Analyse des pouvoirs des autorités démissionnaires en RDC

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🏫 Université officielle de Bukavu - Faculté de droit département de droit public
📅 Mémoire présenté pour l'obtention du titre de licencié en droit - 2021-2022
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Les pouvoirs des autorités démissionnaires sont analysés à travers la pratique en République Démocratique du Congo, mettant en lumière la gestion des affaires courantes et les enjeux juridiques associés. Ce chapitre aborde les défis rencontrés et les compétences des autorités responsables dans ce contexte.


Chapitre II.  LES POUVOIRS DES AUTORITES DEMISSIONNAIRES EN DROIT POSITIF CONGOLAIS

Dans ce chapitre, nous présenterons d’abord un état des lieux sur la pratique observée en RDC en cas de démission, voir comment les affaires courantes y sont assurées (I), les problèmes de droit qu’elle rencontre et engendre, notamment en ce qui concerne les compétences des autorités auxquelles est confiée la gestion des affaires courantes(II).

Section 1 :

ETAT DES LIEUX

§1. Pratique au niveau national, provincial et local

Au niveau national

Une ultime observation mérite d’être faite pour comprendre le contour de la démission en RDC. Le cas le plus échéant et récent de la démission du gouvernement central est celui du Gouvernement Sylvestre ILUNGA ILUNKAMBA.

En effet, usant de ses prérogatives constitutionnelles, le mercredi 27 janvier 2021, l’Assemblée nationale a mis en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure, dont 367 voix sur 377 votants, sur un total de 500 députés ont voté favorablement ladite motion. Le Gouvernement étant démissionnaire et le Premier Ministre déposa sa démission, en attendant la nomination d’un nouveau Premier Ministre, à travers un communiqué officiel du Directeur de cabinet du Président de la République, rappelant que les membres du Gouvernement démissionnaire ne peuvent qu’expédier les affaires courantes, précise que l’exercice de leurs pouvoirs était soumis à certaines interdictions notamment : la suspension de recrutements, de promotions, de nominations, de missions de travail et le paiement de toutes dépenses publiques autres que celles liées aux charges du personnel1.

Par ailleurs, la valeur juridique de ce communiqué suscite des commentaires, mais ce qui importe plus, c’est la conception négative de la théorie d’expédition des affaires courantes.

Car soumettre l’expédition des affaires courantes qu’aux interdictions, constitue une restriction exagérée puisque les affaires en cours ou déjà engagées, quelle que soit leur importance, sont poursuivies par le gouvernement démissionnaire, tel est le cas de paiement des salaires des agents, exécution des travaux en cours, etc.

Au niveau provincial

Dans la pratique, au Sud-Kivu, signalons que plusieurs motions contre différents gouvernements provinciaux ont été adoptées. Les cas les plus récents sont les motions contre le Gouvernement Marcellin Cishambo, Claude Nyamugabo et Théo Ngwabidje Kasi.

En effet, entré en fonction en juin 2010, le Gouverneur Marcellin Cishambo était invité le 19 juin 2017 à se présenter à l’hémicycle provincial du Sud-Kivu pour répondre aux griefs retenus à sa charge2. Heureusement pour lui, le vote de la motion prévu n’avait pas pu avoir lieu faute de quorum. Après, le gouverneur ainsi que le président et le vice- président du bureau de l’Assemblée furent convoqués à Kinshasa. Le 20 juin 2017, à la suite de ce conflit entre l’Exécutif et l’Assemblée provinciale, le Gouverneur présenta sa démission à Kinshasa au Président de la République qui l’accepta. Le Gouvernement provincial, entrant ainsi en affaires courantes.

Le jour même de sa prise de pouvoir, le 20 juin 2017, le Gouverneur intérimaire prit un Arrêté provincial n° 17 /024/GP/SK rapportant celui de son prédécesseur n° 17 /021/GP/SK du 17 juillet 2017 portant nomination d’un Directeur et d’un Directeur adjoint à la Direction provinciale de mobilisation et d’encadrement des recettes du Sud- Kivu « DPMER/SK »3. Le Gouverneur ad intérim a expédié les affaires courantes pendant trois mois.

Le nouveau Gouverneur élu, Maître Claude Nyamugabo, entrant en fonction le 7 octobre 2017. Ce dernier quant à lui, élu le 29 août 2017 comme candidat de la majorité présidentielle au parlement provincial du Sud-Kivu, la même majorité vote en mars 2019 une motion de censure contre son gouvernement, il déposa sa démission auprès du Président de la République et l’accepta. Le Vice-gouverneur Adolph Bizimungu Doly assure les affaires courantes pendant deux mois jusqu’à l’élection de Théo Ngwabidje Kasi.

Enfin, pour l’actuel Gouvernement, plus de trois motions ont été votées contre lui par l’Assemblée provinciale, mais aucune d’elle n’a été acceptée par le Gouverneur Théo Ngwabidje Kasi et son équipe. Ainsi, aucune démission n’est à signaler jusqu’à présent ; ce qui nous empêcher d’analyser cette situation.

Au niveau local

La décentralisation fut introduite au Congo par la Constitution de 2006 et l’adoption de deux lois organiques en 2008, l’une relative à la libre administration des provinces, l’autre détaillant l’organisation et le fonctionnement des ETD, soit les villes, communes, secteurs et chefferies, et rapports avec le Gouvernement central et provincial. Les provinces, villes, communes, secteurs et chefferies existaient déjà avant la décentralisation, mais avaient un statut d’entités déconcentrées.

C’est-à-dire que leurs animateurs étaient nommés par le pouvoir central et ne possédaient pas l’autonomie juridique, administrative, politique et financière4. Mais en réalité, la décentralisation congolaise ressemble peu à ces dispositions légales et s’articule plutôt autour d’un système déformé de politiques contradictoires, de lois caduques, inexistantes ou inappliquées, d’un statut aléatoire et précaire pour ces agents, et d’un foisonnement institutionnel chaotique5.

En effet, à la suite de l’inorganisation des élections locales depuis 2006 en République démocratique du Congo, il s’observe les mêmes problèmes d’ordre organique et fonctionnaire dans les entités territoires décentralisées congolaises. Notamment : l’absence des organes délibérants chargés de contrôle, du collège exécutif incomplet (pas des Echevins), des intérims en continu, la problématique sur la valeur juridique des décisions de certaines autorités desdites entités ; et pour ne citer que ceux-là.

Ainsi, nonobstant l’absence des organes délibérants chargés de contrôler les collèges exécutifs dans ces entités et au besoin voter la motion de censure contre ces collèges, la démission volontaire et l’intérim ont intéressé notre attention.

Dans la pratique, en cas de démission, suspension, vacance de poste ou empêchement des autorités dans les entités territoriales décentralisées, contrairement au cas du Gouvernement central et provincial, il faut distinguer les deux situations.

En effet, en cas de démission et suspension d’un Maire de la ville par exemple, il n’y a pas expédition d’affaires courantes, automatiquement c’est le maire adjoint qui assure l’intérim, avec toutes les prérogatives du maire titulaire, aucune limite dans l’exercice de son pouvoir, bien qu’intérimaire. C’est le cas de la démission du Maire de la ville de Bukavu, madame Zita Kavungirwa Kayange en 2010. Il en est de même du cas de la suspension du Maire de la ville Mechack Bilubi Ulengabo, après sa suspension, son adjoint Darius Sumuni Mukunda assura l’intérim6.

Toutefois, il s’observe qu’en cas de suspension du Maire par le Gouverneur de province, le même arrêté qui suspend précise dans ses dispositifs le sort de l’intérim pour assurer la continuité du service public en question. Par ailleurs, seul en cas d’empêchement du Maire de la ville ou lorsqu’il serait en mission, que le Maire adjoint expédie les affaires courantes7.

Au niveau des communes, la même pratique vue au niveau urbain reste à signaler. Mais avec une autre forme de cessation de fonction à savoir : le cas de décès des Bourgmestres titulaires. En effet, dans la Commune de KADUTU, après la mort du Bourgmestre titulaire Bekao Munyole, l’intérim a été assuré par son adjoint le professeur Joseph Munyabeni Nyembo. Ce dernier exerça tous les pouvoirs reconnus au Bourgmestre par la loi, aucun recours aux affaires courantes. Il a fallu attendre la nomination récente des nouveaux maires de villes et bourgmestres par ordonnance présidentielle pour que le Bourgmestre sortant expédie les affaires courantes en attendant la remise reprise avec le nouveau Bourgmestre8.

Dans la Commune de BAGIRA, après la mort du Bourgmestre intérimaire Kongakonga Kubisa Laban, le Gouverneur de province par son Arrêté provincial du 23 juin 2020 portant nomination d’un bourgmestre intérimaire, il nomma Monsieur Patience Bengehya nouveau Bourgmestre intérimaire9. Tout comme dans la Commune de KADUTU, la notion des affaires courantes n’est pas au rendez-vous.

Il en est de même dans la commune d’IBANDA, le 2 juillet 2021, le Gouverneur signe l’Arrêté provincial n° 21/55 portant suspension préventive du Bourgmestre ad intérim de la commune d’IBANDA, Evariste Namegabe Ntayitunda, pour une durée indéterminée10. La suspension de cette autorité municipale est intervenue après l’ouverture d’une action disciplinaire à sa charge, motivée par le rapport de l’inspection générale de la territoriale pool 8 (Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu).

Car d’après l’article 5 du Décret du 16 mai 2019 portant création, organisation et fonctionnement d’un service public dénommé « Inspection générale de la territoriale », IGTERT en sigle, l’Inspection générale de la territoriale est chargée notamment, de contrôler tout acte d’administration des provinces ou des entités territoriales décentralisées en rapport avec la verticalité et la transversalité de l’action publique de l’État et les compétences exclusives du pouvoir central ainsi que les compétences concurrentes avec les provinces11. C’est sur base de ce Décret que dans la pratique, nonobstant l’absence des organes délibérants au sein des ETD, cette Inspection générale de la territoriale, assure le contrôle des autorités de ces entités.

Par ailleurs, le même arrêté provincial suspendant le Bourgmestre de la Commune d’Ibanda, nommant le bourgmestre adjoint intérimaire Monsieur Daniel Dunia Runiga au poste du bourgmestre titulaire ad intérim de la Commune d’Ibanda12. Ce dernier, assure l’intérim, également sans aucune limitation de pouvoirs due à la théorie de la gestion des affaires courantes jusqu’à la réhabilitation de Evariste Namegabe Ntayitunda, par l’Arrêté provincial n°22/022/GP/SK du 2 mars 2022 portant levée de la mesure de suspension préventive, sous motif que le délai de sa suspension était dépassé13.

En fin de compte, au regard de ce qui précède, nous constatons que dans les ETD outre qu’en cas d’empêchement temporaire d’un Maire ou d’un Bourgmestre, l’intérim ne fait pas recourt à l’expédition des affaires courantes, mais plutôt à la continuité normale de leurs activités. Toutefois, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 20 de la Loi n° 16/ 013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière des services publics de l’État, l’intérim dans les services publics en cas de vacance de poste ne peut dépasser douze mois. Or, les Mairies et les communes sont également des services publics14. Et donc leur intérim ne peut dépasser ce délai légal de douze mois. Par ailleurs, en ce qui concerne le pouvoir des autorités démissionnaires dans ces entités, lorsque l’autorité titulaire démissionne, elle est dépourvue de ses pouvoirs au profit de son adjoint qui assure l’intérim sans faire recours à la gestion des affaires courantes.

§2. Dans l’Administration publique

Dans l’Administration publique congolaise, la démission est l’un de cas de cessation définitive de l’emploi public. C’est ce qui résulte de l’article 77 de la Loi n° 16/ 013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière des services publics de l’État15. Ainsi, la loi impose, dans le cas de la démission volontaire, qu’elle soit écrite, sans équivoque et inconditionnelle.

La lettre de démission doit être expresse et précédée d’une volonté libre et réfléchie. Et l’agent n’est pas tenu à motiver sa demande de démission adressée à son autorité hiérarchique. Aussi, pour qu’elle produise ses effets, elle doit être acceptée par l’autorité investie du pouvoir de nomination ou par son délégué.

Le silence de cette dernière, trois mois après réception de la démission, vaut acceptation. Toutefois, dans l’intérêt du service, la démission peut être retardée et l’agent est tenu de continuer ses services jusqu’à l’acceptation expresse de sa démission16. Par ailleurs, pour le cas de la démission d’office ou forcée, la loi prévoit trois hypothèses pour qu’un agent soit démis d’office de ses fonctions :

  • L’agent dont la nomination n’est pas régulière ;
  • l’agent qui abandonne son poste de travail ou qui ne reprend pas son service à l’expiration d’un congé ou d’une exclusion temporaire, dès que l’interruption de service injustifiée dépasse la durée d’un mois ;
  • Enfin, l’agent qui cesse de répondre aux conditions d’admission dans l’administration publique, spécialement lorsqu’il a perdu sa nationalité congolaise, il ne jouit plus de ses droits civiques et enfin, lorsqu’il n’est plus de bonnes vie et mœurs17.

En fin de compte, dans la pratique, les cas de démission sont rares au sein de l’administration publique congolaise, certains agents publics souhaitent arriver à la fin de leur carrière par la retraite et d’autres naturellement par décès. Ainsi, la Loi portant statut des agents de carrière des services publics de l’État sous examen, ne fait nulle part allusion à la gestion des affaires courantes en cas de démission ou dans tous les autres cas de cessation définitive ou temporaire de fonctions publiques.

________________________

1 Communiqué officiel du Directeur de cabinet du Président de la République de la RDC, portant mesures conservatoires relatives à la démission du Gouvernement de coalition, http:/présidence.cd/actualité, 31 janvier 2021.

2 J. MWETAMINWA, « En attendant les élections : la crise congolaise vue de Bukavu », Notes de l’Ifri, Ifri, décembre 2017, p.8.

3 Arrêté provincial n° 17 /024/GP/SK rapportant l’Arrêté provincial n° 17 /021/GP/SK du 17/07/2017 portant nomination d’un Directeur et d’un Directeur adjoint à la Direction provinciale de mobilisation et d’encadrement des recettes du Sud-Kivu « DPMER/SK », disponible sur : www.sudkivu.cd, consulté le 2 novembre 2022.

4 PIERRE ENGLEBERT, « Incertitude, autonomie et parasitisme : les entités territoriales décentralisées et l’État en République démocratique du Congo », in Politique africaine, n° 125, 2012, pp.171.

5 PIERRE ENGLEBERT, « Incertitude, autonomie et parasitisme : les entités territoriales décentralisées et l’État en République démocratique du Congo », in Politique africaine, n° 125, 2012, p.172.

6 FELICIEN MOBUTSHI, chef de bureau urbain de la jeunesse à la Mairie de Bukavu, entretien du 22 novembre 2022.

7 Ibid.

8 KAYEMBE WA KATULA, chef de service de recouvrement à la Commune de KADUTU, entretien du 30 novembre 2022.

9 Un intérimaire décédé fut remplacé par un autre intérimaire.

10 Art.1, Arrêté provincial n° 022/55/GP/SK du 02/O7/2021portant suspension préventive du Bourgmestre ad intérim de la commune d’Ibanda, disponible sur : www.sudkivu.cd, consulté le 28 décembre 2022.

11 Art.5, Décret n° 19/13 du 16 mai 2019 portant création, organisation et fonctionnement d’un service public dénommé « Inspection générale de la territoriale », IGTERT en sigle, In J.O.RDC, n°13, col.12, 1er août 2019, p.1.

12 Art.2, Arrêté provincial n° 022/55/GP/SK du 2 juillet 2021portant suspension préventive du Bourgmestre ad intérim de la commune d’Ibanda, disponible sur : www.sudkivu.cd, consulté le 28 décembre 2022.

13 Soit 8 mois de suspension, cet arrêté parle du dépassement de délai de suspension, pourtant le premier Arrêté provincial n° 022/55/GP/SK du 02/O7/2021portant suspension préventive du Bourgmestre en question, n’avait mentionné nulle part dans ses dispositifs la durée de cette suspension.

14 Car l’élément matériel pour identifier un service public concerne le contenu et le but de l’activité.

15 Art. 77, Loi n° 16/ 013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière des services publics de l’État, in J.O.RDC, première partie, 57 ème année, numéro spécial, 3 août 2016, p. 28.

16 Art.79, Loi n° 16/ 013 du 15 juillet 2016 portant statut des agents de carrière des services publics de l’État, in J.O.RDC, première partie, 57 ème année, numéro spécial, 3 août 2016, p.29.

17 Idem, art.78, p.28.

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