L’analyse comparative des approches constructivistes révèle que, contrairement à l’épistémologie positiviste, ces paradigmes offrent une nouvelle perspective sur la construction de la réalité sociale. Cette recherche critique est essentielle pour comprendre les enjeux contemporains des formes organisationnelles et leur renouvellement.
- Deux approches « constructivistes » :
L’approche constructiviste a été notamment développée et défendue par Jean Louis Le Moigne qui tente, lui aussi, de « proposer un paradigme épistémologique alternatif à l’épistémologie positiviste »168.
Le constructivisme peut se définir comme une approche abordant la réalité sociale comme résultante de l’action des individus. Comme l’explique Jean Louis Le Moigne : « le réel existant et connaissable peut être construit par ses observateurs qui sont dès lors ses constructeurs »169. De même, pour Paul Valéry : « Les vérités sont choses à faire et non à découvrir, ce sont des constructions et non des trésors ».
Bachelard soutient également la même position en affirmant que « rien n’est donné, tout est construit »170. Enfin, Simon défendit aussi cette théorie dans sa thèse d’Economie Politique soutenue en 1943 : « les organisations sociales ne sont pas des données, elles sont conçues ».
Les prémisses de l’opposition entre approche positiviste et constructiviste se retrouvent dans le débat qui opposa en son temps Platon et Protagoras :
Platon, notamment au travers de la célèbre allégorie de la caverne, nous invitait à nous défaire des apparences pour trouver l’immuable, le transcendantal, les lois universelles guidant l’homme, et plus généralement le monde, le cosmos. A la recherche de l’aïdos, la forme idéale, il proposa donc une approche positiviste de la réalité.
Pour Protagoras et les sophistes, bien au contraire, il n’existe pas de lois universelles, transcendantales, et, pour eux, « l’homme est la mesure de toute chose ». Prônant une approche immanente, ils défendent l’idée selon laquelle il n’existe pas de chose en soi indépendamment de l’appréhension des individus.
Ce n’est alors plus l’aïdos qu’il faut rechercher, mais le Kaïros (le moment opportun), en cultivant la Metis (l’intelligence de l’action).
La perspective constructiviste se retrouve dans les nouvelles théories organisationnelles, notamment au travers de la reconnaissance formelle et l’intégration stratégique du « système de régulation autonome » et qui renvoie aux règles inventées par les travailleurs au cours de leur travail selon une logique immanente.
Partant du principe que toute organisation doit être gérée par ceux qui y appartiennent et que chacun doit prendre part à la construction de la réalité dans laquelle il s’insère, la pensée autogestionnaire prend elle aussi largement partie pour l’approche constructiviste.
Jean Louis Le Moigne et Daniel Carré définissent ainsi l’autogestion comme un appel « à construire son milieu de vie par autopoesis », comme une « autoconstruction du monde futur »171.
L’approche constructiviste et la pensée autogestionnaire ont ainsi pour point commun de partir de la « base » pour penser les processus organisationnels.
- Deux pensées complexes :
A l’instar de la systémique, ces différents cadres conceptuels ne sont pas à penser isolément, ils sont tous liés : chacune de ces théories renvoie aux autres théories tout en les affinant, nous offrant en quelque sorte un paradigme propre à la fois à élargir et à préciser nos connaissances, notamment dans le domaine des organisations.
C’est sous la plume d’Edgar Morin que l’on trouve une des conceptions les plus globales de ce nouveau paradigme qu’il nomme « complexe » et qu’il définit comme « un paradigme de disjonction-conjonction permettant de distinguer sans disjoindre, d’associer sans identifier ou réduire »172, un paradigme apte à penser les systèmes « complexes (…) faits d’éléments antagonistes qui n’en sont pas moins complémentaires tout en continuant de s’opposer l’un à l’autre »173.
Le paradigme de la complexité permet ainsi de penser les interactions (comme le préconise la systémique) et les paradoxes (dans la droite ligne de l’approche dialectique), des éléments qui deviennent d’une importance capitale dans un environnement instable, incertain, en mouvement perpétuel…en un mot complexe, et qui encourage à l’innovation, à la créativité et à l’inventivité permanente de nouvelles pratiques pour construire/déconstruire/reconstruire des formes organisationnelles viables car adaptées.
Après avoir comparé nouvelles théories organisationnelles et théorie autogestionnaire, nous allons confronter ces nouvelles théories de l’organisation aux pratiques d’une entreprise autogérée.
La dernière partie de notre travail sera donc consacrée à l’étude d’une organisation autogérée visant à mettre en lumière ses principes et pratiques communicationnels et organisationnels pour montrer leur congruence avec les nouvelles théories organisationnelles.
S’esquissera alors, pour ses théories, un objet d’étude certes bien particulier, mais qui semble mettre en application l’ensemble des concepts dont elles sont porteuses.
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167 JULLIEN, François. Procès ou création, une introduction à la pensée de lettrés chinois. Paris : Editions du seuil, 1989. ↑
168 http://www.dauphine.fr/crepa/ArticleCahierRecherche/CahierdeRecherche/cahier53.pdf ↑
169 Le MOIGNE., Jean-Louis. Les épistémologies constructivistes. PUF, 1995 ↑
170 BACHELARD, Gaston. La formation de l’esprit scientifique. Paris, Librairie philosophique Vrin, 1999 ↑
171 LE MOIGNE, Jean-Louis et CARRE, Daniel. Auto organisation de l’entreprise, 50 propositions pour l’autogestion. Les Editions d’Organisation, 1977 ↑
172 MORIN, Edgar. Introduction à la pensée complexe. ESF, 1990 ↑
173 DUPUY, Jean-Pierre. Ordres et désordres, enquête sur un nouveau paradigme. Editions du Seuil, 1982 ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’approche constructiviste dans le contexte organisationnel?
L’approche constructiviste aborde la réalité sociale comme résultante de l’action des individus, affirmant que le réel existant et connaissable peut être construit par ses observateurs.
Comment l’autogestion est-elle liée à l’approche constructiviste?
La pensée autogestionnaire prend largement partie pour l’approche constructiviste, partant du principe que toute organisation doit être gérée par ceux qui y appartiennent et que chacun doit prendre part à la construction de la réalité.
Quel est le rôle du paradigme de la complexité dans les organisations?
Le paradigme de la complexité permet de penser les interactions et les paradoxes dans un environnement instable, incertain et en mouvement perpétuel, encourageant ainsi l’innovation.