Effets des particularités du produit touristique

3. Effets des particularités du produit touristique

3.1. Formation des prix

Pendant longtemps, la formation des prix concernant les différentes activités touristiques n’a pu suivre librement, en fonction de l’offre et de la demande, la loi du Marché. Le monopole de compagnies aériennes difficile à casser et la longue période de réglementation des prix ou au moins de liberté surveillée qui a été celle de la France depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au 1er janvier 1987 en sont les meilleurs exemples.

Aujourd’hui, la situation est différente puisque les prix sont à nouveau libres en France et la déréglementation progressive du transport aérien initiée aux Etats-Unis et en marche dans le cadre de l’Union Européenne, laissent augurer d’une plus grande concurrence par les prix.

Cependant, du fait même des particularités du produit touristique déjà exposées, la formation des prix reste difficile à cerner. Nous avons ainsi déjà constaté que du fait de l’inélasticité, de la non stockabilité de certains éléments constituant un produit, comme les places d’avion, les offreurs sont amenés à mettre en oeuvre des stratégies de « liquidation de stock » en baissant les prix des places à la dernière minute.

Certaines compagnies aériennes ont en effet affiné cette stratégie en créant les procédures de « stand by », autrement dit elles vendent des places à moitié prix deux heures avant le départ de l’avion. Ainsi, le client qui n’aura pas réservé sa place d’avion disposera des mêmes caractéristiques de confort, de temps de trajet et d’accueil, que celui qui aura réservé mais à un prix inférieur ; pour en profiter, le public doit évidemment accepter le risque de ne pas partir.

Les variations saisonnières constituent un autre élément perturbateur pour un produit, même apparemment homogène (nous reviendrons plus en détail sur cette notion d’homogénéité).

La politique en usage consiste à baisser les prix en « basse saison » de façon à inciter une partie du public à modifier ses habitudes de voyage pour profiter d’une bonne « affaire », par exemple prendre ses vacances en juin.

C’est en fait la stratégie de soldes adaptée au tourisme. Combinant prix saisonniers et stand by, cette méthode de vente appelée « yield-management », se développe actuellement dans l’hôtellerie d’affaire, spécialement dans les grandes villes. Baisser les prix dès qu’il y a une baisse de fréquentation et rester inflexible lorsque la demande est forte, abouti à voir des hôtels de luxe de grandes villes vendre leurs chambres à 50% de leur prix en week-end ou pendant certaines périodes creuses.

Les prix peuvent aussi varier d’un jour à l’autre sans préavis selon le remplissage, par exemple en cas d’annulation d’un groupe quatre ou cinq jours avant. On voit aussi des tours operators solder des circuits quelques jours avant le départ.

Cette stratégie risque toutefois de se heurter au problème du mélange de clientèle : ceux qui ont payé le prix maximum accepteront-ils de voir d’autres personnes bénéficier du même produit à moitié prix ?

L’immatérialité du produit touristique provoque des distorsions de prix bien plus flagrantes encore, même si l’on a visiblement cherché à les limiter notamment par l’attribution d’étoiles ayant pour but de différencier par la qualité deux produits à finalités identiques.

En effet, si une nuitée est un élément bien déterminé dont chacun se fait, au départ, la même idée, nombre d’éléments complémentaires à l’offre initiale viennent souvent provoquer une différence de prix.

Ces accessoires sont plus ou moins liés au produit demandé; la taille du lit, la souplesse du matelas auront un effet direct sur le confort et donc sur la qualité de la nuitée elle même, tandis que la possibilité de prendre son petit déjeuner sur place (dans l’hôtel) n’aura aucun effet sur la nuitée mais présentera tout de même un intérêt supplémentaire indéniable pour le client.

Dans un hôtel restaurant, il semblerait qu’il existe une corrélation entre le prix des repas et celui des chambres, et ce rapport est évolutif : si l’on consulte des guides touristiques d’avant 1914, on constate que le prix du dîner était plus ou moins équivalent à celui de la chambre ; actuellement, le prix de la chambre est environ quatre fois supérieur au prix du repas.

Si l’on peut se faire, de par la classification établie par le nombre d’étoiles accordées, une idée de la qualité du service et des accessoires proposés par tel ou tel hôtel, cela ne suffit toutefois pas à se faire une idée précise du prix que l’on devra payer. D’autres éléments totalement immatériels vont eux aussi faire varier les prix entre deux hôtels disposant pourtant d’un même nombre d’étoiles et des mêmes quantité et qualité de confort et de prestations diverses.

L’emplacement joue un rôle important, la proximité du centre ville ou de la gare est essentielle dans l’établissement du prix de la nuitée ; mais plus surprenant encore, dans un même hôtel, deux chambres totalement identiques mais donnant sur deux directions opposées n’auront pas la même valeur, la mieux exposée (du point de vue de l’ensoleillement par exemple, ou de la vue : l’une donnant sur la mer, l’autre sur un parking.) coûtera plus cher.

Certaines stratégies mercatiques ont également une grande importance et touchent tous les acteurs du tourisme, hôteliers, restaurateurs, agents de voyages, elles résident dans les buts idéologiques des dirigeants, le choix par certains d’entre eux d’une clientèle de masse les conduit à pratiquer des prix peu élevés ; d’autres préfèrent une clientèle plus sélectionnée et le prix est alors considéré comme un filtre, le produit ne peut être fabriqué en grande quantité si on veut le positionner comme produit de luxe.

A toutes ces difficultés s’ajoute un comportement très particulier de la demande en ce qui concerne l’estimation du prix d’un produit : la notion de « juste prix » ou capacité de paiement psychologique.

Chacun selon son expérience, ses moyens, son éducation, se fait une idée de ce que doivent coûter les choses et établit également implicitement, dans un restaurant par exemple, un rapport qualité-prix ; établit aussi une limite supérieure de prix au-delà de laquelle il n’ira pas, cette limite bien sûr n’étant pas la même pour celui qui gagne le smic ou pour le touriste plus fortuné.

Ainsi, un produit ayant un prix « normal », peut apparaître à la fois trop cher, et faire chuter la demande, ou trop bon marché, et là encore faire chuter la demande puisqu’il se dévalorise.

Cette notion de prix psychologique est donc très difficile à cerner d’autant qu’elle est évolutive ; on accepte aujourd’hui de payer une chambre d’hôtel beaucoup plus cher qu’il y a trente ans.

C’est donc en fonction de toutes ces spécificités et dans ce climat particulier que s’effectue la formation des prix et que doit s’instaurer la concurrence dans le tourisme.

3.2. Concurrence

« Le tourisme, comme les autres secteurs d’activité, ne remplit pas dans notre monde les conditions de concurrence parfaite et certaines caractéristiques qui lui sont propres le démarquent à cet égard des autres secteurs » (Durand, Gouirand, Spindler, 1994).

La concurrence parfaite est un modèle dans lequel les prix s’imposent aux acheteurs comme aux vendeurs, sans que ceux-ci puissent les modifier. Cette hypothèse a toujours fasciné de nombreux économistes, car c’est une des conditions pour que l’équilibre économique général soit un optimum au sens de Pareto.

Cela implique quatre conditions, que l’on présentera succinctement, permettant de garantir « l’isolement stratégique » des agents présents sur le Marché, il n’existe donc aucune interaction consciente entre les choix décidés par ceux-ci.

La première condition veut que le nombre de vendeurs et d’acheteurs sur le marché soit très élevé, c’est l’atomicité. Ainsi, chacun d’eux ne peut envisager d’influencer le prix auquel l’échange se fera. La seconde, parfois appelée fluidité, impose l’absence de barrière à l’entrée de candidats acheteurs ou vendeurs ; ainsi, le nombre d’opérateurs peut augmenter aussi longtemps qu’un vendeur ou acheteur potentiel trouve avantage à devenir acteur. La troisième concerne l’homogénéité du bien échangé.

Les biens étant par ce principe totalement substituables, les échanges se réalisent au même prix. Sans cela, les acheteurs indifférents entre les produits proposés, seraient tentés d’acheter au prix le plus bas, obligeant une baisse de prix générale. La dernière condition, la transparence, repose sur l’information parfaite des agents concernant la distribution des prix pratiqués.

Ainsi, la cohabitation de plusieurs prix différents est impossible : si tous les prix n’étaient pas égaux, l’information parfaite conduirait tous les acheteurs à s’adresser au vendeur pratiquant le prix le plus faible ; les concurrents seraient alors contraints à aligner leurs prix sur celui-ci.

3.2.1. L’atomicité

« Chaque agent participant à l’échange est une goutte d’eau dans la mer, en ce sens que le nombre de vendeurs et d’acheteurs présents sur le marché est tel qu’aucun d’eux ne peut à lui seul influencer le prix en modifiant son offre ou sa demande individuelle. Il en découle que les offreurs et les demandeurs sont censés se comporter comme si les prix étaient donnés » (Jacquemin, Tulkens, 1986).

Cette condition est sans doute plus réelle dans le secteur touristique que dans beaucoup d’autres secteurs, car le développement des chaînes hôtelières et des grands tours operators ne doit pas faire oublier l’émiettement de l’hôtellerie-restauration à caractère artisanal voire familial, et le nombre de salariés réduit de la majorité des unités.

Sans doute dans les transports, quelques grands dominent le marché qui est un marché oligopolistique, mais que de professions touristiques, plagistes, loueurs de pédalos, et autre, à la taille tout à fait limitée.

La tendance est cependant vers une plus grande concentration, les chaînes par exemple faisant maintenant concurrence même à la petite hôtellerie avec la création des chaînes 1 étoile comme Formule 1 du groupe Accor. Il existe aussi des ententes sous l’égide d’associations, de syndicats, d’offices du tourisme.

Par contre, les autres conditions de la concurrence parfaite : fluidité, transparence, homogénéité, sont souvent moins respectées dans le tourisme qu’ailleurs :

3.2.2. La fluidité

Les économistes expliquent la nécessité de cette condition de la façon suivante : aussi longtemps qu’il existe une possibilité de réaliser un profit en entrant dans une industrie, des entreprises nouvelles viendront s’y installer afin de tirer partie de ce trésor insuffisamment exploité.

L’offre de ces firmes nouvelles viendra s’ajouter à celle des anciennes, augmentant ainsi l’offre totale et faisant chuter le prix d’équilibre : toutes les entreprises du secteur verront alors leurs profits diminuer.

Le scénario d’entrée se poursuivra aussi longtemps que la recette des entreprises installées excédera leur coût de production. Arrivera cependant le moment où, en raison de l’existence des coûts fixes, le prix de vente ne sera plus assez élevé pour garantir la rentabilité de la dernière entreprise installée.

Là, le scénario d’entrée s’interrompt car toute entrée nouvelle conduirait à des pertes pour l’entreprise qui la tenterait. Dans la mesure où le nombre d’entreprises conduisant à l’équilibre après ce processus d’entrée est suffisamment grand, l’hypothèse d’atomicité de l’offre peut alors être satisfaite.

Dans le cadre du tourisme international, la fluidité est loin d’être la règle quant à la circulation des personnes, (encore que des progrès considérables aient été réalisés récemment), mais surtout quant à la circulation des capitaux avec la réglementation des changes, encore en vigueur dans de nombreux pays, sans oublier la nécessité d’obtenir un visa et même l’instauration de visas (abolis depuis longtemps pourtant dans de nombreux pays) par exemple en France à la fin de 1986 en raison des attentats terroristes.

Cette fluidité est donc contrastée suivant les périodes, mais sur le long terme, du moins dans les pays développés, elle a fait incontestablement de réels progrès.

3.2.3. L’homogénéité

La présentation de cette condition est très importante pour la suite de cette étude, les particularités du produit touristique relatives à cette hypothèse auront, comme nous le verrons, des conséquences énormes sur le choix du consommateur, donc sur le comportement de la demande, et donc sur les stratégies à mettre en oeuvre pour contenter cette dernière.

« Sur chaque marché, les produits offerts par les nombreux vendeurs doivent être considérés comme identiques par les acheteurs » (Durand, Gouirand, Spindler, 1994) et cela pour les raisons suivantes : le choix d’un consommateur porte sur des paniers de biens.

Ces derniers étant classés par le consommateur selon sa relation de préférence, il peut donc regrouper ceux qu’il considère comme équivalents (lui procurant la même utilité ou lui apportant la même satisfaction). Les ensembles ainsi obtenus sont appelés classes d’équivalence.

Cette condition est complètement irréalisable, étant données les composantes multiples du produit touristique, ou plutôt des produits touristiques. Il est pratiquement impossible de produire des services touristiques identiques.

Une différence de qualité peut toujours exister, même si la nature des prestations offertes reste constante. Cette hétérogénéité rend possible une certaine « substituabilité » entre les différents sous-produits touristiques.

Là, le service touristique produit n’est plus exactement le même. Nous l’avons vu, il peut différer dans un hôtel donné ou dans des hôtels de même catégorie, rappelons qu’une même chambre peut être différente par son mobilier, son exposition, par le point de vue ; la proximité ou l’éloignement de l’hôtel par rapport au centre ville, ou à un site touristique, peut transformer les caractéristiques du produit, tel qu’il est ressenti par la clientèle. On est loin de produits similaires donc comparables.

Si le prix peut être un élément de décision lorsque l’on souhaite prendre un repas dans un « fast food », ou loger dans un hôtel 2 étoiles, qu’en est-il des destinations proposées par les tours operators, destinations parfois inconnues sur le plan géographique avec proposition de prestations difficiles à comparer avant le voyage ? Les bas prix de Nouvelles Frontières sont-ils vraiment plus intéressants pour une destination donnée que ceux de Kuoni, beaucoup plus élevés ? Le choix du consommateur est d’autant plus difficile que le producteur, quel qu’il soit, s’efforce de rechercher une différenciation ne permettant pas une véritable comparaison.

C’est ainsi que l’hôtelier trouve des procédés allant jusqu’au gadget pour apparaître comme ne vendant pas un produit banal, ce qui lui permet d’en tirer un meilleur prix. C’est d’ailleurs un réflexe bien connu également dans les pays de contrôle des prix, pour rendre ce contrôle moins contraignant (Ex-URSS).

3.2.4. La transparence

La complexité de la formation des prix dans le tourisme, que nous avons déjà constatée, est suffisante pour que l’on puisse imaginer l’impossibilité, autant pour le vendeur que pour l’acheteur, d’être « parfaitement informé » sur les prix du marché.

La transparence est d’autant moins facile à réaliser qu’il s’agit d’une activité internationale. L’information du touriste laisse beaucoup à désirer d’autant que, il faut le répéter une fois de plus, les comparaisons sont hasardeuses, se fondant sur des critères de mesure ou de délimitation d’activités différentes.

Les prix doivent s’analyser compte tenu du taux de change, mais ils sont mal connus, à part quelques-uns d’entre eux qui peuvent peser sur la décision, comme le prix de l’essence pour le voyageur circulant en voiture ; n’est-ce pas cette constatation qui a conduit un certain nombre de pays à instaurer des bons d’essence à plus bas prix ? Le bouche à oreille remplace souvent la transparence.

Les différences de prix dans l’espace se doublent de différences de prix dans le temps qui peuvent être considérables, étant donné le caractère saisonnier de la production touristique (ils peuvent aller du simple au double).

Un autre élément de non transparence est la politique des ristournes et commissions. Commercialement, il peut être avantageux d’afficher des prix élevés et de consentir de nombreuses ristournes (longs séjours, familles, groupes, congrès, etc.) ou d’accorder à des intermédiaires (agents de voyages, tours-operators…) des commissions importantes.

Ainsi, le produit est catalogué produit de luxe mais, par le jeu des ristournes que l’on peut toujours supprimer, on a accès à des clientèles de gammes moyennes ou on motive mieux les intermédiaires : c’est ce que pratiquent certains groupes hôteliers comme Concorde, Méridien ; à l’inverse, dans le groupe Accor, en général, on applique une politique de prix très étudié et on s’y tient très fermement, réduisant au minimum les commissions ou ristournes.

Conclusion

Tous ces développements montrent qu’il n’est pas choquant de parler d’économie du tourisme puisque c’est avec des termes économiques qu’on explique son fonctionnement (industrie, agrégats, multiplicateur, etc.).

Nous verrons par la suite, lors de la conception d’un « modèle » de développement basé sur le tourisme, que tous ces phénomènes liés à cette activité bien particulière auront une importance capitale.

En effet, nous verrons par exemple qu’un produit touristique, du fait qu’il regroupe trois éléments distincts, engendrera chez le consommateur un comportement tout à fait spécifique. L’analyse de la demande touristique fera l’objet d’une phase essentielle de l’élaboration du « modèle » proposé dans cette recherche.

Il est tout aussi important de s’intéresser aux acteurs, ceux qui agissent sur l’offre touristique, ceux qui régissent l’activité. C’est ce que nous faisons dans la section suivante.

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Tourisme et Développement Régional
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