La loi française et la vente de médicaments via l’internet

La délivrance du médicament dans le respect de la relation entre le pharmacien et son client – Titre III :
44- La responsabilité contractuelle du pharmacien peut être mise en cause s’il ne vend pas les médicaments dans les règles de l’art. Le pharmacien passe en effet un contrat de vente avec le patient : la faute professionnelle d’un commerçant à l’égard d’un consommateur engage sa responsabilité contractuelle et le pharmacien est un commerçant. La vente de médicaments constitue un acte complexe et méthodique qui suit une procédure sécurisée. Si la législation française, sous réserve de légères adaptions, permet d’envisager qu’un pharmacien puisse exploiter une officine électronique, il reste à déterminer quels pourraient être les contours juridiques d’une dispensation électronique effectuée par le pharmacien. En effet, l’acte d’achat se finalise par cette action qui incombe particulièrement au professionnel de la santé, en garantissant une bonne utilisation du produit par le patient.
L’ensemble des règles déontologiques auxquelles les pharmaciens sont soumis gravite autour d’une même notion que certains auteurs explicitent par l’expression de « colloque singulier » entre le médecin et le patient, puis entre le pharmacien et le patient, voire au final entre le pharmacien et le médecin prescripteur. D’aucuns considèrent que ce colloque particulier et nécessaire à la matière ainsi qu’à ses exigences constitue l’« un des derniers bastions de l’humain »94 car, en matière médicale, la relation entre le patient et les dispensateurs de soins existe depuis la création même de la médecine ; Hippocrate faisait déjà part à son époque de la nécessaire relation entre le bénéficiaire des soins et les dispensateurs de soins afin d’accéder à une qualité d’échanges optimale95.
Les règles déontologiques imposent au pharmacien, en tant que dispensateur du médicament, en vertu des dispositions de l’article R. 5015- 48 du CSP, « [d’assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance :
1° l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médical e si elle existe ;
2° la préparation éventuelle des doses à administre r ;
3° la mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament (…) ».
Ces règles ont été insérées dans le CSP96 par le décret n° 95- 284 du 14 mars 1995 portant Code de déontologie des pharmaciens. Dans le monde réel, la déontologie impose déjà des obligations extrêmement denses au pharmacien, ainsi convient-il d’analyser les difficultés qui naissent de la relation virtuelle que ce dernier pourrait avoir avec son patient, au moment de la délivrance du médicament. Le pharmacien doit associer à l’acte physique de délivrance du médicament un acte intellectuel, la dispensation du médicament. Sur l’internet, la délivrance n’est plus physique, mais l’acte de dispensation doit néanmoins être préservé. Il faut mettre la dispensation du médicament à l’épreuve de la virtualité (Chapitre
1). Si le respect de certaines exigences semble délicat sur l’internet, il apparaît que d’autres obligations ne constituent pas des obstacles insurmontables à la consécration juridique de la vente en ligne de médicaments. Le dépassement des obstacles grâce aux évolutions technologiques et juridiques (Chapitre 2) permettrait en effet de sécuriser les transactions en matière de santé sur l’internet.
Chapitre 1- La dispensation du médicament à l’épreuve de la virtualité
45- De nombreux enjeux découlent de la bonne coopération entre le médecin, pharmacien et le patient97 ; et jusqu’au XXe siècle, nul n’avait songé à censurer les relations entre les médecins, les pharmaciens et les patients, elles étaient intuitu personae si l’on peut dire. Le support interactif est ambigu car il constitue un lieu de communication privilégié mais il peut amoindrir la qualité d’un échange « physique » entre les intervenants, en tant qu’il immatérialise les relations. Le respect de la relation entre le patient et le pharmacien est pourtant nécessaire à une bonne administration de la distribution des médicaments.
Force est de constater que la route sera délicate et méthodique avant que les tribunaux, le législateur puis les praticiens acceptent la vente en ligne de médicaments car la pratique met en exergue la méfiance des juridictions françaises à l’égard du respect du référentiel déontologique sur l’internet (Section 1), mais l’avenir semble promettre d’intéressantes perspectives d’évolution. En effet, les juristes sont habiles lorsqu’il s’agit de repenser la loi et d’adapter ses critères à une évolution accélérée des technologies, lorsque cela s’avère nécessaire. Ainsi, à la lecture de certains arrêts, les juridictions semblent se prononcer pour un assouplissement des exigences relatives à la délivrance des médicaments. L’allègement de l’obligation de conseil sur l’internet en parapharmacie (Section 2) semble être une première étape vers l’acceptation de la vente en ligne de médicaments en droit français.
Section 1. La méfiance des juridictions françaises à l’égard du respect du référentiel déontologique sur l’internet
46- La doctrine majoritaire s’accorde sur un point : la commercialisation de médicaments via l’internet constitue une vente à distance et la Directive 97/ 7/ CE sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance prévoit que les Etats membres puissent interdire sur leur sol la commercialisation par contrat à distance de médicaments pour des raisons d’intérêt général98. Or, le législateur n’a pas souhaité transposer cette disposition à ce jour. Etant donné que les autres dispositions de la Directive précitée ont été transposées, il semble que ce dernier n’ait pas voulu imposer cette interdiction.
Les juges français sont pour leur part sceptiques à l’égard de la cyber- commercialisation de médicaments. Ils exigent que le support de la vente offre davantage de garanties à l’égard du consommateur, afin de pouvoir envisager la mise en place d’obligations spécifiques permettant d’œuvrer dans le respect optimal des conditions de sécurité, qui est indispensable à la préservation de la santé publique. Les arguments avancés ont souvent trait au non-respect de l’obligation de conseil.
47- En tant que vendeur de produits pouvant présenter des dangers pour l’utilisateur, le pharmacien est en effet tenu, outre à l’obligation classique de renseignement qui incombe à tout vendeur, à une obligation d’information sur les précautions nécessaires à une utilisation correcte du médicament, ainsi que sur les risques encourus. L’article R. 5015- 48 du CSP susvisé le rappelle : le pharmacien doit associer à la délivrance de médicaments « la mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage des médicaments ».
Lors de la délivrance du médicament, le pharmacien doit compléter les indications de l’ordonnance et indiquer au patient la meilleure manière d’absorber le médicament, sans se contenter de reproduire la posologie figurant sur l’ordonnance99. Toutefois, il doit se limiter dans son devoir sans aller au delà du conseil, ce qui contreviendrait aux dispositions de l’article R. 5015- 63 dudit Code qui dispose que « le pharmacien doit s’abstenir de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer ».
En ce qui concerne l’automédication, phénomène important100 que l’internet vient banaliser en la rendant plus aisée, il est nécessaire de rappeler que le rôle du pharmacien se voit accru101, en raison des dangers que cette pratique peut engendrer. Il doit inviter le patient à consulter un médecin si cela lui paraît
nécessaire102, sans tomber une fois de plus dans l’excès de son obligation de conseil en se voulant prescripteur d’un médicament, auquel cas il se rendrait coupable d’exercice illégal de la médecine. Cette obligation est à mettre en parallèle avec son droit de refuser la délivrance d’un médicament, corollaire logique à son obligation de contrôle, en cas de doute sur la régularité formelle et technique de la prescription et, plus généralement, « lorsque l’intérêt du patient lui paraît l’exiger »103.
48- Les obligations qui incombent au pharmacien lors de l’acte de dispensation sont nombreuses, et les juges se sont montrés réticents à admettre que l’obligation de conseil puisse être garantie en dehors d’une relation de visu et par des moyens immatériels. C’est ce qui ressort d’une décision de la Cour d’appel de Versailles du 2 décembre 1999104. Les juges ont considéré en l’espèce que la vente sur l’internet de produits parapharmaceutiques, c’est-à-dire essentiellement des produits cosmétiques, des compléments alimentaires, de certains dispositifs médicaux et des médicaments O.T.C105, pouvait déprécier l’image de marque des produits, car le conseil ne peut être de qualité, sans qu’il y ait de contact direct avec la clientèle. En ce sens, la vente sur l’internet de ces produits ne respecte pas, selon la Cour, les objectifs de sécurité, de santé et de mise en valeur des produits ; elle contrevient par là même aux termes du contrat de distribution.
En l’espèce, un pharmacien, Monsieur B., avait conclu avec la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques trois contrats-types rédigés de façon identique l’autorisant à distribuer les produits Avène, Klorane ainsi que Ducray et A-Derma. Aux termes de ces contrats , il s’engageait à « tout faire pour développer les ventes ». Dans ces conditions, il a créé un site internet « paraformplus.com », afin de procéder à la commercialisation desdits produits. Lorsqu’elle a eu écho de la pratique, la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques a saisi le juge des référés pour voir ordonner sous astreinte au pharmacien la cessation de la vente des produits, dès lors « qu’elle contrevenait à l’existence du réseau de distribution sélective et était constitutive d’un acte de concurrence déloyale et parasitaire ». Le fournisseur s’est vu débouté par le juge des référés de toutes ses requêtes, notamment au motif que « ce moyen immatériel s’ajoutent aux modalités traditionnelles mises en place par M. B. dans son officine et conformes aux exigences de la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétiques relatives à la matérialité du lieu de vente ». Mais cette décision a été infirmée par la Cour d’appel de Versailles qui considère, dans le cadre de la commercialisation en ligne, qu’« il est plus patent qu’en l’espèce le site internet « paraformplus.com » tel qu’il a été conçu et mis en œuvre, ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des produits exigés du réseau de distribution sélective mis en place par la S.A.F. Dermo-Cosmétiques, (…), considérant que la commercialisation par l’intermédiaire de ce site nuit à l’ensemble du réseau et déprécie l’image de marque des produits de dermo cosmétiques en général, et des produits distribués sous les marques de la S.P.F. Dermo-Cosmétiques en particulier ; qu’en outre cette dernière ne saurait accepter, sans commettre un acte discriminatoire, que l’un de ses distributeurs agréés, procède, sans agrément, et même sans l’en avertir, à la commercialisation des produits sur un site internet ». Les juges se sont fondés sur des motifs relevant du droit de la distribution pour faire droit à la demande, mais rappellent l’obligation de conseil qui incombe aux distributeurs. Ils soulignent que les obligations des membres du réseau de distribution sélective sont imposées pour entourer l’acte d’achat d’un « environnement inspirant la confiance » et « permettant un contact direct avec la clientèle pour l’informer, la conseiller, lui demander les détails nécessaires pour la renseigner utilement » et que la commercialisation sur l’internet ne permet pas d’obtenir les mêmes résultats ; que les conseils peuvent être données immédiatement mais nécessitent un délai de réponse : « qu’ils ne peuvent être donnés que sur les indications du client sans qu’il soit praticable de demander à ce dernier les précisions nécessaires pour apprécier ses besoins réels »106.
Ainsi, nous pouvons constater que les juridictions se heurtent à la difficile transposition des exigences législatives sur l’internet. Dès lors, elles sont traditionnellement sceptiques à l’égard d’un procédé de vente en ligne de médicaments qui est, à leur sens, susceptible de constituer une menace pour la santé publique. Or, ce mouvement de méfiance semble aujourd’hui laisser place à une démarche de prudence dans l’intégration de l’immatérialité dans nos modes d’échanges commerciaux.
Lire le mémoire complet ==> (La vente de médicaments sur l’internet)
Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels
Université de Toulouse I Sciences sociales
Sommaire :

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94 C’est en ces termes que s’exprime Martine Marchand, médecin généraliste lorsqu’elle réagit à une pétition dont l’ambition était d’empêcher la création d’un dossier médical informatisé : voir l’adresse http://bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=8378, dans la rubrique « commentaires ».
95 «La vie est courte, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement difficile. Il faut non seulement faire soi-même ce qui convient, mais encore faire que le malade, les assistants et les choses extérieures y concourent. »
96 Livre V du CSP (deuxième partie : Décrets en Conseil d’Etat), titre 1er Chapitre II Section II.
97 Voir Revue Prescrire, numéro 234- décembre 2002 : «Conclusion habituelle de l’acte médical et rédaction des conseils thérapeutiques, l’ordonnance termine et prolonge le colloque singulier du médecin avec son malade, en amorce un deuxième qui sera celui du malade ou de son préposé avec le pharmacien, et peut-être un troisième, du pharmacien avec le prescripteur. Elle est donc le point de rencontre du médecin, du pharmacien… et du malade».
98 Voir supra.
99 Voir CA Caen, 15 juillet 1993 retenant la responsabilité du pharmacien pour s’être « contenté de délivrer les remèdes en reproduisant sur les emballages la posologie figurant sur l’ordonnance, ce qui est à la portée de tout épicier sachant lire et écrire, mais tout à fait insuffisant de la part d’un spécialiste de la santé qui a lui aussi tout aussi gravement (que le prescripteur) manqué à son devoir de conseil et à l’obligation de moyen à laquelle auraient dû l’avoir préparé six années d’études spécialisées et quelques de pratique professionnelle ».
100 Droit pharmaceutique, Fasc. 23- 05 n° 2.
101 Article R. 5015- 48 du CSP : le pharmacien « a un devoir particulier de conseil lorsqu’il est amené à délivrer un médicament qui ne requiert pas de prescription médicale ».
102 Article R. 5015- 62 du CSP. La jurisprudence a étendu ce devoir de conseil à la vente de produits à usage vétérinaire. Il a été jugé qu’en vendant un produit qu’il ne pouvait pas vendre sans prescription vétérinaire, qui était dangereux et avait été retiré du marché, puis en privant l’acheteur de conseils éclairés d’un professionnel, le pharmacien avait gravement manqué à son devoir de con
seil et accru par là même la potentialité de risques. En matière de contrôles antidopages le pharmacien est également tenu à un devoir de conseil particulier puisqu’il doit, comme le médecin, indiquer au patient les produits susceptibles de rendre positif un contrôle antidopage.
103 Article R. 5015- 60 du CSP.
104 Cour d’appel de Versailles, 13e chambre, 2 décembre 1999 : Société Pierre Fabre Dermo- Cosmétique et a. c/ Monsieur Alain B.
105 O.T.C. est l’abréviation de l’expression anglaise « Over The Counter » qui signifie « de gré à gré ». Apposé au terme « médicament », il désigne les médicaments en vente libre non soumis à prescription médicale.
106 CA de Versailles, 2 décembre 1999.

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