Analyse du statut des femmes divorcées en Kabylie

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🏫 Universite Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou - Faculte des Lettres et des langues - Departement langue et culture amazighes
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Juin 2018
🎓 Auteur·trice·s
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina

Le statut des femmes en Kabylie, en particulier celui des femmes divorcées, est analysé à travers des entretiens menés à Makouda. L’étude met en lumière l’évolution de ce statut depuis l’indépendance, en confrontant les réalités de la société traditionnelle et moderne.


Cadre méthodologique

Présentation du sujet

Notre thème de recherche intitulé « statut de la femme divorcée » propose un regard sur le statut de la femme divorcée au sein de la société kabyle et son évolution, depuis l’indépendance à nos jours. L’étude se penche sur plusieurs cas de divorces que nous avons recueillis lors de nos entretiens avec des femmes divorcées dans la région de Makouda.

Notre travail s’inscrit dans le champ de l’anthropologie sociale et par extension de celui de l’anthropologie du changement social ou dynamique. Nous avons tenté de comprendre, entre autre, les différents facteurs qui ont amené au divorce, les droits de la femme divorcée et le regard que réserve la société à ce genre de phénomène dans un milieu comme celui de la Kabylie connue par la rigueur de ses coutumes.

Le choix du thème

Notre intention de travailler sur « le statut de la femme divorcée dans la société kabyle » est motivé à la fois par des raisons subjectives et objectives.

Les raisons subjectives

Le choix du sujet et le fruit de motivation personnelles qui ont alimenté notre curiosité du fait que la femme divorcée est marginalisée, mal vue, placée dans la cellule d’accusation par notre société

Les raisons objectives

Le manque d’études sociologique, anthropologique récentes qui concerne le statut de la femme divorcée vu qu’il est un sujet tabou dans notre société. Pour ceci on souhaite par ce modeste travail participer à enrichi l’inventaire des travaux déjà réalisés dans cette perspective.

En tant qu’étudiantes, nous sommes interpellées pour contribuer à rendre visibles tous les sujets considérés comme tabou dans notre société.

Problématique

Dans la société traditionnelle kabyle, la vie de la femme est liée aux rites de la naissance et de la mort qui marquaient le début et la fin de la vie d’une femme. En Kabylie, celle-ci occupe une place cardinale dans la sauvegarde et la reproduction du groupe.

De tout temps elles ont su faire perdurer notre culture malgré les situations difficiles auxquelles elles ont été confrontées. La femme dans notre pays, en particulier la femme divorcée, est victime d’injustices et de violences de la part de la société de la famille.

Dans les pays du tiers-monde, la femme divorcée occupe une position sociale défavorisée. Ceci rend sa contribution à la production nationale insignifiante et freine ses capacités créatrices au sein des groupes sociaux. Le statut et la situation de la femme divorcée restent toujours marqués par de profondes inégalités comparés à ceux des autres.

Il s’agit des pratiques que l’on retrouvait dans la société traditionnelle kabyle, ainsi que dans les pays arabo-musulmans. La question du statut de la femme divorcée est basée sur un socle inégalitaire, dans la mesure où les droits de la femme en général et précisément la femme divorcée ont été considérés, une fois comme une atteinte aux fondements religieux de l’Etat, et une fois comme une atteinte aux principes fondamentaux de la société.

« Le divorce est la dissolution du mariage, du vivant des deux époux, à la suite d’une décision judiciaire, rendu à la requête de l’un d’eux ou de l’un et de l’autre »1.

L’objectif de notre étude c’est d’arriver à saisir les facteurs qui interviennent dans ce phénomène, ses conséquences sur la vie quotidienne de la femme divorcée.

Nous allons essayer de parvenir à la question du divorce et répondre aux questions suivantes :

  • Quels sont les facteurs du divorce ?
  • Comment la femme divorcée est perçue par la société kabyle ?
  • Les changements dans la société kabyle ont-ils influé sur le statut de la femme divorcée ?

Les hypothèses

Notre étude suppose une hypothèse liée au phénomène du divorce ses causes et ses conséquences particulièrement son influence sur les femmes.

En guise de réponses anticipées aux questions que nous nous sommes posées, nous avons construit les hypothèses suivantes :

  • Les raisons principales du divorce reviennent à la stérilité.
  • La femme divorcée est dévalorisée par la société, elle occupe un statut subalterne.
  • La demande de divorce est plus élevée chez les hommes que chez les femmes.

1 Fenouillet (D), Terre (F), les personnes la famille les incapacités, Dalloz, Paris, 7e éd., 2005, p. 407

Champ conceptuel

Un mot peut avoir plusieurs sens selon les contextes dans lesquels il est utilisé et complique ainsi la compréhension de la théorie qui est construite autour de lui. C’est ainsi qu’il convient de l’expliciter dans ses divers aspects et préciser le sens retenu. Pour ce qui nous concerne, nous élucidons successivement les mots-clés suivants: mariage, divorce, statut.

  • Mariage : Le mariage est défini comme « un contrat consensuel passé par un homme et une femme dans les formes légales. Il a, entre autres buts, de fonder une famille basée sur l’affection, la mansuétude et l’entraide, de protéger moralement les deux conjoints et de préserver les liens de la famille. »2
  • Divorce : Notre étude se base sur ce concept majeur. Il est considéré comme un phénomène social, un phénomène qui occupe une place privilégiée dans la tradition sociologique, comme indicateur du lien social et des fragilités.3

Le divorce est la dissolution du mariage civil prononcé par un jugement.4

  • Berru (divorce dans la société kabyle) : si les Kabyles épousent rarement plusieurs femmes à la fois. En revanche, il n’est pas rare qu’un ménage ne vive pas ensemble toute une vie et les mariages avec plusieurs femmes successives sont fréquents. A vrai dire, la répudiation est facile et paraît surtout justifiée quand la stérilité en est la cause. Il suffisait alors au mari de prononcer par trois fois la formule « ruḥ briɣ-am » (je te répudie ») et faire enregistrer le divorce. Autrefois, en Kabylie les femmes ont la possibilité de quitter la maison de leur mari et de retourner dans celle de leur père. C’est ce qu’on appelait une femme « insurgée » ou « rebelle » (tamnafaqt ou tambwarebt), mais il s’agissait plus souvent d’une simple fugue, surtout lorsqu’il y avait des enfants qui devaient rester au domicile du père. […]5
  • Famille : Le mot famille est un terme général qui s’applique à diverses réalités. De ce fait, plusieurs auteurs définissent ce terme de différentes manières selon leur spécialité et leur conception.

D’une part, les formes familials sont diverses, du mariage à la cohabitation, de la famille classique à la famille monoparentale et à la famille recomposée. D’autre part, les individus et les institutions changent de point de vue selon leurs intérêts. Au moment de la naissance, du mariage, de la mort, la famille se donne en présentation sous des contours différents. La famille pour l’état civile, se distingue également de celle mise en œuvre par la politique sociale. Elle est donc un groupe d’appartenance flexible.6

  • Statut : Le statut désigne une condition déterminée et imposée à travers une régulation législative. Il est aussi une situation personnelle résultant de l’appartenance à un groupe régi par des dispositions juridiques ou administratives particulière7.

Dans le contexte algérien, Andésian a expliqué que le statut juridique de la femme en Algérie est dégradé par rapport à celui de l’homme, et cela, selon cette auteure à cause de pratiques imposées par le droit formel telles que l’obligation pour toute femme d’avoir un tuteur lors du mariage8.

Dans un contexte autre que juridique, le statut peut désigner une condition ou une situation attribuée à l’individu dans un ordre social ou culturel9. Dans le contexte culturel kabyle Pierre Bourdieu affirme que le pouvoir coutumier kabyle a attribué à la femme une condition défavorable par rapport à celle de l’homme. Selon cet auteur, « la condition de la femme kabyle tient plus de la coutume et particulièrement de la primauté du groupe »10.

Les techniques de recherche

    1. L’observation : du latin observare « observer, surveiller »

Considération d’un fait directement, ou par l’intermédiaire d’instrument, en vue de le connaitre. Il faut insister sur cette finalité de connaissance qui définit l’observation elle implique qu’il n’y a pas d’observation qui ne soit inscrite dans un programme ou dans une idée qui lui donne sens comme l’écrit Claude Bernard (principes de médecine expérimentale, 1847) :

« Les observations empiriques sont les observations faites sans aucune idée préconçue et dans le seule but de constater le fait […] mais une fois les faits d’observation empirique établis, il faut leur donner une signification, en déduire des lois à l’aide d’hypothèses et d’observation, qui sont la pierre de touche propre à les vérifier. C’est à ces dernières observations qu’il faut donner le nom d’observation scientifique. Elles sont nécessairement faites en vue d’une idée préconçue qu’il s’agit de vérifier. »11

On voit donc combien l’observation est loin d’un empirisme passif où observer serait voir, enregistrer, pour affirmer la présence de l’idée (de la théorie) sur l’observation. Certains soutiendront non seulement la thèse selon laquelle toute observation scientifique est imprégnée de théorie et suppose une interprétation des données, mais que c’est l’observation elle-même qui diffère.

Ce débat de la communauté scientifique se retrouve en sociologie et en anthropologie, dans l’observation de terrain. L’enquêteur peut rester extérieur au groupe, le décrire, noter des faits qui permettront l’analyse factorielle. Mais il peut faire aussi de l’observation participante et chercher à s’intégrer au groupe étudié tout en préservant la distance de l’observateur. La question se pose, dès qu’il s’agit de « comprendre », de savoir ce qu’il en est de l’observation et de la projection subjective qui s’y substitue.

Cette technique de recherche nous a permis de recueillir des informations et des données à propos de notre étude.

L’entretien

L’enquête par entretien est largement utilisée en sciences sociales et humaines et constitue un outil de recherche très pertinent.

Afin d’être bien organisées dans le travail de terrain et pour pouvoir recueillir des informations utiles et fiables, nous avons utilisé l’entretien semi directif. «Dans l’entretien semi directif, on pose des questions au départ et par la suite, laisser parler l’enquêté ou l’aider par les sous questions sans pour autant diriger…dans l’entretien semi directif, tout comportement posé est observable ; par exemple les silences, l’agitation, les gestes mimiques, les tics, l’accoutrement du répondant, l’humeur, etc. ». L’entretien semi- directif a permis de nous rendre compte effectivement des attitudes, des réactions, des perceptions, des comportements, du vécu psychosocial des femmes divorcées.

Pendant l’entretien nous avons adopté l’enregistreur comme moyen de travail, c’est-à- dire par enregistrement sur magnétophone afin de réduire la perte d’information, et le réaliser une bonne transcription.

A chaque fois en demandions l’autorisation aux enquêtées avant de procéder à l’enregistrement et cela posait rarement un problème. Le plus court des entretiens nous a pris un heur, les plus longs deux heurs. Dans la plupart des cas l’entretien se déroulait à leurs domiciles.

En principe, aucune personne étrangère n’était présente à l’entretien, mais pour certains cas difficiles, où la confiance de l’enquêtée n’est pas totale, nous nous sommes aidées de la participation d’une amie plus proche de l’enquêtée pour une mise en confiance totale.

Les difficultés du terrain

La collecte des données n’a pas été sans obstacles. En effet, tout travail de recherche en sciences sociales, et particulièrement le nôtre qui comporte des questions touchant l’intimité de la personne enquêtée ne peut pas se passer sans manquements.

En effet, une des difficultés majeures était de trouver les enquêtées (les divorcées). Il nous a fallu alors chercher quelqu’un qui puisse nous donner les informations nécessaires, c’est-à-dire quelqu’un qui pourrait nous orienter et nous mettre au courant de la situation de telle divorcée et de son adresse complète.

Nous étions obligées de nous faire conduire par quelqu’un d’autre. Nous avons aussi connu la difficulté d’accès dans les foyers car, parfois on refusait de nous recevoir et il fallait rentrer et y revenir après, une fois, deux fois, voire quatre fois et même plus.

Une autre difficulté non négligeable a été d’obtenir l’information voulue auprès des divorcées. Elles éprouvaient une honte à nous livrer des informations si intimes de peur qu’elles soient divulguées.

Nous nous sommes également heurté à des résistances de nos enquêtées dues à l’utilisation d’un appareil enregistreur. Ajoutant à tous cela l’interdiction d’assister aux séances de la conciliation et de prononciation qui se déroulent entre les époux.

Malgré toutes ces difficultés, nous avons tout de même pu mener des entretiens avec sept cas. Les informations intéressant notre travail ont été donc récoltées malgré toutes ces difficultés.

Méthodes d’analyses des données

La recherche anthropologique ne se limite pas à un simple travail de recueil de données et de descriptions mais le plus important pour le chercheur est d’arriver à faire une analyse des informations collectées pour aboutir à des conclusions.

Pour cela, nous avons procédé à la transcription des données recueillis en vue de faciliter l’analyse et l’interprétation. La démarche utilisée dans l’analyse et l’interprétation s’est appuyée sur nos objectifs de recherche. Après quoi, nous avons procédé à l’analyse qualitative des données. Dans la démarche qualitative, l’approche est exploratoire. Ce qui est intéressant n’est pas la quantité d’informations mais la qualité d’informations. Donc, c’est la découverte de la nouveauté qui est importante. Lors de l’interprétation nous sommes passé à la confrontation des faits aux théories des auteurs que nous avons lu pour cerner le sens des propos de nos enquêtés et des observations faites.

________________________

2 Code de la famille algérien, 2007, p .1

3 GRESEL F, et al, Dictionnaire des sciences humaines, sociologie, psychologie sociale, anthropologie, Nathan, Paris, 1990, p.51

4 Dictionnaire LAROUSSE poche, Paris, 2017.

5 LACOSTE-DUJARDIN Camille, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, édition la découverte, Paris, 2005, p118

6 AKOUN André. ANSART pierre, Le dictionnaire de sociologie, le Robert Seuil, p 217

7 ETIENNE Jean, Dictionnaire de sociologie, édition Hatier, Paris, 1997.

8 Andésian Sosie, Femme et religion en islam, Paris, CNRS, 2001, p.240-250.

9 ETIENNE Jean, op. cit.p103

10 BOURDIEU Pierre, Le sens pratique, Paris, éditions de Minuit, 1980, p. 184

11 DE KETELE Jean-Marie. ROEGIERS Xavier, Méthodologie en sciences humaines, éd de Boeck, Bruxelles, 2009, p 370.

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