Les Remesas ne se destinent pas à l’investissement

2.2 – Les Remesas ne se destinent pas à l’investissement

La question de l’investissement des remesas est souvent centrale dans le débat qui mêle « remesas et développement local ». C’est ainsi que de nombreuses études ont été menées pour tenter de comprendre qu’elles étaient les utilisations faites par les familles de tout cet argent envoyé.

La plupart des études s’accordent à dire que les remesas se destinent à 90% à la consommation courante. Ce qui laisse 10% dans lequel, la construction de maisons occupe une place importante, puis vient l’épargne et l’investissement productif. Par investissement, on entend, la transformation des remesas, en une activité productive et lucrative, indépendante de la migration.

Cette conception du « bon » usage des remesas résonne comme un idéal normatif qui est, en réalité, totalement éloigné des pratiques des populations. Cet idéal normatif de l’investissement correspond à un modèle économique clairement capitaliste, basé sur l’idée d’une multiplication de son capital. Cette notion appartient peu à leur propre représentation de leur système économique.

L’épargne constituée est là en cas de nécessité (consommation, santé, habitat…), elle n’apparaît pas comme un moyen de créer de la richesse. De plus, lorsqu’ils ont la capacité financière de pouvoir créer, ils s’aventurent rarement dans des entreprises risquées. Cette observation se retrouve de manière courante chez les populations pauvres ou « anciennement pauvres ». Comme le précise Jean-Michel Servet, « les plus pauvres se concentrent sur des activités moins spéculatives.

Présentant moins de risques, celles-ci offre aussi moins d’opportunités de gains élevés, ce qui rend plus difficile pour eux d’échapper à la pauvreté. » (Servet, 2006, p.53) Il est donc nécessaire, dans cette compréhension culturelle de l’investissement, de faire le lien entre le passé et les comportements présents.

L’observation faite dans les deux communautés étudiées démontre que l’investissement en une activité productive et lucrative est rare. Nous l’avons vu, le migrant qui provient d’une communauté rurale doit généralement faire face à de lourdes contraintes structurelles. Dans cet environnement, pour les familles transnationales, investir n’est pas la priorité.

La consommation courante et l’habitat apparaissent comme prioritaires pour ces familles. La construction de la maison peut être une étape plus ou moins longue pour le migrant suivant sa situation dans le pays d’origine et le pays d’émigration. Selon, si la personne doit acheter un terrain, construire la maison ou rénover ce qu’il possède déjà, les sommes nécessaires sont très variables.

Dans le cas de San Agustín Loxicha, où les migrants ne réalisent en général qu’un seul voyage, il est plus difficile d’arriver jusqu’à la question de l’investissement. Les montants envoyés, en général assez faibles et irréguliers doivent aussi faire vivre la famille.

Dans cette localité, si beaucoup partent avec l’objectif d’améliorer leur habitat, pas tous n’y parviennent. Ceux qui ont réussi à accomplir leurs projets, sont ceux qui partaient avec un avantage : soit ils avaient hérité d’un terrain, d’une maison, soit l’épouse travaillait et l’argent envoyé pouvait être entièrement économisé. Ces éléments font une différence fondamentale pour les migrants.

A Totolapa, la question du « retour » et de l’investissement productif se pose en d’autres termes. Là-bas, les allers-retours sont fréquents. Un homme sur le départ est pratiquement sûr d’arriver à ses fins. Il sait que la première fois, il ne rentrera pas tant qu’il n’aura pas réuni l’argent nécessaire pour la maison et parfois même pour le mariage.

Dès lors qu’il parvient à son objectif, son prochain voyage vers les Etats-Unis peut, potentiellement, l’amener à réfléchir à un investissement durable et productif qui lui permettrait de s’installer dans son village définitivement. Mais généralement, l’épargne que le migrant réussit à constituer lui permet de vivre un temps à Totolapa et, une fois la bourse vide, il décide de repartir.

Les Remesas

Reina est épouse d’un jeune homme d’une trentaine d’années qui a fait de nombreux allers-retours. D’abord en tant que célibataire et maintenant en tant que mari.

Il part en général entre 1 et 3 ans et revient pour moins d’une année. Il y quelques temps, il a acheté un petit commerce à sa femme, une papeterie. Mais, cette activité n’est pas indépendante des remesas dans la mesure où c’est avec l’argent que son mari lui envoie qu’elle achète son stock. Parfois, le risque est aussi pour le mari d’être trop habitué à sa vie de là-bas pour pouvoir revenir définitivement.

« Quand il revient, il ne veut rien faire, pas travailler, rien. C’est comme des vacances. C’est qu’il travaille beaucoup là-bas et ensuite il dit qu’il ne veut pas travailler pour 100 pesos la journée. Dans ce cas-là il ne préfère rien faire. Il revient en décembre et il va rester environ 8 mois… mais après il va sûrement partir de nouveau… »

De manière générale, les migrants qui parviennent à créer un négoce lucratif et totalement indépendant des remesas sont rares. Certains chercheurs évoquent le frein culturel ou le manque de culture entrepreneuriale de la part des migrants et de leurs familles.

Une étude réalisée au Pakistan sur l’utilisation des remesas s’interroge sur la faible proportion de cet argent dédicacée à l’investissement productif malgré des incitations gouvernementales intéressantes.

Leurs conclusions montrent qu’en réalité, ce qui détermine le plus l’investissement des remesas se trouve dans l’expérience de la famille, ou de l’un de ses membres, dans des activités entrepreneuriales et, si le chef de famille avait connaissance des opportunités d’investissement possibles. (Sofranko et Idris, 1999 citée par Lozano Ascencio, 2000, p10)

Cette expérience pakistanaise renvoie à une observation faite lors des entretiens. La plupart des anciens migrants avouaient ne pas savoir ce qu’ils allaient faire avec l’argent économisé. Ils n’avaient pas de projet précis en partant. En général l’idée venait une fois là-bas ou bien lors de leur retour au village, et, au final, le projet répondait souvent à un mimétisme fort.

Face à cette situation, les organismes de microfinance présents dans les communautés transnationales se trouvent confrontés à de nouvelles problématiques. Dans le cas des communautés étudiées, chacune des IMF a dû s’adapter à l’environnement changeant. La migration a été l’une de ses variables.

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