Le renforcement des services de santé est crucial pour améliorer l’efficacité de la médecine du travail en Côte d’Ivoire. Cet article analyse les défis actuels liés aux ressources humaines, matérielles et financières, tout en proposant des solutions pour optimiser le cadre juridique et les prestations offertes.
Section II :
Le renforcement des moyens des services de santé au travail
L’accroissement des moyens des services de santé au travail consiste à augmenter les ressources humaines, matérielles et financières dont disposent les services de santé au travail pour remplir leurs missions. Ces ressources sont actuellement insuffisantes, ce qui limite la qualité et la quantité des prestations fournies par les services de santé au travail. Il est donc nécessaire de valoriser les ressources humaines (paragraphe I) et les ressources matérielles et financières (paragraphe II) des services de santé au travail.
Paragraphe I :
La revalorisation des ressources humaines
La revalorisation des ressources humaines vise à améliorer la qualification et la motivation des professionnels de santé au travail, qui sont essentiels pour assurer la qualité et l’efficacité des prestations fournies par les services de santé au travail.
Cette mission doit être assurée par le médecin du travail, principal acteur des services de santé au travail qui jouit d’un statut actuellement insatisfaisant, car il ne permet pas de répondre aux besoins des entreprises et des salariés, ni de faire face aux évolutions du monde du travail. Il est donc nécessaire de réformer le statut du médecin du travail, en développant son attractivité (A) et en adaptant son fonctionnement (B).
A- Le développement de l’attractivité du métier : valoriser la formation et la rémunération
Le métier de médecin du travail souffre d’un manque de reconnaissance et de motivation, tant au niveau de la formation que de la rémunération. L’attractivité du métier se révèle être un enjeu majeur pour lutter contre la pénurie de praticiens. Pour ce faire, il faut rendre ce métier plus attrayant pour les jeunes médecins, en valorisant sa formation et sa rémunération.
D’une part, la formation des médecins du travail doit être renforcée, en augmentant le nombre de places offertes dans les facultés de médecine, en diversifiant les parcours possibles en améliorant les conditions d’accès notamment par voie de concours et de sélection sur dossier. Aussi en favorisant les passerelles avec d’autres spécialités médicales telles que la médecine générale et la médecine légale.
En outre, la formation doit également être adaptée aux réalités du terrain, en intégrant les nouvelles compétences requises notamment les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui connaissent un boom1 et qui sont de plus en plus présentes dans le milieu de la médecine du travail. L’on peut le constater avec le défi que la médecine du travail doit relever avec la confidentialité des données médicales et de la protection de la vie privée des travailleurs qui est menacée avec l’évolution fulgurante du numérique2.
Également, le médecin du travail doit bénéficier de formation en management et communication. Car se trouvant à la tête du service de santé au travail, il doit être en mesure de disposer de techniques qui lui permettent de gérer, organiser, diriger et planifier les différentes activités du service de santé ainsi que la gestion des ressources humaines en l’occurrence le personnel du service de santé, les salariés ainsi que les employeurs.
Pareillement, les stages pratiques dans les entreprises doivent être renforcés en permettant aux jeunes diplômés de faire la rencontre de médecins du travail de telle sorte à en tirer des bénéfices de l’expérience de leurs ainés dans le domaine ainsi que la découverte de la pratique qui diffère très souvent de la théorie. Mais aussi en développant la formation continue tout au long de la carrière des médecins du travail, leur permettant ainsi de s’améliorer continuellement et de s’adapter à la transformation et l’évolution du monde du travail.
D’autre part, la rémunération des médecins du travail doit être revalorisée, pour ce faire, elle doit se baser sur des critères objectifs, transparents et équitables qui reflètent la réalité et la complexité de leur métier.
D’abord, il faut tenir compte de leur formation initiale qui peut aller jusqu’à onze (11) années3. Ensuite, du niveau de responsabilité, ils leur incombent le rôle de conseil, de surveillance et de prévention, qui implique des obligations déontologiques, juridiques et éthiques, et qui engage leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire. Aussi, des difficultés et des risques liés à l’exercice de leur profession, tels que la charge de travail, la pénurie de personnel, la diversité des situations ou encore l’exposition aux agents pathogènes.
Cette revalorisation peut se faire par le biais de l’augmentation du salaire de base qui est actuellement inférieur à celui des autres spécialités médicales ou encore en prévoyant des primes qui viendraient récompenser les médecins du travail qui atteignent leurs objectifs de qualité, de quantité ou de satisfaction, fixés par les employeurs, les travailleurs ou les organismes de contrôle.
La revalorisation de la rémunération des médecins du travail implique de trouver des sources de financement pérennes. Premièrement, on pourra déjà imposer un montant de cotisation minimum des employeurs aux services de santé au travail d’au moins 5% de la masse salariale brute, destinée à couvrir les frais de fonctionnement et de rémunération des médecins du travail4. Cette contribution pourrait être modulée en fonction de la taille, du secteur et du niveau de risque des entreprises, afin de tenir compte de leur capacité contributive et de leur besoin de prévention.
Deuxièmement, il s’agit de mobiliser des fonds publics pour financer les services de santé au travail, qui sont actuellement exclusivement financés par les employeurs, et qui pourraient être considérés comme un service d’intérêts général, puisqu’il s’agit ici de la santé et de la sécurité des citoyens. Cette contribution pourrait provenir de l’État, des collectivités territoriales ou des organismes de Sécurité sociale.
En conclusion, la revalorisation de la rémunération des médecins du travail est une mesure indispensable pour reconnaître la valeur et l’importance de leur métier, mais elle nécessite une réflexion et une action concertées entre les différents acteurs concernés, qui doivent prendre en compte les besoins, les attentes et les contraintes de chacun.
B- L’adaptation du fonctionnement des médecins du travail : favoriser le travail en équipe et la pluridisciplinarité
Le fonctionnement des médecins du travail en Côte d’Ivoire est fréquemment isolé et individualiste, ce qui limite leur efficacité et leur impact. En effet, les médecins du travail sont généralement seuls à assurer le suivi médical des travailleurs, sans bénéficier du soutien d’autres professionnels de la santé au travail, tels que les infirmiers, les psychologues ou les ergonomes. Par ailleurs, les médecins du travail sont souvent déconnectés des autres acteurs de la prévention des risques professionnels. Ainsi, il apparaît nécessaire d’adapter le fonctionnement des médecins du travail aux besoins actuels des entreprises et des salariés, en favorisant le travail en équipe et la pluridisciplinarité5.
En premier lieu, il faut promouvoir le travail en équipe, qui consiste à réunir plusieurs médecins du travail, appartenant à la même entreprise ou à des entreprises différentes, pour partager leurs expériences et leurs compétences dans le but d’assurer une meilleure prise en charge des travailleurs. Le travail en équipe présente plusieurs avantages, tant pour les médecins du travail que pour les travailleurs et les employeurs.
D’abord pour les médecins du travail, le travail en équipe leur offre la possibilité d’échanger avec leurs pairs, de demander conseil et de solliciter de l’aide. Cette collaboration permet également aux médecins du travail de se former et de se perfectionner, en partageant leurs savoirs et leurs savoir-faire. Cela facilite aussi la résolution des problèmes complexes qui nécessitent une analyse multidimensionnelle et une prise de décision collective, en mobilisant les compétences et les expériences de chacun, en confrontant les points de vue, en débattant et en argumentant.
Ensuite, pour les travailleurs, le travail en équipe permet de bénéficier d’une meilleure prise en charge médicale, en ayant accès à des médecins du travail plus disponibles, plus compétents, plus attentifs et plus réactifs. Également, cela permet aux travailleurs de bénéficier d’un suivi médical plus régulier, plus personnalisé et plus complet.
Aussi, le travail en équipe permet aux travailleurs de bénéficier d’une meilleure prévention des risques professionnels, en étant informés, sensibilisés et formés, par les médecins du travail, sur les dangers liés à leur activité, les moyens de les éviter ou de les réduire, les gestes et les comportements à adopter. Enfin, le travail en équipe leur permet de bénéficier d’une surveillance médicale plus efficace, qui permet de dépister, de diagnostiquer, de traiter, et de prévenir les maladies professionnelles et les accidents du travail.
En second lieu, il faut favoriser la pluridisciplinarité qui consiste à associer plusieurs disciplines au sein d’une équipe de médecins du travail, pour apporter des éclairages complémentaires, des analyses croisées et des solutions adaptées, aux problématiques de santé au travail. La pluridisciplinarité présente également plusieurs avantages, tant pour les médecins du travail que pour les travailleurs et les employeurs6.
Relativement aux médecins du travail, elle permet de bénéficier d’une vision globale de la santé au travail, en tenant compte des dimensions individuelles et collectives, qui influencent la santé des travailleurs. Cela permet également aux praticiens de bénéficier d’une approche participative et collaborative, en impliquant les travailleurs, les employeurs, les représentants du personnel et les services de l’État, dans la définition, la mise en œuvre, et l’évaluation des actions de santé au travail, en privilégiant le dialogue et la coopération, entre les différents acteurs de la santé au travail.
Cette approche participative et collaborative permet aux médecins du travail de renforcer la pertinence et l’efficacité des actions de santé au travail. En ce qui concerne les travailleurs, la pluridisciplinarité permet aux travailleurs de bénéficier d’une prise en compte globale de leur santé, en tenant compte des aspects physiques, psychiques et sociaux, qui influencent leur santé, en adoptant une logique de bien-être, de qualité de vie et de performance, qui relie leur santé à leur travail, en intégrant les dimensions préventives et curatives, qui déterminent leur santé. Cette prise en compte globale permet aux travailleurs de mieux comprendre, d’anticiper, et d’agir sur leur santé.
Cela permet aussi une adaptation des postes de travail, en tenant compte des caractéristiques physiques, mentales et sociales, qui définissent leur capacité de travail, en adoptant une logique d’adaptation, d’aménagement, d’optimisation, qui améliore leur adéquation au travail, en intégrant les facteurs techniques, ergonomiques, organisationnels. Cette adaptation permet aux travailleurs de travailler dans des conditions optimales, en termes de confort, de sécurité et d’efficacité.
En somme, le travail en équipe et la pluridisciplinarité permettent aux médecins du travail d’assurer une prise en charge globale et personnalisée des salariés, en tenant compte de tous les aspects liés à leur santé physique et mentale. Ils permettent également aux médecins du travail d’élargir leurs compétences et leurs connaissances, en bénéficiant des apports des autres disciplines. Ils permettent enfin aux médecins du travail d’améliorer leur efficacité et leur qualité, en partageant leurs expériences et leurs solutions.
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1 Banque mondiale, Côte d’Ivoire : le secteur numérique, vecteur d’une économie émergente, disponible en ligne : https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/06/13/afw-cote- divoire-secteur-numerique-vecteur-une-economie-emergente (consulté le 12/01/2024 à 14 h 06 min) ↑
2 Lefebvre Dalloz, Le côté obscur des outils numériques : quels effets sur les risques professionnels ?, op cit. ↑
3 Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, Les études de santé, disponible en ligne : http://www.enseignement.gouv.ci. (consulté le 21/12/2023 à 12 h 02 min) ↑
4 Commission Européenne, Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union européenne en matière de sécurité et de santé au travail, op cit., p.7 ↑
5 Ministère de la Santé et de l’hygiène publique, Politique nationale d’amélioration de la qualité des soins et des services de santé en Côte d’Ivoire, République de Côte d’Ivoire, juin 2016, p. 36 ↑
6 Espace de Réflexion Ethique Auvergne – Rhône – Alpes, valoriser la pluridisciplinarité en temps de crise ? Pourquoi penser la pluridisciplinarité est encore et toujours important ?, EREARA, septembre 2018, p.1 ↑