Le point de vue des magistrats instructeurs places auprès des chambres régionales des comptes – Chapitre II :
Section I : Les éléments pris en compte par les magistrats au titre de l’efficacité de la dépense
Lors de l’examen de la gestion d’une collectivité, les magistrats instructeurs veillent à regarder l’utilité publique de la dépense (§ 1) mais aussi regardent si les comptes présentés sont sincères et transparents (§ 2). Cette étude portera sur les collectivités locales mais aussi montrera les transformations affectant les services administratifs de l’Etat, en soulevant que les préoccupations des collectivités sont en fait d’ampleur nationale.
Paragraphe 1 : L’intérêt public de la dépense ou le non gaspillage des crédits
L’évaluation de l’efficacité de la dépense publique peut signifier un regard sur l’utilité de la dépense publique soit pour son intérêt public communal.
Cette préoccupation de la mesure de l’utilité de la dépense n’est pas récente et a émergé par le biais du calcul économique, principe dégagé par de grands administrateurs de l’Etat soit Colbert, Vauban afin de moderniser le domaine public. Exigence posée par l’influence de la philosophie des lumières et repris avec la révolution industrielle au XIXème siècle, cette optique de gestion optimale perdure60. Dans le même sens, Jules Dupuit61 a réalisé une analyse sur les travaux publics et s’est proposé de mesurer l’utilité d’un objet en fonction du prix que chaque consommateur est prêt à payer pour l’obtenir.
Or, cette mission confiée à la chambre régionale des comptes figure dans les textes fondateurs de celle ci. En effet, L’article 87 alinéa 2 de la loi du 2 Mars 1982 reprend les pouvoirs conférés à la Cour des comptes par l’article 9 de la loi du 22 Juin 196762 relative à la Cour des comptes en tant que « elle s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs63 ». Le bon emploi des crédits induit une absence de gaspillage des deniers publics. Ainsi, force est de constater que la chambre régionale des comptes doit veiller lors de son contrôle à ce que l’utilisation des deniers publics soit conforme avec l’intérêt communal.
De plus, « l’utilité de la dépense est également un facteur important du consentement à l’impôt 64 ». En effet, l’impôt est une contribution qui permet à chaque citoyen de participer aux dépenses communes, élément de citoyenneté. Ainsi, sa détermination par les représentants de la nation marque le consentement à l’impôt comme l’affirme l’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958 s’appuyant sur l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique. »
Ainsi, les rédacteurs de ce texte, en 1789, mettent en exergue un certain intérêt public de la dépense et pose une certaine qualité qui, malheureusement à cette époque, trouvera une réponse dans les grands principes budgétaires tels que l’universalité, l’annualité, l’unité et le dernier apparu, la spécialité65 plutôt que dans un développement d’une meilleure gestion.
Toutefois, ce terme de « nécessité » peut constituer dans une optique de modernisation de la gestion un argument de poids pouvant engendrer un contrôle de l’utilité de la dépense publique.
Concernant l’impôt, chaque contribuable a le droit de connaître les dépenses qui vont être effectuées selon le principe de la transparence et de pouvoir apprécier la qualité des dépenses. De plus, l’impôt sera d’autant mieux accepter s’il permet de financer des actions utiles. A ce propos, beaucoup de réflexions se sont engagées sur la réforme fiscale comme la recherche d’une meilleur combinaison entre l’assiette et le taux des impôts locaux notamment, la qualité de la législation fiscale, l’amélioration des modes de recouvrement par le biais de la réunion de la direction générale des impôts et de trésor public ce qui facilitera le dialogue avec les usagers, notamment, avec la mise en place d’un interlocuteur unique, …bref une série d’élément visant à améliorer le système fiscal français mis en exergue notamment par le rapport de Bert et Champsaur66.
Dans ce cas, l’intérêt public s’apprécie en fonction de la satisfaction de l’intérêt général de l’action poursuivie. Cette notion a été explicité par Jacques Vieilleville et Marc Breyton considérant que « La notion d’intérêt communal a pris un relief particulier depuis la décentralisation qui a vu le nombre d’élus engager toutes sortes de dépenses somptuaires ou inutiles, parfois à des fins purement personnelles confondant la caisse publique avec leurs propres intérêts »67.
A titre d’exemples, la chambre régionale des comptes du Nord Pas de Calais a constaté le 21
Septembre 1993, à propos de la commune d’Outreau, que l’achat d’un véhicule 205 GTI équipée d’un toit ouvrant, pneus thermogomme, peinture métallisée et d’un coût supérieur à 100 000 Francs n’était pas, forcément, conforme à « l’objet social » d’un centre communal d’action sociale. Cet exemple illustre le gaspillage des deniers publics.
Dans le même sens, la chambre régionale va apprécier la sobriété dans l’emploi des fonds public soit des dépenses jugées excessives, abusives ou injustifiées. Ces errements des exécutifs locaux constituent des exemples remarquables de gaspillage des deniers publics. Les exemples les plus significatifs concernent, notamment, la prise en charge abusive de repas à caractère privé par la collectivité, des dépenses personnelles n’offrant aucun intérêt pour l’organisme ou la collectivité concernée, l’attribution de frais de représentation irrégulier à des fonctionnaires territoriaux, des frais de déplacements irréguliers, le versement d’un complément de rémunération par le biais d’une association subventionnée préalablement à cet effet,…68
Un autre élément peut être avancé selon lequel « la dépense publique n’est […] qu’un des instruments des politiques publiques »69. Selon cette logique, analyser l’utilité de la dépense revient à regarder la qualité de la politique publique engagée. Cette préoccupation de l’efficacité des politiques s’est manifestée de manière relativement précoce dans le discours politique français. En effet, Valéry Giscard d’Estaing70, en 1971 évoquait le fait que l’administration devait rationaliser ses méthodes de travail dans un souci d’efficacité de ses actions71. Dans ce discours, le souci d’amélioration des méthodes de gestion se profile ainsi que l’utilisation du terme d’ « efficacité » sortant du langage de type économique. Dans le même sens, Jacques Chirac, Président de la République, rappelle le 7 mai 1996 dans la tribune adressée au quotidien Le monde, l’importance de « se poser la question de l’efficacité chaque fois que l’on engage l’argent du contribuable […]. Il faut apprendre à dépenser mieux. La dépense n’est légitime que si elle est efficace, ce qui suppose un examen critique et une constante évaluation. Cette efficacité ne passe pas bien au contraire, par l’augmentation indéfinie des interventions publiques.72 Cette préoccupation se concrétise en 1998 avec la création du groupe de travail sur l’efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire, présidé par Laurent Fabius73 dont le travail tournait sur la question « Comment dépenser mieux pour prélever moins ? »
De plus, la préoccupation de mesure de la qualité des politiques publiques passe par la définition d’objectifs et corrélativement par la comparaison avec les résultats obtenus. Dans ce cadre, un changement de logique budgétaire est intervenu avec la loi organique du 1er Août 2001 relative aux lois de finances mettant en exergue une budgétisation par objectif succédant à l’obligation de moyens74. En effet, la connaissance de la performance publique nécessite des coûts ainsi que la mesure des résultats. Cette idée d’évaluation des politiques publiques n’est pas récente et s’est fortement développée dans les années 1980. Dans le même sens, Michel Rocard a rappelé dans une circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public le « devoir d’évaluation des politiques publiques ».
Ce souci d’évaluation des politiques publiques75 afin d’améliorer la qualité de la gestion et de mieux mesurer l’intérêt public des dépenses envisagées a pris un essor important tant dès les services administratif de l’Etat qu’au niveau local puisque la chambre régionale des comptes tente d’apprécier les résultats obtenus par la collectivité ou l’organisme contrôlé ainsi que l’efficience des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs qu’elles se sont fixées.
Toutefois, selon Pierre Van Herzele76, cette évaluation est difficile en pratique puisque les objectifs ne sont pas suivis dans la pratique et le projet est sans cesse modifié.
Enfin, le problème soulevé par cette notion d’utilité de la dépense publique se compte en terme d’opportunité. En effet, tant la chambre régionale des comptes que le comptable public n’ont pas le droit d’influer sur les choix de l’ordonnateur sans se heurter au contrôle d’opportunité. En effet, Gaston Jèze le notait déjà en 1912 : « les comptables n’ont pas à apprécier l’opportunité ou l’utilité d’une dépense faite par un ordonnateur. Il y aurait là un empiètement sur l’administration active »77. Ceci découle du principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables qui est d’origine ancienne, introduit pour les recettes par des décrets du 24 vendémiaire et 17 frimaire an III, pour les dépenses dans une ordonnance royale du 14 septembre 1822, repris par la suite dans l’ordonnance du 31 mai 1822, et enfin systématisé dans le décret du 31 mai 1862 portant règlement général de la comptabilité publique78. Ce principe signifie, de manière stricte et simplifiée, que l’ordonnateur est l’organe de décision de la collectivité ou de l’organisme et le comptable est le seul à pouvoir manier les deniers publics. Ainsi, le comptable est astreint à effectuer un contrôle de la régularité des opérations effectuées par l’ordonnateur mais ne peut, en aucun cas, vérifier l’utilité des dépenses engagées. En effet, dès le départ, ce principe est fondé sur un principe de méfiance légitime du fait qu’une seule personne ne peut engager les dépenses et manier les deniers publics. A DVP OU A REPRENDRE
La chambre régionale des comptes est amenée à vérifier aussi la sincérité et la transparence des comptes publics qui sont les éléments indispensables à la qualité du contrôle. En effet,
« La nécessité d’un contrôle a posteriori des collectivités locales n’est pas contestable. Il s’inscrit dans le droit fil de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». L’existence d’un contrôle financier est la contrepartie de l’autonomie et des responsabilités des collectivités locales. Il participe d’une mission de régulation de la décentralisation et constitue un facteur de transparence de la gestion publique locale. »79.
Lire le mémoire complet ==> (L’évaluation de l’efficacité de la dépense publique dans le contrôle de la gestion opéré par les Chambres Régionales des Comptes)
Mémoire de DEA – Mention FINANCES PUBLIQUES – Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Université Lille 2 – Droit et santé – Ecole doctorale n° 74

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