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La proxémique entre le clown et le patient en pédiatrie

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🏫 Université catholique de Louvain - Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) - Ecole de communication (COMU)
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2016-2017
🎓 Auteur·trice·s
Sandro Faiella
Sandro Faiella

La proxémique clown patient est essentielle pour comprendre l’interaction entre le clown et les jeunes malades en pédiatrie clinique. Cet article analyse comment cette dynamique favorise l’établissement de liens affectifs et améliore l’expérience des enfants hospitalisés.


Ewan MacKinnon : de la proxémique entre le clown et le patient

Présentation

« Angus <Ewan MacKinnon> travaille (…) en tant que clown dans le service de cancérologie pour enfants d’un hôpital du Danemark. Parmi eux, Tobias, un petit garçon de 6 ans, admis dans le service pour un cancer particulièrement virulent. Rapidement, une relation d’amitié se noue entre le petit malade et le clown… », introduit le synopsis de « L’enfant et le clown », documentaire danois réalisé par Ida Gron (2011) qui n’échappe pas à la contrainte télévisuelle d’une mise en scène, préférant toutefois une relative sobriété tant narrative que visuelle à une approche strictement dramatique.

A cet égard, l’illustration des rapports humains dans le feu de l’action est dissociée de celle du témoignage ponctuel du clown, isolé et au calme, face caméra. Outre la question de l’authenticité des rapports humains et des événements illustrés ou évoqués, cette réalisation nous incite à distinguer leur temporalité perçue (Ewan Mackinnon semble omniprésent au sein de la pédiatrie) de leur temporalité effective (Ewan Mackinnon intervient à raison de deux journées hebdomadaires).

Mise en tension avec Paolo Doss

Au-delà des techniques artistiques respectives employées par les deux clowns, de la question de la rémunération, du pays (de la culture) et du type de service hospitalier, plusieurs aspects distinguent d’emblée les prestations de Ewan MacKinnon de celles de Paolo Doss.

Primo, le degré d’immersion dans l’espace de vie des enfants à l’hôpital. Là où Paolo Doss limite sa présence au chevet des jeunes malades à quelques minutes voire quelques dizaines de minutes, afin, d’une part, de prévenir chez l’enfant toute sensation d’envahissement de sa zone interpersonnelle, et, de l’autre, de permettre aux autres patients de profiter éventuellement de la demi-journée hebdomadaire qu’il a à offrir gracieusement, Ewan MacKinnon, lui, inscrit son intervention dans une période plus large.

De surcroît, ce dernier entre dans les chambres sans frapper et semble participer à la plupart des moments rythmant la journée dans le Service, indépendamment de leur nature (soin, détente, visite, repos). Malgré ce qui apparaît telle une immersion, l’intéressé admet humblement les limites de son intervention : « Je ne peux pas entrer dans sa bulle.

Il est tout seul. Ses parents sont à côté. Mais il est seul dans sa tête. (…) Si j’arrive à les emmener dans mon univers, je leur permets d’oublier ce qui se passe. »

Secundo, alors que Paolo Doss reste parfaitement dans son personnage de Payoyo, Ewan MacKinnon, s’il ne tombe pas physiquement le masque, finit épisodiquement par laisser

transparaître l’homme empreint de codes sociaux qu’il est – à l’image de cette partie au jeu de société Uno à laquelle il prend part comme n’importe quel « non clown » le ferait et où son accoutrement ne fait donc plus sens. Cette deuxième distinction est peut-être liée à la première, dans la mesure où le temps prolongé passé dans un déguisement ferait partiellement oublier ce dernier à celui qui le porte. Au point même de changer ostensiblement de registre, du moins esthétiquement, lorsqu’il enfile une blouse blanche, tel un soignant, et lorsqu’il tient la main de Tobias, tel un parent.

En raison, d’une part, de la différence marquée de rapport au temps entre l’observation de visu des pratiques de Paolo Doss et l’observation de celles de Ewan MacKinnon via la lecture d’un documentaire, et, de l’autre, de la différence de nature des données étudiées (primaires/secondaires), nous ne pouvons dégager aucune constante reproductible dans leur pratique respective : la possibilité que, en-dehors de la période d’observation respective de Paolo Doss et de Ewan MacKinnon, ceux-ci puissent adopter des attitudes relationnelles et des pratiques artistiques alternatives, voire

permutables, ne peut être raisonnablement exclue. Passée cette précaution, notre menue démarche comparative s’avère pertinente car posant la question de la légitimité sous, en l’espèce, trois angles complémentaires : la temporalité – au- delà et en-deçà de quelle durée, et, ou à quel moment d’une unité de temps donnée, et, ou à quelle fréquence de prestation le clown s’avère-t-il légitime ?

; la proximité – au-delà et en- deçà de quelle distance physique et, ou psychique le clown s’avère-t-il légitime ? ; l’identité (« Au-delà et en-deçà de quelles quantité et qualité de déguisement l’artiste-clown est-il légitime ? »)

Ce qui fédère a contrario les deux artistes tient de l’expression de la difficulté émotionnelle de leur intervention : « Il y a des jours où je me sens désespéré, lourd, ennuyeux. Je ne comprends plus pourquoi je suis là, ni ce que je fais. (…) » (Ewan MacKinnon) ; « Je suis aussi un être humain et j’ai parfois besoin d’échanger avec les infirmières. Il m’est arrivé de pleurer dans les bras de l’infirmière en chef (…) » (Paolo Doss). De quoi poser la question de la légitimité du clown sous un quatrième angle, celui du contexte.

Magali Sizorn : du rapport au genre, à l’espace et au spectateur.

Présentation

Maître de conférences à l’Université de Rouen, Magali Sizorn participait aux Cycles de conférences en études cultureles organisés par l’Université catholique de Louvain, en

l’occurrence aux Ateliers de la FUCaM, à Mons, avec une intervention intitulée « Des arts populaires à la conquête des publics » (2015). L’intéressée nous a reçus la veille pour partager son expérience circassienne auprès de trapézistes (qu’elle a expressément rejoint dans le cadre de la réalisation d’une thèse) et de clowns.

Du genre

Magali Sizorn évoque à travers ce partage et plus largement ses écrits (Lefevre, Sizorn, 2003/2) la distinction de forme constatée entre cirque « traditionnel » et cirque

« contemporain ». Dans le premier, la femme apparaît réduite à une dimension unique, celle d’une féminité déterminée essentiellement par ses capacités plastiques à émouvoir ; dans le second, « l’artiste s’ouvre (…) à différentes esthétiques, (…) à elle-même. Elle livre (…) ses intérieurs théâtralisés ». La distinction s’opère ainsi au niveau de la différence de rapport à la corporéité dans le chef du public et dans celui de l’artiste lui-même à travers leur regard respectif sur celui-ci.

Ce distinguo convoque plus largement le ratio entre ce que le public voit et ce que l’artiste vit durant la prestation. Illustration avec le cas des trapézistes, en raison de l’intensité de l’effort physique fourni : « Les femmes, en particulier, sourient alors qu’elles ont mal, qu’elles transpirent (…) ». D’autres artistes renversent littéralement les codes en mettant en exergue ces aspects, en rendant perceptible, grâce au recours au silence, le bruit même de leur respiration.

Parmi les clowns appartenant à la gent féminine, Magali Sizorn décrit l’apparence « très masculines » de celles rencontrées, contrastant avec le côté angélique, le caractère « asexué » que d’aucuns leur prêtaient en raison du rapport à la vie, à la mort ou encore à l’enfance, thématiques fortes de cet art4. Et le phénomène n’est pas neuf : à l’époque, célèbre la clownesse Annie Fratellini, appartenant de la famille circassienne du même nom, faisait le constat de « la nécessité de travestir son sexe pour exercer l’art clownesque » (Cézard, 2012:161).

Cette façon de travestir le genre défini biologiquement ou, plus globalement, l’ancrage identitaire socialement construit, se retrouve également dans la pratique du clown par des hommes qui peuvent notamment y trouver un terrain propice à une autodérision ciblant leur virilité, par le port d’accessoires vestimentaires féminins, par exemple (Garcia 2011/2). Et leurs paires, lorsque costumées en femme, de forcer les traits « en mettant en scène une

4 Pareil processus renvoie au mécanisme de soustraction des codes sociaux chez l’artiste, en tant qu’individu lambda, lorsqu’il « devient » clown et qu’illustre notre brève description de la transformation physique de Paolo Doss – cf. « 2.2.2. Observations à l’hôpital ».

corporéité grotesque » (Garcia, 2011/2:10) voire en accentuant à outrance la gestuelle et la psychologie que l’imaginaire collectif leur prête volontiers.

La rupture globale avec les codes sociaux qui caractérise l’être et le paraître du clown peut ainsi connaître des déclinaisons spécifiques, en l’espèce l’expression d’une l’identité de genre refondue sur mesure. Et à travers celle-ci, la possible sous-tendue dénonciation d’un inégalitaire rapport social lié, justement au genre – laquelle échappe, dans le contexte qui nous intéresse, aux niveaux de lecture du jeune patient hospitalisé.

De l’espace

Plus spécifiquement, Magali Sizorn (2015), s’appuyant sur un témoignage recueilli lors de ses rencontres avec des « femmes clowns », évoque le rapport du clown à l’environnement : « Il n’y a pas d’espace de jeu et de non jeu : il va renverser l’espace par sa simple présence (…) Le clown s’approprie ce qui est ici et là et en joue». Et de rappeler que d’autres artistes contextualisent leur art, à l’image des trapézistes pour qui « l’espace est premier » car sans installation technique préalable, la prestation s’avère impossible.

Du spectateur

Entre l’émotion provoquée et sa contribution physique sollicitée dans l’espace scénique, le rôle du spectateur couvre une large palette de statuts. Lorsqu’il n’est pas « baron », c’est-à- dire complice fondu dans l’audience, le clown évite de le faire « entrer dans un jeu d’interprétation » (Sizorn, 2015). Et si celui-ci participe de la construction du spectacle, si, durant un lapse de temps donné, il en devient acteur, au sens participatif du terme, il n’est pas pour autant un acteur, au sens professionnel (CNTRL, 2017).

Appliquée à l’univers pédiatrique clinique, cette nuance terminologique renvoie, cette fois, à la question de la possibilité de choix a priori chez l’enfant, relevée par Paolo Doss, quant à la présence même de l’artiste à son côté. Or, ici, le choix, en tant qu’opportunité, s’il est saisi, sous-entend la possibilité d’évolution éphémère du statut du spectateur. Et, le cas échéant, le déroulement voire le succès du spectacle, de se réarticuler en tout ou en partie autour dudit statut ainsi modifié

Problématique et hypothèses

A compter des premières interventions au sein des hôpitaux de New-York, au milieu des années quatre-vingt, le clown a vu s’élargir son horizon géographique et le champ de ses fonctions auprès des jeunes patients. A l’instar de l’étude de Maxime Menanteau, qui a notamment montré, par le biais d’illustrations réalisées par des enfants hospitalisés, l’intérêt probable du clown dans ce cadre5, pléthore d’articles ont depuis abondé dans le sens d’un apport de cet intervenant « socialement » atypique.

Par ailleurs, si l’action du clown est mue par une constante bienveillance, l’artiste et son public, comme nous a permis de l’évoquer humblement notre travail préparatoire6, sont liés par une interaction de nature et d’intensité hétérogènes selon les situations. La variation de la nature et du degré dudit intérêt du clown est donc à l’avenant. D’autant que, contrairement à un espace scénique dit « classique », le milieu hospitalier n’accueille pas une « clientèle » spontanément désireuse de se divertir par le biais d’une performance artistique. Sa fonction première voire unique demeure la prise en charge médicale de patients et ce, dans la perspective d’une guérison. C’est d’ailleurs la contrainte sanitaire qui y amène ces derniers.

Dès lors, comment, dans cet espace scientifiquement quadrillé7 et à géométrie variable, le clown, échappant à la classification de « personnel hospitalier » et, spécifiquement, aux statuts médical et paramédical, construit-il sa légitimité ?

Au départ de cette question, nous avons émis les trois hypothèses complémentaires suivantes :

#1 Le clown bénéficie d’une légitimité a priori. Concrètement, il jouit d’emblée de l’image positive de son personnage, cette « figure emblématique, mythique, universelle des arts du spectacle » (Vigouroux-Frey, 1999:résumé).

#2 Parce qu’elle l’accueille dans ses infrastructures, la structure hospitalière confère au clown une légitimité.

#3 Le clown construit sa légitimité a posteriori. Concrètement, la réception par le public de la prestation en justifie rétrospectivement le bien-fondé.

5 « (…) par le « masque » qu’il revêt, le clown semble permettre également la valorisation d’un idéal du Moi pourtant mis à mal au cours de l’hospitalisation (…) » (Menanteau, 2012 :153)

6 Cf. « 2. Travail préparatoire ».

7 En référence à la notion de « quadrillage » de Michel de Certeau (1990 :165), de structuration réduisant la place du hasard.

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