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Le paradoxe de la preuve par la comptabilité en droit fiscal

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🏫 Université de Sfax pour le Sud - Faculté de Droit de Sfax
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Diplôme d'Etudes Approfondies - 2001-2002
🎓 Auteur·trice·s
Fériel KAMOUN
Fériel KAMOUN

La preuve par la comptabilité en droit fiscal révèle les déséquilibres dans la charge de la preuve, où le contribuable est souvent désavantagé par des irrégularités comptables. L’article met en lumière les implications des présomptions légales et des pouvoirs de l’administration fiscale sur cette dynamique.


Paragraphe II : Le problème de la preuve par la comptabilité

En matière d’administration de la preuve, le contribuable se trouve « piégé »1. Le piège se referme lorsque le contribuable voulant administrer cette preuve au moyen de sa comptabilité2 se voit opposer l’irrégularité de celle-ci3.

Le contribuable taxé d’office suite à un rejet de comptabilité se voit privé d’un moyen de preuve pertinent4. Le scandale est d’autant plus sensible, écrivait un commissaire de gouvernement, que le seul élément dont le contribuable puisse faire état au soutien de son point de vue – sa comptabilité- est a priori réputé tendancieux : l’administration objecte, la plupart du temps, qu’elle n’a pas enregistré la totalité des recettes5.

La situation du contribuable est précaire au niveau de l’administration de la preuve. Quand il n’a pas la charge de la preuve car sa comptabilité est régulière, il peut théoriquement prouver. Or, quand il a la charge de la preuve suite à une taxation d’office par rejet de comptabilité, il ne peut pas prouver. « Il n’étais pas à un endroit revient à prouver que j’étais autre part. la preuve négative est donc transformée en preuve positive.

Bien différente la situation lorsque le fait négatif invoqué ne comporte pas d’antithèse. Exemple si je prétends que je ne devais rien à cette personne parce que j’ai jamais contracté avec elle, il m’est pratiquement impossible de prouver ce que j’avance car ma prétention se fonde sur ce que l’on appelle une proposition négative indéfinie.

Il existe en la matière un véritable paradoxe : quand le contribuable n’a pas à prouver, il peut prouver ; en revanche, quand il doit prouver, il ne dispose pas de preuve préconstituée »6.

En France, le juge fiscal applique les règles de preuve avec une certaine souplesse. Il vient quelquefois au secours du contribuable taxé d’office en allégeant le fardeau de la preuve qui lui incombe7.

D’une part, la jurisprudence a fait preuve d’un certain libéralisme. Elle considère que certains éléments de la comptabilité peuvent être retenus malgré des erreurs8. Cette jurisprudence se traduit donc par la fourniture d’éléments de preuve préconstituées qui avaient été écartées par la procédure de taxation d’office9.

D’autre part, le conseil d’Etat, par un arrêt très important du 19 décembre 1973, a décidé que le contribuable « peut s’il n’est pas en mesure d’établir le montant exact de ses revenus en s’appuyant sur une comptabilité régulière et probante, soit critiquer la méthode d’évaluation que l’administration a suivie en vue de démontrer que cette méthode aboutit, au moins sur certains points et pour un certain montant, à une exagération des bases d’imposition, soit encore, aux mêmes fins, soumettre à l’appréciation du juge une nouvelle méthode d’évaluation permettent de déterminer les bases d’imposition avec une précision meilleure que celle qui pouvait être atteinte par la méthode primitivement utilisée par l’administration »10.

Ainsi le conseil d’Etat intervient pour sauvegarder les droits des contribuables qui ne peuvent s’appuyer sur une comptabilité régulière et probante. Cette jurisprudence permet au contribuable taxé d’office d’apporter la preuve qui lui incombe en présentant une critique de la méthode de l’administration. La critique de la méthode d’imposition dans son principe suffit à décharger le contribuable sans qu’il ait à établir l’exagération de l’imposition.

Ainsi, selon le conseil d’Etat, la preuve incombant au contribuable est considérée, dans certaines hypothèses, comme apportée même si le contribuable n’établit pas l’exagération de l’imposition, dès lors que l’administration utilise une méthode radicalement viciée ou excessivement sommaire11.

Depuis l’arrêt du conseil d’Etat du 19 décembre 1973, les possibilités de contestation juridictionnelles des bases d’imposition arrêtées d’office se sont sensiblement ouvertes sous la condition du respect de certaines règles de preuve12.

Par ailleurs, il faut noter que « les chausse-trappes de la charge de la preuve sont surtout préjudiciables aux contribuables qui, sans être tous et toujours parfaitement honnêtes – il ne faut pas rêver, sont néanmoins, pour la plupart d’entre eux, des naïfs qui ne savent pas se mettre en situation de force devant le fisc. Alors que d’autres, beaucoup plus avisés et souvent plus malhonnêtes savent se mettre en bonne situation par la pratique des montages juridiques, des structures apparentes et, surtout, des preuves préalables autant que préfabriquées que tout contribuable conscient et organisé peut se créer à soi-même, nanti de bons conseils »13.

Paragraphe III : La longévité des délais de la prescription

L’administration fiscale dispose du pouvoir de contrôler les déclarations des contribuables dans les délais fixés par la loi. Or, selon le C.D.P.F, le délai peut atteindre dix ans14.

Le délai de la prescription, extrêmement long, n’accroît-il pas, pour le contribuable, les difficultés dans l’administration de la preuve ?

A priori, le problème n’est qu’apparent, puisque le contribuable est soumis à une obligation de conservation des documents comptables et autres, dont le délai coïncide avec le délai de la prescription. Ainsi, l’article 25 de la loi n°96-112 du 30 décembre 1996, relative au système comptable des entreprises, dispose que : « Les états financiers relatifs à un exercice comptable ainsi que les documents, les livres, les balances et les pièces justificatives y afférentes sont conservés pendant dix ans au moins ».

L’article 62 § IV du C.I.R. dispose que : « Les livres de commerce et autres documents comptables, et d’une façon générale, tous documents dont la tenue et la production sont prescrites en exécution du présent code doivent être conservés pendant dix ans »15.

Certes, l’obligation de conservation des documents doit en principe permettre au contribuable d’avoir ses moyens de preuve. Néanmoins, la longévité du délai (10 ans), n’est pas de nature à faciliter la tâche du contribuable. L’écoulement du temps peut favoriser un dépérissement des preuves. Comme l’a précisé un commissaire de gouvernement, « cette lenteur rompt l’égalité des armes entre l’administration et le contribuable aux détriments de ce dernier »16.

Par ailleurs, il convient de préciser que les redressements sont envoyés au contribuable au dernier moment, à la limite de la prescription. Le fisc multiplie ses relances en fin d’année dans le but d’interrompre la prescription17. Une fois la prescription interrompue, un nouveau délai commence à courir pour une nouvelle période. Cela réduit les droits des contribuables et donne un délai supplémentaire au contrôleur pour qu’il passe au peigne fin le dossier du contribuable.

Il faut noter que la longévité des délais est à sens unique. A la longévité des délais octroyés à l’administration correspond une brièveté des délais réservés au contribuable pour répondre, généralement 30 jours18. La brièveté du délai ne permet pas au contribuable de préparer ses moyens de défense dans de bonnes conditions. Ainsi, la preuve s’avère souvent difficile à apporter, notamment pour les contribuables qui n’ont pu se constituer à temps des preuves préétablies du bien-fondé de leur position.

La prorogation des délais de réponse paraît nécessaire pour donner au contribuable le temps nécessaire pour réunir ses éléments de preuve et préparer une réplique solide. Cette prorogation est d’autant plus urgente que l’administration demande au contribuable des justifications concernant des opérations remontant à plusieurs années. Il serait souhaitable que le législateur procède à une unification des délais de réponse et des délais de recours19 pour faciliter la tâche du contribuable.

Les difficultés que le contribuable rencontre sont loin de le sécuriser et accroîent le déséquilibre entre les deux parties en faveur du fisc, d’où la nécessité de correctifs.

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1 M.-C. BERGERES, « Contrôle fiscal : prérogatives du fisc et droits du contribuable », Masson-Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 119.

2 M.-C. BERGERES, « Contrôle fiscal : prérogatives du fisc et droits du contribuable », op.cit., p. 119.

3 M.-C. BERGERES, « Contrôle fiscal : prérogatives du fisc et droits du contribuable », Masson-Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 119.

4 C.E. 19 décembre 1973, plén. n°87649, D.F. 1974, n°11, comm. N°314, concl. Madame Latournerie ; C.E. 4 avril 1979, req. n°6673 et 8675, D.F., n°51 comm. 2513 ; C.E. 21 novembre 1980, req. n°13329 et 13330, D.F. 1981, n°17 comm. 922 et 923.

5 Sur la question du déplacement de l’objet de la preuve voir aussi : B. DELIGNIERES, « Comment un déplacement de l’objet de la preuve a conduit à l’érosion des pouvoirs de l’administration en matière de taxation d’office des revenus ( L.P.F., art. l. 69 ) », D.F. 1993, n°7, p.336-339.

6 Conclusions sur l’arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

7 En pratique, c’est essentiellement par sa comptabilité que le contribuable va tenter de prouver l’exagération de l’imposition.

8 J. BOULOUIS, « Procès du juge fiscal », RSF 1957, n°4, p.645.

9 En France, l’exemple de la « Pizza Vittori », est très illustratif. En effet, non seulement elle s’est mise dans le cas de l’imposition d’office, mais elle ne peut pas faire la preuve à partir de sa comptabilité puisque celle-ci est inutilisable. Il faut donc qu’elle fasse des ‘raisonnements extra-comptables’. C’est toujours plus ou moins sujet à caution. Et elle n’est arrivée, en l’espèce, à convaincre le juge que sur cette affaire de vin et d’apéritifs qui e exposé dans l’arrêt. Michel Rougevin-Baville, Renaud Denoix de Saint Marc, Daniel Labetoulle, « Leçons de droit administratif », Paris 1989, p.529.

10 Conclusions sur l’arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

11 M.-C. BERGERES, « Contrôle fiscal : prérogatives du fisc et droits du contribuable », Masson-Encyclopédie Delmas, Paris, 1988, p. 120. M.-C. BERGERES, « Le principe des droits de la défense en droit fiscal », thèse, Bordeaux, 1975, p. 325.

12 Voir sur la question Jean-Pierre MAUBLANC, « L’interprétation de la loi fiscale par le juge de l’impôt », thèse, université de Bordeaux I, faculté de droit des sciences sociales et politiques, 1984, p.278.

13 Maurice-Christian BERGERES, « quelques aspects du fardeau de la preuve en droit fiscal », Gaz. Pal. 1983, n°1, p.149.

14 M.-C. BERGERES, « Le principe des droits de la défense en droit fiscal », thèse, Bordeaux, 1975, p. 326.

15 C.E. 19 décembre 1973, plén. n°87649, D.F. 1974, n°11, comm. N°314, concl. Madame Latournerie ; Lebon p.734 ; Dupont 1974 p.90. On lira avec profit la chronique de Philippe CROUZET, « Administration de la preuve », R.J.F. 1986, n°6, p.347-350. Et DELIGNIERES (B.), « Preuve fiscale », (impositions établies sur la base de données comptables, preuve comptable et extra-comptable), juris-classeurs, Proc. Fisc., Fasc. 382, 1994.

16 La notion de méthode excessivement sommaire est apparue pour la 1ère fois dans la décision du C.E. 21-10-1981 puis sa décision du 22-12-1982.

17 Alain FRENKEL, in « La taxation d’office à l’impôt sur le revenu », ( actes des journées d’études organisées par la société française de droit fiscal à Strasbourg 3 et 4 mai 1979), Annales de la faculté de Droit et des Sciences Politiques et de l’institut de recherches juridiques, politiques et sociales de Strasbourg, Tome XXXI, L.G.D.J. 1980, p.95.

18 Conclusions sur l’arrêt du CE, 25 mars 1983, req. n.34, D.F. 1984, n°14, comm. 694.

19 Article 19 et 20 du C.D.P.F.

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