Obligation de sécurité maritime, privatisation de l’armateur

Obligation de sécurité maritime, privatisation de l’armateur

§ 2) La nouvelle dimension de l’obligation de sécurité maritime favorise la privatisation de l’armateur de la limitation de responsabilité

« La sécurité maritime n’est pas une obligation nouvelle. Le besoin de sécurité a toujours existé; l’assurance maritime en témoigne. La sécurité maritime vise d’abord la sauvegarde du navire, de l’équipage et de la cargaison. Longtemps le risque majeur est venu de la mer qui faisait de l’activité maritime une entreprise hasardeuse.

La fortune de mer restait le risque maritime principal : elle illustrait les dangers propres à l’exploitation d’un navire. Symbole du caractère particulier de l’expédition maritime, la notion de fortune de mer a justifié longtemps le principe de la limitation de responsabilité de l’armateur. La sécurité maritime vise ensuite la sûreté de la navigation.

La mer reste un milieu hostile; les progrès techniques et scientifiques n’ont pas supprimé tout risque de naufrage. Mais de nos jours, les risques majeurs proviennent surtout de la nature de la marchandise transportée et des conditions d’exploitation 170».

La sécurité maritime a pris ces dernières années une dimension nouvelle : elle est devenue l’enjeu majeur de notre époque. Qu’il s’agisse de protéger le navire contre la mer ou la mer contre le navire, la réaction de l’opinion publique des pays industrialisés est la même : l’accident, la «fortune de mer», n’a plus sa place, aux yeux du public, dans le transport maritime171. L’armateur doit avoir su prévoir et prévenir tous les risques, qu’ils visent les passagers, la marchandise ou le navire.

Le Code ISM rend compte de cette évolution. Il a en effet pour but de garantir la sécurité en mer et la prévention des lésions corporelles ou des pertes en vies humaines, empêcher les atteintes à l’environnement, marin notamment.

En effet, face à l’importance du facteur humain en matière de sécurité maritime, il est apparu nécessaire d’élaborer non seulement des réglés techniques destinées à renforcer la sécurité des navires et de la navigation mais également des règles prenant en compte l’aspect humain, longtemps négligé par le législateur maritime. C’est dans ces conditions, mais également dans le souvenir de la catastrophe liée au naufrage «Herald of free Entreprise» en 1987, que le Code ISM (International Safety Management Code) a été adopté en novembre 1993 par l’OMI172.

Intégré dans la Convention SOLAS, il en constitue le chapitre IX. Rendu tout d’abord obligatoire pour les navires à passagers dès le 1er juillet 1996, il concerne tous les navires d’un tonnage supérieur à 500 Tjb depuis le 1er juillet 2002173.

Le Code ISM fixe trois objectifs principaux (offrir des pratiques d’exploitation et un environnement de travail sans danger, établir des mesures de sécurité contre tous les risques identifiés, améliorer constamment les compétences du personnel en matière de gestion de la sécurité) et des moyens pour les réaliser, notamment à travers un système lourd de gestion de la sécurité, à mettre en œuvre par la compagnie de transport maritime.

Principalement, la compagnie doit s’assurer qu’un responsable direct ayant accès au plus haut niveau de la direction est désigné à terre. En outre un système de gestion de la sécurité attesté par un certificat délivré par une société de classification doit garantir que les règles et règlements, codes directives et normes applicables recommandés par l’OMI et les différentes autorités du monde maritime sont pris en considération174. Le système doit être matérialisé par un recueil de procédures dont le nombre peut atteindre 3.000.

Quelle est l’incidence du Code ISM sur l’institution de la limitation de responsabilité de l’armateur et comment ses dispositions seront interprétées par rapport aux éléments de la faute inexcusable ? Le professeur Yves Tassel vient à délimiter la question d’une façon très claire175 : « L’incertitude la plus vive reste posée par l’incidence du code international de gestion de la sécurité maritime (ISM Code). Mon opinion est qu’il pourrait être interprété dans deux directions opposées : soit comme écran pour restreindre la possibilité de « casser» la limitation de responsabilité, soit, au contraire, comme point d’appui pour élever encore plus haut le standard de la sécurité 176».

En effet, le Code ISM est, sans avoir pour objectif d’affecter le régime de la limitation de responsabilité de l’armateur, susceptible d’entraîner des conséquences juridiques remarquables en matière de responsabilité de l’armateur177 du fait qu’il concrétise, notamment à travers les articles 7 et 8, les obligations dont l’entreprise d’armement est tenu178.

Le comportement du propriétaire de navire est apprécié au regard du Code ISM depuis son entrée en vigueur dès lors qu’un accident s’est produit179. Le Code ISM devient la référence et la mesure conformément auxquelles l’attitude de l’armateur sera évaluée (bon « responsable ISM de famille»)180.

Le propriétaire du navire sera donc systématiquement contraint d’apporter la preuve qu’il a bien respecté le Code. La notion de présomption de comportement diligent n’existera plus. Une alternative subsiste : respect ou non respect du Code ISM.

Il appartiendra au propriétaire du navire de prouver que chaque procédure a été respectée181. Or dans bien de cas cette preuve est impossible à faire. Dès lors, le propriétaire du navire risquera d’être systématiquement condamné dans un système qui ressemble fort à une responsabilité objective. L’évolution de la notion de sécurité tend à se traduire par une notion de responsabilité de plus en plus absolue ou objective.

Aussi bien, l’institution de la limitation de réparation du propriétaire de navire risque bien de payer le prix fort de cette évolution182. La prise d’un risque par l’armateur est devenue inadmissible. La preuve du caractère inexcusable de la faute est facilitée : parce que, informé de la question sécuritaire, le dirigeant aurait dû prévoir l’existence du dommage.

Ce code I.S.M. introduit d’ailleurs un autre élément primordial dans la gestion de la sécurité : celui de la prise en compte de l’élément humain car il oblige à sensibiliser le personnel aux risques de la mer, à l’entrainer pour les combattre et à mettre en place des plans permettant de mieux appréhender les situations d’urgence.

Que la jurisprudence maritime soit tentée de qualifier automatiquement de faute inexcusable tout manquement de l’armateur à la sécurité maritime ne saurait dès lors surprendre. Aujourd’hui, il ne suffit plus que l’armateur ait satisfait aux obligations fondamentales de son métier en mettant son navire en état de navigabilité et en le dotant d’un équipage suffisant et compétent. « À l’armement du navire, obligation traditionnelle de l’armateur, la jurisprudence tend à substituer une autre obligation fondamentale : la sécurité maritime qui se traduit, d’une part par la sécurité du navire lui-même et, d’autre part, par les instructions et consignes données à l’équipage et au capitaine pour assurer ladite sécurité.

Seul l’armateur dont le comportement irréprochable favoriserait la sécurité maritime serait donc en droit de limiter sa responsabilité183». Il n’est pas certain que l’armateur ait commis une faute; mais pour les juges du fond, si la conduite de l’armateur n’était pas irréprochable, c’est qu’elle portait atteinte à la sécurité du navire. « En ne rapportant pas la preuve d’avoir respecté les obligations fondamentales de son métier, l’armateur laisse à penser qu’il a conscience que sa conduite n’était pas irréprochable et qu’un dommage pouvait en résulter184 ». Dès que la preuve de la carence de l’armateur aux obligations établies par le Code ISM est rapportée, une présomption de faute inexcusable se produit.

170 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’ à la JPA, 2005, p. 292-313.

171 I. Corbier, ibid. : « la prévention des risques n’est pas encore ancrée dans la mentalité des acteurs du monde maritime : les gens de mer vivent trop souvent avec l’idée de fatalité Mais l’opinion publique ne peut pas admettre aujourd’hui que personne ne soit responsable».

172 Adopté à Londres le 4 novembre 1993, le Code ISM est entré en vigueur en France le 1er juillet 1998 (JO n°291,16 déc. 1998, p. 18902).

173 F-X. Pierronnet , op.cit., p. 356, n0 583 et s.

174 Who will be responsible for carrying out the safety and pollution prevention aspects imposed of the ISM Code ?, étude publiée sur le site personnel de l’auteur (www.isabellecorbier.com), 2002.

175 Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute», DMF 2001, p. 659.

176 V. dans le même sens, E. Somers, « Effects of ISM on the Limitation of Liability : the End or a New Beggining, International Maritime Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition», D. eur. Transp. 1999, p. 41 : Examining the potential effects of the ISM Code on the liability systems in maritime transport, it seems from the beginning that ISM can either work in favour or against the shipowner or carrier.

177 Ph. Delebecque, « Le droit maritime français à l’aube du XXIème siècle», préc., p 944 : « Le code ISM est appelé à renforcer les exigence de sécurité requises des armateurs, à rehausser la diligence que l’on peut attendre d’eux, spécialement au regard de la navigabilité du navire et, par voie de conséquence, à les sensibiliser davantage aux risques qu’ils prennent et encourent dans une expédition maritime».

178 D. Christodoulou, préc.

179 Al. Sheppard – Mandaraka, « The ISM and its effect on shipowners and managers liabilities », Quatrième conférence du droit maritime, organisée par le barreau de Pirée, La responsabilité pour dommage en droit maritime grec et international, Sakkoulas, 200, p. 332: «Undoubtedly the Code will provide a yardstick of conduct against which ths ship owner’s or manager’s performance in operation of ships cas be measured by the very reason tha the Code requires extensive documentation of all incidents anf communications between the designated person and senior management of the repsective companies» et p.336 : Any failings of the system of operations, selection of crew, or management, which render the ship unseaworthy, will now be more apparent from the safety management manuel if the proper documentnation required by the ISM Code is kept».

180 M.-B. Crescenzo-d’Auriac, op. cit., Fasc. 465-30, n0 44 : « Le Code de gestion de la sécurité (ISM), désormais applicable, a le mérite de définir très précisément les différentes consignes de sécurité que l’armateur doit observer et donner à l’équipage et au capitaine : tout manquement de l’armateur à ses obligations en matière de sécurité du navire tend à être considéré par les tribunaux comme une faute inexcusable de l’armateur».

181 Al. Sheppard – Mandakara, ibid., p. 343 : In the light of the ISM Code, however, th person seeking limitation is likely to be questionned wyh he did not make inquieries to ensure that all was in order. Were it to be shown tha he made a decision tu run the risk or and shut his eyes to a means of knowledge staring him in the face by irtue of the ISM Code, which, if used, would have produced a conscious realization tha the kind of losse claimed would probably result, the test of article 4 would be met.

182 M. A. Huybrechts, « The international Safety Management Code from Human Failure to Achievement, International Maritime Conference on International Safety Management Code (ISM) and Maritime Competition», D. eur. Transp., 1999 : The institution of the designed person and the documentation required by the Code will prevent the owner’s defence of not being aware; E. Somers, op.cit.,, : It seems tha exemptions from limitation of liability damage caused through ship operations, might come under fire by not comlying with the requirements of ISM.

183 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» : DMF 2002, p. 403.

184 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», Mélanges P. Bonnassies, éd. Moreux, 2001, p 103 et s.; V. également D. Christodoulou, op. cit.

Selon le Professeur Pierre Bonassies, cette évolution est inéluctable. « l’entrée en vigueur générale du Code ne pourrait qu’inciter les juges, dans leur appréciation du comportement de l’armateur, à se pencher plus encore sur les consignes de sécurité établies par celui-ci, comme elle devrait inciter les armateurs à préciser les consignes à appliquer par leurs équipages dans toutes les situations susceptibles de faire naître un danger pour les tiers185». Par ailleurs, la conception objective que le droit français a de la faute inexcusable pourra demain s’appuyer sur des obligations imposées aux armateurs par le code ISM.

En imposant aux armateurs l’obligation d’établir des consignes pour les principales opérations à bord concernant la sécurité du navire, le Code les oblige en effet à se protéger dans le futur. S’ils ne le font pas, il pourra leur être reproché d’avoir agi témérairement à l’égard de situations dommageables, dont ils auraient dû avoir conscience186.

« La transposition de la définition de la faute inexcusable de l’employeur en matière maritime paraît dès lors plausible : la conjonction chez l’armateur de la connaissance des facteurs de risque – appréciée objectivement par rapport à ce que doit savoir un armateur conscient de ses devoirs et obligations – et de l’absence de mesures pour l’empêcher pourrait devenir la définition de la faute inexcusable personnelle de l’armateur187».

Cette analyse est d’ailleurs partagée par la doctrine allemande qui considère que « il ne fait aucun doute que le Code ISM (…) tout en précisant les obligations de l’armateur, aura pour effet d’accroître le nombre de cas dans lesquels l’article 4 de la Convention de Londres supprime à ce dernier le droit de limiter sa responsabilité188».

Il y a donc un risque de faire sauter aisément tous les verrous de la limitation de réparation. Il existe en outre d’ores et déjà des exemples jurisprudentiels189.

Par ailleurs, la déchéance de l’armateur de son droit à limitation sera plus facile pour une raison supplémentaire. L’article 4 du Code ISM dispose en effet que « tout armateur doit désigner, pour garantir la sécurité de l’exploitation de chaque navire, une ou plusieurs personnes à terre ayant directement accès au plus haut niveau de la direction dont la responsabilité et les pouvoirs consistent notamment à surveiller les aspects de l’exploitation de chaque navire liés à la sécurité et à la prévention de la pollution».

D’où la question de savoir si la faute inexcusable de ce « délégué à la sécurité» va-t-elle rejaillir sur l’armateur, lui interdisant de bénéficier de la limitation ? Le Professeur Pierre Bonassies a répondu à cette question par l’affirmative190. « Et la analyse que, surtout s’il n’appartient pas aux échelons supérieurs de la hiérarchie191, la faute inexcusable commise par le délégué à la sécurité n’affecterait pas la responsabilité de l’armateur ne peut se tenir pour deux raisons : d’une part parce que les rédacteurs du Code ISM ont prévu la désignation d’un délégué chargé d’une mission particulière pour accroître la sécurité de la navigation maritime.

On ne peut donc pas déduire de cette désignation même une protection pour l’armateur, – la personne du délégué à la sécurité venant s’interposer entre l’armateur et la faute inexcusable commise. D’autre part, parce que la thèse ici critiquée aboutit à un paradoxe difficilement acceptable. En effet, la faute du délégué à la sécurité n’engagerait l’armateur que si ce délégué avait été choisi parmi les dirigeants de la compagnie d’armement. Si en revanche, c’est un agent subalterne qui a été choisi, l’armateur ne souffrirait pas de la faute de celui-ci.

En quelque sorte, l’armateur qui, jouant le jeu du Code, aurait désigné un cadre confirmé comme délégué à la sécurité, serait pénalisé par rapport à l’armateur qui, prenant les choses à la légère, aurait confié la mission de délégué au plus jeune de ses collaborateurs.

Il faut donc l’affirmer : une faute inexcusable du délégué à la sécurité doit engager l’armateur, et lui interdire d’invoquer la limitation de responsabilité». On en déduit que, la preuve de la faute inexcusable et notamment de son caractère personnel sera beaucoup plus facile192. Il ne sera plus nécessaire de chercher à identifier l’organe responsable qui a commis la faute inexcusable. Cet organe sera toujours « le délégué de sécurité» dont la faute déteindra sur le droit de l’armateur à limiter sa responsabilité.

Dès lors la multiplication et la complexification des instruments de prévention des accidents à bord de navires débouchent sur l’objectivation de la responsabilité de l’armateur. Non seulement la mise en jeu de la responsabilité de l’armateur sera plus aisée car fondée sur une possible méconnaissance ou inapplication des règles à vocation préventive mais aussi l’armateur se verra plus souvent privé de son droit à limiter le montant de la réparation due en raison, précisément, de cette inobservation des règles précitées susceptibles de constituer une faute inexcusable voire intentionnelle, synonyme de la réparation intégrale193.

Désormais le droit à limitation est exclusivement réservé à l’armateur irréprochable, d’où l’importance des obligations fondamentales de l’armateur tenant à la sécurité du navire194. « Au moment où chacun a conscience de l’impérieuse nécessité de mieux assurer la sécurité de la navigation maritime, notamment en portant attention autant à la compétence des équipages qu’au bon état des navires, il est bon que les tribunaux apportent leur pierre à l’édifice commun en sanctionnant les armateurs qui lancent sur les mers des navires, soit affectés d’un élément évident d’innavigabilité, soit armés par des équipages disparates et, trop souvent, d’une compétence limitée à l’excès195».

185 P. Bonassies, « Notion de faute inexcusable de l’armateur» DMF 2001, p. 981; V. également, I. Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples», DMF 2005, p. 713 : « Que cette évolution trouve un écho sensible auprès des juges n’est pas surprenant. En sanctionnant toute « conduite» jugée fautive de l’armateur, les juges fondent leur décision sur un jugement de valeur».

186 Y. Tassel, op.cit., p. 355 et s.

187 I.Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» publié sur le site personnel de l’avocat, www.isabellecorbier.com de même qu’à la JPA, 2005, p. 292-313.

188 J. Trappe, « La limitation de responsabilité en Allemagne», DMF 2002, p. 1018.

189 CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague « Johanna Hendrika », DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, « Notion de faute inexcusable de l’armateur» et RTD Com. 2002, p.210, obs. Ph. Delebecque; CA Aix-en-Provence, 10 oct. 2001, navire « Multitank Arcadia » : DMF 2002, p. 150, obs. P. Bonassies « Le code ISM et la limitation de responsabilité de l’armateur», arrêt qui a pour autant été censuré provoquant ainsi la vive réaction du Professeur P. Bonassies : Il est malheureux que la Cour de cassation n’ait pas pris conscience du bien fondé de cette contribution. On ne peut que souhaiter que la Cour de Montpellier remette au premier rang les exigences de la sécurité maritime; CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire  »Brescou » : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples».

190 P. Bonassies, « La responsabilité de l’armateur de croisière», préc., p. 93; V. aussi Y. Tassel, « La spécificité du droit maritime», préc.

191 V. ainsi D. Christodoulou, op. cit., p. 17-18.

192 Cf supra p. 103.

193 V. cependant, D. Christodoulou, préc., p. 21 qui attire l’attention sur le fait qu’une telle interprétation des dispositions du Code ISM implique un renversement de la charge de la preuve de la faute inexcusable. Désormais et suivant cette conception du Code ISM la charge de la preuve de la faute inexcusable incombera à l’armateur. Il lui appartiendra de démontrer qu’il a respecté les obligations découlant du Code ISM. S’il n’apporte pas cette preuve, il sera d’emblée privé de son droit à limiter sa responsabilité. Une telle interprétation est contraire à l’esprit et à la lettre non seulement de la Convention de Londres, mais aussi du Code ISM dont l’objectif est de renforcer la sécurité maritime et la prévention des lésions corporelles ou des pertes en vies humaines et d’empêcher les atteintes à l’environnement marin et non pas de réduire le champ d’application de l’institution de la limitation de responsabilité. Conformément à l’esprit du législateur international la règle demeure la limitation de responsabilité. V. dans le même sens A. Vialard, « L’évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation » : DMF 2002, p. 579.: Présomption de faute inexcusable à partir de la non- production de pièce, voilà un saut hardi de la procédure à la psychologie, bien plus audacieux encore que celui qui consiste à parler d’apparence de faute inexcusable. V. également E. Somers, op. cit., p. 42 : Refraining from doing the right thing may lead to a conclusion of willful misconduct (…) The simple absence of the requisite documentation, required by the ISM code, will in itself not suffice to conclude that there is a case of willful misconduct. It will however be a strong argument against the party in default leading to closer invstigation. Cependant la Cour d’appel de Caen a dans l’affaire du navire  »Johanna Hendrika » retenu la faute inexcusable de l’armateur en se fondant entre autres sur son refus de communiquer les documents relatifs à la composition de l’équipage et au respect des consignes de sécurité, demandés par les magistrats (CA Caen, cour de renvoi, 2 oct. 2001, drague « Johanna Hendrika », DMF 2001, p. 981, obs. P. Bonassies, « Notion de faute inexcusable de l’armateur» et RTD Com. 2002, p. 210, obs. Ph. Delebecque; V. aussi Hors série DMF 2001, obs. Pierre Bonassies).

194 E. Somers, op.cit., p.42 : The reputable carrier or shipowner will find in the ISM an appreciated ally to eventually refute presumed fault or neglect. Malafide carriers on the other hand and those that only observe their own substandards with respect t osafety at sea, shall find it increasingly difficult to reverse the presumption of proof.

Toute faute (de l’armateur ou de son capitaine196) portant sur la sécurité du navire se qualifie d’inexcusable197 si bien qu’a été avancée l’idée selon laquelle la faute inexcusable est devenue une simple variante de la faute lourde198.

« Comment ne pas souscrire à cette volonté jurisprudentielle d’inciter à la prévention ?

Éviter les risques – évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités –, les combattre à la source – adapter le travail des hommes, le choix des équipements, des méthodes de travail, tenir compte de l’évolution de la technique –, évaluer les risques pour progresser des activités de prévention destinées à garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité sont des principes généraux de prévention que tout armateur devrait être soucieux de mettre en œuvre. La sauvegarde de la vie humaine en mer n’a pas de prix199».

Mais si tel est le cas, ne serait-il plus conforme à la tendance contemporaine de l’opinion publique exprimée par le truchement de la sévérité de la jurisprudence de substituer à la notion de faute inexcusable celle de la faute lourde ou en tout cas une faute moins caractérisée que la faute inexcusable ? Au lieu de rapprocher la faute inexcusable de la faute lourde et de dégénérer le contenu et la force juridique de la notion de faute inexcusable ne serait-il pas préférable que le législateur international intervienne afin de restituer le bon ordre juridique au respect de l’objectif majeur de la protection de la sécurité maritime ? D’ailleurs, des auteurs savants, le Professeur Pierre Bonassies200 et le Professeur Antoine Vialard201 l’ont déjà proposé202.

195 P. Bonassies et Ch.Scapel, op. cit., p. 288, n0 435.

196 En effet le Code ISM a renforcé non seulement les obligations de l’armateur mais également celles du capitaine pour ce qui est de la sécurité de navigation. L’article 5 intitulé « responsabilités et autorité du capitaine» prévoit que la compagnie devrait définir avec précision et établir par écrit les responsabilités du capitaine et il ajoute : « la compagnie devrait veiller à ce que le système de gestion de la sécurité en vigueur à bord du navire mette expressément l’accent sur l’autorité du capitaine. La compagnie devrait préciser, dans le système de gestion de la sécurité, que l’autorité supérieure appartient au capitaine et qu’il a la responsabilité de prendre des décisions concernant la sécurité et la prévention de la pollution». Se pose en conséquence la question de savoir si le manquement du capitaine à ces obligations peut affecter le droit à limitation de responsabilité de l’armateur. La jurisprudence a répondu par la négative à cette question dans la mesure où la négligence du capitaine ne traduit pas la carence de l’armateur à son obligation de veiller à ce que la sécurité maritime soit respectée de manière absolue (V. CA Montpellier, 4 nov. 2004, navire  »Brescou » : DMF 2005, p. 713, obs. I. Corbier). En revanche toute faute inexcusable de l’armateur est exclue si son choix a porté sur une personne expérimentée et apte à accomplir les services demandés (V. Cass. Com. 4 Oct. 2005, navire  »Laura » : DMF 2006, p.118, rapport G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque). Cela dit, tout dépend des circonstances. Il faut en effet examiner chaque fois si l’armateur avait conscience que sa décision de confier à tel ou tel capitaine (et par extension à tout autre salarié -ainsi le pilote-) la sécurité de son navire pourrait compromettre la sécurité de son navire. A priori, toute faute liée à la sécurité maritime ne peut pas nécessairement être imputée à l’armateur, faute inexcusable personnelle de l’armateur et faute inexcusable personnelle du capitaine sanctionneraient ainsi tout manquement de l’un ou de l’autre à la sécurité maritime (V. I. Corbier, « La faute inexcusable, notion à facettes multiples», DMF 2005, p. 713 et la jurisprudence y citée : Cass. Com., 20mai 1997, drague »Johanna Hendrika », DMF 1997, p. 976 obs. P. Bonassies et RGDA 1997, p. 878, obs. P. Latron; Cass. com., 8 oct. 2003, navire « Multitank Arcadia » , DMF 2003, p. 1057, obs. P. Bonassies « Contrôle disciplinaire par la Cour de cassation de l’appréciation par le juge de la faute inexcusable», décision fortement critiquée par le Professeur Pierre Bonassies au motif qu’elle mésestime les exigences du Code ISM pour un renforcement de la sécurité maritime mais favorablement saluée par l’auteur Isabelle Corbier : « l’armateur et le capitaine ayant des fonctions différentes et par là même des obligations distinctes la faute personnelle commise par le capitaine ne constitue pas la faute personnelle commise par l’armateur lui-même»; CA Douai, 17 oct. 2002, navire  »Vasya Korobko » : DMF 2002, p. 132, obs. A. Vialard ).

197 V. cependant Ph. Delebecque « La faute inescusable en droit maritime francais» JPA 2005, p. 336 : « Il ne faut pas que toute faute de l’armateur soit ipso facto qualifiée d’inexcusable. La transgression d’une mesure de sécurité est certainement une faute. Mais elle ne saurait constituer une faute inexcusable si cette mesure n’est pas imposée par un texte. Ce n’est sans doute pas au juge d’égrener les devoirs dont la violation caractérise la faute inexcusable».

198 A.Vialard, « L’évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation» : DMF 2002, p. 579.

199 I. Corbier, op.cit.; V. néanmoins, E. Somers, op. cit., p. 43 : « On the other hand must avoid that those shipowners that comply best with the requirement to develop, implement, and maintain a written safety management system nad have introduced precedures for reporting and analysing incidents, do not find themselves in a position where this can be unfairly used against them. Indeed, the better these procedures and system are, the more incidents will be reported and analysed. This can create un unfair presumption of having a bad safety record. This can be the objective of the Code ISM since it would definitely encourage not to comply with its provisions in a bonna fide manner and non compliant shipowners would be advantaged».

200 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 304, n0 454 : « À un niveau plus élevé de la critique, on peut hésiter à approuver le législateur d’avoir substitué la faute inexcusable à la faute simple, comme cas de déchéance du droit à limitation. Certes la jurisprudence est devenue trop sévère pour les armateurs. Mais une voie moyenne n’était pas impossible, et par exemple la référence à la faute lourde».

201 A. Vialard, op.cit., p. 579.

202 V. a contrario, Ph. Delebecque,Ph: Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations», DMF 2005, no 5 numéro spécial en l’honneur de Antoine Vialard. : « Il faut défendre le concept de la faute inexcusable et refuser toute assimilation avec celui de la faute lourde. Mieux la notion de faute inexcusable et personnelle, dont parlent les textes mais sur la quelle la jurisprudence passe si souvent, doit-elle être reconnue».

203 Ph. Delebecque, « Droit maritime et régime général des obligations», DMF 2005, no 5 numéro spécial en l’honneur de Antoine Vialard, no 15. V. en même sens, Y. Tassel, « Le dommage élément de la faute», DMF 2001, no 65.

Tel ne semble pas être l’opinion du Professeur Philippe Delebecque ainsi que du Professeur Yves Tassel qui considèrent qu’il faut défendre le concept de la faute inexcusable et refuser toute assimilation avec celui de la faute lourde203.

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