L’analyse comparative approvisionnement bois révèle qu’en Côte d’Ivoire, seulement 16 % du bois provient de sources légales, un chiffre alarmant qui soulève des questions cruciales sur la durabilité des ressources forestières. Cette étude met en lumière les dysfonctionnements du marché local et propose des solutions innovantes pour un approvisionnement responsable.
Côte d’Ivoire
- Aspect général de la filière bois
La Côte d’Ivoire est située entre les longitudes 2°30’ et 8°30’ Ouest et les latitudes 4°30’ et 10°30’ Nord. Elle est limitée au Sud par l’océan Atlantique et elle partage ses frontières avec le Ghana à l’Est, le Burkina Faso et le Mali au Nord, la Guinée et le Libéria à l’Ouest (Zon et al., 2022). Sa population est de 29 389 150 habitants (INS, 2022).
L’étendue de sa forêt (tableau VIII) est de 9,2% de son territoire, donc 2,97 millions d’hectares. Elle correspond à une déforestation annuelle moyenne de 2,8% depuis 1986 (Pirard et al., 2021). A ce rythme, il ne restera que 2 millions d’ha de forêt en 2035 c’est-à-dire demain. Ses forêts denses sont rares (1,6% du territoire, soit 407 321 hectares), et côtoient des forêts secondaires dégradées (1,6%), des forêts claires (3,7%), des savanes (1,1%), des forêts galeries (0,9%, le long des cours d’eau), et du reboisement (0,9%).
Les aires protégées (parcs nationaux) ne sont couvertes que d’un tiers de forêts alors que le chiffre devrait être proche de 100% si l’on se réfère à leur destination et à leur cadre juridique (Zon et al., 2022). Les rares parcs nationaux encore intacts dans le Nord ou l’Ouest du pays ne doivent pas faire illusion.
Les Forêts classées n’abritent que 13,3% de forêt au point d’à peine justifier leur titre (rappelons que celles-ci correspondent à des terres où les forêts sont censées subsister de manière permanente). Le chiffre descend à 6,7% pour le domaine rural, ce qui est plus attendu pour des terres dédiées au développement agricole (Pirard et al., 2021).
On constate que le secteur ombrophile dont l’importance d’un point de vue environnemental est cruciale (par ex. stocks de carbone), n’abrite des forêts que sur un peu plus d’un dixième des terres (11,8%), ce qui représente néanmoins plus du double de ce qu’on constate dans les secteurs mésophiles et de montagne dont les forêts jouent également un rôle stratégique (Pirard et al., 2021).
Tableau VIII : Récapitulatif des forêts selon le biome (macro-système forestier) et le statut des terres.
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Source : IFFN, 2021
Les espaces boisés qui ont été volontairement créés ou recréés pour la production industrielle de bois d’œuvre l’ont été pour l’essentiel dans les forêts classées et à 87% en espèces exotiques (particulièrement avec du teck). Sur les 300 000 ha officiellement plantés ne subsistent que 92 000 et les effectifs et les volumes des arbres exploitables (de diamètre suffisant) sont très faibles, certainement en raison d’un manque d’entretien et d’une exploitation hâtive et contre-productive sur la durée (Pirard et al., 2021).
La replantation d’arbres obéit en effet à des conditions multiples et une gestion très rigoureuse dans le temps pour donner le résultat attendu (Zon et al., 2022).
À l’échelle du pays, la cacao culture est la principale responsable de la déforestation. L’anacarde joue un rôle ambivalent, il occupe 2,7 millions d’ha, mais a reconquis des savanes herbacées. En zone ombrophile, l’hévéa et le palmier ont également (ou ont eu) un rôle important dans la déforestation (Pirard et al., 2021).
La demande des produits forestiers est très importante, tant sur le marché local qu’au niveau mondial. Aujourd’hui, la structure de l’offre a été bouleversée et profondément modifiée à cause de la raréfaction des bois de tranchage et de sciage, autrefois abondants. La situation de l’offre en bois d’œuvre est très faible et la tendance est à la baisse.
Les projections indiquent qu’en 2020, l’offre en bois de tranchage devrait se situer autour de 10 000 m3. Concernant les bois de sciage, les essences prisées se sont raréfiées au profit des essences secondaires encore moins utilisées. Les statistiques indiquent que la disponibilité en bois ronds industriels de forêts naturelles est d’environ 2.500.000 m3 par an.
Par ailleurs, la production de bois ronds issus des plantations est en hausse. Les plans d’aménagement des forêts abritant les plantations forestières ont permis d’estimer la production annuelle moyenne de bois d’œuvre de plantation à 622.000 m3 par an entre 2008 et 2012. La production de bois de chauffage est difficilement à évaluer (Traore, 2019).
Toutefois, on estime que le bois de chauffage représente 80 à 90 % de toute la consommation de bois. Les besoins en bois de feu augmentent avec l’accroissement de la population et constituent une cause majeure de déboisement des forêts en Côte d’Ivoire. La production de bois de feu a été estimée en 1995 à 14 millions de m3.
En effet, les estimations sur la base des données du recensement de 1998, et celles relatives aux prévisions de consommation d’énergie en 2020, la population globale de la Côte d’Ivoire devrait être multipliée par 3,3% (Traore, 2019). A ce titre, la consommation de biomasse énergie devrait être multipliée également par 3,3%, alors que le niveau de production de biomasse du domaine forestier rural hors forêts classées estimé en 1986, équivaudrait à 65% de la consommation en 2020.
Au niveau des forêts classées, la production est estimée à 6 millions de tonnes équivalent à 20% de la consommation en 2020. L’équilibre entre l’offre et la demande de biomasse énergie ne peut donc être atteint sur ces bases. Les projections indiquent qu’en 2020, le pays connaîtra une pénurie de bois de chauffe qui pourrait bien être compensée par d’autres combustibles, notamment, les hydrocarbures, le gaz butane et l’électricité (Traore, 2019).
Rappelons que l’enjeu économique de l’exploitation forestière a débuté en Côte d’Ivoire en 1880. Elle s’est développée durant la période coloniale. La production de bois d’œuvre et d’ébénisterie a connu un grand essor après l’indépendance. Le volume des coupes devient très important dans les années 1970. Il atteint son niveau le plus élevé en 1977 (5.321.000 m3) avant de décroître jusqu’à 2 millions de m3 aujourd’hui.
La réforme de l’exploitation forestière a été introduite par le décret n° 94-368 du 1er juillet 1994 pour améliorer la gestion de l’exploitation forestière, valoriser la ressource ligneuse par une transformation plus poussée du bois, réhabiliter le domaine forestier par des activités de reboisement et assainir la profession d’exploitant forestier (Traore, 2019).
L’on note que les activités du secteur bois ont joué un rôle prépondérant dans le développement social et économique de la Côte d’Ivoire pendant des décennies en tant que troisième produit d’exportation. En effet, après avoir occupée une place importante dans l’économie pendant les années 60 et 70, la Côte d’Ivoire était le troisième exportateur mondial de bois, avec 7% de l’offre globale, soit la moitié de l’offre africaine (premier exportateur de bois du continent) et procurait 100.000 emplois directs (Traore, 2019).
L’exploitation forestière représentait en 2000 moins de 10% de la valeur des exportations et occupait 40 000 emplois. Malheureusement, les activités du secteur bois ont connu une nette régression ces dernières décennies. En 2010, les exports de la filière s’élevaient à 2% du montant des exports, contre 4,4% en 2007 (Traore, 2019).
Cela s’explique en partie par la raréfaction des essences de bois d’œuvre, la structuration de l’industrie du bois qui compte un nombre trop important d’unités de première transformation et les contraintes actuelles du marché.
Au niveau social, les pertes d’emplois et de revenus sont nettement perceptibles avec la fermeture de plusieurs unités de transformation et la baisse d’activités dans toutes les composantes du secteur (exploitation, transformation, transport, commercialisation…).
Au plan économique, le prix du marché, le coût élevé du matériel et des carburants sont autant de facteurs défavorables. Il est plus rentable pour l’économie ivoirienne d’exporter du bois scié ou déroulé, mieux encore du bois ayant fait l’objet d’une seconde transformation, plutôt que des grumes à l’état brut dont beaucoup échappent au contrôle de l’Etat (Zon et al., 2022).
Ce qui permettra de contrôler les exploitants forestiers et le prélèvement des taxes accompagnera la restauration des forêts (Traore, 2019).
Le volume de bois légal vendu sur le marché local est diversement estimé selon les sources convoquées. Les chiffres officiels du ministère des eaux et forêts (MINEF) faisaient état d’un volume de 41 187 m3 pour l’année 2008, tandis que les professionnels du secteur évoquaient un volume de 350 000 m3 pour la même année (Cerutti et al., 2015).
En 2014, les statistiques du MINEF avançaient un volume de vente locale de 101 023,041 m3 représentant environ 15 pour cent de la production nationale de sciages (MINEF, 2014). Les volumes de sciages vendus localement ont progressivement évolué pour se situer à environ 168 000 m3 en 2017 (Cerutti et al., 2015).
Cette évolution sensible est probablement une conséquence de l’entrée en vigueur du Règlement sur le Bois de l’Union Européenne (RBUE) et des tensions sur le marché international du bois. Les deux phénomènes ont amené les industriels qui ne pouvaient pas s’arrimer à la nouvelle réglementation à se tourner davantage vers le marché local.
Plusieurs industriels ont affirmé qu’une partie de leur production était déjà commercialisée sur le marché local (figure 11 et 12). Pour ces industriels, “le local c’est l’avenir de la filière”, à condition que le cadre réglementaire soit incitatif (Cerutti et al., 2015).
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Figure 11 : Production de sciage légal Source : Cerutti et al., 2015 | Figure 12 : Vente locale de sciage industriel Source : Cerutti et al., 2015 |
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Le marché international est de loin plus rémunérateur que le marché national (OIBT, 2019). Les prix de vente des sciages industriels à l’exportation sont entre 70 et 80 pour cent plus élevés que ceux pratiqués sur le marché local (figure 13 et 14), ce qui les met quasiment hors de portée de la majorité des détenteurs de dépôts de vente de bois (Cerutti et al., 2015).
En ce qui concerne le marché national, on estime qu’à l’heure actuelle la part de sciages d’origine illégale représente approximativement 73 pour cent des 1,9 million de m3 de sciages qui circulent sur le marché domestique de Côte d’Ivoire.
Figure 13 : Prix du bois de sciage industriel et informel (FCFA/m3)
Source : Cerutti et al., 2015
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Figure 14 : Principales essences commercialisées.
Source : Cerutti et al., 2015
L’État et les collectivités territoriales contribuent indirectement à cette exploitation illégale à travers la consommation des produits forestiers d’origine incertaine dans le cadre des marchés publics (Cerutti et al., 2015).
Le marché international, c’est la commercialisation du bois de la Côte d’Ivoire, au-delà ses frontières. Il peut être subdivisé en d’autres marchés tels que le marché sous-régional, le marché Européen, le marché Asiatique ou le marché Américain (Louppe et Ouattara, 2013).
L’exportation du bois débité se fait par voie terrestre ou par voie maritime. De 2017 à 2020, l’exportation de bois débité par voie terrestre représentait 27% des ventes à l’export. Ce produit part en direction de 11 pays africains qui sont : Benin, Burkina Faso, Gambie, Ghana, Guinée, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et le Togo. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso occupent 84% des ventes. Les essences les plus vendues sont le Fromager, l’Ako, le Samba et le Dabema (DPIF, 2020). Le Fromager représente 70% des ventes (figure 15).
140 000
120 000
100 000
80 000
60 000
40 000
20 000
–
Mali
Niger
Burkina
Maurita
Volume (m3) 129 2
115 2
107 1
.
57 16
Guinée | Bénin | Sénégal | Libéria | Togo | Gambie | Ghana |
2 970 | 1 467 | 1 116 | 825 | 395 | 64 | 32 |
Figure 15 : Volume de bois débité exporté, en m3, par voie terrestre de 2017 à 2021.
Source : Auteur, 2022 ; à partir des données d’enquêtes
L’exportation du bois débité par voie maritime représente 73% de ces ventes. Ce bois est vendu sur les 05 continents. L’Europe en reçoit plus de la moitié. Les essences les plus vendues sont le Fromager (50% des ventes), le Dabema, le Samba, l’Ilomba et l’Iroko (Figure 16).
140 000
120 000
100 000
80 000
60 000
40 000
20 000
–
EUROPE
AFRIQUE
ASIE
AMERIQUE
OCEANIE
2017
2018
2019
2020
2021
Figure 16 : Exportation de bois débité par voie maritime, de 2017 à 2021.
Source : Auteur, 2022 ; à partir des données d’enquêtes
Acteurs et fonctionnement de la filière bois
La filière du bois débité implique plusieurs acteurs (figure 17). Il s’agit des producteurs du bois, des transformateurs, des transporteurs, des commerçants, des chargeurs/déchargeurs, des consommateurs, des exportateurs et des services publics de l’Etat de Côte d’Ivoire. Ces acteurs entretiennent un lien hiérarchique qui part de la production de la ressource du bois naturel à l’usage final du bois débité.
CONSOMMATEURS
COMMERÇANTS
TRANSPORTEURS
TRANSFORMATEURS
CHARGEURS /DÉCHARGEURS
PRODUCTEURS
SERVICES PUBLICS DE L’ÉTAT
Figure 17 : Pyramide hiérarchique des acteurs de la filière bois débité, de la production à la consommation.
Source : Auteur, 2022 ; à partir des données d’enquêtes
L’approvisionnement du marché local en bois débité d’origine légale est fortement dépendant de cette organisation. Les services publics assurent la protection, l’innovation et le contrôle sur toutes les activités de la chaîne d’approvisionnement. A ce titre, ils demeurent le point de départ de la mise en œuvre de ces activités.
Les chargeurs / déchargeurs intervient sur tous les maillons de la chaîne en assurant la mobilité du matériel nécessaire (bois, outils, documents…). Les consommateurs sont au bout de cette chaîne. Ils émettent les flux monétaires en contre partie des flux matériels (le bois débité).
Les acteurs construisent et maintiennent des relations entre eux (voir figure 18). Ces relations sont observées selon les processus de production, transformation et de commercialisation (voir tableau IX).
Trois (03) processus sont identifiables dans la chaîne d’approvisionnement du marché local en bois débité d’origine légale (tableau IX) :
- Le processus de production de bois brut permet de constituer la matière première naturelle ou de plantation. C’est le processus le moins exigent en acteurs. Les services publics de l’État conservent la ressource naturelle et constitue le bois de plantation par la mise en œuvre des conditions nécessaires. Les producteurs acquièrent, de ce fait, la propriété légale indispensable à l’exploitation du bois. Les chargeurs/déchargeurs et les transporteurs sont sollicités pour assurer la logistique autour de l’exploitation du bois.
- Le processus de transformation consiste à débiter le bois exploité en produit semi fini. Les services publics de l’État créent les conditions favorables à l’exploitation du bois. Cet environnement rassure les transformateurs qui ravitaillent les commerçants au traves des chargeurs/déchargeurs et transporteurs.
- Le processus de commercialisation permet au client d’accéder au bois pour sa consommation. Ce processus est le plus exigent en acteurs. En effet, si l’omniprésence des services publics de l’État, des chargeurs/déchargeurs et des transporteurs est constatée pour leurs charges habituelles, les autres acteurs en dehors des producteurs interviennent. Ainsi, les échanges ont lieux entre les commerçants et les clients.
COMMERÇANTS
CONSOMMATEURS
CHARGEURS / DÉCHARGEURS
TRANSPORTEURS
SERVICES PUBLICS DE L’ÉTAT
TRANSFORMATEURS
PRODUCTEURS
Relations lors de la production de bois débité
Relations lors de la transformation de bois débité
Relations lors de la commercialisation de bois débité
Figure 18 : Relations de fonctionnement de la chaîne de valeur de la filière bois débité
Source : Auteur, 2022 ; à partir des données d’enquêtes
Tableau IX : Fonctionnement de la chaîne de valeur du bois débité légal
PROCESSUS ACTEURS | Production | Transformation | Commercialisation |
Services publics de l’état | |||
Producteurs | |||
Chargeurs/Déchargeurs | |||
Transporteurs | |||
Transformateurs | |||
Commerçants | |||
Consommateurs |
Source : Auteur, 2022 ; à partir des données d’enquêtes
Conclusion partielle
Ce chapitre s’est accentué sur quelques aspects généraux de l’étude. Son objectif est de présenter, de façon générale, la situation de la filière bois dans le monde.
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2 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
3 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelle est la part de bois d’origine légale sur le marché local en Côte d’Ivoire?
Seulement 16% du bois provient de sources légales, le reste étant alimenté par un commerce parallèle frauduleux.
Quelles sont les principales causes du dysfonctionnement du marché du bois en Côte d’Ivoire?
Les causes incluent les coûts de production, la faible valorisation du bois et des textes législatifs inadaptés.
Comment la déforestation affecte-t-elle les forêts en Côte d’Ivoire?
La déforestation annuelle moyenne est de 2,8% depuis 1986, et à ce rythme, il ne restera que 2 millions d’hectares de forêt en 2035.