Absence de fraude à la loi, Garantie autonome en droit interne

§2. L’absence de fraude à la loi

Nous observerons tout d’abord, que la théorie classique de la fraude à la loi est a priori inapplicable dans le cadre de la garantie autonome (A), puis nous serons conduit à nous interroger s’il en est de même lorsque la garantie autonome vient se substituer à un cautionnement légal ou judiciaire(B).

A. L’inapplicabilité a priori de la théorie de la fraude à la loi

L’argument tiré d’une fraude à la loi a été invoqué dans le cadre des garanties autonomes de droit interne, souscrites par des personnes physiques non commerçantes, en lieu et place du traditionnel cautionnement. Il a pu être prétendu que cela permettait d’éluder les dispositions protectrices bénéficiant aux cautions, la garantie autonome étant alors l’instrument d’une fraude.
Mais la Cour de Cassation n’a jamais adhéré à ce raisonnement, et considère qu’il n’y a pas fraude à la loi dans une telle hypothèse. Cette position est tout à fait justifiée, en effet, selon M. Vidal, « il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi, à dessein, d’un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif ». Comme l’écrit M. Le Dauphin, la fraude à la loi suppose donc qu’une personne qui tombe sous l’empire d’une règle objectivement applicable crée artificiellement, pour éluder cette règle, les conditions d’application d’une autre règle qui neutralise la précédente. Or, lorsque des contractants conviennent de la conclusion d’une garantie autonome, les dispositions relatives au cautionnement ne leur étaient pas objectivement applicables, de sorte qu’il n’y a pas fraude à la loi à ne pas vouloir que la sûreté personnelle qu’ils ont mis en place soit gouvernée pas ces règles.
Le principe de liberté contractuelle conduit à considérer que les justiciables peuvent choisir le type de sûreté personnelle qui s’adapte le mieux à leurs intérêts, la loi n’ayant pas entendu faire du cautionnement la seule sûreté personnelle possible.
Il n’y a pas non plus lieu de réserver l’utilisation des garanties autonomes à certaines catégories de contractants, les personnes physiques non commerçantes peuvent souscrire en droit interne de telles garanties sans pour autant qu’il y ait une quelconque fraude à la loi. C’est précisément ce qu’a jugé la Cour de Cassation dans son arrêt du 13 décembre 1994, pour réagir à l’encontre de certaines décisions de juridictions du fonds très hostiles à l’égard de ce type de garantie autonome.
Cette sûreté personnelle non accessoire est donc valable en droit interne et ce, quelle que soit la personne qui la souscrit. Toutefois, la question s’avère plus délicate, lorsque c’est la loi qui prescrit la fourniture d’une caution (cautionnement légal) ou lorsqu’elle vient autoriser le juge à exiger un cautionnement (cautionnement judiciaire).

B. La garantie autonome substitut d’un cautionnement légal ou judiciaire

Pour des auteurs de plus en plus nombreux, si la licéité de la garantie autonome ne doit faire aucun doute en droit interne, même lorsque cette garantie est constituée en lieu et place d’un cautionnement, cela doit être réservé au cautionnement conventionnel. C’est-à-dire, comme l’écrit un auteur, « celui qui garantit une obligation qui est elle-même conventionnelle et pour laquelle le créancier est maître des sûretés qu’il entend obtenir ».
Mais en matière de cautionnement légal ou judiciaire, le bénéficiaire de cette sûreté ne pourrait en exiger une autre que celle prévue par le texte. Ainsi, si un cautionnement simple est prévu, le créancier ne peut exiger un cautionnement solidaire, a fortiori, il ne peut pas exiger la fourniture d’une garantie autonome.
C’est ce qui a pu être jugé par la Cour de Cassation à propos de la loi d’ordre public du 16 juillet 1971 relative aux retenues de garantie en matière de marchés de travaux, qui prévoit qu’il est possible d’échapper à cette retenue de garantie au profit du maître de l’ouvrage en lui substituant un cautionnement. Néanmoins, la Haute Cour a par la suite pu ajouter, que cette loi n’interdit pas qu’un établissement financier consente une garantie autonome, sans lien avec l’exécution des travaux et ne venant pas se substituer à la retenue de garantie.
Pour certains auteurs, il devrait en aller de même en matière de crédit à la consommation où les dispositions du Code de la consommation issues de la loi « Neiertz » du 31 décembre 1989, prescrivent un formalisme particulier, à peine de nullité, pour les cautionnements couvrant ce type d’opérations. Pour ces auteurs, le dispositif protecteur de la caution ne doit pas pouvoir être éludé par un simple recours à une garantie autonome.
Mais cette position ne fait pas forcément l’unanimité. Il est possible de faire valoir, qu’en matière de crédit à la consommation, recourir à une garantie autonome n’est pas constitutif d’une fraude, mais d’une habileté. Certains auteurs considèrent donc qu’une garantie autonome peut valablement, venir couvrir un crédit à la consommation.
Dans le même sens, nous allons maintenant observer, qu’à l’origine, la garantie autonome constitue indiscutablement un contrat innomé. Or la théorie de l’innomé, lorsque le contrat est véritablement autonome par rapport aux contrats voisins, « permet d’échapper à des règles impératives, sans qu’il y ait de ce fait la moindre fraude, mais simplement un résultat de l’habileté » .
Les règles propres au cautionnement ne sont pas applicables car elles supposent l’existence d’éléments qui ne sont pas réunis. Aussi, sommes nous conduits à considérer qu’en matière de crédit à la consommation, si le législateur a entendu réglementer strictement le cautionnement, il n’a pas pour autant eu la volonté d’empêcher l’éclosion de nouveaux contrats innomés telle la garantie autonome. Cette nature originairement innomée de la garantie autonome, va permettre de révéler les éléments de qualification de cette convention, c’est-à-dire ses critères de qualification.

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Université Jean Moulin Lyon 3
Mémoire D.E.A Droit Privé Fondamental

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Voir en ce sens, l’arrêt ; Cass.com 13 dèc.1994, D. 1995, jurisprudence page 209, avec le rapport du conseiller référendaire M. Henri LE DAUPHIN et la note de L.AYNES.
Cité par MM. GHESTIN et GOUBEAUX et Mme FABRE-MAGNAN, Traité de droit civil, Introduction générale, LGDJ, 4eme éd., n°816.
H. LE DAUPHIN, rapport prèc. page 211.
Pour une opinion contraire, voir, Ph. DELEBECQUE, Les garanties autonomes en droit interne, Bull Joly, avril 1992 page 374 et s ( page 608 sur ce point), pour cet auteur, il y aurait place pour l’annulation de certaines garanties autonomes en droit interne sur le fondement d’une atteinte à l’ordre public ou d’une fraude à la loi.
Voir par exemple, J. TERRAY, art. prèc. n°7, qui proposait de réserver la garantie autonome aux cas ou le garant est une banque et le donneur d’ordres un professionnel, pour qu’elle retrouve sa vocation première, c’est-à-dire faciliter les échanges commerciaux.
Déjà, CA Paris 5eme Ch., 12 fèv. 1992, D. 1993, IR, page 121 ;voir aussi ; CA Reims 30 nov 1995, Juris –Data n° 052007, qui considère que les garanties autonomes sont en principe valables en droit interne faute de contrariété à une règle d’ordre public, et qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’interdire tel type de contrat à telle catégorie de sujets de droits.
A titre d’exemples, voir notamment ; CA Paris, 27 juin 1990, Defresnois 1990, art.34917 page 1349 note Aynès, qui annule une garantie autonome souscrite par une personne physique pour dol, l’élément central de ce dol étant le caractère inusité de cette forme de garantie pour le genre d’opération en question ; voir aussi, CA Paris 26 janv 1993, D. 1993, inf rap page 93, qui énonce que constituent des cautionnements et non des garanties autonomes, les engagements souscrits par des personnes physiques « quelle que soit la qualification donnée par le créancier dans les documents soumis à l’adhésion des obligés » ; Voir infra, page 115, pour plus de détails.
Ph. SIMLER, op.cit., n°922
Il est possible d’échapper à cette retenue en fournissant au maître de l’ouvrage, pour un montant égal, « une caution personnelle et financière émanant d’un établissement financier » (art. 1er ). L’article 3 de cette loi prévoit que les arrangements ou clauses qui auraient pour effet de faire échec à ces dispositions sont nuls et de nul effet. Aussi, il a été jugé sur la base de ces textes que le maître de l’ouvrage ne peut exiger la fourniture d’une garantie autonome ; voir notamment, CA Rouen, 2 février. 1984, RJ com.1984 page 289, note Deleau-Deshayes ; Cass com, 11 dèc. 1985, Bull Civ, IV n°293, Gaz Pal. 1986, 2, pan.jurisp. page 68.
Voir, Cass. civ.3, 27 septembre 2000, RJDA 2/01 n°233, qui casse l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande en paiement du bénéficiaire au motif que la garantie de substitution est un cautionnement et qu’il n’est pas établi que le créancier soit fondé à réclamer le montant de cette garantie de substitution. La Cour de Cassation censure cette décision, en considérant que l’engagement litigieux est une garantie autonome et non un cautionnement ayant vocation à se substituer à la retenue de garantie. Cet arrêt n’est pas en contradiction avec la jurisprudence précédente ni même avec les termes de la loi, puisque l’engagement en cause, se bornait à une référence à la commande sans spécifier que la garantie était donnée en substitution de la retenue de garantie, aussi l’engagement se trouvait en dehors du champ d’application de la loi du 16 juillet 1971, sans qu’il n’y ait là une quelconque fraude à la loi.
Voir, T. HASSLER, note sous CA Paris, 27 juin 1990, JCP ed E, II, 118-119, pour qui, dans une telle hypothèse les éléments de la fraude à la loi sont réunis ; DELEBECQUE, art.prèc.n°7 page 374 ; Ph. SIMLER, op.cit., n°922 ; J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettres d’intention et garanties indépendantes, Petites Affiches 3 juillet 1991page 32.
Cf ; GHESTIN et GOUBEAUX, Traité de droit civil, Introduction, 2e éd., n°754, ces auteurs opposent la fraude qui consiste à éluder une règle dont les conditions d’application sont réunies, et l’habileté, qui se réduit au fait de se placer en dehors de ces conditions.
Voir notamment ; L. AYNES, note sous Cass.com. 10 janvier 1995, D. 1995, jurisprudence page 201 et s. (page 202) ; L. LEVENEUR, Contrats, conc., consom., mars 1991, n°51 ; N. MONACHON DUCHENE, art. prèc, beaucoup plus indécis, une garantie autonome serait possible en la matière si le garant était aussi bien informé qu’une caution, tout dépendrait de la rédaction de l’acte de garantie.
Voir l’arrêt du 27 septembre 2000 prèc., sur les retenues de garantie en matière de marchés de travaux, il semble que le même raisonnement puisse être mené dans le cadre des garanties de crédit à la consommation.
F. TERRE, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, Thèse Paris 1957, n°563. Sur l’utilité de l’innomé pour échapper aux dispositions d’ordre public régissant un contrat nommé, voir aussi, D. GRILLET-PONTON, thèse prèc. n°286, MM. GHESTIN, JAMIN et BILLIAU, op.cit. n°106.

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La qualification de garantie autonome
Université 🏫: Université Jean Moulin Lyon 3 - Mémoire D.E.A Droit Privé Fondamental
Auteur·trice·s 🎓:

Sous la direction de Madame le Professeur S. PORCHY-SIMON
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