La discrimination raciale à la procédure de recrutement

La discrimination raciale à la procédure de recrutement

 Section 2 :

Les discriminations non sexuelles

La discrimination raciale (I), la discrimination par rapport à l’activité syndicale (II), la discrimination par rapport à l’état de santé et au handicap ( III ) et la discrimination par rapport à l’âge, à l’apparence physique et au patronyme ( IV ) sont aussi des cas auxquels il faut s’intéresser.

I- La discrimination raciale à l’embauche

Elle peut se définir comme toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la « race », la couleur ou l’ascendance nationale. En ce qui concerne l’embauche, il y a discrimination raciale quand un employeur écarte de la procédure une personne du fait de sa couleur de peau ou de la consonance « étrangère » de son nom.

Cela arrive très fréquemment même si des lois s’y opposent ; en effet la loi Pleven, du 1er juillet 1972 contre le racisme et la xénophobie qui a été modifiée par la loi du 13 juillet 1990 condamne les pratiques de discrimination à l’embauche.

La convention 111 de l’OIT entrée en vigueur en France en 1982 proscrit aussi toute discrimination en matière d’emploi et d’exercice professionnel23.

On peut encore parler de la « déclaration de Grenelle » qui a été élaborée avec l’ensemble des partenaires sociaux, à l’instar de ce qui avait été fait au niveau européen à Florence en 1995.

Cette déclaration portait sur les discriminations dans le monde du travail et se limitait à quelques orientations, certes très utiles (formation de militants syndicaux, promotion du parrainage, petits aménagements législatifs, attribution de pouvoirs supplémentaires aux inspecteurs du travail…) mais encore insuffisantes.

23 Haut Conseil à l’intégration, « Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité : rapport au premier ministre », Collection des rapports officiels, Paris : La documentation française, 1998, p. 94

Mais surtout l’impulsion communautaire est déterminante en la matière ; le principe de libre circulation des travailleurs en Europe instauré par le droit communautaire dès les années 50, impliquait l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs en ce qui concerne l’accès à l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

Puis le Règlement 1612/68 de 1968 visait l’égalité de traitement entre les nationaux des différents Etats de la Communauté.

Enfin, la directive « relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique » (directive 2000/43/CE du 29 juin 2000) aborde la discrimination à l’embauche 24.

Son champ d’application est très vaste, elle couvre à la fois le domaine de l’emploi et ceux de la protection sociale, de la sécurité sociale, de l’éducation et enfin de l’accès et de la fourniture de biens et services.

La référence à la notion de « race » peut apparaître comme contradictoire avec le fait que seule existe la race humaine et qu’il n’y a donc pas d’appartenance possible à une « race » ou une autre.

Cette notion dépourvue de toute valeur scientifique est néanmoins prise en compte par le droit international et le droit interne des Etats aux seules fins d’être dénoncée et de servir de fondement à la législation anti-raciste et anti-discriminatoire.

En vue de bien marquer une certaine distance par rapport à l’emploi des termes de « race » ou d’origine ethnique, l’option a été prise de traduire cette préoccupation sous forme d’un considérant établissant clairement que l’Union rejette les théories visant à établir l’existence de différentes « races humaines » et que l’emploi du mot « race » n’implique nullement l’acceptation de telles théories25.

Et pourtant comme un paradoxe à tous ces textes, la législation elle-même établit des cas de discrimination : comité de prévention des accidents du travail, chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture autant de métiers qui sont interdits aux étrangers.

Ils sont inéligibles aux conseils de prud’hommes, ne peuvent être conciliateurs, ni médiateurs. En France la loi interdit aux étrangers, non ressortissant d’un pays de l’Union européenne, d’accéder à des emplois de la fonction publique de l’Etat, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière.

24 MINE (M.), op. cit., p.11.
25 Lutte contre les discriminations raciales, L’Union européenne, acteur de la lutte contre les discriminations, http://www.social.gouv.fr/htm/pointsur/discrimination/ue.htm

Ils ne peuvent être employés dans les salles de jeux, ni exercer la profession de pilote, même dans une compagnie privée, ils ne peuvent ni tenir de débits de boissons ou de tabac, ni exploiter de cercles de jeux ou de casinos, ni fabriquer ou commercialiser armes et munitions, ni diriger une entreprise de spectacles, ni un établissement privé d’enseignement technique, ni un établissement privé de recherches, ni exercer à titre indépendant ou comme dirigeant des activités de surveillance, de gardiennage ou de transports de fonds.

Ils ne peuvent ni diriger un périodique, ni un service de communication audiovisuelle et sont même exclus des comités de rédaction de toute publication destinée à la jeunesse.

Ajoutons à cela toutes sortes de métiers des transports, des assurances, de la bourse et du commerce. Quant aux professions de santé, les médecins, chirurgiens, dentistes et sages femmes se voient astreints à une double condition de nationalité française et de possession d’un diplôme d’Etat français (sous réserve de conventions internationales) : le ministère de la santé n’accorde les dérogations que sous la forme d’un quota annuel d’étrangers ! Pharmaciens et vétérinaires sont grosso modo soumis aux mêmes règles.

La discrimination raciale à la procédure de recrutement

Les étrangers sont également exclus des professions d’architecte, de géomètre expert, d’expert comptable, de notaire, d’huissier, de commissaire-priseur, d’administrateur judiciaire et même d’avocats et là encore sous certaines conditions26.

Les étrangers ne peuvent pas non plus postuler à des emplois statutaires dans les grandes entreprises nationales pour lesquels le principe fixé pour la fonction publique a été étendu.

C’est le cas notamment de EDF, GDF, de la SNCF, de la RATP et de Air France. De même, seuls les français peuvent accéder aux emplois à durée indéterminée relavant de la convention collective des organismes se sécurité sociale.

Le nombre de ces interdictions peut surprendre d’autant que toutes ne recouvrent pas des emplois sensibles au regard de notre sécurité et souveraineté nationale. Cette situation a conduit aussi certains observateurs tels que Mme Lochak à s’interroger sur la légitimité et la licéité27 de ce qu’elle qualifie de « discriminations légales »28.

26 Site Convergences révolutionnaires, revue publiée par la fraction de Lutte Ouvrière, n° 22, juillet août 2002, « Les emplois interdits aux étrangers », http://www.convergencesrevolutionnaires.org/imprimer_article.ph3?id_article=146
27Voir notamment « Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ? », Droit social, 1990, p. 76 et s.
28 Haut Conseil à l’intégration, op. cit., p. 95.

On peut penser que ces interdictions favorisent le racisme et donc les discriminations raciales qui sévissent dans le monde du travail mais ce n’est pas la seule explication. Il y a aujourd’hui, beaucoup trop de personnes racistes ou ayant des comportements racistes.

Quant au chef d’entreprise, il en est le premier acteur. Discrimination dans la reconnaissance des compétences et des diplômes, surexploitation, travaux réservés à une ethnie et surtout discrimination à l’embauche sont pratiques courantes.

D’autres s’en défendent et préfèrent dire que s’ils n’ont pas embauché une personne de « race différente », c’est parce qu’ils pensaient que cette personne serait mal accueillie par la clientèle. Il s’agit de la rationalité économique et cet argument est avancé par les employeurs ou certains responsables d’agences d’intérim.

« Présente très bien. Dommage que ce soit un Arabe ». Par cette appréciation sans appel, un hôtelier, qui avait reçu un candidat pour un emploi de serveur, tout en reconnaissant les qualités professionnelles de l’intéressé, a décrété que sa clientèle n’aimerait pas être servie « par un Arabe ».

Cette situation est préoccupante car elle existe partout et notamment dans le monde du travail. Les refus d’embauche, les remarques et les insultes sont autant de manifestations de la discrimination à l’embauche. Le monde du travail facilite de façon « extraordinaire » l’expression du racisme.

De même la discrimination peut aussi concerner le lieu de résidence du candidat ; en effet il vaut mieux parfois ne pas inscrire son adresse sur son CV quand on réside dans une banlieue ZUP ou autres quartiers mal réputés.

Nathalie, vingt-trois ans, qui réside dans une ZUP, a subi cette discrimination quand, en BEP de secrétariat, elle recherche un stage : « Les gens croient qu’il n’y a que des délinquants dans cette ZUP ».

De tels comportements ne sont pas isolés et il ne s’agit pas que de simples faits divers. Mais le plus inquiétant, c’est que ces actes deviennent presque banals. Ils touchent les étrangers comme ceux que leur apparence fait supposer étrangers.

En effet, la discrimination raciale concerne deux types de populations : d’une part les personnes de nationalité étrangère qui sont touchées par la discrimination à l’embauche notamment29.

Le critère juridique utilisé dans cette affaire est celui de la nationalité qui ne pose pas de problème particulier. Il s’agit d’autre part, de personnes de nationalité française mais « d’origine étrangère ». Les victimes de discrimination raciale en matière d’embauche sont notamment des jeunes « issus de l’immigration ».

Ces jeunes de nationalité française ont leur place dans la république mais pas encore dans l’entreprise. Le critère de nationalité est ici inadapté pour saisir ces situations discriminatoires.

Pour étayer ces dires, il suffit de regarder les statistiques qui portent sur la situation des français et celle des étrangers, notamment ceux issus des pays extérieurs à l’Union européenne, vis à vis du chômage et dans les dispositifs publics de formation ou d’accès à l’emploi.

Ces données qui sont transposables aux jeunes français issus de familles immigrées, confirment les difficultés d’insertion professionnelle des étrangers et permettent de mesurer l’écart avec les français.

Aussi l’ensemble des étrangers originaires de pays n’appartenant pas à l’Union européenne restent trois fois plus en recherche d’emploi que les français (enquête emploi – mars 2001).

Contrairement aux idées reçues, ces phénomènes sont encore plus accentués pour les diplômés (bac à bac + 5), où les étrangers hors UE sont, selon les niveaux, trois à quatre fois plus au chômage que les français30.

Tant et si bien que ces jeunes étrangers ou français d’origine étrangère vont jusqu’à changer de prénom pour réussir à trouver du travail.

Depuis qu’il se prénomme Thomas, Abdelatif, 25 ans, DEUG d’allemand et BTS d’action commerciale, collectionne les entretiens d’embauche31. Comme celui-ci n’est pas « très typé » et que son nom de famille « ne fait pas trop arabe » les rendez-vous se passent bien.

D’ailleurs, moins de deux mois, après son changement de prénom, entériné par une décision du juge aux affaires familiales de grande instance de Lille, Thomas est sur le point d’être embauché à un très bon poste.

Mais comment rester fier de soi quand on a l’impression d’avoir renié sa véritable identité pour exister socialement. Nedjema, vingt-six ans, titulaire d’une maîtrise de droit et d’un DEA de management est toujours au chômage deux ans après la fin de ses études.

La plupart de ses camarades ont, eux, trouvé un emploi. Pourtant elle ne changera pas de nom car cela signifierait pour elle que la France est u pays de non-droit qui intègre les gens non pas en fonction de leurs compétences mais en fonction de leur faciès.

Ce serait la remise en cause totale des fondements de la République, de l’Etat de droit et de toutes les valeurs d’égalité et de justice32. Dans son cas, il semblerait que Nedjema soit victime d’une combinaison de deux cas de discrimination à l’embauche : la discrimination raciale et la discrimination sexuelle.

On peut d’ailleurs remarquer que les femmes immigrées sont plus touchées par le chômage que les hommes : leur taux de chômage s’élève à 25 % alors que celui des hommes est de 20%. quant à celui des femmes étrangères hors de l’Union européenne, il est trois fois supérieur à celui des françaises et des ressortissantes de l’Union européenne33.

On pourrait croire qu’il s’agit de coïncidences et pourtant des cas comme ceux-là, il en existe beaucoup et notamment un très probant.

C’est le cas de M. Raoul Lachhab34 qui, à la suite de la publication d’une offre d’emploi du Crédit Mutuel, avait en vain essayé de postuler auprès de cette société et a envoyé deux curriculum vitæ identiques, l’un sous son propre nom, l’autre sous celui de M. Thierry Meyer.

Seul ce second CV « répond à une vacance de poste et au profil souhaité » et débouche sur un entretien. Une plainte a été déposée auprès du procureur du tribunal de grande instance de Strasbourg et la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) s’est portée partie civile.

Cette méthode qui consiste à répondre à une offre d’emploi par l’envoi de candidatures équivalentes qui ne diffèrent que par l’origine ethnique du postulant s’appelle le « testing » ou en français le test de situation. En France, des associations comme SOS-racisme relatent de nombreuses expériences ponctuelles mais instructives.

Ainsi trois candidats postulent à un emploi de manutentionnaire dans une menuiserie : Farid, sans expérience est éconduit, un autre candidat d’origine maghrébine qui possède une expérience dans ce domaine, se voit demander de rappeler dans trois semaines et enfin le troisième candidat est un jeune sans expérience mais au nom bien français, il est immédiatement convoqué à un entretien d’embauche.

Cette méthode du « testing » avait d’abord été utilisée dans des affaires d’accès discriminatoire aux discothèques et elle a été considérée comme un moyen de preuve licite souverainement apprécié par les juges du fond35.

30 Lutte contre les discriminations raciales, Le dispositif public de lutte contre les discriminations raciales, http://www.social.gouv.fr/htm/pointsur/discrimination/dispositifpublic.htm
31 Site Grioo.com, « La discrimination dans l’accès au travail en France : un fantasme d’immigrés ? », p.1, http://grioo.com/info18.html
32 Ibid.
33 Rapport à l’emploi des femmes immigrées et issues de l’immigration, http://www.social.gouv.fr/femmes/gd_doss/pointsur/emploi.htm
34 Le web de l’Humanité, « Enquête. Une grande entreprise prise sur le fait de discrimination à l’embauche », 4 février 2000, http://www.humanite.fr/journal/2000-02-4/2000-04-2-219518
35 Cass. Crim., 12 sept. 2000, P. Fardeau et a., n° 99-87.251 D

De plus, heureusement que des associations telles que la LICRA, SOS Racisme ou bien le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) existent car sans elles beaucoup de personnes n’oseraient pas porter plainte.

En effet, le nombre de cas qui parviennent à la barre sont infimes. Beaucoup se terminent en mains courantes dès leur arrivée au commissariat.

Pour l’année 1999, sur 35 cas de discrimination raciale à l’embauche signalés par le MRAP, 24 n’ont reçu aucune réponse36 ! Les parquets classent souvent, faute de preuves, d’intérêt ou de conviction.

Malgré cela, il y a de plus en plus de plaintes et grâce aux associations les plaignants s’accrochent pour passer le cap de la peur ou simplement du manque de moyens financiers.

Mais le problème qui domine en matière de discrimination à l’embauche, c’est toujours celui de la preuve : comment prouver que c’est en raison de leurs origines que des personnes n’ont pas été embauchées ? C’est pourquoi l’action combinée des associations, des syndicats et d’autres acteurs, de l’utilisation de l’aménagement de la charge de la preuve (issu de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations), du « testing », du numéro vert « 114 »37 devraient venir à bout de cette discrimination raciale à l’embauche.

La discrimination raciale est un sujet extrêmement brûlant mais une autre discrimination fait aussi beaucoup parler d’elle, il s’agit de la discrimination par rapport à l’activité syndicale.

36 Site Convergences révolutionnaires, op. cit., « Le patronat se moque de la loi ».
37 Voir la deuxième partie du mémoire, où tous ces éléments sont développés en détail.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La discrimination à l’embauche en droit du travail français
Université 🏫: Université Lille 2 – Droit et santé - Ecole doctorale n° 78
Auteur·trice·s 🎓:
Claire GIRARD

Claire GIRARD
Année de soutenance 📅: Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales - 2002-2003
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