La Une des sites pure player, L’omniprésence de l’image

La Une des sites pure player, L’omniprésence de l’image

b) La « Une » des sites pure player: info multimédia, instantanéité et construction d’une image de marque

Dans son étude socio-sémiologique sur le discours du journalisme, Roselyne Ringoot confère un rôle clé à la Une d’un journal dans la définition du discours éditorial d’un journal.

La chercheuse y voit « une fonction d’interface qui s’apparente à un rituel d’ouverture, de prise de contact avec le lecteur »[1].

Ainsi, l’étude de la Une permettrait de mettre en évidence le contrat de lecture que les éditeurs souhaitent instaurer avec leur auditoire. La « Une » serait aussi l’espace de construction de l’image de marque du média, une construction décisive pour que les lecteurs d’un journal puissent reconnaître et se fier à un titre de presse.

Est-ce le cas pour un site Internet ? Fragmentation de l’audience drainée en majorité par les moteurs de recherches, diversification des lieux de visibilité du site, de Facebook à Twitter, le contrat de lecture entre un site Internet et son public a évolué par rapport à l’analyse du discours des journaux. Pourtant, développer une marque reconnaissable, instaurer une communauté autour d’un titre restent des enjeux majeurs pour l’avenir des pure players.

A l’ère du « digital me »[2] où les internautes demandent de plus en plus aux médias d’être des prestataires de service en-dehors de leur site, construire une image de marque exportable sur la toile est un enjeu au moins aussi déterminant qu’à l’ère de la presse papier.

Mais les exigences et les contraintes liées au support et à la consommation des internautes impliquent de repenser l’interface entre l’information et le lecteur sur le Web. Nous allons donc nous arrêter dans cette partie sur les choix éditoriaux effectués par les trois pure players par rapport à cet impératif de changement de relation au lecteur, et nous les utiliserons pour comprendre les discours éditoriaux de chaque site, leur degrés d’adaptation à la doxa de l’information participative et à celle du journalisme de lien.

L’omniprésence de l’image sublime-t-elle ou remplace-t-elle l’écrit ?

Sur Slate.fr, la place attribuée à l’image est fondamentale. Celle de l’article temporairement placé en Une remplit à elle seule 40% de l’écran[3]. En dessous, trois vignettes signalent les autres principaux titres développés par la rédaction.

Le choix des illustrations répond à un double objectif d’esthétique et de signification. Le couple image-titre doit suffire à intéresser le lecteur: tant l’image que le choix du titre qui l’accompagne doivent être pertinents, à la fois informatifs et incitatifs. Rue 89 a aussi choisi le visuel comme principal interface de l’internaute avec l’information.

En Une sur la colonne centrale, une image prévaut sur les autres rubriques. Sur Fluctuat, ce n’est pas un mais plusieurs sujets qui font la Une temporaire du site (au moyen d’une Une diaporama où chaque image est un lien vers le dernier article des blogs). Cet effet visuel a donc pour effet de faciliter l’accès à l’information: les internautes ont de plus en plus tendance à « picorer »[4] plutôt qu’à surfer ? Les éditeurs ont donc intérêt à proposer une information directement consommable: le temps gagné pour le choix d’un article est autant de temps gagné pour sa lecture.

Volonté de simplifier l’interface et la rapidité de l’accès aux articles par l’image, volonté aussi de lier l’information au plaisir et au confort visuel: l’interface de la Une correspond au « style » du site. Le code couleur violet pour Slate, rouge pour Rue 89 et bleu ciel pour Fluctuat ne sont donc pas laissés au hasard. Le violet mélange le rouge et le bleu, chromes à forte teneur politique, et pourrait alors représenter la distance critique, l’absence de parti pris des journalistes du site. Un choix adéquat au contrat de lecture proposé par les fondateurs de Slate:

« L’analyse de faits avérés, la prise de distance, le recul, la confrontation d’idées, l’argumentation sont pour nous préférables aux réflexes partisans ou militants »[5]

Pour Rue 89, le code couleur est très accrocheur et renvoie à la presse engagée de gauche (Libération, Rouge, L’Humanité etc.), ce qui l’insère spontanément dans une communauté de valeurs historiquement identifiable. Si le rouge est la couleur de la révolution sociale, il peut aussi ici signifier celle du Web (89 évoque l’année de l’invention du Web).

Rue 89 joue donc sur la double identité entre presse engagée, avec à sa tête des anciens journalistes de Libération, et révolution internet avec l’ambition affichée d’être réceptif à la révolution du Web. Pour Fluctuat, des tons pastels entourent chaque blog du site, ce qui donne à chaque domaine culturel un univers particulier et bien identifiable.

L’image est également mise en avant par la présence des diaporamas de photos sur la « Une » des sites. Sur Slate, le diaporama est placé à droite de la Une, avec une taille presqu’identique à celle de l’image de Une. Il s’ agit de photographies de la célèbre agence Magnum.

Un choix représentatif de l’ambition d’être un site de référence du Web, mais aussi du prolongement sur Slate de l’espace médiatique traditionnel à l’espace numérique. Le diaporama n’est pas un outil spécifique au Web, il vient de la presse magazine.

Le mélange texte et image correspond parfaitement aux attentes des éditeurs Web en allongeant le temps passé par les lecteurs sur leur site. Fluctuat a récemment fait la part belle à ses diaporamas photos, le site ayant adopté l’outil technologique nécessaire à leur publication. A Rue 89, la rubrique « en image » fait appel aux contributions des lecteurs qui peuvent envoyer et voir publier leurs photos selon des thématiques proposées par la rédaction: le blog « vu dans la rue » propose de publier

« les photos de ces petites choses que vous avez vues dans la rue, qui vous ont plu (ou déplu) et que vous voulez voir affichées sur votre Rue »,

une étudiante en photographie a lancé un diaporama des photographies de bureaux sur Eco 89[6]. Le discours éditorial passe donc en premier lieu par l’image dans les pages d’accueil des sites pure players.

Invités à l’émission J’ai mes sources sur France Inter, deux photoreporters affirment que l’arrivée des «digital natives» auraient fait reculer la part du discursif dans le journalisme au profit d’une communication par l’image[7]. Une affirmation qui pose la question de la contenance discursive de l’image de presse.

Si la photographie peut illustrer plus rapidement et sans frontière de langage une information, elle détient bien souvent un «signifiant» et un «signifié», le signifiant étant ce que l’image représente à première vue, le signifié relevant des mythes et des connotations sous-jacentes qu’une image peut véhiculer, derrière une apparente représentation à l’identique du réel.

Aux médias de sélectionner les photographies dont la signification correspond à l’identité et au ton de leur média. On constate que Slate a choisit les photographies de Magnum quand Rue 89 préfère celles de ses internautes. Plutôt que la disparition de l’écrit, l’image est donc le vecteur d’un nouveau mode d’information pour les internautes.

[1] Roselyne Ringoot, « discours journalistique, analyser le discours de presse à travers le prisme de la ligne éditoriale » in L’analyse de discours, sous la direction de Roselyne Ringoot et Philippe Robert-Demontrond, Editions Apogée, Rennes, 2004, p. 106

[3] Voir en annexe.

[4] Emmanuel Torregano utilise cette expression pour signifier le renversement en cours de la consommation des internautes qui sont de plus en plus dans une attitude d’attente de l’information que de recherche, http://www.electronlibre.info/La-fin-du-Web-Episode-4,00327

[5] Slate.fr, « Qui sommes nous ? », http://www.slate.fr/story/qui-sommes-nous

[6] http://eco.rue89.com/2009/07/10/votre-bureau-minteresse-decrivez-le-ou-prenez-le-en-photo

Le diaporama photo est un support complémentaire à l’écrit. Quand Slate propose des images d’archives du Tour de France, elles donnent de la profondeur historique aux articles qui traitent de l’édition 2009 du tour cycliste. Le diaporama du guide des festivals de l’été de Fluctuat est dans la même logique un complément aux billets du blog musique.

En ce sens, si l’image est de plus en plus présente sur le Web, les sites pure players doivent se démarquer en utilisant l’image comme support de leur discours éditorial et non comme simple illustration de l’écrit.

C’est pourquoi Slate et Fluctuat ont dédié, outre la possibilité d’accroître le nombre de clics des internautes, aux diaporamas un espace exclusif sur leur site. Si la mise en scène de l’information a pris une propension majeure sur les sites pure players, elle n’est pas née de l’ère digitale comme l’avancent les photoreporters interrogés par Elsa Boublil.

Les magazines ont bien avant l’arrivée du Web concurrencé la presse quotidienne en donnant une place centrale à l’image. La presse quotidienne a elle aussi évolué vers l’image et les couleurs dans son histoire récente, jalonnée de nouvelles formules coûteuses pour renouer avec un lectorat fuyant[8].

[7] Alain Le Bacquer photographe indépendant et Xavier Soule de l’agence VU, interrogés par Elsa Boublil dans J’ai mes sources, le 15/07/09

[8] « La maquette fait une place plus grande à la couleur, la photo et l’infographie ». Cette citation tirée de l’article « Le Monde change alors Le Monde change » de l’Humanité le 7 novembre 2005 souligne que le choix éditorial en faveur de l’image n’est pas une exclusivité Web: les médias réagissent par rapport aux études marketing des communicants en faveur d’une information plus illustrée, plus espacée, en tenant compte des études sur le temps de lecture du public de plus en plus faible. En 2004, un rapport de Bernard Wurtz au ministère de la culture avance trois facteurs explicatifs de la désertion de la presse quotidienne d’information générale par la jeunesse: le prix, la distribution et le contenu. La presse est en même confrontée au développement d’une information gratuite (presse gratuite et Internet) accessible sans déplacement et aux formats plus séducteurs et persuasifs que la presse papier, « les jeunes et la lecture de la presse quotidienne d’information politique et générale », rapport de mission de Bernard Spitz au Ministère de la Culture et de la Communication

Elsa Boublil France-InterLa tendance à une présentation de l’information plus imagée et directe répond aussi à un environnement de concurrence exacerbée pour gagner l’attention des internautes.

L’audience des sites d’informations généraliste n’est pas uniquement départagée entre les sites de presse en ligne, car rien n’empêche à l’internaute de préférer s’informer sur les blogs que ses proches lui ont conseillé, voire directement sur les réseaux sociaux où s’échangent de plus en plus de contenu informatif.

Au cours de mon stage, le rédacteur en chef de Fluctuat m’a détaillé l’environnement de concurrence de son site Web pour m’expliquer le contrôle limité des éditeurs 100% Web sur leur audience. Son site étant une sorte de métablog, avec 10 blogs spécialisés chacun dans un domaine culturel, la concurrence existe tant du côté des médias généralistes du même acabit que Fluctuat (evene.fr, telerama.fr, lesinrocks.com, etc.) que chez chaque site d’information ou blog spécialisé dans un des domaines culturels parcourus par Fluctuat (les sites premiere.fr, allocine.fr ou commeaucinema.com pour le blog cinéma par exemple).

Les exemples de concurrents potentiels cités par Daniel de Almeida révèlent aussi la nature éclatée des hébergeurs de contenu sur le Net, des sites d’informations (premiere.fr) aux blogs de passionnés, en passant par les sites de communication des entreprises (allocine.fr). Sur le Web, les internautes sont interpellés par des hébergeurs de nature différente, et la tendance à sauter d’un contenu à l’autre prévaut sur la fidélité à une source unique (à l’exception notable des marques qui mêlent contenu commercial et contenu informatif, dont le succès surpasse de loin l’audience des sites d’information. Allociné est l’exemple le plus abouti).

D’autant que nous avons vu plus haut que la logique du Web social a permis de faire converger des dispositifs de communication qui jusque là se déployaient sur différents supports ; l’enjeu pour les médias pure players est de devenir des référents dans le contenu foisonnant du réseau Internet.

Dans cette évolution vers un public de plus en plus volatile, certains analystes du Web considèrent que la communauté des lecteurs ne serait plus qu’un lointain souvenir. Dans un article publié sur son blog Transnets, Francis Pisani avance que l’appartenance à une communauté s’est substituée à la connectivité à un réseau:

« dans un cas, on appartient à, dans l’autre on est « connecté à » « en relation avec» [9].

Pourtant, les trois pages d’accueil des sites d’information généraliste pure players témoignent bien de l’enjeu permanent de la constitution d’une communauté de références et de valeurs. La conversion au Web impliquerait plutôt une autre forme de communauté, non pas « fermée par nature » mais ouverte au réseau par des liens hypertextes vers les sites Web 2.0, ainsi que par un affichage croissant de la présence du site dans les réseaux sociaux.

[9] Francis Pisani, « question: communautés ou réseaux ? », Transnets, http://pisani.blog.lemonde.fr/2009/06/15/question-communautes-ou-reseaux/

1) Du webzine cyberculturel Fluctuat à l’éditorialisme en ligne de Slate en passant par l’information à trois voix de Rue 89: les projets éditoriaux pure player à l’étude

A – Evaluation des innovations des sites d’information généraliste pure players:

II – Les médias pure player: derrière le sigle commun, des projets divergents et hybrides, à l’avant-garde du renouveau éditorial de la presse en ligne

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les discours éditoriaux des sites pure player d’information à l’heure de la culture Web
Université 🏫: Université de Paris III
Auteur·trice·s 🎓:
Emmanuel Haddad

Emmanuel Haddad
Année de soutenance 📅: Master 2 de Journalisme Culturel - 2008/2009
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