Les discours présidentiels sur la francophonie, notamment ceux d’Emmanuel Macron, révèlent une rupture significative avec les précédentes politiques linguistiques françaises. Cet article analyse comment ces discours incarnent un renouvellement stratégique en faveur d’une langue française polycentrique et d’une gouvernance linguistique inclusive.
Trois discours présidentiels précurseurs
La visibilité qu’Emmanuel Macron a octroyé à la Francophonie lors de son premier quinquennat marque une rupture avec les gouvernements précédents. Un renouvellement des discours qui apparaît dès août 2017, à l’occasion de la conférence des ambassadeurs.
Un triptyque fondateur fait état des transformations portées par le gouvernement français. Il se compose de trois prises de parole du président Macron à l’Université de Ouagadougou, Burkina Faso, le 28 novembre 2017, à l’Institut de France, Paris, le 20 mars 2018, et à Érevan, Arménie, le 11 octobre 2018.
Le déplacement d’Emmanuel Macron à Ouagadougou a symbolisé sa volonté de véhiculer une vision de la francophonie modernisée. Son champ d’action diffère de ceux de ses prédécesseurs. Une discontinuité symbolisée par la désignation de Leïla Slimani comme représentante personnelle du président de la République pour la francophonie. C’est à l’occasion de sa prise de fonction qu’est faite pour la première fois mention du projet d’un nouveau dictionnaire : « […] je lui ai demandé […] de conduire en lien bien entendu avec l’Académie française […] un dictionnaire de la francophonie plus riche, plus large que le français de France mais qui est ce français de la francophonie que nous avons en partage. » (Macron, 2017)
L’entreprise dictionnairique est de nouveau abordée à l’occasion de la présentation du plan stratégique Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme pendant la Journée internationale de la Francophonie à l’Institut de France :
Pour que la Francophonie soit ainsi une circulation, je souhaiterais qu’on puisse instituer […] un
« collège des Francophonies » […] et qui pourrait au moins une fois par an se réunir pour avoir la mission exaltante de collecter la diversité des usages, de contribuer à la production non seulement des dictionnaires francophones, mais aussi de ces dictionnaires avec ces autres langues et d’assurer que ce plurilinguisme rayonnant sur tous les continents se poursuive bien. (Macron, 2018a)
Une troisième mention officielle du dictionnaire est faite lors du 17e Sommet de la Francophonie à Érevan. Il est cette fois évoqué en tant que « Dictionnaire des francophones », initiative qu’Emmanuel Macron appelle à « conduire et porter ensemble » (la francophonie, ndlr) (2018b). Roselyne Bachelot-Narquin appuie ces propos présidentiels en les convoquant lors de la cérémonie de lancement du DDF le 16 mars 2021.
Ainsi, c’est par le biais de discours officiels que le président Macron relaie l’intention de mettre sur pied un dictionnaire francophone. Si, d’après Calvet, l’accent avait jusqu’au XIXe siècle été mis sur la volonté « d’assurer la suprématie du français sur les autres langues de l’hexagone », la priorité est désormais à l’action sur « la langue » française (1999, p. 256).
Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme : stratégie pionnière
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Source : Gasparini, N. (2021g, 3 mars). La commande politique [Diapositive]. Formation « La langue est politique », Masters Francophonie, Université Jean Moulin Lyon 3.
Les trois discours présidentiels susmentionnées ont dévoilé, en creux, les orientations d’une nouvelle politique linguistique. Prénommée Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme, elle résulte de la consultation citoyenne « Mon idée pour le Français ». Le DDF est – dans le Compendium rédigé par Noé Gasparini, Nadia Sefiane et Sébastien Gathier – présenté comme le « projet majeur » de ce plan d’action (2021, p. 5).
La stratégie gouvernementale, présentée à l’Institut de France le 20 mars 2018, consiste en trente-trois propositions. Pour le journaliste M. Semo, auteur de l’article « Emmanuel Macron défend une francophonie plurielle » paru dans Le Monde, le plan d’action escompte servir trois enjeux : « apprendre, communiquer et créer en français » (2018).
La note d’intention rédigée par la DGLFLF au sujet de l’élaboration du DDF rend compte de l’inscription de l’outil dans ces mesures :
Parmi les 33 mesures du plan présidentiel de mars 2018, deux renvoient au projet d’un dictionnaire : l’une portant sur le développement d’outils numériques et collaboratifs pour le français; l’autre visant la création d’une académie francophone ou d’un « collège des francophonies ». (2019, p. 1)
La cérémonie officielle de lancement du DDF – qui s’est déroulée au ministère de la Culture, Paris, le 16 mars 2021 – a entériné la position centrale de la Stratégie Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme. Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la Culture, affirme que « le projet du DDF en constitue l’une des mesures phares ».
Les déclarations de Jean-Baptiste Lemoyne – Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie – s’inscrivent dans cette lignée : « On voit le chemin accompli depuis ce 20 mars 2018 où nous étions réunis sous la Coupole pour entendre le président de la République tracer la voie, fixer le cap, pour une francophonie qui soit ambitieuse, audacieuse, qui ose, qui innove. »
Une association également faite par Paul Petit lors de notre entretien :
[…] le projet du DDF est porté par le ministère de la Culture, par la délégation, mais il est vraiment inscrit comme une des mesures du plan présidentiel […] dans son programme en 2017-2018, […] le président de la République fait le choix d’une grande action pour la langue française. (2022, p. 85)
Le récit de l’impulsion du DDF par Bernard Cerquiglini corrobore ses dires :
Le 20 mars 2018, le Président Macron a prononcé un très beau discours à l’Institut de France, devant les Académiciens. Magnifique discours sur la Francophonie, la littérature et la politique en faveur de la langue. […] nous étions quelques-uns à être vraiment très heureux de ce tour donné à la politique linguistique. (2022, p. 9)