Analyse Essentielle de l’Antibiorésistance des Entérobactéries en Algérie

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🏫 Univesité Ferhat Abbas Sétif - Faculté des Sciences de la Nature et de la Vie - DEPARTEMENT DE MICROBIOLOGIE
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MASTER - 2016/2017
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Cette étude révèle comment l’antibiorésistance des entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu à l’Hôpital de Sétif est marquée par une prévalence alarmante des gènes CTX-M. Quels enjeux cela pose-t-il pour la santé publique et les traitements antibiotiques ?


Les β-lactamases à spectre élargi BLSE

Les BLSE ont été décrites pour la première fois en 1983, en Allemagne (Knothe et al. 1983), il n’y a pas de consensus concernant la définition de β-lactamases à spectre étendu (BLSE). Classiquement, les BLSE sont définies comme des enzymes appartenant à la classe A (à l’exception des BLSE de type OXA classe D de la classification d’Ambler), capables d’hydrolyser les pénicillines, céphalosporines de première, deuxième, troisième et quatrième génération (céfépime ou cefpirome) et l’aztréonam.

Elles sont inhibées in vitro par les inhibiteurs des β-lactamases (acide clavulanique, tazobactam et sulbactam) (Livermore. 1995). Par contre, les BLSE sont sensibles aux céphamycines (céfotétan et cefoxitine) ainsi qu’aux carbapénèmes. Une co-résistance avec les aminosides, les tétracyclines et les fluoroquinolones est fréquente. Les bactéries possédant des BLSE sont dites multirésistantes (Paterson et Bonomo.

2005).

Il s’agit d’un mécanisme de résistance de type plasmidique, et donc transmissible à d’autres bactéries. La présence de ce type de mécanisme de résistance au sein de souches pathogènes fait peser un risque majeur d’inadéquation thérapeutique et donc d’échec thérapeutique (Schwaber et Carmeli. 2007), et est également un facteur de diffusion.

Au sein des entérobactéries, Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli sont les deux espèces les plus fréquemment porteuses de ces mécanismes de résistance. Toutefois, ces enzymes ont été retrouvées au sein de nombreuses autres espèces bactériennes, entérobactéries et bacilles non fermentant (tels que Pseudomonas aeruginosa et Acinetobacter baumannii) (Jacoby et Munoz-Price. 2005).

Différents types de BLSE

Elles sont classées selon leurs types moléculaires, les plus fréquents étant les types TEM, SHV, CTX-M (Jacoby et Munoz-Price. 2005) et les nouvelles étant les carbapénèmases.

    1. BLSE de type TEM (Temoneira – nom du patient)

La première β-lactamase plasmidique de type TEM (TEM-1) a été isolée en 1965, en Grèce, à partir d’une souche d’E. coli isolée chez une patiente nommée Temoneira, d’où la nomination (Datta et Kontomichalou. 1965). La majorité des BLSE de ce type dérivent par quatre à sept mutations ponctuelles de l’enzyme originale (TEM-1 ou TEM-2). Les substitutions les plus courantes sont le glutamate en lysine en position 104, l’arginine en

sérine en position 164, la glycine en sérine en position 238 et le glutamate en lysine en position 240 (Bradford. 2001). Une seule de ces substitutions peut entraîner une importante modification de l’affinité de l’enzyme. Par exemple, lorsque l’acide aminé devient une sérine, l’interaction entre le –NH3 de la sérine et le groupement oxy-amino des C3G se traduit par une meilleure stabilité de la β-lactamine dans le site actif de l’enzyme. Ces mutations rendent l’enzyme capable d’hydrolyser les C3G, mais aussi plus vulnérable à l’action des inhibiteurs (acide clavulanique).

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Source : [URL de l’image]

Figure 5. Les BLSE dérivées de TEM (Ambler et al. 1991).

    1. BLSE de type SHV : (Sulfhydryl variable)

Les enzymes BLSE de type SHV dérivent par mutations ponctuelles de l’enzyme originale SHV-1 qui correspond a un gène blaSHV de pénicillinase chromosomique de K. pneumoniae (Brisse et Verhoef. 2001 ; Haeggman et al. 2004), et cette désignation SHV est liée au sulfhydryl variable. La majorité des BLSE de type SHV est caractérisée par la substitution d’acides aminés Gly238Ser ou Gly238Ser et Glu240Lys. Le résidu sérine à la position 238 est indispensable pour l’hydrolyse efficace du céfotaxime et le résidu lysine est crucial pour l’hydrolyse efficace de la ceftazidime (Elhani. 2012).

La majorité des BLSE de type SHV ont été décrite chez les souches de K.pneumoniae, toutefois ces enzymes ont été trouvées chez C. freundii, C. diversus, E. coli, E. cloacae (Bradford. 2001).La présence de la séquence d’insertion IS26 sur le gène SHV faciliterait l’acquisition du phénotype BLSE (Hammond et al. 2005).

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Source : [URL de l’image]

Figure 6. Les BLSE dérivées de SHV (Bradford. 1999).

    1. BLSE de type CTX-M (Cefotaximase-Munich)

Les BLSE de type CTX-M ont été décrites initialement en 1986 (FEC-1) au Japon, en Allemagne et en France en 1989 (CTXM-1) et ont depuis lors disséminé largement dans le monde (Thomson et Moland. 2000). Ces enzymes représentent à l’heure actuelle les BLSE les plus fréquentes au niveau mondial après leur diffusion rapide depuis les années 90 (Bonnet. 2004 ; Livermore et al. 2007).

Le groupe CTX-M (pour céfotaximase) conférait à l’origine, chez les entérobactéries, un plus haut niveau de résistance au céfotaxime (ou ceftriaxone), céfépime et aztréonam qu’à la ceftazidime (Arlet et Philippon. 2003 ; Bonnet. 2004). Certaines d’entre elles ont évolué plus récemment par mutation (ponctuelle ou non) générant un haut niveau de résistance à la ceftazidime telles les enzymes CTX-M-15, CTX-M-16, CTX-M-19, CTX-M-23 et CTX-M- 32 (Bonnet. 2004). Les CTX-M sont plus fortement inhibées par le tazobactam que par l’acide clavulanique.

Ces nouvelles BLSE ne sont pas étroitement liées aux β-lactamases de type TEM ou SHV puisqu’elles ne présentent que 40 % d’homologie avec ces BLSE classiques (Elhani. 2012).

Les analyses génétiques ont montré que les gènes progéniteurs appartiennent au genre Kluyvera, entérobactéries d’isolement très rare en bactériologie médicale (Bonnet. 2004 ; Humeniuk et al. 2002). La β-lactamase naturelle de Kluyvera cryocrescens (KLUC-1) présente 95 à 100 % d’identité avec les enzymes plasmidique du phylum CTX-M-1 (Decousser et al. 2001).

    1. Autres types de BLSE

D’autres BLSE ont une distribution moins large, caractérisées par un haut niveau de résistance à la ceftazidime et parfois à l’aztréonam plutôt qu’au céfotaxime (Arlet et Philippon. 2003 ; Bradford. 2001), qui sont individualisées en BES-1 (brazilian extended spectrum), GES-1 (Guyana extended spectrum), PER-1 (Pseudomonas extended resistance) (Weldhagen et al. 2003), SFO-1 (Serratia fonticola), TLA-1 (Tlahuicas, tribu mexicaine), et VEB-1 (Vietnam extended spectrum). Des enzymes proches de GES-1 ont été découvertes en Grèce, malheureusement dénommées à tort IBC (integron borne cephalosporinase) (IBC-1, IBC-2) (Philippon et Arlet. 2006). Enfin, l’OXA-1 qui a une grande activité catalytique pour la cloxacilline, l’oxacilline et la méticilline.

    1. Les Carbapénèmases

Les Carbapénèmases décrites chez les entérobactéries appartiennent aux quatre classes connues de β-lactamases (classe A, B, C, D de la classification d’Ambler) (Queenan et Bush, 2007 ; Poirel et al. 2007). Les plus importantes actuellement en clinique sont les KPC, MBL et OXA-48. L’activité des Carbapénèmases de classe A est inhibé in vitro totalement ou partiellement par les inhibiteurs des β-lactamases (acide clavulanique et tazobactam), alors que les autres carbapénèmases sont insensibles à ces inhibiteurs classiques de β-lactamases (Nordmann et Carrer. 2010).

a) Classification des carbapénèmases

  • Les Carbapénèmases de classe A

Les carbapénèmases de classe A ont été tout d’abord rapportées dans plusieurs souches d’entérobactéries isolées de l’environnement (Serratia, Enterobacter), produisant des bêta- lactamases dont l’activité était inhibée par l’acide clavulanique. Elles hydrolysaient, à divers degrés, toutes les bêtalactamines. Leurs gènes sont chromosomiques ou plasmidique. Il s’agissait des bêtalactamases NmcA, Sme-1, Sme-2/Sme-3, IMI-1/IMI-2, ou SFC-1.

D’autres carbapénémases, de type GES, ont été identifiées chez K. pneumoniae et E. coli. Ces enzymes hydrolysent les carbapénèmes faiblement (Queenan et Bush. 2007 ; Poirel et al. 2007). Les carbapénémases de classe A, les plus fréquentes et les plus menaçantes, sont les carbapénémases de type KPC (Nordmann et al. 2009).

La première souche exprimant KPC fut identifiée chez une souche de K. pneumoniae en 1996, en Caroline du Nord aux États-Unis (Yigit et al. 2001). Elle hydrolyse toutes les bêtalactamines. Son activité est partiellement inhibée par l’acide clavulanique ou le tazobactam. Le plus souvent les souches qui produisent KPC expriment également d’autres bêta-lactamases dont de nombreux types de BLSE (TEM, SHV, CTX-M) et possèdent un certain degré de résistance par imperméabilité.

Les souches KPC apparaissent donc le plus souvent multirésistantes aux bêta-lactamines, l’ertapénème étant la carbapénème dont le niveau de résistance est le plus élevé. Les études génétiques montrent que ces gènes KPC sont localisés sur une variété importante de plasmides mais qu’ils sont associés à des transposons de même nature de type Tn3.

La mobilité de ces plasmides et transposons contribuerait fortement à la diffusion interespèce de ces gènes KPC (Nordmann et al. 2009). L’association des gènes KPC à d’autres gènes de résistance aux

antibiotiques sur de mêmes structures génétiques explique en grande partie la multirésistance de ces souches.

Tableau 3. Principales carbapénémases des entérobactéries (Nordmann et al.2012).

Tableau 3 : Principales carbapénémases des entérobactéries
classification AmblerNom de l’enzymePlasmide/ChromosomeSpectre d’hydrolyseinhibiteurs
ASEM-1 to -3Chromosome++acid clav, TAZ, SULB, NXL-104
NMC-AChromosome++acid clav, TAZ, SULB, NXL-104
IMI-2Plasmide++acid clav, TAZ, SULB, NXL-104
GES-4,-5,-6Plasmide++acid clav, TAZ, SULB, NXL-104
KPC-2 to -12Plasmide++acid clav TAZ, SULB, acidBoron ic
BIMP-1 to -33Plasmide++EDTA
VIM-1 to -33Plasmide++EDTA
NDM-1 to -6Plasmide++EDTA
KHM-1Plasmide++EDTA
DOXA-48Plasmide++NaCl
OXA-181Plasmide++NaCl
  • Les Carbapénèmases de classe B

Les premières carbapénémases de classe B (IMP) (ou métallo bêtalactamases, MBL) avaient été identifiées chez des espèces d’entérobactéries typiquement hospitalières (Serratia, Citrobacter et Enterobacter) au Japon (Queenan et Bush. 2007 ; Walsh. 2008). Puis d’autres MBL ont été isolées dans le monde entier ; il s’agit de nombreuses variétés de bêtalactamases de type IMP et VIM, GIM-1, KHM-1 et NDM-1 (Walsh.

2008 ; Yong et al. 2009). Ce sont des métallo-enzymes qui contiennent des ions zinc dans leur site actif. Ces enzymes hydrolysent fortement toutes les bêtalactamines à l’exception de l’aztreonam. Leur activité n’est inhibée ni par l’acide clavulanique ni par le tazobactam. Les niveaux de résistance aux carbapénèmes sont assez variables (Queenan et Bush.

2007 ; Walsh. 2008). Dans de nombreux cas, les souches productrices de MBL produisent aussi des BLSE (Walsh. 2008). Les gènes de ces MBL sont, le plus souvent, plasmidique et associés au sein d’intégrons et de transposons, structures assurant la mobilité de ces gènes de résistance et la multirésistance aux antibiotiques des souches (Queenan et Bush.

2007 ; Walsh. 2008).

  • Les Carbapénèmases de classe C et D

Les carbapénèmases de classe D, OXA-48, décrites tout d’abord chez K. pneumoniae (Poirel et al. 2004) hydrolysent fortement les carbapénèmes et n’hydrolysent pas les céphalosporines de 3e génération. Son activité n’est pas inhibée par l’acide clavulanique (Poirel et al. 2004) OXA-48 est souvent associée à d’autres bêtalactamases, en particulier des BLSE, ce qui contribue à la multirésistance des souches (Carrer et al.

2010 ; Gülmez et al. 2008). En l’absence d’autres bêtalactamases, les souches qui ne produisent que l’OXA-48 peuvent ne présenter qu’une légère diminution de la sensibilité aux carbapénèmes (Aktas et al. 2008). Le réservoir naturel de ce gène OXA-48 a été identifié ; il s’agit de Shewanella sp., ce qui suggère le transfert de ce gène de résistance en milieu aqueux (Poirel et al.

2004) Le gène d’OXA-48 est localisé au sein d’un transposon comportant deux séquences d’insertion identiques assurant mobilité et expression (Poirel et al. 2004).

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