Du discours à l’action : la planification linguistique du DDF

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🏫 Université Jean Moulin Lyon 3 - Institut international pour la francophonie
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2021-2022
🎓 Auteur·trice·s
Florine CHATILLON
Florine CHATILLON

C-Du discours au plan d’action : récit de la planification linguistique du DDF

  1. Distinguer la politique de la planification linguistique

Il y a, d’une part, être à l’initiative de la politique linguistique et puis, d’autre part, être à son suivi. Ce n’est pas la même chose. – P. Blanchet, entretien, 2022, p. 119

Le terme planification linguistique est fréquemment mobilisé en tant qu’homologue de politique linguistique. Néanmoins, il est souhaitable de mettre en évidence certaines nuances. Selon Calvet et de Saint-Robert, le fondement d’une politique linguistique réside en la conception faite d’une langue alors que la planification linguistique tient davantage à sa « mise en œuvre » (1999, pp. 154-155, 2000, pp. 30-31).

La planification ne peut intervenir que par le biais d’une puissance politique qui décide de se saisir d’une politique linguistique établie au préalable. Il s’agit « des modalités et des délais de réalisation des objectifs de la politique, en fonction des réalités et des moyens économiques dont on dispose. » (Chaudenson, dans de Saint-Robert, 2000, pp. 30-31)

Selon l’acception législative, la planification linguistique précède l’érection d’une loi relative à la langue (Calvet, 2021). Par ailleurs, Ferguson et Gupta font ressortir la place qu’occupe la planification linguistique « au sein du développement national » (1999, pp. 154-155). Il constitue un « aspect de la planification nationale » (Idem).

De même, l’aménagement linguistique succède à l’établissement d’une politique linguistique. Plus précisément, il consiste en sa mise en œuvre au moyen d’un plan d’action (Halaoui, 2011, p. 36).

La conception d’une langue portée par une politique linguistique et son opérationnalisation lors d’un aménagement linguistique ne font pas toujours l’objet de distinction. Ainsi, il est possible de retrouver les deux terminologies comme substituts. Cette position a été adoptée par Ngalasso. Les notions s’équivalent au sein de ses travaux et sont également intervertibles avec les termes glottopolitique et planification linguistique. (1989, p. 111, dans Halaoui, 2011, p. 25)

Si l’on s’en tient à la distinction proposée par Calvet, nous remarquons que le DDF est le fruit de la planification linguistique entraînée par la politique française dévoilée lors des discours de Ouagadougou (2017), de l’Institut de France et d’Érevan (2018a, 2018b).

Planification linguistique du DDF : enjeux et actions

Nos entretiens nous permettent de discerner la politique et le plan d’action mis en oeuvre autour du DDF comme deux étapes qui – bien que complémentaires – sont distinctes et successives :

[…] on passe d’un discours politique à une série de mesures qui font plan d’action. Ces mesures, dans le plan présidentiel, sont assez vagues. Elles tiennent en quelques lignes pas détaillées. Et donc qui, ensuite, reprend chaque mesure et la fait exister, la déploie, la concrétise ? Ce sont les services avec les experts et les linguistes. Le dictionnaire, typiquement, résulte d’une telle démarche. (Petit, 2022, p. 92)

  1. Matérialiser l’idée d’un français pluriel : récit des discussions menées en interne

Les propos que nous avons recueillis révèlent que le cadrage du DDF est le fruit de plusieurs échanges. Néanmoins, ces derniers n’ont pas été portés à la connaissance de l’auditoire lors de la présentation du projet. L’investigation menée nous a fait connaître l’intervention de Bernard Cerquiglini auprès d’un des conseillers du Président dont l’identité nous est anonyme – bien que nous sachions que Jean-Marc Berthon était à l’époque conseiller du Président pour la Francophonie –.

Il ressort de nos entretiens que l’idée d’un outil numérique aurait été insufflée au cours de cet échange, qui aurait donné lieu à une note interne transmise au président Macron et validée à la fin du mois d’août 2018. Dans un même temps, la DGLFLF aurait été mise au courant. La note d’intention qu’elle rédige – datée du 15 février 2019 – met d’ailleurs en exergue la volonté d’incorporer au projet une composante numérique.

Le décryptage du rapport interne susmentionné nous permet de démontrer que – contrairement au récit biblique officiellement véhiculé – l’outil dictionnairique n’a pas été pensé en amont des mesures présentes dans le plan Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme mais plutôt en fonction de celui-ci, afin de lui correspondre :

Dans le cadre du plan « Une ambition pour la langue française et plurilinguisme » annoncé le 20 mars 2018 à l’Institut de France par le Président de la République, deux priorités étaient à concrétiser : 1/ sous l’entrée « Communiquer », soutenir les projets innovants qui favorisent une large promotion de la francophonie par les outils numériques d’une part, et d’autre part sous l’entrée « Créer », 2/ valoriser le français dans la diversité de ses expressions et de ses usages. (DGLFLF, 2019, p. 1)

La constitution du Conseil scientifique aurait également été formulée de manière informelle dans le cadre d’appels téléphoniques passés entre le président du Conseil scientifique et les collègues et collaborateurs présents dans son carnet d’adresse.

En conclusion, nous réfutons la représentation selon laquelle le DDF est le fruit du sommet de l’État français. L’intervention d’une tierce partie en témoigne : « […] le Président voit clair, mais il est très occupé, il a beaucoup de choses à faire alors il faut identifier qui va le traduire. À ce niveau, il y a toujours des points de vue différents, des débats. » (Cerquiglini, 2022, p. 12) Si la diffusion d’une lecture jupitérienne entre en cohérence avec l’organisation centralisée de la République française, l’approche top down ne correspond pas aux principes énoncés par la Francophonie. La dimension francophone du dictionnaire éponyme est alors remise en question.

  1. La DGLFLF au coeur de la planification linguistique

La DGLFLF, c’est le service qui a une vocation interministérielle […]. Il est placé au ministère de la Culture sous l’autorité de la ministre de la Culture […]. Il contribue – le texte dit – « à animer, à coordonner la politique linguistique du gouvernement ». (Petit, 2022, p. 85)

Compte-tenu du fait que « les services de l’État sont là pour mettre en œuvre, notamment la DGLFLF » (Blanchet, 2022, p. 119), la réalisation du DDF a été confiée au délégué général à la langue française et aux langues de France Paul de Sinety (Nadeau, 2019), qui a ensuite passé commande auprès des différents opérateurs (Gasparini et al, 2021).

Dans le cadre du DDF, la DGLFLF a été chargée de trois missions principales : la mise en œuvre, le financement et le pilotage du projet (DGLFLF, 2019, p. 4). C’est, plus exactement, la Mission Langues et numérique – ayant soin de mettre « les technologies de la langue au service des chercheurs et du grand public » (Idem ) – qui a été mobilisée pour concevoir l’objet numérique. Un choix présenté comme cohérent, puisque le service actait déjà d’un partenariat de longue durée avec Wikimédia France, également partie prenante du DDF.

Centrale dans l’opérationnalisation des aménagements linguistiques, la DGLFLF n’est pas pour autant étrangère à la conception politique qui les précède. Selon Paul Petit, bien que cela ne soit pas formulé explicitement sur le site du ministère de la Culture, la Délégation conçoit « assez largement » la politique qu’elle coordonne (2022, pp. 86-87).

Le dossier de presse consacré à l’inauguration du DDF fait également valoir le rôle prépondérant que joue la DGLFLF dans la définition des politiques linguistiques gouvernementales (2021, p. 17). Le ministère de la Culture y est dépeint comme le « maître d’oeuvre du DDF » ainsi que « le chef de file de plusieurs opérations majeures parmi les mesures du plan d’action “ Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme ”. » (Idem)

Les raisons ayant motivé cette désignation sont d’ores et déjà explicitées en 2019, dans la note d’intention rédigée par la DGLFLF. Le motif principal exprimé est la relation entretenue entre le service interministériel et les autres organismes en charge de la langue :

[…] elle est l’interlocutrice privilégiée de l’Académie française, et de l’Académie des sciences, et de l’ensemble des acteurs de la terminologie, réunis dans le dispositif interministériel d’enrichissement de la langue française (que gère la DGLFLF pour le Premier ministre). Son équipe de linguistes travaille avec les institutions francophones homologues (Québec, Wallonie-Bruxelles, Suisse…) comme avec le monde de la recherche. (Idem)

Paul Petit – conseiller pour l’action interministérielle auprès du délégué général et chargé de la Mission Emploi et diffusion de la langue – décrit « la manière dont une administration se saisit d’un objet et va ensuite mettre des moyens pour en faire une politique. » (2022, p. 86) L’entretien mené nous permet ainsi de retracer la chronologie de l’implication de la DGLFLF au sein du projet.

Nous en retenons qu’après que mention est faite d’un dictionnaire dans les discours présidentiels, la DGLFLF considère que le portage pourrait être accompli par la délégation. Cette intention se concrétise sous la forme d’une note – mode de communication privilégié par les services interministériels – envoyée au cabinet de la ministre de la Culture puis, après validation, à l’Élysée.

Cette première démarche se solde par le vif intérêt des interlocuteurs du plan Macron à l’Élysée. S’ensuit une présentation argumentée, puis une réunion au terme de laquelle le feu vert est donné. De nouvelles notes et travaux descriptifs sont alors rédigés pour éclaircir le budget à mobiliser ou les partenariats souhaités, dernière étape avant de lancer les opérations.

Si la place clé occupée par la DGLFLF dans la conception du DDF est incontestable, il convient de rappeler que le service ministériel ne peut s’ériger à l’encontre des positions officielles,, toute décision se faisant en accord avec la ligne gouvernementale effective :

Les services proposent ou expliquent et les politiques – cabinets, Matignon, Elysée –, choisissent, décident. Là-dessus, vous rajoutez les autres acteurs que sont les parlementaires, que peuvent être le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel. Un service comme la DGLFLF ne porte pas seul, n’invente pas ni ne décide quoi que ce soit sans s’inscrire complètement dans le système qui régit notre propre fonctionnement. (Petit, 2019, p. 89)

Ubiquiste lorsqu’il s’agit d’examiner le portage du DDF, la DGLFLF dispose, à échelle macroscopique, d’un poids relatif. La rétrogradation de la Délégation générale à la langue de France – service du Premier ministre – au ministère de la Culture lorsqu’elle est renommée en 1999 « Délégation générale à la langue française et aux langues de France », laisse entrevoir la déconsidération subie lors de l’inclusion d’une politique linguistique davantage portée sur le plurilinguisme.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la DGLFLF n’intervient pas dans le champ législatif : « […] quand il y a une loi constitutionnelle comme en 1992, la loi Toubon en 1994, la loi constitutionnelle de 2008 ou justement les amendements de 2016, la loi Molac, la DGLFLF est hors jeu. Ce n’est pas elle qui porte la loi. » (Blanchet, 2022, p. 118) Sous cet angle, le rayonnement du DDF pâtit, intrinsèquement, du manque de rayonnement de la DGLFLF, méconnue de l’opinion publique.

  1. La maîtrise d’ouvrage confiée à l’Institut international pour la Francophonie

Bernard Cerquiglini, lors de la cérémonie d’inauguration du 16 mars 2021, introduit les opérateurs clés donnant corps au DDF : « L’État, en l’occurrence la DGLFLF, que dirige Paul de Sinety, secondé par l’ardeur de Paul Petit et de Thibault Grouas, a confié à une équipe universitaire, au sein de 2IF de l’Université Jean Moulin de Lyon, une équipe brillamment animée par Noé Gasparini. » Pareillement, la note d’intention rédigée par la DGLFLF présente 2IF comme l’opérateur cardinal, accueillant le chef de projet Noé Gasparini (2019, p. 4).

Les missions conférées à 2IF sont détaillées dans le dossier presse conçu par le ministère de la Culture : chargé de concevoir et de coordonner le développement du DDF, l’institut est « en lien permanent avec la DGLFLF ». (2021, p. 21)

Il assure l’organisation des informations lexicographiques existantes, l’intégration de nouvelles bases de données ainsi que le pilotage des équipes en charge de la conception de l’interface, de l’application et du développement technique. (Ibid., p. 21) Le Conseil scientifique s’organise également sous l’égide de 2IF (Ibid., p. 17). Ainsi, alors que la DGLFLF est partie prenante à la fois de la politique et de la planification linguistique, 2IF apparaît être le pilier majeur de l’exécution du DDF.

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