Le rendement des meules d’Acacia mangium et Acacia auriculiformis est évalué à 19,27% en moyenne, avec des variations de 10,82% à 28,98%. Ces résultats indiquent une productivité faible, comparable aux meules classiques, soulignant l’urgence d’améliorer les techniques de carbonisation.
Discussion
Productivité des meules
En évaluant le rendement de la production de charbon de bois des meules d’Acacia auriculiformis et Acacia mangium dans la zone d’étude, les résultats obtenus ont montré que le rendement moyen de toutes les meules évaluées est de 19,27%, il va de 10,82% à 28,98%. Ces résultats rejoignent ceux d’Ogouvidé (2010) qui ont relevé les rendements de 18,30 % et 19,79 % respectivement pour le Senna siamea et l’Anogeissus leiocarpa dans la forêt de la Lama au Sud du Bénin, ainsi que ceux de Burney et al. (2008) qui ont obtenu un rendement de 20% pour les meules d’Eucalyptus dans la région de Boeny, dans le Nord-Est du Madagascar.
Le rendement obtenu à Ibi- Village est supérieur à celui obtenu par Schure (2019) à Nsuni, Yolo, Imbu et Mampu sur le plateau des Batékés, en RDC, soit 12% mais, inférieur au taux relevé par ce même auteur à Yangambi (28,1%).
Schenkel et al. (1997) ont rapporté un rendement des meules traditionnelles d’Acacia auriculiformis en RDC (ex- Zaïre) situé entre 21,1 et 25,6%. Pinta et al. (2012) a quant à eux, ont obtenu un rendement dont les valeurs se situaient entre 29% et 31% À Nsuni, Yolo, Imbu et Mampu dans la zone des plateaux des Batékés.
Les écarts entre les différentes études avec les résultats obtenus à Ibi-Village pourraient être justifiés non seulement par l’espèce et la technique de carbonisation utilisée, mais aussi par le savoir-faire des charbonniers et parfois aussi les conditions météorologiques du milieu. Darboux (2013) confirme que le rendement de la carbonisation du bois dépend surtout des espèces utilisées, mais aussi du taux d’humidité du bois.
Selon FAO (1983) et Ndour (1986), le rendement d’une carbonisation dépend du savoir-faire de l’opérateur et de l’appareillage utilisé. La dextérité du charbonnier et le suivi rigoureux des meules (surtout pour le choix du jour de défournement) favorisent donc de meilleurs rendements.
Pour le cas des meilleurs résultats obtenus en termes de rendement, il est fort probable que la présence des projets antérieurs sur la production durable de bois-énergie à Mampu, Mbankana, Dumi (Projet Makala) et ailleurs, aient stimulé auprès des charbonniers, l’adoption de bonnes pratiques de carbonisation telles qu’une conduite rigoureuse et une surveillance attentive des meules.
Les faibles rendements par contre relevés à Ibi-Village pourraient être dus par la non-maîtrise des bonnes pratiques par les charbonniers récemment installés sur le site. Ces derniers par exemple, réduisent le plus souvent la durée de la carbonisation pour assurer rapidement la vente de charbon de bois afin, de subvenir à leurs besoins quotidiens.
Productivité de deux espèces d’Acacia
L’estimation de rendement des deux essences peut avoir une importance économique non négligeable non seulement pour les charbonniers, mais aussi pour les gestionnaires forestiers, car un rendement élevé signifie une meilleure productivité et un retour sur investissement potentiellement plus rapide. Les résultats obtenus à Ibi-Village ont montré que l’Acacia mangium a un rendement supérieur à celui d’Acacia auriculiformis. Cela peut se justifier par le fait que la densité inférieure de l’Acacia mangium par rapport à l’Acacia auriculiformis permet de produire moins d’incuits et donc un rendement supérieur.
Le Projet Makala (2012) et Wanjira et al. (2021) ont indiqué que l’obtention d’un rendement supérieur est surtout liée au taux d’humidité du bois qui doit être inférieur à 20%. Les résultats obtenus à Ibi-Village montrent qu’une fois que le taux d’humidité est inférieur à 20%, le rendement n’en dépend plus mais pourrait être influé par le savoir-faire du charbonnier dont les pratiques peuvent permettre de compenser en partie les contraintes techniques liées à la densité ou l’humidité du bois.
Pour ce qui concerne la masse des sacs de charbon de bois produits à Ibi, les résultats obtenus indiquent qu’en moyenne, un sac de charbon de bois pèse 62,34 kg. La masse moyenne des sacs d’Acacia auriculiformis est de 64,47 kg alors que celle d’Acacia mangium est de 60,23 kg. D’après Bisiaux et al. (2009) un sac de charbon de bois d’Acacia pèse environ 60 kg à Mampu. Par ailleurs, des mesures effectuées sur 10 sacs produits à Ibi-Village par Maurice et Le Crom (2014) ont indiqué qu’un sac moyen pèse 65 kg.
Pertes dues carbonisation
La carbonisation en meule demeure la principale méthode pratiquée dans le site d’Ibi-Village comme l’ont aussi démontré Schenkel et al. (1997). Elle exige une couverture en terres pour rendre la meule étanche, une pratique qui fait en sorte que le charbon de bois produit soit mélangé avec la terre afin d’éteindre les charbons de bois en combustion.
Les résultats obtenus dans cette étude ont montré que les pertes représentent 11,69% de la masse anhydre de la meule. Ces pertes sont constituées d’incuits, de fines et braisettes dans l’espace où la meule a été installée et dans l’aire de défournement. Ces pertes sont importantes par rapport au rendement de 34% obtenu par Temmerman et al. (2019) pour le four de carbonisation Green Mad Retort. Cela signifie que seulement 88,31% de la masse anhydre initiale du bois est convertie en charbon de bois. Un rendement plus élevé serait préférable, car il permettrait une utilisation plus efficace des ressources en bois et réduirait les pertes.
Les résultats obtenus pour ce qui concerne les incuits avoisinent ceux du Projet Makala (2012) qui a obtenu 2 et 3% dans des meules issues du boisement sur le plateau des Batékés. Schure et al. (2019) ont obtenu un taux d’incuits de 7,4 et 5,5% respectivement à Yangambi et sur le plateau des Batékés.
Louppe (2012) souligne que la production excessive d’incuits pendant la carbonisation du bois peut être due à plusieurs facteurs, notamment la teneur en humidité du bois, la température de carbonisation, la durée de la carbonisation, la densité de l’essence utilisée, le savoir- faire du charbonnier, l’absence totale d’oxygène et le manque de suivi de la meule.
En effet, une fois que la meule n’est pas très bien montée, elle peut s’effondrer et peut faire pénétrer beaucoup de sables à l’intérieur, ce qui peut occasionner a posteriori, l’extinction du feu et donc une grande quantité d’incuits. Pour pallier cela, une surveillance permanente de la meule s’avère très nécessaire, car elle permettra d’éviter une pénétration d’une quantité importante de sable, et de l’oxygène qui favorise la combustion du bois, affectant considérablement le rendement.
Les résultats obtenus pour les fines et braisettes dans l’espace où la meule a été installée et dans l’aire de défournement pourraient être justifiés par le fait que les personnes chargées de défourner la meule y laissent d’importantes quantités de charbon de bois et braisettes afin de repasser après défournement pour se faire de l’argent ou subvenir à leurs propres besoins énergétiques. Le type de pyrolyse utilisé peut aussi être une des raisons. Marquez-Montesino et al. (2015) ont indiqué que si la pyrolyse est lente, le charbon de bois est le produit obtenu en grande quantité et si elle est rapide, les cendres et fines seront produites en grande quantité.
En dehors des raisons évoquées ci-haut, il est aussi important de noter que le charbon de bois produit par les meules traditionnelles à Ibi-Village subi beaucoup de manutentions contrairement aux fours industriels, où les sacs sont chargés juste après refroidissement de la production. D’après les observations de terrain, il a été relevé qu’au début du défournement, les charbons de bois sont de grands diamètres (ayant la forme d’une bûche brûlée), mais en les déplaçant de la meule vers l’aire de défournement pour son refroidissement, ils se cassent et commencent à se réduire en braisettes puis en poussières de très faible diamètre (≥ 1 mm).
Mais aussi pendant la mise en sac, les charbonniers ont souvent tendance à broyer le charbon de bois qui était autrefois de grand diamètre afin de faciliter le chargement des sacs pour influencer sa masse pendant la vente, et cela produit d’importantes quantités de fines qui finissent par être abandonnées à la fin des travaux.
Enfin, l’auto-combustion du charbon de bois (feu retour comme l’appellent les charbonniers d’Ibi) pourrait aussi être l’une des causes de la production importante de fines.
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Cette étude a porté sur l’évaluation de la productivité des meules d’Acacia auriculiformis et Acacia mangium à Ibi-Village sur le plateau des Batékés. Les données issues de 30 meules ont permis d’évaluer la productivité de la carbonisation ; d’estimer la productivité des meules d’Acacia mangium avec celles d’Acacia auriculiformis et enfin, d’évaluer les pertes.
À la lumière des résultats obtenus, il est possible de conclure que l’évaluation de la productivité dans différentes meules a mis en évidence un rendement très faible comme dans la majorité des zones des pays en développement. De plus, il a été démontré que l’Acacia mangium présente un rendement supérieur à l’Acacia auriculiformis, ce qui souligne son importance comme une essence à haut rendement de la carbonisation. Les pertes représentent plus d’un dixième de la masse anhydre de la meule et plus de la moitié de la masse de charbon de bois produit.
En comparant les pertes entre les deux espèces, les résultats obtenus ont indiqué qu’il n’y a pas de différence significative entre les pertes des meules d’Acacia auriculiformis et celles d’Acacia mangium et que le rendement des meules ne dépend pas du taux d’humidité du bois lorsque celui-ci est inférieur à 20% mais d’autres facteurs tels que le savoir-faire des charbonniers. Les résultats de la comparaison de la distribution de pertes dans la meule et dans l’aire de défournement ont aussi montré qu’il n’y a pas une différence significative, et ce, même entre les espèces.
Ces résultats constituent une contribution à la compréhension de l’efficacité de la productivité en charbon de bois de ces deux essences d’Acacia et surtout du modèle de carbonisation des meules développé à Ibi-Village. Ils suggèrent la nécessité d’améliorer les techniques de carbonisation et l’encadrement des charbonniers en vue, d’optimiser la productivité et de réduire les pertes de manière à garantir une utilisation rationnelle de la ressource dendro-énergie.
Pour les recherches futures, il serait intéressant d’explorer les pistes suivantes :
- Évaluer les facteurs qui influent sur le rendement de la carbonisation et identifier les méthodes de traitement préalable ou de gestion des meules qui pourraient améliorer ce rendement ;
- Examiner les mécanismes de formation des pertes dans la meule et l’aire de défournement, afin d’identifier des mesures pour minimiser ces pertes ;
- Comparer la productivité et les pertes de différentes essences d’acacia avec d’autres espèces de bois pour élargir la compréhension des variations entre les espèces ligneuses et ;
- Explorer des technologies de carbonisation alternatives ou des méthodes de valorisation des résidus pour réduire les pertes et augmenter la rentabilité globale du processus.
En poursuivant ces recherches, cela pourrait contribuer à l’optimisation de l’efficacité de la carbonisation, en réduisant les pertes et en augmentant le rendement, ce qui pourrait avoir un impact positif tant sur le plan économique que sur celui de la durabilité de la ressource.
Pour optimiser le rendement de la carbonisation et réduire les pertes, ces quelques recommandations s’avèrent très utiles :
- Promouvoir l’utilisation des méthodes de carbonisation améliorée en encourageant l’adoption de techniques modernes telles que (i) la carbonisation en fût ou en meule ventilée, (ii) l’utilisation de systèmes de récupération de chaleur pour capturer et réutiliser l’énergie thermique générée pendant la carbonisation, (iii) l’optimisation de la taille et la forme des meules utilisées pour faciliter la répartition uniforme de la chaleur et réduire les pertes, (iv) le contrôle de la ventilation pour éviter une combustion incomplète et une perte, (v) l’utilisation de briquettes de charbon fabriquées à partir de résidus et de déchets de bois carbonisés pour réduire la dépendance à la carbonisation traditionnelle et minimiser les pertes.
- Former les charbonniers en organisant des sessions de formation et de sensibilisation afin de leur enseigner les meilleures pratiques de carbonisation, y compris l’utilisation adéquate des méthodes améliorées.