Cette étude révèle comment l’antibiorésistance des entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu, isolées à l’Hôpital de Sétif, expose une prévalence alarmante des gènes CTX-M. Découvrez les implications critiques de ces résultats pour la santé publique et la lutte contre les infections résistantes.
Résistance des entérobactéries aux β-lactamines
La résistance bactérienne aux antibiotiques est un véritable problème de santé publique. Depuis l’utilisation des antibiotiques, la résistance n’a jamais cessé d’augmenter et les bactéries ont toujours réussi à contourner les antibiotiques destinés à les tuer. Jusqu’à maintenant, cette évolution était compensée par la mise sur le marché de nouveaux antibiotiques, mais celle-ci s’est considérablement amenuisée laissant le risque de voir apparaître une aire dite « post-antibiotique » (Armand-Lefévre. 2017).
Types de résistance
La bactérie est considérée résistante lorsqu’elle supporte une concentration d’antibiotique nettement plus élevée que celle qui inhibe la multiplication de la majorité des autres bactéries de la même espèce (Boulahbal. 2010) ou de la tuer (Poole. 2004 ; Schwarz et Chaslus-Dancla. 2001). Les conditions d’activité d’un antibiotique sont de posséder une cible spécifique, de demeurer sous forme active, d’accéder à la cible et d’interagir efficacement avec elle en la désactivant.
Les entérobactéries sont soit sensibles aux β-lactamines, soit naturellement résistantes ou soit ont une résistance acquise (Vora et Auckenthaler. 2009).
1. La résistance naturelle
La résistance naturelle est programmée sur le génome et constante à l’intérieur du taxon ; elle constitue un critère d’identification stable d’une espèce. La résistance naturelle ou intrinsèque à un antibiotique est essentiellement due à la présence de gènes chromosomiques; elle est donc commune à toutes les bactéries d’une même espèce et transmise à la descendance.
Dans tous les cas, la résistance naturelle fait partie des caractères normaux de l’espèce ; elle détermine le niveau de sensibilité « basal » des bactéries et définit le phénotype sauvage d’une espèce. Elle est constitutive et touche toute une famille d’antibiotiques (Mayer et al. 2000). Ainsi, les entérobactéries ont une résistance naturelle à la pénicilline G, V et les pénicillines du groupe M (Philippon et Arlet. 2012).
2. La résistance acquise
Ce terme est utilisé pour désigner le résultat d’un processus permettant à des bactéries d’une espèce originellement sensible de devenir résistante à un ou plusieurs antibiotiques. L’acquisition de ces résistances est déterminée par des modifications génétiques consécutives à des mutations ponctuelles (plutôt rare) ou à l’acquisition de nouveaux gènes de résistance exogènes (plutôt fréquent) par le biais de plasmides, de bactériophages, de transposons ou d’intégrons (Davies. 1997 ; Chopra et al. 2003).
La capacité de multiplication très rapide des bactéries favorise la sélection d’évènements génétiques favorables et la possibilité d’échange d’information même entre espèces lointaines leur conférant un très grand pouvoir d’adaptation aux contraintes du milieu. L’évolution des mécanismes de résistance aux antibiotiques, et notamment aux β-lactamines illustre parfaitement ce phénomène.
Supports génétiques de la résistance
Parmi les modalités d’acquisition de la résistance aux antibiotiques, le transfert horizontal de gènes est un élément-clé. Ce type de transfert a probablement lieu dans tous les écosystèmes terrestres colonisés par les bactéries. Ainsi ces transferts ont été mis en évidence dans de nombreux écosystèmes, tels les sols, les rivières, les environnements marins, mais aussi les tubes digestifs d’insectes ou de mammifères. Différents éléments génétiques sont impliqués dans ce transfert de gènes.
1. Le chromosome
La résistance chromosomique acquise résulte d’une mutation. La fréquence de ces mutations est faible et variable (10-6 à 10-9) mais la mutation est stable et transmissible à la descendance. La résistance apparaît dans ce cas au hasard et n’est donc pas influencée par l’antibiotique quine fait que la révéler.
2. Les éléments génétiques mobiles
La résistance aux antibiotiques acquise par les bactéries est principalement due à la présence de trois types d’éléments extra-chromosomiques portant des gènes de résistance : les plasmides, les transposons et des cassettes de résistances insérées sur un intégrons (Bennett. 2008 ; Martinez. 2010 ; Walsh. 2006). Ce type de résistance est transmissible d’une souche ou d’une espèce à une autre selon trois modes de transmission, à savoir la conjugaison (transfert direct entre deux bactéries ayant établi temporairement un contact physique), la transformation (transfert d’ADN nu) et la transduction (transport d’ADN bactérien par des bactériophages).
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Figure 3. Modes de transmission du matériel génétique : la conjugaison, la transformation et la transduction chez les bactéries (Andersson et Hughes. 2010).
a. Plasmides
Les plasmides bactériens revêtent une importance toute particulière dans l’étude des phénomènes de résistance car ils constituent à la fois un vecteur de premier plan pour la dissémination des résistances et un immense réservoir génétique. Comme les chromosomes, les plasmides codent pour des protéines et des molécules d’ARN et se répliquent durant la croissance bactérienne. Les plasmides partagent certaines fonctions de partition et quelques recombinasses spécifiques de site avec le chromosome de l’hôte (Snyder et Champness. 2007). Contrairement aux chromosomes, les plasmides ne portent toutefois pas de gènes essentiels à la croissance bactérienne. Ils codent plutôt pour des protéines dont la fonction est de conférer un avantage sélectif comme la résistance aux antibiotiques ou encore des facteurs de virulence.
Les plasmides peuvent conférer une résistance aux principales classes d’antibiotiques (Carattoli. 2009). Une même bactérie peut porter un ou plusieurs plasmides selon leur compatibilité mutuelle et chacun d’eux peut contenir un ou plusieurs gènes de résistance (Harbottle et al. 2006).Les plasmides peuvent également se transmettre à une souche sensible principalement par conjugaison mais aussi par transformation ou transduction à l’aide de bactériophages. Les plasmides, en fonction de leur efficacité de conjugaison, vont permettre le transfert horizontal de ces composantes à d’autres bactéries qui peuvent être de différentes espèces, genres et familles (Thomas et Nielsen. 2005).Ils peuvent acquérir d’autres gènes de résistance par l’intermédiaire d’éléments transposables et d’intégrons par exemple. La survenue épidémique de bactéries à Gram négatif multirésistantes est largement attribuée à ce type de transmission.
b. Séquences d’insertion et transposons
Ces éléments transposables jouent un rôle très important dans l’évolution des bactéries puisqu’ils sont à l’origine de multiples réarrangements de leur génome. Les transposons (2-20 kpb) sont composés de séquences d’ADN qui fonctionnent comme des sites de recombinaison et de gènes codants pour des protéines participant à la réaction de recombinaison.
Les sites de recombinaison sont situés aux deux extrémités du transposon et organisés en séquences inversées répétées. Les éléments transposables ont la capacité de se déplacer et de s’insérer à différents endroits dans un chromosome ou un plasmide par un processus de transposition anarchique. Il existe différentes types d’éléments transposables ; les séquences d’insertion (SI) étant de courtes séquences génétiques de 800 à 2000 pb, elles codent uniquement pour la transposition et les transposons composites codent pour les déterminants de la transposition ainsi que pour d’autres fonctions, notamment celle de conférer la résistance aux antibiotiques (El Salabi et al. 2013).
c. Les intégrons
Les intégrons, plus récemment décrits vers la fin des années 80, jouent un rôle majeur dans l’acquisition et l’expression de gènes de résistance aux antibiotiques, notamment chez les bactéries à Gram négatif. Le rôle d’une partie de ces intégrons, parfois nommés intégrons de résistance (IR), est majeur dans la dissémination de la résistance aux antibiotiques et notamment chez des souches d’intérêt clinique. L’ampleur de la diffusion de la résistance est attribuable en majeure partie au déplacement des gènes de résistance par le biais d’intégrons (Domingues et al. 2012).Ceux-ci sont des éléments génétiques mobiles avec une structure spécifique composée de deux segments conservés encadrant une région centrale appelée «cassette » (Domingues et al. 2012 ; Recchla et Hall. 1997). La transposition des intégrons n’est pas anarchique et a lieu au niveau de sites spécifiques, celle-ci peut recevoir, a différents moment des gènes variés dont ceux de la résistance aux antibiotiques qui vont s’insérer toujours au même endroit « site d’insertion » ce qui provoque l’allongement de l’intégrons dans un sens. Les intégrons peuvent être associés à des (SI), des transposons ou des plasmides pouvant leur conférer une mobilité (Domingues et al. 2012).
Mécanismes de résistance aux β-lactamines
Les différents mécanismes de résistance aux β-lactamines peuvent s’exprimer seuls ou de façon concomitante agissant alors de façon synergique. Il peut s’agir d’une diminution d’affinité de la cible, d’une diminution de la perméabilité de la membrane, de l’expression d’une pompe d’efflux actif ou de la production d’enzyme de type β-lactamase (Vora et Auckenthaler. 2009).
1. Diminution de la perméabilité
La pénétration des β-lactamines, à travers la membrane externe s’effectue à travers les porines qui sont des canaux protéiques remplis d’eau. Ainsi, la sensibilité aux β-lactamines dépend du nombre de porines fonctionnelles. L’altération des porines par mutation est à l’origine de résistances acquises aux β-lactamines, soit par une modification structurale d’une porine essentielle, ce qui a été décrit chez E. coli, soit par une diminution quantitative des porines, qui est la situation la plus fréquente (Kumar et Schweizer. 2005).
2. Modification de la cible
La résistance aux β-lactamines, conférée par les PLPs, chez les bactéries à Gram négatif joue un rôle mineur dans la résistance (Spratt et al. 1989). Cette résistance peut avoir lieu par des mutations dans les gènes chromosomiques codant pour les PLPs ou par l’acquisition de gènes étrangers codant pour de nouveaux PLPs ayant une affinité différente aux β-lactamines (Georgopapadakou. 1993). Une diminution de la production de la PLP1A a été associée à la résistance pour l’imipénème et au mécillinam chez P. mirabilis suite à une perte d’affinité de la PLP2 et à une diminution de la quantité de PLP1 (Neuwirth et al. 1995).Ces mutations chez les entérobactéries restent rares (Robin et al. 2012).
3. Hyperproduction du système d’efflux
Les systèmes d’efflux éliminent activement les β-lactamines dans le milieu extérieur en utilisant la force proton-motrice. Ainsi, ils diminuent la concentration d’antibiotique au contact de sa cible et donc son efficacité. Le système d’efflux actif est efficace grâce aux protéines transmembranaires ancrées dans la membrane cytoplasmique mais également dans la membrane externe des bactéries à Gram négatif (Walsh. 2003).
L’implication des systèmes d’efflux dans la résistance aux β-lactamines a été clairement identifiée dans plusieurs études en particulier chez K. pneumoniae. Cependant ce type de mécanisme touchant préférentiellement la céfoxitine et les C2G semble difficile à distinguer du point de vue phénotypique des résistances par modification des porines (Bialek-Davenet et al. 2011 ; Robin et al. 2012).
4. Production d’enzymes
La production des β-lactamases est le principal mécanisme de résistance des entérobactéries aux β-lactamines (Abbas et al. 2012).Cependant, toutes les entérobactéries, quel que soit leur groupe, sont capables d’intégrer des gènes de résistance codant pour une β-lactamase (Zoghleb et Dupont. 2005).