Le transport multimodal en Europe, notamment le transport combiné rail-route, présente des avantages significatifs tout en faisant face à des défis environnementaux et structurels. L’article analyse les raisons de la prédominance du transport routier et propose des perspectives pour l’avenir du rail-route.
2. Le transport multimodal
A l’heure actuelle, 10% du trafic de marchandises effectué sur des distances supérieures à 500 kilomètres se fait par transport combiné. Ce qui représente environ 4 000 poids lourds évités chaque jour sur les routes de France. Cette technique de transport se développe : elle ne représentait que 6,7 milliards t.km en 1985, elle a atteint 13,4 milliards t.km en 20081.
2.1. Définitions
2.1.1. Des notions fréquemment confondues : transport multimodal, intermodal et transport combiné
2.1.1.1. Le transport intermodal et multimodal
Le transport multimodal est défini comme « l’acheminement d’une marchandise, utilisant deux modes de transport ou plus, mais dans la même unité de chargement ou le même véhicule routier, et sans empotage ni dépotage »2, c’est-à-dire sans qu’il y ait manutention des marchandises elles-mêmes lors du changement de mode34.
Au sens strict il consiste à considérer l’ensemble « contenant et contenu » comme un tout dont les éléments restent indissociables entre le point de départ et la destination finale. Il s’oppose au transport unimodal, avec lequel la marchandise transportée change de contenant chaque fois qu’elle doit passer d’un mode de transport à un autre. Le « contenu » qui est la marchandise, se dissocie alors du « contenant » : il y a rupture de charge. L’ensemble « contenant et contenu » est un conteneur, et sa généralisation a permis au transport multimodal de connaître une forte croissance dans les échanges internationaux.
Malcolm Mac Lean a inventé le conteneur d’expédition dans les années 1930. Après avoir attendu, toute une journée, assis sur un quai du New Jersey que la cargaison apportée dans son camion soit chargée sur un navire, il décide de simplifier l’opération et imagine un meilleur moyen d’emballer les marchandises et de les transporter par mer : les placer dans de grandes boîtes en acier faciles à charger sur les navires5.
Les schémas suivants résument bien la différence entre une chaîne logistique classique et une chaîne logistique multimodale.
Chaîne logistique classique :
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Chaîne logistique multimodale :
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On remarque que pour le transport multimodal, plusieurs modes de transport différents sont utilisés entre deux étapes de la chaîne : dans notre exemple le transport multimodal a été utilisé pour le transport des matières premières jusqu’au l’entrepôt.
Il existe différents types de transport multimodal : le transport multimodal terrestre, comprenant la route et le rail et que l’on appelle le « ferroutage », et le transport multimodal maritime et fluvial, ou « merroutage ».
Le transport multimodal terrestre, qui nous intéresse, désigne donc un transport rail-route. Avec la libéralisation des chemins de fer le 1er janvier 2007 et la fragilisation du fret SNCF, de nouvelles opportunités sont offertes sur ce secteur voué à la croissance. Ainsi, transporteurs et chargeurs comptent profiter de la situation en misant sur ce moyen qui présente de réels atouts environnementaux.
2.1.1.2. Le transport combiné (TC)
Le TC est un « transport multimodal dont les parcours principaux s’effectuent par rail, voie navigable ou mer et dont les parcours initiaux et/ou terminaux par route, sont les plus courts possible »6. C’est ce dernier point – la faible distance parcourue par route – qui distingue le transport combiné du transport multimodal. Le TC est un type de transport multimodal, mais le transport multimodal n’est pas forcément un transport combiné. Pour qu’il le devienne, il faudrait que les parcours par route soient les plus courts possibles. On distingue le TC accompagné du TC non accompagné :
- transport combiné accompagné : transport d’un ensemble routier « complet » par un autre mode de transport, accompagné de son conducteur (dans ou en dehors de son camion).
- transport combiné non accompagné : transport de véhicules routiers ou de parties de véhicules par un autre mode de transport sans présence du conducteur.
Quelques chiffres :
Le TC accompagné a connu en 2008 un bilan global très satisfaisant, à savoir une progression de 10%, soit 39.000 envois de plus qu’en 2007.
Graphique 5
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Source : Union Internationale des sociétés de transport combiné Rail- Route, Rapport Annuel, 2008
2.1.2. Définitions complémentaires
- Chaîne de transport : Ensemble des moyens de transport utilisés successivement pour l’acheminement de personnes et/ou de marchandises.
- Transport homogène : Les transports sont « homogènes » lorsque tous les transporteurs, pour une même opération, sont soumis à un même régime juridique : le déplacement des marchandises réalisé par plusieurs transporteurs routiers, sous le même document de transport (lettre de voiture).
- Transport mixte empilé : Les transports sont « mixtes superposés » lorsqu’un moyen de transport est chargé sur un autre moyen de transport, un camion chargé dans un navire par exemple.
- Transport pour compte d’autrui : Transport réalisé, pour un chargeur, par un artisan ou une entreprise, dont l’activité principale ou secondaire est le transport de marchandises.
- Transport pour compte propre : Transport réalisé, pour soi-même, par une entreprise qui, bien que n’appartenant pas au secteur des transports, dispose d’un parc de véhicules7.
2.1.3. Les différents systèmes utilisés : la chaussée roulante, les caisses mobiles et les wagons kangourous
Nous allons présenter rapidement les trois systèmes de transport combiné rail-route (TCRR) les plus utilisés.
2.1.3.1. La « chaussée roulante »8
Cette technique permet de faire monter l’ensemble des camions sur des rames de wagons surbaissés.
Avec la « chaussée roulante », les camions complets et les semi-remorques, ainsi que les chauffeurs sont transportés par le rail. L’avantage de la chaussée roulante est qu’aucune exigence et aucun investissement particulier n’est nécessaire de la part des transporteurs routiers. De plus, la chaussée roulante permet le transport de camions contenant jusqu’à 40 à 42 tonnes de marchandises9, et peut circuler la nuit et le dimanche sans restriction10.
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2.1.3.2. Le wagon kangourou, appelé également système « Road Railer »11
Initiée au début des années 1960, cette technologie permet d’embarquer des semi-remorques sur des wagons12. C’est-à-dire de transformer directement la semi-remorque d’un camion en wagon de train en la faisant prendre appui sur des « boggies » ferroviaires. Le transfert est assuré par le tracteur routier, aucune grue n’étant nécessaire pour effectuer la manœuvre. La semi-remorque est ensuite reprise en charge à l’arrivée par un autre tracteur routier.
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Cette solution de TC rail-route est en exploitation en Europe depuis les années 1970. Elle offre un bon rapport charge utile sur masse tractée : 50% pour une semi-remorque de 13,5 mètres de long, le tracteur routier d’un poids de 6 tonnes environ n’étant pas transporté. Pourtant depuis les années 2000 le système de route roulante, que nous avons étudié plus haut, connaît un regain d’intérêt en Europe.
Une autre technique est celle du « tout conteneur » : de la caisse mobile.
2.1.3.3. Le système de « caisse mobile »13
Proche de la technique précédente, ce système consiste à transporter uniquement le conteneur (ou caisse-mobile), à l’aide de wagons « porte-conteneurs ». Elle requiert l’utilisation d’une grue pour effectuer la manœuvre et permet une grande modularité et réduit la part immobilisée au seul conteneur.
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Une caisse mobile est une unité de transport intermodal (UTI) utilisée généralement en TC rail-route. Elle peut être transférée d’un camion à un wagon de la même manière qu’un conteneur classique. Mais contrairement à ce dernier, elle n’est pas conçue pour être empilée sur plusieurs niveaux, ni pour être saisie par le haut. Sa manipulation s’effectue par des véhicules munis de « pinces », au niveau de plaques renforcées ou d’encoches à sa base.
Par rapport au conteneur maritime, la hauteur des caisses mobiles n’est pas normalisée et leur structure est moins résistante et moins lourde, ce qui réduit les coûts d’investissement et d’exploitation. Elles sont souvent équipées de portes latérales, de manière à faciliter le chargement et le déchargement. Certaines sont équipées de quatre béquilles repliables permettant de les poser au sol ou de les transférer d’un véhicule à l’autre sans l’aide de grue ou de chariot élévateur.
L’intérêt de son invention pour le secteur routier réside dans ses dimensions, plus importantes que celles des conteneurs classiques.
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Ainsi, les techniques multimodales terrestres semblent donc bien adaptées et diversifiées selon les besoins des entreprises qui y ont recours. Cette activité ne cesse de se développer. Dès 2005 l’Union Internationale des sociétés de transport Rail-Route (UIRR) enregistre une croissance de 5% du transport multimodal, et cette même année une vingtaine d’entreprises nationales membres ont acheminé 2,5 millions d’UTI. Selon Rudy Colle, directeur général de l’UIRR, « c’est grâce au transport combiné que le ferroviaire va récupérer des parts de marché ».
A ce niveau là, l’Allemagne fait figure d’exemple : libéralisé plus tôt que la France, le marché du fret ferroviaire allemand a connu une évolution rapide. Norbert Bensel, responsable de la division Transport et Logistique de la Deutsche Bahn AG, tient un discours encourageant pour tous les acteurs qui, devant la problématique environnementale, misent sur le transport ferroviaire : « les grands logisticiens de demain sont ceux qui disposent de réseaux à maillage serré et rentable et d’un savoir-faire ferroviaire […] ». Une stratégie que semble adopter le groupe Novatrans, que nous allons étudier maintenant.
ÉTUDE DE CAS : NOVATRANS et le transport multimodal
La société Novatrans a été crée en 1967 à l’initiative de la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers (FNTR). Elle est spécialisée dans le TC rail-route, et a pour rôle de développer le ferroutage son notre réseau.
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Photo 1
Source : http://www.novatrans.fr/FRANCAIS/HTML/fhome.htm
A l’heure actuelle elle compte bien profiter de la phase de rebond du transport multimodal, ainsi que de la problématique environnementale pour déployer encore davantage son activité en France et en Europe.
Ainsi, avec son parc de 1 600 wagons et de 23 terminaux en France et en Europe, le nombre total de véhicules transportés par Novatrans était de 350 000 en 2009, dont 64% à l’international, comme l’indique le réseau ci-contre. Son activité devrait encore croître dans les prochaines années, Novatrans ayant fait le choix d’une « politique de trains et d’axes nouveaux, d’implantations nouvelles ou renforcées, d’alliances et de partenariats efficaces »14, qui viendront s’ajouter aux 18 partenaires déjà présents aujourd’hui.
En profitant de son expérience, de son réseau, du soutien affiché par les pouvoirs publics, de la problématique environnementale actuelle, et des infrastructures développées pour y répondre, Novatrans devrait certainement bénéficier d’un temps d’avance face à la concurrence.
Outre l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire national, qui va de plus en plus stimuler et développer le marché français, d’autres éléments viennent également favoriser une intégration progressive, mais certaine, du transport multimodal. C’est le cas des grands projets ferroviaires entrepris dans le pays, en particulier l’autoroute ferroviaire entre Perpignan et le Luxembourg, comme nous le verrons plus tard15.
2.2. Quand le ferroutage devient-il intéressant ?
Le ferroutage devient intéressant pour certains types de marchandises et pour certains types de flux16, nous allons commencer par détailler celles-là.
2.2.1. Pour certains types de marchandises
2.2.1.1. Les matières dangereuses
Les marchandises dangereuses sont susceptibles, par leur nature, de mettre en danger la sécurité des personnes et des biens, et/ou de nuire à l’environnement lors du transport. Elles font l’objet de réglementations internationales et nationales spécifiques17.
Le TC rail-route offre une plus grande sécurité pour leur acheminement, dans la mesure où les accidents routiers sont fréquents, et notamment ceux des poids lourds, qui constituent la population de véhicules pour laquelle le taux d’accidents graves est le plus élevé. Outre de graves conséquences sur le plan humain pour les usagers de la route, ces accidents provoquent généralement des congestions majeures, des atteintes à l’environnement ou aux infrastructures, et des dépenses supplémentaires importantes. Ces accidents peuvent devenir extrêmement graves lors du transport de matières dangereuses telles que les aérosols… Or on estime que le transport routier de marchandises augmentera d’environ 40% d’ici dix ans18.
2.2.1.2. Les marchandises en vrac et volumineuses
Les marchandises en vrac sont des marchandises non emballées et ne comportant pas d’éléments individualisables. On distingue le vrac gaz du vrac solide comme le blé, du vrac liquide tel que l’essence. Un des avantages du ferroviaire est qu’il peut transporter des conteneurs ouverts sur la partie supérieure et ainsi des marchandises trop volumineuses, qui n’auraient pas tenu dans une remorque traditionnelle.
2.2.1.3. Les marchandises pondéreuses
Les marchandises pondéreuses ont une masse volumique élevée et de faible valeur, dont le prix de vente est fortement impacté par le coût du transport : les minerais, le bois… Le TC rail-route propose une capacité de chargement supplémentaire de 10% par rapport à la route. Ainsi les quantités transportées peuvent être plus importantes par rail, et le coût de ce transport sera bien moins élevé.
2.2.2. Pour certains types de flux
Sur certains parcours, le transport combiné offre une solution alternative performante au transport purement routier. C’est le cas, comme nous allons le voir maintenant, pour des flux longues distances et/ou prévisibles.
2.2.2.1. Les flux longues distances
Selon le rapport de l’Observatoire des politiques et des stratégies de transport en Europe, le ferroutage est rentable sur les flux de plus de 500 kilomètres19. Il est donc a envisager pour des flux longs, où le transport par rail est suffisamment important pour justifier son utilisation.
Cependant, même en zone courte le ferroutage peut rester intéressant, à la condition que les volumes transportés soient importants, et il le devient d’autant plus que les flux sont prévisibles et que la logique d’aller-retour est respectée.
2.2.2.2. Les flux prévisibles
Si le ferroutage est plus intéressant pour les flux prévisibles, c’est que le transport ferroviaire nécessite une organisation préalable relativement importante, qui ne permet pas de planifier un transport pour une date trop proche. En effet des sillons horaires délimitent la « période durant laquelle une infrastructure donnée est affectée à la circulation d’un train entre deux points du réseau ferré »20. Les opérateurs « achètent » des sillons fixes aux gestionnaires de ces infrastructures21, qu’ils détiendront jusqu’au changement de service suivant. En France l’attente est de deux mois au minimum pour obtenir un sillon, en Allemagne, où le réseau est plus centralisé et mieux informatisé, les délais sont de 15 jours22.
2.2.2.3. Lorsque que la logique aller-retour est respectée
Il faut réduire le plus possible le déséquilibre aller-retour, car globalement plus la distance augmente, plus le déséquilibre est fort. Le raisonnement est simple : le retour d’un train représente un coût qui n’est pas rentabilisé s’il revient à vide. Il faut donc anticiper et préparer un plan de transport qui prenne en compte cette logique d’aller-retour que nous venons d’évoquer.
Le ferroutage peut rester envisageable si le coût de retour à vide en ferroviaire est inférieur au coût du retour en mode route.
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1 Transport Intermodal, Cabinet de conseil spécialisé : A22, Expert en Logistique, 11 avril 2010 – http://www.cat-logistique.com/transports_intermodal.htm ↑
2 Définition donnée par l’UE – www.unece.org/trans/wp24/documents/wp24-00-1f.pdf – Cf. Annexe n°1 contenant les principaux termes utilisés dans le transport combiné. ↑
3 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-SF-08-020/FR/KS-SF-08-020-FR.PDF ↑
4 La différence entre multimodal et intermodal est très peu connue, maintenant que nous avons défini ces deux termes, nous les utiliserons indifféremment dans la rédaction de ce mémoire. ↑
5 Bohlman M., Hommage à Malcolm McLean, inventeur génial du conteneur, 2002, http://www.lomagman.org/transport/maritime_portuaire/revolut_du_container_isemarasso_fr49.pdf ↑
6 Définition donnée par l’UE – www.unece.org/trans/wp24/documents/wp24-00-1f.pdf – Cf. Annexe n°1. L’annexe n°1 contient les principaux termes utilisés dans le transport combiné ou qui s’y rattachent. ↑
7 Pour des définitions complémentaires, se référer à l’annexe n°1 ↑
8 http://www.swissworld.org/fr/switzerland/dossiers/les_chemins_de_fer_suisses/la_chaussee_roulante/ ↑
9 au lieu des 28 tonnes admises sur nos routes ↑
10 http://www.sbbcargo.com/fr/index/ang_produkte/ang_intps/ang_produkte_verkehr/ang_produkte_verkehr_landstrasse.htm ↑
11 Source : http://www.aqtr.qc.ca/documents/Direction/intermodalite.pdf ↑
12 Source : http://www.bevernage.com/Trains/Kangourou/Kangourou.htm ↑
13 Source : « La logistique : Modèles et méthodes de pilotage des flux », de Philippe Vallin, Edité en 2006 par Economica, pages 158-159. ↑
14 Source : www.novatrans.fr/FRANCAIS/HTML/fhome.htm ↑
15 Cf. partie III ↑
16 Propos recueillis lors de l’interview de Patrick B********, directeur multimodal chez Geodis BM, le 12/11/2009 ↑
17 http://www.logistiqueconseil.org/Articles/Transport-routier/Type-transport-marchandises.htm ↑
18 Bernard JACOB – Vittorio DOLCEMASCOLO, LCPC, 2006, http://www.innovations-transports.fr/Elaboration-d-alerte-pour-les?lang=fr ↑
19 Selon P. B********, directeur multimodal de chez Geodis BM, le transport combiné est rentable pour les zones de plus de 600 kilomètres, avec des zones les plus courtes possibles sur le routier. ↑
20 Définition des sillons horaires ↑
21 Gestion des sillons par les opérateurs ↑
22 Comparaison des délais France/Allemagne ↑