3. Améliorer la logistique du dernier kilomètre, pour améliorer l’efficacité du transport multimodal
Le constat est le suivant : le transport intermodal représente environ 5 % du total du transport terrestre de marchandises, en tonnes kilomètres. Quelques éléments évidents peuvent expliquer cette faible proportion : sur de nombreuses liaisons au niveau européen, cette solution n’est pas offerte ; elle est à l’heure actuelle techniquement et économiquement pertinente pour les longues distances uniquement, or la majorité des transports s’effectue sur de courtes distances et donc par la route : 57 % des tonnages terrestres en Europe sont acheminés à l’intérieur d’un rayon de 50 kilomètres.
Le transport combiné, quelle que soit la technique utilisée, n’est pas actuellement en mesure d’assurer la couverture générale du territoire. Il est d’ailleurs souvent limité à des segments précis ; il relie des bassins d’activité suffisamment puissants et distants pour engendrer des échanges massifs. Nous allons nous intéresser à un des moyens qui permettrait de supprimer ce frein au développement du TC rail-route : la création d’opérateurs ferroviaires de proximité.
3.1. Redonner au mode ferroviaire une dynamique d’innovation et de développement : les Opérateurs Ferroviaires de Proximité (OFP)
La création d’OFP apparait aujourd’hui comme étant le moyen de redynamiser l’offre ferroviaire. Les OFP ne permettraient pas uniquement une diminution des coûts des parcours terminaux (du « dernier kilomètre »), mais aussi et surtout de rassembler les flux homogènes géographiquement. En introduisant cette « logistique territoriale », les OFP offriront, à de plus nombreuses entreprises, la possibilité d’accéder à l’efficacité du ferroviaire1.
3.1.1. Les OFP : des PME ferroviaires
Nous l’avons compris il devient indispensable d’inventer un nouveau fret ferroviaire adapté aux modes de production et de consommation actuels. Pour comprendre cette notion d’OFP, distinguons d’abord les deux « étapes » d’un parcours ferroviaire :
- le groupage/dégroupage local des lots et wagons, « drainant » les territoires ;
- la longue distance assurant les parcours massifiés réguliers.
Les OFP seraient constitués d’un réseau de petites et moyennes entreprises (PME) ferroviaires, ancré dans le tissu économique local, qui agirait en partenariat avec des opérateurs de grande distance. Les moyens humains et matériels de ces PME ferroviaires seraient affectés à un territoire particulier, et organisés et adaptés en fonction des besoins de ce territoire.
De plus, le regroupage par les OFP des flux d’origines et de destinations proches, permettrait de n’utiliser qu’un seul train multi-clients sur la longue distance. C’est pourquoi la collaboration avec les opérateurs de longue distance est indispensable, pour sortir de la traditionnelle massification par client et aller vers une massification multi clients entre deux zones géographiques.
En outre les OFP permettront :
- de réduire, sur leur territoire, les coûts de collecte et de distribution des marchandises, grâce à une organisation et des méthodes spécifiques, et avec des moyens adaptés à la réalité des territoires ;
- la massification géographique de flux multi-clients, de manière à faciliter, pour les opérateurs de longue distance, la création de trains réguliers sur les principales origines et destinations ;
- le positionnement du ferroviaire sur des trajets de courte distance : 30 à 150 kilomètres ;
- le développement du « petit combiné », en ajoutant des lots et des wagons de transport combiné dans les trains réguliers. L’accès au transport combiné sera ainsi accessible à des territoires insuffisamment développés économiquement pour bénéficier de trains spécialisés.
Les OFP permettront donc le développement du transport combiné, grâce à une certaine organisation du territoire, et à la massification des flux multi-clients.
Cette nouvelle logistique territoriale engagée par les OFP va produire des synergies locales entre les différentes activités. Certains flux, condensés aujourd’hui et traités par train complet, seront étalés dans le temps : on retrouvera des flux régularisés, appelés « flux noyaux »2, et des flux de plus petite taille, vers des destinations homogènes. Des synergies seront créées entre tous les flux, même pour les flux de wagons vides (pour rechargement) et pour ceux de matériaux (destinés à l’entretien de l’infrastructure). Ces synergies entraîneront une meilleure productivité du ferroviaire, ainsi qu’une meilleure compétitivité.
3.1.2. Une massification multi-client
Nous l’avons vu, les OFP réaliseront une massification multi-clients. Ils confieront aux opérateurs de grande distance des flux denses, et coopéreront avec l’ensemble des acteurs.
La fonction de massification deviendra une fonction à très haute valeur ajoutée pour la chaîne ferroviaire, semblable à celle du groupage/dégroupage dans la messagerie. À terme, avec la généralisation des OFP, les opérateurs de grande distance recevront des flux ordonnés et massifiés, améliorant la prévisibilité des trafics et leur lissage dans le temps.
Ainsi l’amélioration du réseau grande distance, reposant sur des opérateurs locaux en relation étroite avec les clients, est un des moyens pour accroître la productivité du système ferroviaire européen.
Les flux seront massifiés, mais ils seront également réguliers, comme le sont ceux des trains de voyageurs, qui ont des horaires fixes et un taux de remplissage aléatoire. Il s’agira alors pour les OFP de créer une offre régulière, en concertation avec les opérateurs à grande distance.
A l’heure actuelle les chargeurs cherchent à massifier leurs flux pour constituer des trains entiers, c’est le cas de la SNCF et de plusieurs opérateurs historiques européens. Ils demandent même à leurs clients d’espacer la fréquence de leurs expéditions pour les regrouper, ce qui a des effets néfastes sur la rotation des wagons et des locomotives, et sur l’utilisation du personnel. Or les OFP et les opérateurs de grande distance pourront réaliser la démarche opposée, qui consisterait à organiser, avec certains gros clients, la démassification de leurs flux en « flux noyaux » cités précédemment.
3.1.3. Un partenariat stratégique et dynamique
Le type de relation entre les futurs OFP et les clients sera totalement différent des contrats d’affermage3 et des contrats de sous-traitance confiés par la SNCF à des opérateurs locaux.
En effet ces derniers n’ont actuellement aucune marge de manœuvre, ni dans la prospection commerciale, ni dans la conception du service.
Les OFP et les chargeurs, au contraire, réaliseront une co-production de l’offre ferroviaire. Mais nous avons relevé précédemment qu’un certain nombre de limites étaient liées au TC rail-route, et parmi celles-ci nous avons cité le manque de transparence et la multiplicité des contrats commerciaux existants. La création d’OFP ne rendra pas la situation plus compliquée qu’elle ne l’est actuellement. En effet la répartition des rôles commerciaux entre les OFP et les opérateurs de longue distance sera clairement définie, et un contrat commercial unique sera établi entre eux et les clients.
Plusieurs possibilités sont à envisager : soit les clients continuent de traiter avec l’opérateur de grande distance et l’OFP devient alors le co-constructeur rémunéré du transport terminal, soit le client confi la relation commerciale à l’OFP directement. L’OFP peut également se positionner comme un commissionnaire de transport, et acheter des prestations de longue distance. Mais dans tous les cas, le processus de massification des flux terminaux serait sous sa responsabilité.
3.1.4. OFP, innovation et développement territorial
De nouvelles réponses ferroviaires sont nécessaires du point de vue des entreprises, mais également du point de vue des territoires.
Les OFP vont à l’encontre de l’idée reçue que le mode ferroviaire ne peut être rentable que pour les flux importants. Les OFP créeront une offre ferroviaire adaptée et compétitive, grâce à un certain nombre d’innovations, que nous allons étudier maintenant.
3.1.4.1. Innovation organisationnelle et sociale
Elle se basera sur le lien nouveau que ces PME ferroviaires vont nouer avec le tissu économique et les entreprises locales. Le métier de cheminot de proximité se différenciera de la grande distance par la polyvalence, adaptée à des tâches liées au caractère local de ces nouvelles entreprises.
3.1.4.2. Innovation technologique et systèmes d’information
Le transport ferroviaire ne pourra jamais avoir la réactivité et la souplesse de la route. Il peut compenser cet handicap en engageant avec ses clients une démarche de co-production. L’organisation ferroviaire doit évoluer vers un réseau décentralisé où les systèmes d’information auront un rôle important, et permettront le lien entre chaque OFP et les entreprises locales ; mais aussi entre les OFP eux-mêmes ; et entre les OFP et les opérateurs à grande distance. L’interopérabilité des réseaux d’information entre les différentes régions et pays est un enjeu tout aussi important que l’interopérabilité technique.
L’organisation devra être concertée et coopérative, adaptée aux spécificités des secteurs économiques concernés. C’est ainsi que la confiance des chargeurs à l’égard du mode ferroviaire pourra être regagnée4.
3.1.4.3. Innovation dans la gestion de l’infrastructure
Les activités de maintenance des réseaux historiques européens ont été de plus en plus massifiées et mécanisées, de manière à obtenir plus rapidement et à moindre coûts un réseau suffisamment équipé et densément utilisé. Ils ont donc entretenu un réseau noyau, au détriment de réseaux secondaires réservés au fret, comme c’est le cas en France notamment.
Les OFP devront donc circuler sur des infrastructures de qualité, mais également sur des infrastructures en mauvais état, ce qui pose le problème de la pérennité de ces lignes. Un des enjeux majeurs serait de mettre les OFP en situation de gestionnaire d’infrastructure de proximité, par délégation. Ils seront ainsi à même d’adapter les programmes de travaux, en fonction de l’activité attendue. De plus les périodes de travaux importants seront décidées avec les chargeurs, pour minimiser la gêne occasionnée.
Le cas de la France :
La création des OFP en France est limitée par la difficulté de réaliser des innovations et d’envisager le changement. Car cette création correspondrait à un changement de paradigme, du passage d’une organisation unique de bout en bout de la chaine – avec une approche se faisant marché par marché – à une approche prenant en compte les synergies de flux possibles.
Mais la France est confrontée à la quasi disparition d’acteurs ferroviaires locaux, ou à leur cantonnement par la SNCF au rôle de sous-traitants passifs. C’est pourquoi l’implication des forces économiques et sociales, comme celle des chargeurs qui ont tout intérêt à la création d’OFP, est indispensable.
Parmi les acteurs les plus impliqués nous retrouverons donc :
- le collectif des chargeurs comme nous venons de le voir ;
- la RFF : il sera nécessaire d’introduire des méthodes de remise en état, d’entretien et d’exploitation du réseau secondaire de fret.
- les collectivités territoriales, intéressées par la dynamique locale du fret ferroviaire (développement durable, attractivité et compétitivité de leurs territoires…) ;
- l’Etat enfin, qui prend conscience du rôle que joueront les OFP dans l’atteinte de l’objectif de report modal lancé par le Président de la République. L’Etat doit être un soutien à cette démarche à partir du local.
Ces initiatives françaises offrent l’opportunité à la France, souvent accusée d’être un frein à la politique ferroviaire européenne, de faire preuve d’innovation dans un domaine qui conditionne l’avenir du fret ferroviaire en France et en Europe.
3.1.5. Inciter à la création et au développement des OFP
Tous les acteurs, économiques et locaux, s’accordent à dire que la création d’OFP est nécessaire. Plusieurs représentants du tissu économique, tels que l’Association des usagers du transport de fret, CCI, CGPME, MEDEF, ont officiellement exprimé l’intérêt d’une telle organisation. La SNCF et RFF ont également manifesté leur soutient à la création d’OFP. Les organisations syndicales de la SNCF partagent l’idée qu’il est nécessaire de donner au mode ferroviaire cette dimension de proximité.
C’est la région Centre qui a créé le premier OFP, une PME ferroviaire locale appelée Proxirail5. De nombreuses autres régions comme la Bourgogne et l’Auvergne sont elles aussi très intéressées. De plus, l’idée d’OFP a été reprise par le Grenelle de l’Environnement.
Nous avons évoqué précédemment le manque de systèmes d’information efficaces entre tous les acteurs de la distribution de marchandises, nous allons voir maintenant que ce problème peut en partie être résolu grâce au projet de Logistique Urbaine Mutualité Durable (LUMD) : ce projet ambitieux permettra de mutualiser les flux des livraisons tout le long de la chaîne logistique, grâce à une plate-forme logicielle facilitant la mise en relation des acteurs.
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1 Chauvineau J., Metge O., Les opérateurs ferroviaires de proximité, porte d’entrée dans le développement durable, Transports, 22 février 2008. ↑
2 Arensonas N., Opérateurs ferroviaires de proximité : la SNCF ne sera pas majoritaire, WK Transport-Logistique, 20/03/2008. ↑
3 Contrat dans lequel un propriétaire (bailleur) d’un bien en confie l’exploitation à un « fermier ». Celui-ci tire sa rémunération du produit de la ferme et verse au propriétaire un fermage (loyer). ↑
4 Chauvineau J., Metge O., Les opérateurs ferroviaires de proximité, porte d’entrée dans le développement durable, Transports, 22 février 2008. ↑
5 Arensonas N., Opérateurs ferroviaires de proximité : la SNCF ne sera pas majoritaire, WK Transport-Logistique, 20/03/2008. ↑