Répertorier les variétés de français dans le Dictionnaire des francophones

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université Jean Moulin Lyon 3 - Institut international pour la francophonie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021-2022
🎓 Auteur·trice·s
Florine CHATILLON
Florine CHATILLON

La valorisation des variétés de français est au cœur de l’analyse du Dictionnaire des francophones, un outil politique qui promeut une langue française polycentrique. Cet article explore les enjeux de gouvernance linguistique et la lutte contre la glottophobie dans le cadre de la Stratégie internationale pour la langue française.


  1. Répertorier les français : la production du savoir prise comme tribune

La francophonie est au XXIe siècle, confrontée « au défi de la variété », comme le souligne le dossier 50e anniversaire de la Francophonie élaboré par la revue Historia (2020, p. 71). Si l’on présente la multidimensionnalité de la francophonie « dans ses mots, dans ses accents, dans ses façons de dire les réalités » (Cuq, Gruca, 2003, dans Historia, 2020, p. 71) comme un phénomène récent, il convient de considérer que le bouleversement tient plutôt à la reconnaissance de cette même diversité. En 2020, il est établi que les variations sont

« largement inventoriées » (Ibid., p. 71.) par des ouvrages tel que Les variétés du français parlés dans l’espace francophone. Ressources pour l’enseignement (Sylvain Detey et al., dans Pruvost, 2021, p. 13).

Pour Alain Rey, « Constater les trésors de sa langue aimée est une position confortable et passive, la célébrer par l’enrichissement est un programme d’action, parfois une politique. » (2007, p. 72) Notre état de l’art révèle l’intention prégnante d’une « prise en compte d’une norme commune tenant compte des évolutions de la francophonie et des exigences de la diversité linguistique comme véritable facteur de développement » (Historia, 2021, p.

71). Le DDF s’inscrit dans cette lignée puisqu’il est un programme d’action. Son intention première est explicitement affichée : elle consiste en la valorisation des variétés de français (OQLF, 2022, p. 80). La lexicographe Marie-Éva de Villers, interrogée par L’Express, confirme que le projet du DDF est de « mettre sur un pied d’égalité toutes les variétés du français » (Ernoult, 2021).

La même justification est avancée au sein du Compendium du DDF. Nous relevons comme élément de langage le souhait de promouvoir la « langue dans sa diversité », i.e. la « pluralité des normes » du français (2021, p. 11). Le Dossier de presse « Lancement du dictionnaire des francophones » rédigé par la Délégation à l’information et à la communication du ministère de la Culture à l’occasion du lancement du DDF converge vers cette perspective.

Valorisation des variétés de français dans le DDF

Slim Khalbous – recteur de l’AUF –, s’y exprime. Il postule que la vitalité de la langue française tient à

« sa capacité à intégrer les spécificités et les usages. » (2021, p. 10). Cela rejoint la position exprimée par Leïla Slimani pour la reconnaissance de la plasticité de la langue (Ibid., p. 11). Et d’ajouter que « pour la majorité des francophones du monde, le multilinguisme est une évidence » (Idem). Les chiffres répertoriés tendent à confirmer les propos susmentionnés. Au lancement du DDF, 500 000 mots et expressions des français parlés dans le monde attribués à 52 pays sont répertoriés. (Ibid., p. 12) Dans une même optique, nos entretiens déterminent que le DDF offre une meilleure visibilité aux variétés de français :

Je peux difficilement sonder les reins et les cœurs de ceux et celles qui ont voulu que ce projet existe mais, de facto, il est certain qu’il y a une action politique qui semble assez claire, celle de légitimer la variation aux yeux des porteurs de ces variétés. […] l’existence de ce dictionnaire renforcera ce mouvement de légitimation aux yeux des acteurs, notamment du centre. (Klinkenberg, 2022, p. 36)

Une directive assumée par le Conseil scientifique :

[…] au début, le Conseil scientifique dit à Noé et à toute son équipe : « Ouvrez la porte, il faut que tout le monde puisse faire entrer du vocabulaire. » Et donc, peut-être, du vocabulaire régional, familier, d’autres langues va pénétrer. Nous sommes très intéressés par la vision du français en Afrique tel qu’il est actuellement. Il est nourri de langues africaines […]. (Cerquiglini, 2022, p. 15)

L’équipe lyonnaise en charge du projet s’est ingéniée à collecter une vaste documentation des usages présents dans l’espace francophone du Sud. Pour l’OQLF, ce moissonnage est facilité par l’aspect participatif du dictionnaire, permettant de recueillir du lexique pour les aires d’usage ne disposant pas d’une « tradition lexicographique établie (ou de ressources pour la développer) […] » (2022, p. 83). L’Office québécois a pour sa part procuré 4500 termes au DDF. Une manœuvre permettant d’approvisionner l’application mobile en québécismes tels qu’ « aluminerie, bleuetier, clavardage, divulgâcher, écocentre et infonuagique » (Idem).

Le catalogage croissant des variations de français nous pousse à questionner les dynamiques envisagées pour assurer une pleine parité entre locuteurs francophones. Le document Réflexions et pratiques relatives à la variation topolectale en terminologie – retranscrivant la méthodologie employée par l’OQLF – dresse le constat de « contacts de plus en plus étroits entre les différentes communautés ayant le français en partage » couplé à une

« reconnaissance des identités culturelles » (Idem). Deux facteurs laissant présager une intensification de l’ouverture « aux différences d’ordre lexical » (Idem). Les autres entretiens menés mettent aussi en exergue la dimension malléable et évolutive de la langue française. Pour Francard, « En matière de langue, c’est la vie qui compte » (2022, p. 131). Un ordre d’idées relayé par Calvet, qui compare la langue à un « organisme vivant qui, tout au long de son existence, voit mourir certaines de ses cellules, en naître d’autres, et se renouveler sans cesse l’esprit qui l’anime. » (1999, p. 258)

La question de l’avenir du français revient fréquemment dans les débats. En témoigne un Talk-show diffusé à heure de grande écoute en mars 2022 sur la chaîne télévisée C8 et discourant sur la prétendue «détérioration» de la langue française. La captation suivante révèle le manque de confiance d’une partie de la population français dans l’avenir de la langue :

[img_1]

Source : Chatillon, F. (2022a, 4 mars). A-t-on tué la langue française ? [Photographie].

Le témoignage de Philippe Blanchet aboutit au même constat d’une « crispation idéologique contre la diversité » (2022, p. 116) : « […] au sein de la société française, que je ne suis pas sûr du tout que l’acceptation d’être une société plurielle soit en bonne voie; en tout cas sur certains points on est en phase de régression, clairement.

» (Ibid., p. 117) Paradoxalement, en Belgique, les locuteurs les moins confiants en l’avenir du français sont ceux « voulant se rattacher au modèle parisien » (Francard, 2022, p. 135). Alors que la population française voit dans l’ouverture à la diversité un danger pour la langue française, Francard a tiré de ses enquêtes en Belgique des conclusions opposées.

Il argument que la légitimation des variations du français est la condition nécessaire à un avenir linguistique serein : « La confiance en l’avenir du français ne peut venir que d’un français qui est le nôtre, celui qu’un locuteur ressent comme étant le sien. » (Idem)

Si l’avenir du français tient à l’acceptation de ses variations, elles vont – selon Klinkenberg – en s’amenuisant. En cause, les forces centripètes qui, « causées par l’intensité des communications, engendrent une diminution des spécificités. » (2022, p. 35) Le rapport 2022 de La langue française dans le monde offre à voir un autre constat. Il établit que les variétés du français sont reconnues mais pas revendiquées. Ils ont collecté « une réticence diffuse à s’en réclamer » par les locuteurs, bien que la présence de variation soit largement attestée. (Ibid., p. 13) En cause, un double discours :

Ce double discours consiste à dire que la reconnaissance des variations est légitime, tout en soutenant qu’il y a des endroits où l’on parle mieux français et où vivent les propriétaires de cette langue. Coexistent à la fois une espèce de complaisance vis-à-vis de la variation et une forme de culpabilité. (Ibid., p. 37)

Nous relevons donc une multiplicité de pronostics établis sur l’avenir du rapport entre les locuteurs francophones et leur langue. La reconnaissance des variations de français et la confiance quant à leur usage n’est pas homogène. Des dynamiques à plusieurs vitesses s’imbriquent et rendent difficile la lecture d’un possible maniement de la langue par ses locuteurs.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top