Le concept de migration
La migration est l’une des dimensions de la mobilité des populations ou de la mobilité spatiale. Elle se définit par un déplacement de lieu de résidence assorti d’un déplacement de portée variable dans l’espace pour une durée de six mois au moins (Dorvilier, 2012).
La migration est couramment caractérisée comme temporaire ou définitive, elle peut être contrainte, lorsque le migrant ne dispose d’aucune liberté dans l’acte de migrer, ou à l’inverse non contrainte (Saint-Julien, 2020). La migration implique parfois une « longue distance ».
Le concept de migration et ses variantes
On différencie communément les migrations internes, qui se déploient sur un même territoire national des migrations internationales.
Les migrations internes sont pour une grande part faite de déplacements de population qui, d’un bout à l’autre d’un territoire national obéissent largement à des règles communes de redistribution géographique du peuplement. Elles peuvent aussi relever, mais plus exceptionnellement, de déplacement contraints.
Ces migrations internes sont largement articulées sur les grandes étapes du cycle de vie : études, recherche du premier emploi, nouvel emploi, migration professionnelle, mise en couple et rupture de couple, adaptation du logement à l’évolution des revenus, et à la taille des familles, retraite, etc.
Ces mouvements se déploient à des échelons très variés en fonction des différentiels géographiques valorisés : de déplacements sur une courte distance liée par exemple à la saisie d’une opportunité sur le marché local du logement, à des déplacements plus longs en relations le plus souvent avec des oppositions inter ou infra régionales : il s’agit par exemple de départs de campagnes plus ou moins surpeuplés en direction de régions industrielles et/ou urbaines attractives, (mouvements dits d’exode rural) ou à l’inverse, d’abandons de zones de peuplement dense pour la recherche de cadres de vie plus proches de la nature ( mouvement dits de périurbanisation) ou encore de mouvements de jeunes générations qui, misant sur les potentiels culturels et économiques des métropoles, sont enclines à privilégier un mode de vie métropolitain (Saint-Julien, 2020). Ce type de migration peut s’apparenter à la mobilité résidentielle.
Les migrations internationales correspondent en général, aux portées migratoires les plus longues et recèlent en outre un contingent de déplacement contraint. Les migrations internationales peuvent aussi concerner une distance relativement courte dans le cas où les deux Etats partagent une même frontière.
Au demeurant, nous concédons que certaine situation de mobilité résidentielle peuvent s’apparenter à des migrations internes, voire des migrations internationales. Les questions de « longue distance » ou de « courte distance » ne sont pas définies. Sur combien de kilomètres peut- on parler de « courte distance » ou encore sur combien de kilomètre doit-on migrer pour par parler de longue distance ?
Quelques éléments sur la migration en Haïti
Loin de nous l’idée, dans cette section de retracer l’histoire migratoire en Haïti. Nous voulons plutôt mettre l’accent sur les migrations internes, lesquelles peuvent nous amener à mieux comprendre l’implication de ces mouvements résidentielles dans le processus d’étalement de l’agglomération port-au-princienne.
En effet, la question migratoire a été véritablement posée en Haïti peu après l’occupation étasunienne de 1915 (Noël, 2012), même s’il faut noter que la guerre d’indépendance (1791-1803) a occasionné la migration d’un nombre important de colons-planteurs accompagnés de leurs esclaves à talents (Dorvilier, 2012).
Le processus de remembrement des grands domaines situés dans les grandes plaines du pays a conduit à la fermeture de nombreuses petites entreprises agricoles et familiales desquelles vivaient bon nombre de paysans sans terre. Cette situation a fabriqué un prolétariat rural d’un genre nouveau.
En conséquence, un nombre croissant de paysans, dépossédés ou éjectés de leurs anciennes activités et de leur terre, ont été contraints de se rendre massivement en terres étrangères – vers la République Dominicaine et Cuba à l’époque (Casimir: 2006, cité par Noel, 2012 :5)9.
À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, timidement, mais selon un rythme croissant, l’exode vers les villes haïtiennes est enclenché, ce qui fait que cette période marque le début d’un long processus d’urbanisation dans le pays. Toutes les villes principales haïtiennes sont concernées par l’ampleur de cette réalité. Certaines servent de relais ; les ruraux s’y établissent pour atteindre d’autres villes. D’autres sont de véritables pôles d’attraction, comme les grands centres régionaux et Port-au-Prince (Noel, 2012 :10)
Richener Noël (2012, citant Samuel, 1978) a mis l’accent sur le contexte où l’espace rural devient repoussant, lequel ayant favorisé la migration des ruraux vers les villes haïtiennes, particulièrement vers Port-au-Prince. Il avance que :
L’exode rural se situe donc dans ce contexte des changements internes caractérisés par une nouvelle dynamique des paysans, qui ne veulent plus supporter la même exclusion historique et les effets négatifs de la société à deux vitesses, la dichotomie ville-campagne. D’ailleurs, pour beaucoup de familles rurales le fait de s’adonner uniquement à la culture de la terre constitue une raison pour rester dans la pauvreté.
La migration rurale s’inscrit dans ce mouvement de quête de mieux-être et de début d’un citoyen-paysan plus actif et même « militant », car pendant longtemps ils n’ont pas été considérés comme des ayants-droit par l’État et les élites urbaines. Les gens sont intelligents et savent comment et à quel moment réagir à une situation donnée. La migration constitue ainsi une stratégie individuelle et familiale.
Il s’ensuit (Noël, 2012 : 7) :
Sur le plan économique sévit dans les milieux ruraux une très nette décroissance. Ce constat a été fait dès le XIXe siècle, mais la situation allait s’aggraver à partir des années 50. La dépravation environnementale dont l’érosion des sols, l’augmentation de la population qui engendre la diminution de l’espace moyen cultivable par paysan (moins d’un hectare en moyenne par habitant vers la fin du XXe siècle), l’archaïsme des techniques et des moyens de productions agricoles, les problèmes fonciers, les mauvais choix ou le déficit en matière de politiques agricoles sont parmi les causes de cette paupérisation. L’agriculture de type extensif caractérisée par la jachère ne peut aucunement assurer un niveau de vie décent au cultivateur et à sa famille.
Au demeurant, le choix de se diriger vers Port-au-Prince massivement s’explique par la métropolisation. Ce que nous avons tenté d’expliciter dans le cadre de notre problématique.
En outre, dans le cadre d’une enquête réalisée par la Croix-Rouge américaine sur la migration dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince10 auprès de 2 500 ménages en septembre 2010, on peut remarquer qu’un peu plus d’un tiers de la population a déclaré être né dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.
En enlevant les natifs de l’Aire Métropolitaine, les départements les plus représentés parmi les immigrants dans la population de l’Aire Métropolitaine sont dans l’ordre : le Sud (22.9%), le reste de l’Ouest (15.9%), le Sud-Est (12.7%), la Grand-Anse (12.6%), etc.
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9 Ces deux pays possédaient déjà des mises en place agro-industrielles capitalistes qui nécessitaient de la main-d’œuvre haïtienne à bon marché pour répondre à leurs besoins en denrées). Cette migration porte le nom de la « traite verte », parce qu’elle a rapport à la saison de la récolte de la canne. Les jeunes sont les plus concernées par cette migration saisonnière massive ayant bouleversé énormément la vie rurale en Haïti.