuxième plan (géographie des lieux et du temps). Le photographe est placé à droite par apport à la scène photographiée ; l’angle de prise de vue est en légère contre-plongée, plan d’ensemble, ce qui produit un certain effet de puissances des sujets, surtout ils sont en état d’égalité, tous debout.
La photo est réaliste et objective, elle a une fonction notionnelle et c’est une photo soit de reportage soit de souvenir. L’image permet de faire une première référence à des cacos à cause de leur uniforme adopté, c’est-à-dire veste, différents chapeaux, machettes. Le décor renvoie à la réalité des espaces de résistance.
Ces images des cacos mobilisés debout, avec les pieds et les points libre, portant des chapeaux et des vestes, certains d’entre eux portent de machette, suggèrent à la fois la colère et la fierté
dessalinienne. La photo étonne le spectateur et l’émeut par la mise en situation inattendue et le rapport de force démesuré.
Le format de la photo où les personnages se trouvent en avant-plan crée l’effet d’une netteté à travers laquelle le spectateur/lecteur regarde, examine, découvre une réalité… La photo joue le rôle ici de preuve, elle est descriptive: elle montre d’abord un environnement ouvert dans un lieu un peu désertique; elle va aussi témoigner de conditions de vie de sujets cacos lors des luttes révolutionnaires, des postures des cacos, leur identité.
L’effet d’opposition, entre cacos et marines, n’est pas mis en évidence, dans ce qui est montré, par les vêtements de couleur différente mais de même qualité et la zone d’éclairage clair entre l’avant et l’arrière-plan. L’effet d’analogie est mis en évidences dans la mesure où le cadavre exposé est un échantillon des assassinats commis par les marines.
Les couleurs des uniformes des cacos sont différentes des Marines. Un procédé stylistique d’antithèse met en valeur l’organisation des cacos, ses bravoures à travers leur lutte révolutionnaire pour la défense de notre souveraineté de peuple libre. Implicitement, un rapport entre occupant et occupé (les gens debout). Les personnages hors foyer au premier plan a une valeur métonymique, suggérant l’organisation et la mobilisation des milliers de cacos à travers tout le pays et même sur le territoire dominicain (la partie pour le tout).
Le photographe a dû faire cette photo avec un téléobjectif : le foyer s’est fait sur l’avant-plan clair, donnant ainsi une bonne profondeur de champ à l’image tout en créant une netteté en arrière-plan. Beaucoup d’effets sont observables bien que le but de la photo est de témoigner d’une réalité et non d’être esthétique.
La photo a été faite dans un contexte où il y a une vraie résistance cacos sur le territoire haïtien avec les troupes dirigées par Charlemagne Peralte. Le 29 septembre, dans l’accord du Quartier Morin, un certain nombre de cacos avait fait leur soumission à l’américain. Un cacoisme nouveau avait commencé à se faire jour. Leur objectif est de poursuivre et d’intensifier la lutte armée, pour bouter les marines hors du pays ou pour les forcer ou pour les forcer à accepter un président moins pliable, Bobo sans doute à la place de Dartiguenave. Charlemagne Peralte, « nationaliste » et
« bobitiste » avait entreprit d’en rassembler les groupes épars, pour en faire une organisation
placée sous son commandement212. Le 15 octobre 1918, les hommes de Peralte attaquent Hinche, un second assaut subit par le bourg, laissant 35 morts213.
Mais ce qui se détache absolument de tout archaïsme est le combat armé des Cacos avec Charlemagne Péralte et Benoit Batraville qui demeurent fidèles aux aïeux de 1804. De nombreux paysans demontrerent leurs capacités naturelles et devienrent des chefs et grands strateges. Tel fut le cas d’Estraville, Olivier, Ectraville, Papillon, Adhémar Francisma, etc.214.
La lutte des Cacos, telle que perçue dès le 2 août 1915 par l’amiral américain Caperton dans son mémo au Secrétaire de la Marine à Washington, donne un sens concret à l’idée de l’indépendance nationale. La résistance armée haïtienne se développe dans le pays caco essentiellement concentré autour des localités Cap-Haitien, Dondon, Saint-Raphaël, Pignon, Carice, Mont-Organisé, Ouanaminthe, Saint-Michel, Marmelade, Poteau, Plaisance, Ennery, Gonaïves.
La lutte des Cacos remet la pendule nationale à l’heure dans un pays où les générations nouvelles ont tendance à sous-estimer l’importance de la guerre populaire.
Le 11 octobre 1917, une soixantaine d’Haïtiens avec « furia » s’était jetée contre la prison, la caserne et la maison du commandant américain. Le 12 octobre, Charlemagne Peralte et d’autres notables de la ville avaient été arrêtés et condamnés à cinq ans de travaux forcés. Le 3 septembre 1918, Charlemagne Peralte avait pu s’échapper. Servi Cinnatus Leconte et Tancrède Auguste, boudé Michel Oreste, soutenu Oreste Zamor, boudé Davilmar, appuyé Vilbrun Guillaume Sam, après le débarquement devenu partisan de Rosalvo Bobo. Les anciens officiers patriotes et les paysans pauvres radicalisent leur attitude à l’égard des Marines215. Ils luttent pour la suppression de la corvée.
Le 1er Octobre 1918 est la date limite donnée par la gendarmerie pour la suppression de la corvée. Le 15 octobre, les abus sur les routes n’ayant pourtant pas cessé dans le Plateau Central, Charlemagne Peralte a attaqué Hinche avec ses partisans. Le 1er novembre, deux semaines après une seconde attaque de Hinche, le général Williams au capitaine Lavoie qu’ « aucun prisonnier
212 (Gaillard Roger 1981, p 12)
213 (Gaillard Roger 1981, p 11)
214(Castor Suzy, n.d., p 161)
215 (Gaillard Roger 1981, p 13)
devant être déféré en cour prévôtale n’était désiré, et que s’il y avait parmi les prisonniers des cacos ayant été trouvé avec des armes en leur possession il n’y avait qu’à s’en débarrasser ». Une quinzaine de jours plus tard, début du mois de novembre, Charlemagne Peralte attaque Maissade216. Roger Gaillard parle de « to bump off ». Le 10 novembre 1918, 60 prisonniers prirent part à l’action dirigée contre la garnison de dix hommes de la gendarmerie. « Les cacos boulèrent la caserne et plusieurs maisons de la ville détruisent le réseau téléphonique, puis pénétrant dans l’hôtel de ville et y volèrent 700 dollars. N’Ayant pas de fusils, ils blessèrent plusieurs gendarmes et civils à coup de machette.
Le 14 Mars 1919, Catlin envoya à la Navy cette dépêche urgente : « je demande que la brigade soit augmentée au moins d’un bataillon de « marines ». Les « bandits » ont accru leur force de façon telle, que les gendarmes sont incapable de les vaincre… ». Le 15 mars, dans la section d’Hermite, commune de Saint-Michel de l’Attalaye, un détachement de « garde » est « attaqué par les forces dix fois supérieurs ».
Les assaillants sont finalement mis en déroute… que le sergent du groupe, blessé, mérita d’être honoré »217. Du 16 au 20 mars, assaut contre assaut. Le lieutenant Moscoff qui a été envoyé de Mirebalais pour payer leur solde aux gendarmes arrive à Dufailly vers 9h le 20 mars. il a déjà versé leur argent à des enrôlés lorsque d’une distance très proche part une volée de coups de feu.
Moscoff tombe très gravement blessé, le caporal Albert Guerrier est tué sur le coup, une autre gendarme reçoit une blessure sérieuse. Le lieutenant américain est couché sur une porte, le blessé placé sur un cheval… les cacos alors le prennent en chasse218.
Benoit Batraville, un leader pour le Sud (Mars – avril 1919), avait mené l’attaque de Dufailly causant la mort de Moskoff. Petit paysan de l’Artibonite, parenté avec la société des Peralte, vivant à Mirebalais, ainsi qu’une branche de cette famille, il entretenait des relations avec les cousins de Charlemagne Peralte, il « proclama la révolution contre les blancs, il s’unit à ceux-là pour soutenir le mouvement. Léosthène et Emmanuel Péralte sont emprisonnés, c’est alors que Benoit pris le marquis. Son oncle, Calixte Batraville l’accompagna, tandis que son père Anacréon reste à Mirebalais. Combattant intrépide, tacticien de talent et un chef pouvant imposer dans ses rangs ordre et discipline. Il reconnait l’autorité politique et militaire de Charlemagne Peralte. Le 21
216 (Roger Gaillard, p 49)
217 (Gaillard Roger 1981, p 97)
218 (Gaillard Roger 1981, p 99)
avril 1919, son identité apparait pour la première fois dans les rapports de la gendarmerie : « un chef de « bandit » nommé Benoit », écrit Catlin dans son journal. L’histoire orale nous l’a présenté par la bouche de Claudius Chevry219.
Le 21 mars, les cacos de Benoit traversent les sections de Sarrazin et de Gascogne et entrent à Grand – Bois (Cornillon) qu’ils occupent. « Ils tuent deux des trois gendarmes cantonnant en ce lieu. Père Lepin, curé de la paroisse, nous entendait… vers 6h AM, il ouvre les portes de l’église pour une messe d’action de grâce en faveur de Benoit et son armée. Benoit prend place dans un fauteuil décore dans le cœur. La nef est remplie… »220
On enregistre la mort du sergent du Sergent Henry C. Willis après la mort de Moskoff. Il tombe le 28 mars « en pleine action près de Thomonde ». Le 27 mars, une bande de cacos, habilles de l’uniforme des gendarmes avait attaqué une équipe de travailleurs sur la route entre Mirebalais et Lascahobas et avait emporté tous les outils ».les insurgés attaquent Dessalines.
Des six haïtiens constituant la garnison, trois s’enfuient, parmi lesquels le commandant de poste. Les autres sont chassés de la caserne. Les officiers mirent en déroute les 200 « assaillants » et en tuèrent neuf ». Une semaine plus tard, un troisième officier américain est abattu, un major en plein mitan du territoire de Ti-Benoit.
Le 5 avril, Semper Fideliam, journal des « marines » annonce : « …nous avons reçu la triste nouvelle de la mort du major John L. Mayer…»221. « … « Les bandits », ayant mis le feu aux broussailles et aux champs, rendirent impossible toute poursuite. Pour la même raison, leurs pertes n’ont pas pu être évaluées ».
Le 5 avril, une autre mort violente, celle d’un haïtien, annoncée par le Nouvelliste : « Francs Délinois a été assassiné, tandis qu’il dirigeait la construction de la route Mirebalais – Lacahobas».
Les trois témoignages se recoupent sur l’essentiel du coup de main à Mirebalais et affrontement à Bintorrible : l’attaque s’est déroulé de nuit, elle a été conduite par Benoit Batraville en personne, assisté d’autres généraux dont son père Anacréon ; elle en repoussé avec difficulté. Les divergences principales concernent la date et le dénouement222. Murat Casimir, un général, est abattu tout près de sa maison. Anacréon fait irruption dans la caserne. Il libère les prisonniers et
219 (Gaillard Roger 1981, p 105-106)
220 (Ibid, p 109)
221 (Ibid, p 112)
222 (Ibid, p 53)
fait déguerpir les gendarmes. Pendant que les marines contre-attaquent, Benoit et ses officiers et ses soldats dépouillent le débarquement des fusils, des munitions et des uniformes… une escarmouche s’engage exactement au carrefour de la rue « Tite – Guinée » et Bréker tombe mort. Tout de suite, les cacos quittent la ville. « Au lendemain, …nous avons vu par terre plusieurs cadavres de cacos » nous dit François Bosquet. Le 17 avril, Anacréon qui n’est pas quitté Mirebalais est appréhendé. Le procès se déroule aux casernes Dessalines le 24 avril. La sentence fut relativement légère : cinq ans de travaux forcés et 1000 dollars d’amendes. Anacréon mourra en prison, n’ayant pas achevé de purger sa peine223.
Le 3 juin, Charlemagne Péralte a écrit une lettre au “consul Anglais siégeant en Haïti, il attire l’attention sur l’inadmissible isolement international de son pays « …car nous sommes plus den30 à 40 milles hommes sur pied… »224.
Le 8 juin, Catlin note dans son journal : «trois cent bandits sont rentrés à Seau-d’Eau sous les ordres de Benoit aujourd’hui à 5h AM. Ils ont capturé trois fusils de gendarmes et cinq cent (500) balles. La bande disposait de cent (100) fusils et de munitions en abondance». Le 8 aout, le chargé d’affaires de France reçut une lettre de Charlemagne Péralte225.
Dès que les camps s’établissent de façon plus ou moins permanente, ils deviennent en fait des villages, avec leur marché, leurs juges, leur police, bien-sûr mains encore pour nos cacos avec leurs « gaguères », leur « péristyle ». Ainsi, toute une population civile se mêle étroitement aux guerriers226. Le 14 aout, Charlemagne Peralte envoie ce message aux gendarmes de Maissade, le lendemain de l’attaque de Cholet : « … vous êtes des noirs, mes frères, je vous aime tous. Frappez le bourg de Maissade, et votre acte sera solennel et grand dans les annales de l’histoire, car le citoyen se doit à son Dieu et à sa patrie…».
Le général Péralte avait été averti de prendre garde à Conzé227. Entre aout – septembre 2014, on parlait d’ « Indiscriminate Killings». Un cacoisme urbain se développe en corrélation étroite avec
223 (Ibid, p 156)
224 (Gaillard Roger 1981, p 184-186)
225 (Ibid, p 200)
226 (Ibid, p 211)
227 (Ibid, p 227)
l’autre, souterrain228. Certains Allemands, dont le gouvernement était en guerre avec les Etats- Unis à l’époque, et beaucoup d’haïtiens envoyaient de l’argent et de provisions à Charlemagne229. Les abus sur les routes sont donc véritablement éliminés. Mais dans les prisons, comme dans la chasse donnée aux cacos dans les mornes, les exactions continuent d’être nombreuses.
Une bande de cacos, celle de Benoit, vient de Mirebalais. Poursuivie par les gardes, elle s’arrête à Crochus pour quelque heures. Le lendemain, les forces de la police arrivent et parce que les rebelles sont passés par là et que leur quartier-général n’en a pas été averti, ils mettent le feu au Village.
Il y a là 250 à 300 maisons, la chapelle au centre, toutes disparaissent230.
Le 3 octobre, Benoit envoya à Charlemagne un messager, porteur de la lettre suivante, car depuis quatre jours il l’attend dans son camp des Crochus. Inquiet un peu… Charlemagne fait annoncer à Benoit son arrivée dans la montagne des Orangers et l’invite à y rejoindre231. Georges Sylvain estime que les rebelles voulaient simplement se livrer à une démonstration232.
La bande rentre dans la ville par les rails de la compagnie Nationale de chemins de fer. Arrivé à La-Saline, elle tombe sur une sentinelle. Le gendarme est capturé. On lui enlève son fusil et ses munitions puis on le libère. Les rebelles crient « Viv Charlemagne »233. L’étrange équipe se solde, dans les rangs cacos par quatre blessés, par la perte de cinq carabines, de deux ou trois épées, et du fusil arraché à la sentinelle précédemment234.
Georges Sylvain, dans son journal, à la date du 7 octobre : « …on a également remarque que les assaillants n’ont attaqué aucune autorité haïtienne»235. La seconde patrouille caco avait gagné le chemin de Pont-Beudet afin de s’en prendre236. Le 20 0ctobre, Charlemagne Peralte est déjà entré en rapport avec Conzé dans le Plateau Central237.
Entre octobre et novembre 1919, Tantôt les gaguères retentissent des cris des soldats. Tantôt l’on danse pour se distraire, les danses profanes du vaudou. Charlemagne se plait à ses amusements, se mêlant aux parieurs, remuant épaules et pieds au son des tambours. Sa compagne est avec lui ; elle
228 (Ibid, p 231)
229 (Ibid, 232)
230 (Ibid, p 236)
231 (Ibid, p 246)
232 (Ibid, p 250)
233 (Ibid, p 252)
234 (Gaillard Roger 1981, p 254)
235 (Ibid, p 258)
236 (Ibid, p 259)
237 (Ibid, p 275)
s’appelle Moumoune. Saint-Rémy a aussi la sienne et chaque officier et la plupart des soldats sauf les jeunes, car ils n’ont pas encore d’âge238.
Il dit parfois la messe pour l’armée : l’enfant de cœur de jadis connait dans le détail le déroulement du mystère, et il le célèbre tout entrer, omettant seulement consécration, offertoire et communion, privilèges de l’homme de Dieu. Il porte toujours sur lui son livre de prière239. Quand Charlemagne apprendra la trahison et qu’il voudra fuir, il se heurtera inéluctablement aux barrages. Mais son propre plan échappe à Hanneken. Sa pensée bouillonne ; il réfléchit vite, repose le problème et conclut que pour se saisir malgré tout de Charlemagne mort ou vif, il lui faut monter à son camp cette nuit même240.
Saint-Rémy est sorti. Il reçoit l’information, retourne dans la case, reparait tout de suite suivi de Charlemagne, qui se fait confirmer le message. Du coup, la nouvelle embrase le campement241.
Au même moment où son camarade ouvrait le feu sur le campement, Hanneken, de deux balles de son 45 frottait Charlemagne Peralte en plein cœur. La femme renversa la marmite sur le boucan, et ce fut la nuit. Il est 3h AM, le tumulte est énorme : cris de détresse, coups de feu, détonation saccadées de la mitrailleuse. Hanneken rampe jusqu’au feu. Charlemagne a été tué
« instantanément ». Il le fouille, à la recherche d’un témoignage qui confirmait son identité. Il trouve son propre revolver à Crosse de nacre que Conzé avait donné au caco. Il place alors un gendarme près du corps et se lance dans la maison abandonnée. Il l’inspecte brièvement, aperçoit le sac de correspondance, s’en saisi et sort se mettre à l’abri. Les cacos, la plupart blessés, roulent le long des pentes en hurlant. Parmi eux, Saint-Rémy Péralte qui, atteint de deux bales au côté droit, mourra le lendemain. Quand les bruits s’éteignaient, « on transportera le cadavre de au milieu du camp et les soldats se disposèrent en cercle autour de lui »242.
Tout compte fait, la photo ici est à la fois descriptive (informe sur une situation) et symbolique (joue sur les codes gestuels, chromatique et rhétorique entre cacos et cacos). L’action photographiée semble avoir été saisie sur le vif, pas de trucages techniques et veut attester ainsi de l’authenticité de l’événement. La Gendarmerie de concert avec les marines,
238 (Ibid, p 290)
239 (Ibid, p 292)
240 (Ibid, p 301)
241 (Ibid, p 302)
242 (Ibid, p 305)
essayent de maintenir la corvée qui a causé beaucoup de mort et celle-ci est l’une des revendications des cacos, entend surprendre la corvée le 1er octobre 1918. Mais cela n’empêche pas que les cacos poursuivent la lutte.
Enfin, l’image, par sa sobriété et sa légende, montre sans artifices une situation de gloire nationale honorable en démocratie, ce qui vient confirmer le rôle émotif que peut jouer une image qui informe certes, mais qui cherche aussi à faire réagir, à susciter la réflexion et éventuellement l’engagement.
Questions Fréquemment Posées
Quelle est l’importance de la photographie documentaire pendant l’occupation américaine d’Haïti ?
L’objectif principal est d’examiner comment les photographes créent des images inédites qui dépassent leur fonction documentaire initiale.
Comment les photographies de Charlemagne Péralte et son équipe représentent-elles la résistance haïtienne ?
L’image exprime un sentiment de plaisir par différents procédés, notamment les couleurs différentes des vêtements et les accessoires qui caractérisent le sentiment de fierté comme patriote s’unissant pour la révolte des cacos.
Pourquoi la légende accompagnant une photo est-elle importante dans la photographie documentaire ?
La légende aide à réduire la polysémie de la photo et la contextualise, fournissant des repères sur certains éléments narratifs dans l’image: les sujets impliqués et le contexte révolutionnaire.