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Les défis de la compétence universelle au Kenya dans l’affaire Omar el-Béchir

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🏫 Université de Douala - Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master II Recherche - 2010 / 2011
🎓 Auteur·trice·s
Pierre Paul EYINGA FONO II
Pierre Paul EYINGA FONO II

La compétence universelle au Kenya est mise à l’épreuve par les défis juridiques et pratiques liés à l’arrestation d’Omar El Béchir. Cet article souligne les tensions entre le droit régional africain et les exigences de la Cour pénale internationale, révélant les obstacles procéduriers et techniques rencontrés.


§2.- Le problème de la minimisation des difficultés d’application de la compétence universelle

En revendiquant une compétence universelle sur les faits reprochés à Omar El BECHIR, la Cour kenyane a fait fi des difficultés que rencontre l’application du principe de la compétence universelle. Parmi celles-ci, on peut relever les obstacles procéduriers ignorés et violés par la Cour kenyane (A) et les difficultés techniques non évaluées et non examinées par cette Cour (B).

« Immunity verus human rights: the Pinochet case », op. cit. (note n° 276), pp. 276-277. Parlant de l’immunité en cas de crimes graves de droit international, Michèle COSNARD fait état de la « chronique d’une mort annoncée ». Voir d cet auteur, La soumission des Etats aux tribunaux internes face à la théorie des immunités des Etats, op.

cit. (note n° 258), p. 403. Contra : l’idée qui est souvent répandue selon laquelle, lorsqu’un chef d’Etat est soupçonné de crimes de droit international, il cesse par cette occasion de bénéficier des immunités, n’est pas partagée par Michele PROTESTA. Selon cet auteur, cet argument ̏ [i]s not persuasive enough to deny immunity [to head of State] ̋.

Voir de cet auteur, « State immunity and Jus Cogens violation: The Alien Tort against the backdrop of the latest development in the ̔ Law of nations ‘», op. cit. (note n° 3), p. 578.

1 Voir CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, op. cit. (note n° 17), §61.

2 Voir le cas de Hissène Habré avec la levée de son immunité par le Tchad. Cf. note n° 302.

A.- Les obstacles procéduriers ignorés et violés par la Cour kenyane

La Cour kenyane a revendiqué l’exercice de la compétence universelle absolue sur les crimes de droit international, y compris sur les crimes reprochés à Omar El BECHIR. Au regard des faits, il est admis et établi que des crimes ont été perpétrés au Darfour, qui est une région située à l’ouest du Soudan et hors du Kenya, par des soudanais et contre des victimes soudanaises. Pourtant, la lecture de l’ICA permet de constater que les juridictions kenyanes ne peuvent exercer qu’une compétence personnelle active et passive3 et non absolue et élargie comme la Cour kenyane l’a admis. Ce faisant, la Cour kenyane a violé et dépassé les limites que la législation kenyane trace à sa compétence4.

Si la Cour kenyane avait pris le soin d’examiner la législation et la pratique récentes de certains Etats qui se sont engagés dans la voie de la répression universelle des atteintes graves au droit international, elle aurait sans doute constaté que le principe de la compétence universelle, tel qu’appliqué dans une conception absolue, bat de plus en plus en retrait5.

Les Etats l’ont finalement restreint à des critères de rattachement avec le territoire du for. Ainsi, le suspect doit résider sur le territoire du for et il doit y être présent au moment où la procédure est engagée6. Or dans cette espèce, l’on constate que le suspect est de nationalité étrangère, il ne réside pas au Kenya et il s’y est rendu à l’occasion d’une visite officielle en qualité de chef d’Etat en exercice.

Au regard de ces éléments, l’on se demande comment la Cour kenyane peut avoir la prétention d’exercer une compétence

7 Voir notamment la Section 8 de l’ICA.

8 Cf. CPJI, Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), op. cit. (note n° 182), p. 19.

9 Damien VANDERMEERSCH note avec une certaine ironie que, « [l]a Belgique [a été] confrontée au mouvement du balancier : après un engouement sans réserve en faveur de la compétence universelle […], [on a] assist[é] au démantèlement du principe de compétence universelle sous la pression de certains Etats dont les dirigeants ont été mis en cause dans des plaintes ».

Voir de cet auteur, « Le principe de compétence universelle à la lumière de l’expérience belge : le mouvement du balancier », op. cit. (note n° 455), p. 473. Contra : la FIDH note que les Etats exercent la compétence universelle bien plus qu’il y a une dizaine d’années et disposent pour cela de meilleures capacités à cet effet.

Voir FIDH, La compétence extraterritoriale dans l’Union Européenne. Etude des lois et des pratiques dans les 27 Etats membres de l’Union Européenne, op. cit. (note n° 324), p. 2.

10 L’on rappelle ici le cas de la Belgique et de la France. Olivier CORTEN note que la loi du 5 août 2003 a « réduit drastiquement la notion de compétence universelle [en Belgique] ». Dans la loi du 5 août 2003, la Belgique a introduit les critères de compétence personnelle active et passive.

Il faut souligner que, l’hypothèse de plaintes abusives et sans fondements, auxquelles les juridictions belges ont été confrontées dans la loi du 16 juin 1993, modifiée le 10 février 1999, est écartée. Puisque, toutes les plaintes sont soumises à l’examen du Procureur fédéral et ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour y donner suite, conformément aux articles 16 et 18 de la loi du 5 août 2003.

Voir de cet auteur, « De quel droit ? Place et fonction du droit comme exigence de légitimité dans le discours sur la compétence universelle », Annales de Droit de Louvain, vol. 64, n° 1 – 2, 2004, pp. 51 – 82 (spéc. p. 51).

sur les faits qui n’ont aucun rattachement ni territorial, ni personnel avec le Kenya et dont le titre de compétence n’a pas fait l’objet d’une acceptation par le Soudan.

D’autant que le déclenchement de la procédure en matière de compétence universelle se fait sous la diligence de l’Attorney general. Aux termes des dispositions légales kenyanes, notamment le paragraphe 3 de l’article 3 du Geneva Convention Act11, seul l’Attorney general est habilité à engager les poursuites contre les auteurs de crimes graves de droit international qui se trouvent au Kenya.

L’on a donc exclu de la procédure les parties civiles12. Pourtant, dans cette espèce, la Cour kenyane a été saisie par une OSC qui n’avait ni qualité ni intérêt pour agir. Même s’il faut souligner, que cette dernière ne lui a pas explicitement demandé d’exercer une compétence universelle sur les faits imputés à Omar El BECHIR, mais plutôt de se prononcer sur le refus des autorités gouvernementales kenyanes d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI et de leur ordonner de les exécuter, au cas où

Omar El BECHIR foulerait à nouveau le territoire kenyan.

C’est donc à tort que la Cour kenyane prétend exercer une compétence universelle. Puisque sa décision est entachée de nombreuses irrégularités, notamment au niveau de sa saisine qui relève de la compétence de l’Attorney general. Sa décision viole aussi l’exigence fondamentale du rattachement entre le lieu de la commission des faits et le territoire kenyan ; entre le suspect, la victime et le Kenya. Toutes ces conditions, posées par les lois kenyanes, font cruellement défaut dans la décision de la Cour kenyane.

Ainsi, la Cour kenyane a exercé une compétence qu’elle n’a pourtant pas dans cette espèce et elle est allée au-delà des prescriptions légales kenyanes. Elle aurait donc dû examiner au préalable et de façon rigoureuse, les conditions que pose la législation kenyane en matière de crimes graves de droit international et la procédure y relative.

13 Voir le paragraphe 3 de l’article 3 du Geneva Conventions Act qui prévoit que seul l’Attorney general peut déclencher la procédure en matière de compétence universelle. L’ICA fait du ministre en charge de la sécurité nationale une sorte de ministère public au côté de l’Attorney general.

14 C’est l’option qu’a adoptée la Belgique dans sa nouvelle loi relative à la répression des crimes de droit international. Toutefois, il faut rappeler que les parties civiles agissent ici sous le contrôle du Procureur fédéral. Cette condition vise à limiter quantitativement le nombre de plaintes et permet aussi d’éviter que les plaintes soient déposées contre les hauts responsables d’Etats étrangers en fonction comme ce fut le cas avec la loi de 1993 relative à la répression des infractions graves aux Conventions de Genève.

Voir Eric DAVID, « Que reste-t-il de la compétence universelle dans la loi du 5 août 2003 », op. cit. (note n° 477) ; voir dans le même sens Antoine BAILLEUX, « L’histoire belge de la compétence universelle. Une valse à trois temps : ouverture, étroitesse, modestie », op. cit. (note n° 495), pp.

129ss.

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1 Voir CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, op. cit. (note n° 17), §61.

2 Voir le cas de Hissène Habré avec la levée de son immunité par le Tchad. Cf. note n° 302.

3 Voir notamment la Section 8 de l’ICA.

4 Cf. CPJI, Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), op. cit. (note n° 182), p. 19.

5 Damien VANDERMEERSCH note avec une certaine ironie que, « [l]a Belgique [a été] confrontée au mouvement du balancier : après un engouement sans réserve en faveur de la compétence universelle […], [on a] assist[é] au démantèlement du principe de compétence universelle sous la pression de certains Etats dont les dirigeants ont été mis en cause dans des plaintes ». Voir de cet auteur, « Le principe de compétence universelle à la lumière de l’expérience belge : le mouvement du balancier », op. cit. (note n° 455), p. 473. Contra : la FIDH note que les Etats exercent la compétence universelle bien plus qu’il y a une dizaine d’années et disposent pour cela de meilleures capacités à cet effet. Voir FIDH, La compétence extraterritoriale dans l’Union Européenne. Etude des lois et des pratiques dans les 27 Etats membres de l’Union Européenne, op. cit. (note n° 324), p. 2.

6 L’on rappelle ici le cas de la Belgique et de la France. Olivier CORTEN note que la loi du 5 août 2003 a « réduit drastiquement la notion de compétence universelle [en Belgique] ». Dans la loi du 5 août 2003, la Belgique a introduit les critères de compétence personnelle active et passive. Il faut souligner que, l’hypothèse de plaintes abusives et sans fondements, auxquelles les juridictions belges ont été confrontées dans la loi du 16 juin 1993, modifiée le 10 février 1999, est écartée. Puisque, toutes les plaintes sont soumises à l’examen du Procureur fédéral et ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour y donner suite, conformément aux articles 16 et 18 de la loi du 5 août 2003. Voir de cet auteur, « De quel droit ? Place et fonction du droit comme exigence de légitimité dans le discours sur la compétence universelle », Annales de Droit de Louvain, vol. 64, n° 1 – 2, 2004, pp. 51 – 82 (spéc. p. 51).

7 Voir notamment la Section 8 de l’ICA.

8 Cf. CPJI, Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), op. cit. (note n° 182), p. 19.

9 Damien VANDERMEERSCH note avec une certaine ironie que, « [l]a Belgique [a été] confrontée au mouvement du balancier : après un engouement sans réserve en faveur de la compétence universelle […], [on a] assist[é] au démantèlement du principe de compétence universelle sous la pression de certains Etats dont les dirigeants ont été mis en cause dans des plaintes ». Voir de cet auteur, « Le principe de compétence universelle à la lumière de l’expérience belge : le mouvement du balancier », op. cit. (note n° 455), p. 473. Contra : la FIDH note que les Etats exercent la compétence universelle bien plus qu’il y a une dizaine d’années et disposent pour cela de meilleures capacités à cet effet. Voir FIDH, La compétence extraterritoriale dans l’Union Européenne. Etude des lois et des pratiques dans les 27 Etats membres de l’Union Européenne, op. cit. (note n° 324), p. 2.

10 L’on rappelle ici le cas de la Belgique et de la France. Olivier CORTEN note que la loi du 5 août 2003 a « réduit drastiquement la notion de compétence universelle [en Belgique] ». Dans la loi du 5 août 2003, la Belgique a introduit les critères de compétence personnelle active et passive. Il faut souligner que, l’hypothèse de plaintes abusives et sans fondements, auxquelles les juridictions belges ont été confrontées dans la loi du 16 juin 1993, modifiée le 10 février 1999, est écartée. Puisque, toutes les plaintes sont soumises à l’examen du Procureur fédéral et ce dernier dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour y donner suite, conformément aux articles 16 et 18 de la loi du 5 août 2003. Voir de cet auteur, « De quel droit ? Place et fonction du droit comme exigence de légitimité dans le discours sur la compétence universelle », Annales de Droit de Louvain, vol. 64, n° 1 – 2, 2004, pp. 51 – 82 (spéc. p. 51).

11 Voir le paragraphe 3 de l’article 3 du Geneva Conventions Act qui prévoit que seul l’Attorney general peut déclencher la procédure en matière de compétence universelle. L’ICA fait du ministre en charge de la sécurité nationale une sorte de ministère public au côté de l’Attorney general.

12 C’est l’option qu’a adoptée la Belgique dans sa nouvelle loi relative à la répression des crimes de droit international. Toutefois, il faut rappeler que les parties civiles agissent ici sous le contrôle du Procureur fédéral. Cette condition vise à limiter quantitativement le nombre de plaintes et permet aussi d’éviter que les plaintes soient déposées contre les hauts responsables d’Etats étrangers en fonction comme ce fut le cas avec la loi de 1993 relative à la répression des infractions graves aux Conventions de Genève. Voir Eric DAVID, « Que reste-t-il de la compétence universelle dans la loi du 5 août 2003 », op. cit. (note n° 477) ; voir dans le même sens Antoine BAILLEUX, « L’histoire belge de la compétence universelle. Une valse à trois temps : ouverture, étroitesse, modestie », op. cit. (note n° 495), pp. 129ss.

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