B) Les incertitudes quant à son maintien

270. – La catégorie des quasi-contrats a dû essuyer bon nombre de critiques, notamment du fait de sa genèse, depuis sa consécration avec l’avènement du Code civil en 1804.

Pour autant, on pourrait considérer que celles-ci sont occultées du fait de deux considérations.

271. – D’abord, force est de constater que celles-ci n’ont pas entamé la fortune dont bénéficient les mécanismes quasi-contractuels devant les juridictions.

De cela, il ressort que ces institutions répondent à un besoin certain des plaideurs, qui rend sans objet la question de la suppression pure et simple des cas de quasi-contrats offerts par le Code civil, ou élaborés par la jurisprudence245.

272. – Ainsi, si chacune des espèces se doit d’être conservée, on peut ajouter qu’il en va de même du genre duquel elles sont censées participer, du fait que le liant de la catégorie des quasi-contrats était garanti par l’existence d’une notion dont le contenu suscitait l’approbation d’une large majorité de la doctrine.

On mesure donc à quel point la notion apparaît non seulement comme le facteur de cohésion, mais également comme la justification même de la catégorie quasi-contractuelle, car elle en permet la systématisation.

En d’autres termes, en fédérant les cas particuliers autour de traits communs, elle a pour conséquence de leur conférer le niveau d’abstraction requis pour qu’ils puissent trouver leur place au sein de cette construction intellectuelle et abstraite qu’est le système.

Or, ôter la notion, c’est désolidariser ses composantes conduites alors à graviter autour du système, sans pouvoir y pénétrer réellement.

C’est donc redonner prise aux critiques, plaçant ainsi la catégorie quasi-contractuelle sur la sellette246.

242 M. Douchy, op. cit. n°10, p. 19.

243 M. Douchy, op. cit. n°19, p. 46.

244 V. Sur ce point, M. Douchy, op. cit. n°77, p. 170.

245 En ce sens, il n’est qu’à observer que les projets de réforme du droit des obligations en prônent le maintien : V. s’agissant du projet Catala, Art. 1328 à 1329-1 pour la gestion d’affaires, Art. 1330 à 1335 pour le paiement de l’indu, Art. 1336 à 1339 pour l’enrichissement sans cause ; Le projet Terré, quant à lui, reprend la gestion d’affaires, et « l’avantage indûment reçu d’autrui », catégorie au sein de laquelle il fédère l’enrichissement sans cause et le paiement de l’indu (Art. 1er) ; Quant au projet Chancellerie, il maintient la catégorie quasi- contractuelle (Art. 3), mais concentre ensuite sa réforme sur le contrat. V. également au niveau européen le projet de Cadre Commun de Référence, Art. V-I :101 et s. concernant la gestion d’affaires (« Benevolent intervention in another’s affairs ».), Art. VII-I :101 et s. pour l’enrichissement sans cause (« Unjustified enrichment ».) qui inclus la logique de la répétition de l’indu.

273. – Or, ces incertitudes semblent avoir été réintroduites du fait de l’évolution jurisprudentielle qu’a connu le quasi-contrat par la suite.

Les prémices de ce mouvement étaient déjà perceptibles par un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 26 octobre 1999247, en matière de procédures collectives, qui avait qualifié de quasi-contractuelle la nature de l’engagement de reprise souscrit par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté, en vue de sanctionner son inexécution.

274. – Mais, c’est par les arrêts rendus par la chambre mixte de la Cour de Cassation le 6 septembre 2002248, à l’origine de la création du quasi-contrat dit « de loteries publicitaires » qu’est véritablement intervenu l’ébranlement de la notion de quasi-contrat.

Il s’agissait, pour la Haute Juridiction, de connaître de la situation dans laquelle certains professionnels adressaient aux consommateurs des documents publicitaires leur indiquant avoir gagné un lot, sans faire mention du caractère aléatoire de ce gain.

246 Ainsi, les projets sont plus nuancés quant à son maintien : le projet Catala la reproduit à l’article 1327 : « Les quasi-contrats sont des faits purement volontaires, comme la gestion sans titre de l’affaire d’autrui, le paiement de l’indu ou l’enrichissement sans cause dont il résulte, un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui. » ; Le projet Chancellerie semble faire de même en parlant de manière générique des « quasi-contrats » (Art. 3) ; Quant au projet Terré, il prône la suppression de la notion actuelle, en énonçant en son article 1er alinéa 1 que « Les obligations naissent des contrats, des délits, de l’avantage indûment reçu d’autrui ou de la gestion d’affaires ». (Nous soulignons). Il s’agit ici de l’inspiration européenne dont se réclament les rédacteurs du projet (V. Ph. Rémy, Plans d’exposition et catégories du droit des obligations, comparaison du projet Catala et des projets européens, in Pour une réforme du droit des contrats, sous la direction de F. Terré, Dalloz, Thèmes et commentaires 2009 n°28.) En effet, le projet de Cadre Commun de Référence opère de la même manière.

247 Cass. Com, 26 octobre 1999, Bulletin 1999 IV N° 193 p. 164, n° de pourvoi : 96-19156.

248 Cass. Mixte, 6 septembre 2002, 2 espèces : Bulletin 2002 Mixte N° 4 p. 9, n° 98-22.981 et Bulletin 2002 Mixte N° 5 p. 10, n°98-14.397.

275. – Or, par ces arrêts, la Cour de Cassation a pu décider au visa de l’article 1371 du Code civil en premier lieu que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ».

C’est donc faire de ces loteries publicitaires trompeuses un nouveau quasi-contrat s’ajoutant à ceux déjà existants. Néanmoins, à cette formule extensive, la jurisprudence a apporté une restriction dans la deuxième espèce dont elle a eu à connaître, en posant en règle que l’action ne saurait perdurer dès lors que le demandeur « avait cherché à tirer profit d’un pseudo-gain qu’il savait n’être pas le sien ».

En d’autres termes, le succès de l’action, et donc l’existence du quasi-contrat, est subordonné à la croyance légitime dans l’existence du gain, qu’a pu engendrer le fait volontaire du professionnel, en la personne du consommateur destinataire du document publicitaire non explicite quant à l’existence d’un aléa.

276. – Il s’agit donc d’un élargissement net de la catégorie quasi-contractuelle, qui s’enrichit ainsi d’une nouvelle composante, de nature à décupler les cas dans lesquels le quasi-contrat est susceptible de trouver application.

C’est également la preuve de la vigueur de cette source d’obligations, qui tend à prendre toujours davantage de poids, s’émancipant ainsi du rôle de second ordre auquel les nombreuses critiques qui lui avaient été formulées, tendaient à la reléguer.

Mais néanmoins, la question se pose de savoir si cette expansion ne serait pas la première manifestation du déclin ?

277. – En effet, cette évolution n’a pas laissé indemne la notion traditionnelle de quasi-contrat, avec laquelle cette nouvelle espèce semble rompre.

Le point névralgique de cette opposition paraît résulter du constat qu’en l’occurrence, il n’y a aucun mouvement de valeur préalable, spontanément consenti et sans cause, que le Droit aurait vocation à corriger par son action.

En d’autres termes, « jusqu’ici, il y avait […] une notion unitaire du quasi-contrat : fait volontaire et désintéressé d’une personne entraînant pour une autre un avantage injustifié que la loi a précisément pour objet de compenser.

Or, le nouveau quasi-contrat se caractérise par un fait volontaire et intéressé, n’entraînant aucun avantage pour autrui ; et la loi, loin de compenser un avantage injuste, va au contraire instaurer cet avantage, en quelque sorte à titre de sanction d’un comportement jugé déloyal249. »

249 Ph. Malinvaud, D. Fenouillet, op. cit n°785. C’est donc plus largement la question des orientations du Droit civil qu’il s’agit ici de reconsidérer. En effet, ici, il ne s’agit pas de « rendre à chacun le sien », mais de sanctionner. Ce quasi-contrat est donc le fruit d’un fâcheux mélange des genres d’avec le Droit pénal.

278. – C’est donc toute l’approche du quasi-contrat qui mérite d’être reconsidérée.

Mais, cette remise en question de la notion doit-elle se faire sur ces bases ? Certains auteurs optent pour l’affirmative, en estimant que « toute perspective de théorie générale n’est pas exclue; non seulement parce qu’une théorie générale n’est pas forcément une théorie unitaire, mais aussi parce qu’en droit un minimum d’unité peut toujours être trouvé.

Ainsi, l’on pourrait admettre le dédoublement de la notion, en considérant qu’il existe des quasi-contrats résultant d’un avantage reçu sans cause et des quasi-contrats reposant sur un avantage attendu voire sur une simple expectative. »250

Pour autant, cette affirmation nous semble contestable. En effet, si un concept peut admettre des nuances, c’est toujours à condition qu’elles ne remettent pas en cause l’unité qu’il instaure. En d’autres termes, c’est à l’évaluation du « minimum d’unité » faisant la notion qu’il faut s’attacher.

En effet, il nous semble que regrouper sous une même bannière deux hypothèses qui ne partagent entre elles rien de commun, si ce n’est la définition donnée du quasi-contrat par l’article 1371 du Code civil, conduit à détruire l’économie de la notion.

Ainsi, la dénomination suggérée nous paraît symptomatique de ce mouvement. En effet, « l’avantage reçu sans cause » est l’exact opposé de l’« avantage attendu ».

279. – Dès lors, il ne nous semble pas adapté de repenser les quasi-contrats en cherchant à accoler à la notion traditionnelle une autre inspirée du cas du quasi-contrat de loteries publicitaires, en prétendant à l’encontre du bon sens qu’elles puissent former un tout251.

En effet, cette tentative d’intégration de cette espèce de quasi-contrat à la notion paraît vaine. En témoignent les circonstances de son apparition, montrant que le fondement quasi-contractuel n’était qu’une justification par défaut, face à l’inadéquation des autres sources d’obligations avec les effets recherchés.

250 X. Pin, L. Devin, op. cit. n°3.

251 Néanmoins, nombre d’auteurs ont poursuivi leurs recherches sur cette base : ainsi, M. Pin et Mme Devin détaillent certaines thèses bâties sur ce modèle en évoquant successivement « La thèse du succédané de délit », « La thèse du contrat fictif », « La thèse du contrat forcé », « la thèse de l’apparence », « La thèse de la croyance légitime », « La thèse du quasi-engagement », « La thèse de l’expectative », Fasc. préc. n°82 et s.

252 V. notamment Cass. Civ 1ère, 28 mars 1995, Bulletin 1995, I, N° 150 p. 106, n° 93-12678.

253 V. notamment Cass. Civ 2ème, 11 février 1998, Bulletin 1998, II, N° 55 p. 34, n° 96-12075.

280. – En effet, la Cour de Cassation avait d’abord utilisé l’acte juridique.

En son sein, elle avait en premier lieu qualifié cette situation d’engagement unilatéral de volonté du professionnel de procurer au consommateur le lot promis252.

Puis, c’est vers le contrat tacite que la Cour de Cassation s’est ensuite tournée253.

La difficulté était ici évidente : le professionnel n’avait manifestement pas souhaité s’engager par l’envoi du document publicitaire. Dès lors, sa volonté n’apparaissait pas susceptible de constituer le support d’un engagement unilatéral de volonté ou une offre.

281. – D’où, suite aux critiques, la Haute Juridiction s’est ensuite fondée sur la responsabilité civile délictuelle pour faute.

Ici, la logique juridique était sauve, en ce qu’il était possible d’identifier une faute dans le fait de tromper délibérément autrui, permettant d’engendrer la réparation de tous les préjudices avec lesquels serait établi un lien de causalité.

Mais c’est alors quant aux effets que le bât blesse, puisque le montant de la réparation en apparaissait forcément limité, compensant la seule croyance légitime déçue.

Ceci n’était donc en rien dissuasif à l’encontre des professionnels peu scrupuleux.

282. – Ainsi, la Cour de Cassation, par les arrêts du 6 septembre 2002, exploitant la définition vague de l’article 1371 du Code civil, s’est elle fondée sur le quasi-contrat, lui permettant ainsi au constat d’un fait volontaire, d’imposer au professionnel l’obligation de délivrer le lot aux personnes chez qui sa promesse avait suscité une croyance légitime.

Ce n’est donc pas la notion qui a déterminé la Haute Juridiction, mais le régime qu’elle emporte.

283. – De cela on doit déduire qu’il n’est pas utile de chercher à rattacher à la notion de quasi-contrat un élément bâti en dehors d’elle, ni même de chercher à rattacher la notion à cet élément en l’élargissant, car ce serait prendre le risque de voir ces efforts balayés par de nouveaux arrêts consacrant l’existence de nouveaux quasi-contrats dans des circonstances hétérogènes, à la seule considération du bien fondé des effets produits.

Est-ce alors vers une notion fonctionnelle que l’on doit se diriger ? Nous ne le pensons pas, en ce que la finalité des quasi-contrats traditionnels est de compenser un appauvrissement, alors que ce nouveau cas vise à punir, d’où il y a encore une fois incompatibilité.

284. – C’est donc dans la voie conceptuelle qu’il faut perdurer.

A ce titre, et pour l’ensemble de ces raisons, nous nous prononçons, avec une large part des auteurs254, en faveur de l’abandon de ce quasi-contrat particulier qui détruit l’œuvre de cohérence menée par la doctrine.

De celui-ci, nous ne voulons conserver que la signification implicite qu’il véhicule : les quasi-contrats répondent à un besoin des plaideurs et des juges, conduisant à leur faire assumer un rôle de premier plan, auquel l’étroitesse de la notion actuelle les empêche d’accéder.

La notion doit donc être remaniée aux fins d’un élargissement circonscrit dans le respect de la logique juridique, afin à la fois de lui permettre de répondre aux besoins des juridictions et des justiciables, et d’enrayer la prolifération jurisprudentielle anarchique des quasi-contrats.

Voici ainsi présentés les maux, et le remède à l’évolution jurisprudentielle décrite. Ainsi, l’élargissement de la notion de quasi-contrat semble de nature à assurer son maintien, et faire taire les critiques dont elle souffre. A défaut, ce serait invariablement à sa disparition que l’on assisterait.

Or, de la même manière que les quasi-contrats sont contestés, la société créée de fait est également critiquée.

Lire le mémoire complet ==> (Gestion d’affaires et société créée de fait, essai de convergence à propos d’un antagonisme)

Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité

Université de Savoie Annecy-Chambéry

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