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Évolution du statut des femmes divorcées en Kabylie

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🏫 Universite Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou - Faculte des Lettres et des langues - Departement langue et culture amazighes
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - Juin 2018
🎓 Auteur·trice·s
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina
LOUNIS Lidia, NAAK Kahina

La femme divorcée en Kabylie fait face à des transformations significatives de son statut dans la société moderne, influencées par des facteurs sociaux et juridiques. Cette étude se concentre sur la commune de Makouda, en comparant les évolutions entre les contextes traditionnel et contemporain.


Le statut de la femme kabyle divorcée dans la société moderne

Le statut social

Nous avons vu et fait le point dans le chapitre précédent sur la vie sociale et juridique de la femme kabyle divorcée dans la société traditionnelle. Celle-ci allait connaitre dans l’histoire moderne des changements profonds qui bouleversent ses fondements mêmes.

1 Hanoteau et Letourneux, ibid, p.294.

Selon P. Bourdieu, « les facteurs les plus importants des changements du statut de la femme sont liés à la transformation décisive de fonction de l’institution scolaire dont la reproduction de la déférence entre les genres comme l’accroissement de l’accès des femmes à l’instruction et la transformation des structures familiales »2.

Ainsi, le statut de la femme a évolué avant même l’indépendance. La femme a pu casser certains tabous et gagner sa place dans plusieurs domaines. Malgré cela le divorce l’a entravé, il l’a mise dans une situation fragile.

Du point de vue des femmes, et quel que soit leur rang, le divorce est une catastrophe car il est sanctionné négativement. Une fois que la femme perd son statut d’épouse, elle perd sa valeur et aura du mal à se replacer sur le marché matrimonial.

Contrairement à l’homme qui peut facilement se remarier sans aucun problème. Et quand il arrive qu’un célibataire épouse une divorcée, cela est ressenti comme une mésalliance pour la famille de l’homme.

La femme divorcée dans la société kabyle soulève touts les soupçons. Elle est encore reléguée au rang d’étrangère par sa propre famille qui la ressent comme un fardeau et qui la culpabilise en lui imputant la responsabilité de son divorce. Même si elle fait tout pour l’éviter. L’extrait suivant nous illustre cette situation:

« gma ula d taceliṭ n uyefki yesswan zuǧalaf u xemsemya ur iyi-tt-id- yettakk ara[…] tameṭṭut n gma tettɛayar-iyi-d teqqer-iyi atin yuɣen aderwic n wad ɛissi » (Hakima)

( mon frère ne m’achète même pas un sachet de lait qui coûte 25DA […] sa femme se moque de moi en me reprochant d’avoir épousé un malade mental. )

On constate qu’il est difficile pour la femme divorcée de se remarier un jour et fonder une famille. Généralement son divorce marque officiellement la fin de sa vie affective et sexuelle.

La perception du divorce diffère également selon que la femme est issue d’une famille aisée ou pauvre, ou bien si elle a fait des études ou non ainsi, si elle exerce une profession ou non. Voici à ce propos ce que dit une de nos interlocutrices

3 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998, p.123

« tura segmi xeddmeɣ ḥemdullah, zik d ssaḥ axaṭar tameṭṭut yedibursin toujours mal vue ilaq ad tt-kombatiḍ akken ad d-tawiḍ amekan-im, après ma ur sent-tettakeḍ ara awal, ad uɣalen ad kem-ttqadaren, zik d ssaḥ sufriɣ ma d tura xeddmeɣ ḥemdullah » (Fatiha)

(Au début c’est vrai j’ai souffert, mais maintenant que je travaille Dieu merci). Il est vrai qu’avant la femme divorcée était mal vue. Il faut se battre pour se faire une place dans la société. Et puis quand on ignore les dires des autres, ceux-ci finiront par vous respecter.

Le statut juridique

Depuis les années 1920, dans les pays arabes, les femmes ont lutté pour leurs droits et leur libération tout en s’engageant dans les mouvements de lutte anticoloniale.

En ce début de XXe siècle, le monde arabe vit de grands bouleversements sur les plans culturel et intellectuel avec la Renaissance arabe (En Nahda). Sur le plan politique, l’Empire ottoman e disparait sous les coups des puissances coloniales qui se sont partagé les différentes régions du Proche-Orient.

La participation des femmes aux luttes nationalistes, mobilisées pour l’indépendance de leur pays, fait avancer dans le même temps les questions de l’éducation des filles, du droit de vote des femmes et de la nécessité de changer les lois du mariage et du divorce. Leurs adversaires accusent ces demandes d’être d’inspiration coloniale et brandissent l’argumentaire religieux pour les discréditer.

Mais, heureusement, pour faire avancer leur cause, les femmes ont crée des espaces d’activités sociales et culturelles et utilisent à leur profit, quand cela est possible, la position politique de leur mari ou de leur père.

Des solidarités se construisent ainsi entre femmes de différentes régions et se fédèrent dans des rencontres internationales telles que le Congrès féministe arabe du Caire en décembre 1944.

Face aux régimes totalitaires, prétendument laïcs, les Égyptiennes, Syriennes, Irakiennes, Yéménites, Libyennes, Algériennes et Tunisiennes continuent à s’engager contre le totalitarisme et le despotisme.

De fortes pressions politiques pèsent donc sur leurs combats féministes. A titre d’exemples de ces femmes qui ont stimulé les réflexions féministes dans les années 1960 et 1970 : Nawal El Saadaoui, médecin et féministe égyptienne, dont l’œuvre a souffert d’une grande discontinuité à la suite de nombreuses arrestations et résidences forcées ; Fatima Mernissi, qui, après ses deux fulgurants premiers livres , est passée à une réflexion plus prudente ; Fadéla M’Rabet, auteure algérienne de deux livres qui secouèrent femmes et féministes arabes et françaises.

L’islamisme aussi a instrumentalisé la cause des femmes en dénigrant et en rejetant les quelques droits acquis concernant en particulier le travail et la famille. Des droits et des libertés acquis à force de luttes et qui sont rejetés en tant que « lois occidentales » menaçant l’identité musulmane et pervertissant les femmes.

La montée des mouvements islamistes a augmenté la menace qui pèse sur les mouvements féministes et la mobilisation des femmes dans plusieurs pays arabes. L’Algérie est l’exemple à méditer car au final elle avait abouti en 2005 à un accord entre le régime et les islamistes (Charte pour la paix et la réconciliation), un accord ayant assuré autant aux islamistes qu’aux militaires et miliciens une impunité mutuelle des crimes commis pendant la décennie sanglante des années 1990 (200 000 morts, des milliers de disparus et des centaines de femmes violées).4

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1 Hanoteau et Letourneux, ibid, p.294.

2 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998, p.123.

3 BOURDIEU Pierre, La domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998, p.123.

4 Référence non spécifiée dans le texte original.

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