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L’impact de la sorcellerie sur le divorce en Kabylie

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🏫 Universite Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou - Faculte des Lettres et des langues - Departement langue et culture amazighes
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Juin 2018
🎓 Auteur·trice·s
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina

La sorcellerie et divorce en Kabylie sont des phénomènes interconnectés, influençant le statut des femmes divorcées à Makouda. Cet article analyse comment les pratiques de sorcellerie affectent les relations conjugales et les perceptions sociales des femmes dans un contexte de transition entre tradition et modernité.


La sorcellerie ou la magie

La sorcellerie, ou la magie noire, est une pratique sociale qui a des racines profondes dans la société kabyle. Elle existe depuis l’antiquité jusqu’à nos jour. Généralement, elle est le domaine des femmes mais sans négliger une minorité des hommes qui en croient.

La sorcellerie a deux aspects négatif et positif : positif quand elle sert à assurer la continuité d’une union matrimoniale, négatif dans le but de désunir un couple déjà formé ou en voie de formation. Comme le souligne Makilam « la pratique magique devient une mauvaise sorcellerie dans le but de détruire ».1

« Les femmes recourent à la magie dans le but de régler leur vie sociale et relationnelle »2. En premier lieu, elle est donc utilisée contre le mari et à l’encontre de la belle-famille. Contre le mari, par crainte d’être répudiée, qu’il prenne une coépouse, d’être trompée ou pour le rendre obéissant. Contre la belle-famille, l’auteure de la magie cherche principalement à éliminer la « dictature » de la belle-mère et des belles-sœurs ou des beaux-frères, de parvenir à se faire obéir d’eux, de ne plus partager le même toit, d’obtenir que le mari rompe totalement avec sa famille.

On fait aussi de la sorcellerie à un homme pour lui faire désirer une fille en vue du mariage ou bien pour le faire divorcer et détester ses enfants. Ses pratiques entre dans les croyances et entre dans le dispositif expliquant une rupture du lien conjugale ou autre. Ceci est illustré par une de nos enquêtées :

« Asmi i d-kkseɣ imir akkagi yiwen uɣesmer n wuccen akagi i tebrikt, sken-a-asɣ-t asqereɣ balak d wagi i ken-rren d acu-t wagi, yenna-d d kemm i t-yerran, d kemm i t-id-yeksen. Après sɛdaɣ-t-id akka i yemma nniɣ-as awi-t i wid yesnen, wali d anwi ad aɣ d-inin dacu-t, nnan-as rran-t i lqatila ad inneɣ neɣ ad ten-nɣen, d ssaḥ, iruḥ ɣer upulayi ad yenɣ mmi-s! » ( Faroudja)

(Une fois j’ai trouvé une mandibule de chacal dans une brique. Je l’ai montrée à mon mari en lui disant : peut être que c’est ça qui t’a changé ! Il m’a répondu que c’était moi qui ai mis cet objet à cet endroit. J’ai informé ma mère et je lui ai demandé de montrer cet os aux connaisseurs afin de nous expliquer sa signification. Après consultation, on lui a dit que ce genre de sortilège sert à tuer ou à se faire tué. En effet, mon ex mari a suivi son propre fils au poulailler pour le tuer)

Dans ce cas, ceux qui ont fait la magie pour cette femme, leur but c’est de faire détruire et ruiner cette famille qui auparavant vivait en paix comme le déclare l’interlocutrice dans cet extrait :

« Asmi i d-yerna Muḥ Saɛid-agi, yuɣal yettwassen s sin n yigerdan, mi iruḥ ad d-yawi lxeḍra, ad as-qqaren argaz-nni yesɛan 2 n yigerdan, ansi iɛedda ad ɛeddin.»

(Depuis que son deuxième fils, Muh U said, est né, tout le monde le désignait comme le père de deux garçons qui l’accompagneront toujours au marché.)

Après avoir été heureuse, sa famille connait des situations difficiles caractérisées par la violence de l’époux notamment envers ses enfants. Cela s’illustre par ses propos

« yuɣal mmi-s (son fils à elle aussi) ad t-isdad seg uxxam, 16 n sna meskin di leɛmer-is ulac acu yexdem,ulac acu guker, ulac anwi d-yebberen deg-s, ulac…,ɣef 3 n sbeḥ ig ruḥ, yewwi tadebbuzt-nni, yebbi lxiḍ-nni, yebbi tajenwit, yebbi tamegḥelt… yiwet n tikkelt yefteḥ lemqes iruḥ at yewwet yis, après ruḥeɣ jebdeɣ-as-t-id seg uffus-is » (Faroudja)

(Il a chassé son fils de la maison alors qu’il n’avait que 16 ans. Le pauvre il n’avait rien fait, il n’avait rien volé, personne ne se plaignait de lui, rien… A 3h du matin il [son ex mari] est sorti, il a pris avec lui un couteau, un fusil, il est parti… Une fois il a prix des ciseaux, il a essayé de l’ [son fils] attaquer avec, j’ai couru pour le délivrer de ses mains)

La sorcellerie dans ce cas, vise le père pour qu’il déteste ses enfants et devenir violent dans sa demeure. Ceci rend la cohabitation avec lui impossible. Ce qui provoque par la suite la désunion de ce couple marié après une longue période de mariage. L’extrait qui suit montre ce que nous venons d’énoncer :

« iparsyalen bberra akk yewta-asen-d tilwihin, mi d-yekcem ayi-d-yaf fetleɣ ayi-yerz tabaqit-nni, ma yufa-yid fetleɣ ayi-nɣel akaṣrun-nni… Yuɣal yettruzu-iyi leḥwal. Axxam ulac akk acu ara teččeḍ, netta yettawi-d itett, arraw-is ur asen-ittak ara… »

(Il a cloué les fenêtres pour qu’elles ne s’ouvrent pas. Lorsqu’il rentre à la maison et me retrouve en train de rouler le couscous, il se met à casser le récipient. S’il me trouve en train de cuisiner, il renverse la casserole, il casse la vaisselle… A la maison il n’y a rien à manger, il ne ramène à manger que pour lui, il ne donne jamais à ses enfants…)

Dans cet extrait il nous apparait un autre motif du divorce qu’il est la violence psychologique ; fermer toutes les fenêtres de l’extérieur au motif de dérober l’intérieur des regards externes et d’empêcher sa femme de voir à l’extérieur et même de franchir le seuil de la maison. Cela engendre des dégâts émotionnels et même moraux pour les personnes qui subissent ce genre de violence.

Notre interlocutrice poursuit dans cet autre extrait :

« Ad ikcem deg upurtail-nni n wadda ad ixeddem akkagi i lqaɛa ad yesnnunuc alama yufa-d ljarra teffeɣ-d neɣ tekcem-d, ad yas ɣer uxxam s kra n usebbaḍ yellan, ad yekfel, ad iwali ma nneɣ neɣ d abarani i d-yekcmen. Après degutiɣ, ulac akk d acu tzemreḍ ad tɛiced-t akkud-s» (Faroudja)

(Dès qu’il franchit la porte d’en bas, il cherche à même le sol les traces de pas, sortant ou rentrant. Puis, il prend nos chaussures pour vérifier si elles correspondent aux traces détectées. Dans le cas où la ressemblance n’est pas établie, il conclue qu’une personne étrangère est venue à la maison. Je ne pouvais pas supporter tout ça, je ne pouvais plus vivre avec lui).

Pour notre interlocutrice, tout cela serait donc dû à l’effet néfaste de la magie. Celle-ci aurait donc réussi à détruire son foyer, à transformer sa vie en enfer, à faire éclater sa famille. La magie aurait également poussé le fils à fuir le domicile familial pour aller s’abriter chez sa grand-mère.

Le prétendu effet de celle-là aurait poussé le mari à réduire son épouse à l’état de servitude en la violentant de différentes façons. La femme était donc comme une prisonnière puisqu’elle était interdite de sortie. Et en réaction à cette situation, elle s’enfuit de chez-elle pour pouvoir se séparer d’un homme avec qui elle ne pouvait pas cohabiter.

Le passage qui suit nous renseigne sur l’issue de cette histoire de mariage :

«azekka-nni, iruḥ issufeɣ-d certifika n ccreɛ, mi nbedd, abrid amezwaru yenna-as ad d-tuɣal ɣer uxxam neɣ ad as-bruɣ, nekk nniɣ-as ad uɣaleɣ lameɛna s ccuruṭ, ma yeqbel, ad iyi-yefk lehna, ad iyi-d-yawi lqut, ad ttruḥuɣ ar uxxam-nneɣ. Yenna-as akkagi xaṭi, safi nekk ṭṭfeɣ deg wawal-iw, netta yeṭṭef deg wawal-is » (Faroudja)

(Le lendemain, il est parti pour entamer la procédure de divorce auprès du tribunal. Dans la première conciliation, il a dit au juge : soit elle revient à la maison, soit je la répudie. Moi je lui ai répondu ainsi : je reviens s’il accepte mes conditions, c’est-à-dire de me laisser vivre en paix, de me garantir la nourriture et le droit de visite à mes parents. Il n’a pas accepté mes conditions. J’ai maintenu ma position, lui autant)

________________________

1 MAKILAM, La magie des femmes kabyles et l’unité de la société traditionnelle, Paris, l’Harmattan, 1996, p. 995.

2 KHERDOUCI Hassina, La poésie féminine anonyme kabyle approche anthropo-imaginaire de la question du corps, thèse de doctorat, Grenoble, 2007, p.73.

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